432 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée d'Aix.J F. Giraud. Paraphé , ns varieiur. Signé Montagnac, lieutenant de juge. CAHIER Des doléances , plaintes et remontrances de la communauté de Vaugine , et éclaircissements généraux et particuliers sur l'état présent de ses misères ( I ). Un monarque généreux et compatissant vient de demander lui même la liberté de son peuple, et il y aurait, dans son royaume, un seul coin de terre dont les habitants fussent insensibles à un tel acte d’humanité! La nation entière, par ses cris répétés, s’efforce de témoigner toute la reconnaissance dont elle est capable envers son souverain , lui marque son respect et sa soumission à ses volontés en lui jurant une inviolable fidélité, et lui fournissant, sur ses souffrances, tous les éclaircissements dont il a témoigné désirer l’énumération ; et un seul de ses membres attendrait, immobile au milieu de tant de clameurs, que son mal fût devenu incurable, ou du moins souffrirait tranquillement de devoir sa guérison à ses compatriotes, sans faire un seul effort pour y contribuer lui même I A cette seule idée, nos cœurs frémissent, l’indignation s’empare de nos esprits, et, transportés, d’un zèle commun à tous les bons citoyens, nous déclarons proscrit à perpétuité et indigne du nom français, quiconque soutiendra des sentiments contraires au bien public, dont les intérêts particuliers renieront l’union commune, ou dont la criminelle insensibilité osera garder, dans le fond de son cœur, le fer meurtrier qui l’a blessé sans daigner recourir seulement au médecin soigneux de guérir la plaie qu’il lui a faite. Pour nous conformer donc à la loi du prince, condescendre en tout à ses volontés, et répondre, en quelque façon, aux bontés infinies qu’il a eues pour nous, et à celles, plus grandes encore, dont il a dessein de nous combler, nous tâcherons d’exprimer le mieux, et le plus succinctement qu’il nous sera possible, toutes les peines et malversations que nous, et nos pères, avons endurées depuis si longtemps. Quoique situés, sous une chaîne de montagnes, qui, nous laissant à peine aperçevoir nos proches voisins , devraient, ce semble, nous soustraire à l’ambition de nos ennemis, sous la tutelle desquels nous aurions été laissés, nous n’aurions pas été exempts de la misère publique ; ainsi ce ce qui nous avait été donné dans un temps, pour nous secourir dans nos besoins, nous aider à supporter patiemment le pénible exercice de l’agriculture auquel nous sommes destinés, et à engraisser et fertiliser notre terrain, d’ailleurs des plus rudes et des plus ingrats, a été pour nous fa source des malheurs qui nous ont presque réduits à la mendicité ; ce qui devait servir à notre félicité nous a donc rendus misérables, et les choses destinées à nous procurer des commodités sont devenues l’instrument de notre supplice. Dès longtemps, les seigneurs provençaux, rassemblés dans la chambre des eaux et forêts, prévoyant que nos montagnes devaient un jour augmenter le nombre et l’étendue de leurs domaines, et servir, en partie, à nourrir l’avide cupidité qui les dévorait, et qui leur laissait voir avec douleur un seul de leurs vassaux en état de sentir le coup qu’ils allaient porter, nous firent défendre, au (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l'Empire, nom respectable de notre souverain, de nourrir et entretenir des troupeaux de chèvres dans aucune de nos collines; et sous des prétextes faux, mais légitimes en apparence, ils en firent émaner un arrêt de la justice royale, comme si ces animaux, loin de porter, moyennant la précaution des communautés intéressées, le moindre préjudice aux forêts et aux arbres qu’elles renferment, et qui ne peuvent, d’après les expériences, souvent réitérées, par des commissaires de la part de Sa Majesté, être utiles à la construction des vaisseaux, ne contribuent pas à la vigueur et à l’accroissement de ces mêmes arbres, en décimant les surgeons et rejetons qui sucent la nourriture qui leur était destinée; il n’en fallut pas davantage pour obliger un peuple idolâtre de ses souverains, à se priver de son nécessaire dès qu’il semblait le lui ordonner; il a tâché néanmoins dès lors, par ses doléances portées aux assemblées provinciales, de solliciter les yeux de Sa Majesté pour lui faire apercevoir le piège que l’on tendait à ses fidèles sujets : mais voyant ses ressorts sans effet par l’interception de ceux qui, loin de lui servir d’appui, étaient eux-mêmes les auteurs du mal, se voyant privés des faveurs du trône, et par conséquent hors de portée de pouvoir y faire parvenir ses plaintes, et content d'avoir, au seul nom des intérêts de son Roi, livré la plus lucrative de ses propriétés, il attendait tranquillement que des temps plus heureux lui donnassent .au moins la liberté de s’annoncer. Cependant MM. les seigneurs, voyant leurs ressorts en jeu, commencèrent à s’emparer et à se rendre maîtres, sous les prétextes de dégradations et de mauvais usages, de la plus grande partie des montagnes communes; ils trouvèrent, à la vérité, quelques légers obstacles; mais que pourraient faire de petites communautés jugées par des corps dont leurs parties adverses étaient membres? Notre petite communauté de Vaugine a soutenu longtemps à ce sujet un procès considérable et très-dispendieux contre son seigneur, et a été enfin condamnée, à la requête dudit seigneur, sans avoir été entendue ni même avertie, daus un temps où, se voyant.réduite à l'extrémité, par les frais immenses que celui-là lui occasionnait, elle a été à la fin forcée de lui laisser le champ libre, aimant mieux sacrifier une partie de son nécessaire que de se voir ruinée sans ressource, et préférant voir la plupart de ses membres obligés à recourir à leurs plantations particulières pour tâcher d’adoucir auprès du feu les rigueurs de l’hiver, et payer fort cher, ou manquer totalement d’instruments nécessaires au labourage, tandis que sa montagne fournissait abondamment tous ces secours à ses voisins, auxquels son seigneur a vendu du bois pour près de 20,Ü00 livres, sans compter les rentes annuelles des buis, préférant, disons-nous, souffrir tous les désagréments possibles, plutôt que d’user de remèdes violents. Ainsi, ces pères des pauvres, après avoir ruiné toutes les communautés qu’ils avaient le moyen d’attaquer, sous différents prétextes, les ont à la fin obligées de leur céder ou du moins laisser prendre, de gré ou de force, la portion de leurs propriétés ou de leurs fruits qui était le mieux à leur bienséance ; mais ils ont comblé la mesure de leurs iniquités, et l’ange tutélaire de la France ayant enfin jeté un regard favorable sur cette nation humiliée, nous a promis un protecteur dans la personne du monarque qu’il a placé sur le trône, et qu’il dirige par ses conseils; il nous a fait entendre, qu’après avoir gémi longtemps dans le silence, souffert tous les maux que la tyrauuie était capable d’in- [Èiats eén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée d’Aix,] 433 venter, nous trouverions un libérateur. Il nous a été accordé, il a pris soin de nous, les Etats généraux sont fixés, et nous avons tout lieu d’attendre du meilleur des pères, qu’il effectuera les promesses qu’il a faites à ses enfants. Verrait-il, en effet, de bon œil, que la plus grande partie de ceux-ci donnassent une bonne portion de leurs biens pour le soutien du trône, tandis que quelques-uns d’entre eux se regardant comme favo risés, par une infinité de prérogatives dont ils se prévalent, et des usages qu’ils ont eux-mêmes, pour la plupart, introduits, à soutenir les usurpations dont ils jouissent ou qu’ils ont faites, loin de contribuer, comme toute la nation en commun, pour le bien commun, veulent encore se nourrir aux dépens du plus grand nombre? Souffrirait-il paisiblement que des arbres, propres à la construction, rangés en allées, formant des bosquets ou des ombrages agréables, et dispersés çàet là dans les propriétés des grands, fussent respectés au seul nom de ceux à qui ils appartiennent, et qu’aucun commissaire, aucun ingénieur du Roi n’ose y toucher, tandis qu’un misérable cultivateur, n’ayant pour tout ombrage, dans son ermitage, même près de sa chaumière, qu’un seul arbre dont le produit est, pour lui, fort considérable, le sacrifie de bon cœur, dès qu’il est reconnu utile à Sa Majesté? Ne serait-il pas saisi d’indignation, en apprenant que ces mêmes seigneurs qui ont fait défendre, en son nom, à tous particuliers et propriétaires, d’avoir dans ses troupeaux tenant les montagnes une seule chèvre, n’ont cessé eux-mêmes d’en avoir des troupeaux considérables en plusieurs endroits, comme si celles qui leur appartiennent n’ont pas la dent aussi cruelle que celles qui sont aux propriétaires leurs vassaux; ils ont dit que ces animaux ne pouvant plus atteindre aux branches des arbres, s’attachent au tronc et l’écorchent; sans faire observer sans doute que cela n’a lieu que lorsque ces mêmes animaux, irrités de se voir réduits dans un petit espace de terre autour de quelque arbre auquel ils sont attachés, ne se portent à cette extrémité que dans l’intention de se délivrer des chaînes ou des entraves qui les retiennent, mais que dans le cas où ils sont libres, et dans les forêts, leur voracité naturelle contribue à l’agrandissement des arbres de haute futaie. Son cœur ne serait-il pas attendri à la vue d’une foule de citoyens utiles dans son royaume, qui gémissent depuis si longtemps de voir ravager toutes leurs récoltes par des bêtes féroces, sans qu’ils aient la permission de leur nuire, sans s’exposer au ressentiment d’un seigneur qui leur suscitera les affaires les plus ruineuses et les plus désagréables; de ne pouvoir même en sûreté faire des reproches à un garde qui, sous prétexte de la chasse, lui fait plus de ravage que les animaux qu’il poursuit ; qui souffrent avec peine que les fruits les plus purs de leurs travaux passent entre les mains des procureurs et officiers de justice pour des procès que ni eux ni leurs entants n’ont pas l’espoir de terminer, et qu’ils n’ont peut-être pas commencés. Sans doute, Français, nos compatriotes, que l’aspect de cette multitude d’injustices a déterminé notre protecteur à demander à son peuple de l’informer pleinement de tous les abus qui se commettent, la plupart en son nom, afin de les réformer, et de forcer la nation à mettre tin à ses misères; pour nous, contents de détailler les peines qui nous touchent, et dont nous sommes à portée de juger, laissons à de plus habiles mains le soin de tracer avec un pinceau délicat le plan de toutes les réformes dont nous avons besoin, et que la faiblesse de nos lu* lw Série, T. VI, mières nous laisse à peine apercevoir. Des citoyens zélés mettront dans un grand jour la multitude d’abus qui se commettent dans la perception de tous les droits royaux, l’injustice qu’il y a de priver une province de plusieurs denrées utiles, comme le tabac et le safran que son sol peut produire, et qui lui sont fournies par des nations étrangères�; de lui faire môme distribuer, comme à des étrangers, le sel qu’elle produit en quantité. Pour nous, remettant tous nos intérêts à rassemblée provinciale, nous la prierons de faire attention aux avantages qui reviendraient à toute la Provence de la restitution des montagnes communes aux communautés auxquelles elles ont été usurpées; la multiplication des chèvres beaucoup plus considérable que celle des brebis, rendant la viande plus abondante, par le nombre et le poids de celles-là, dont la proportion surpasse de beaucoup celle-ci, et nous la faisant distribuer à un prix raisonnable, serait d’un grand secours pour les cultivateurs, qui, d’ordinaire, gardent pour eux ce qu’ils ont de plus grossier, et les dédommagerait par là des soins d’élever, dans les moutons de nos quartiers, des morceaux friands pour les villes. L’abondance du lait, du beurre et du fromage excellents, nourriture qui nous est aussi utile que la viande, fournissant à tous ceux dont les revenus ne permettent pas d’aller journellement au boucher un aliment quotidien très-substantif, encouragerait chez nous l’agriculture, en renouvelant et entretenant au pauvre paysan les forces qu’il a perdues dans la pratique d’un exercice aussi pénible que celui de la culture de la terre; la grande quantité de fumier qui résulterait de la fiente de ces animaux dont la chaleur cause uue effervescence extraordinaire, mêlée avec lesbuis qui sont en grande quantité dans nos montagnes, nous donnerait d’abondantes récoltes, et fertiliserait notre terrain, qui, sans cela, ne porte qu’à force de cultures souvent répétées. Enfin, l’utile et l’agréable avantage que nous trouverions encore dans l’usage de ces animaux, c’est que nos montagnes étant garnies, pour la plupart, de chênes verts qui forment, dans bien des endroits, des touffes extrêmement serrées et fournies, nos troupeaux de moutons ne pouvant y pénétrer, sont privés d’une portion des plus succulentes du pâturage, et fournissent, dans ces espèces d’enclos, des retraites assurées pour les loups dont nos forêts fourmillent; qu’au contraire, les animaux que nous réclamons avec empressement, et qui méritent toute notre attention, servant eux-mêmes de guides et de conducteurs aux timides brebis, leur font part d’une portion du gras et savoureux pâturage que leur instinct et leur légèreté naturelle, secondée parle peu d’embarras de leurs habits, leur procurent, en les faisant pénétrer dans le fond des bois, où elles se frayent une route à travers les touffes les plus épaisses et dans les lieux les plus escarpés des collines. Nous sommes persuadés que, considérant les avantages sans nombre que non-seulement notre communauté, mais encore la France entière, et surtout les endroits qui ont à leur portée des montagnes aussi fournies de bois que le sont les nôtres, peuvent tirer de ces animaux, ils trouveront des protecteurs dans une assemblée aussi nombreuse, aussi respectable, et qui est convoquée pour le bien de tous, et qu’ils auront de zélés défenseurs contre les seigneurs qui leur ont voué une haine implacable; contre des gens, disons-nous, qui ne peuvent souffrir de commodités que étiez eux, cherchant à écarter des pro-i 28 434 [Etats gén. 1789: Cahiers. J priétaires, leurs vassaux, jusqu’au moindre soupçon du bien-être. Une rigoureuse banalité de nos moulins à farine ne doit pas moins fixer votre attention ; dans le principe de l’esclavage, où les mains altérées de travail, et n’ayant aucun terrain où ils pussent se livrer à la laborieuse passion qui les dominait, ceux qui avaient dessein de devenir terricoles, étaient forcés d’accepter une médiocre portion de terre, aux conditions que l’on voulait bien leur imposer. Dans la suite, et par succession des temps, à mesure qu’il se glissait des abus sans nombre, s’élevaient aussi des débats considérables entre la nation servile et la partie favorisée qui ne cessait d’augmenter ses exactions; les murmures éclatant enfin en plaintes générales, les deux partis étaient forcés de transiger et de se donner des assurances, dans lesquelles la noblesse étant plus forte, et presque la seuls lettrée, ses intérêts n’y étaient certainement pas lésés; dans quelques-unes de ces émotions, sans doute, notre communauté avait suivi le mouvement commun, et nos pères, dès longtemps, ont été assujettis à payer à leur seigneur la seizième partie de leur blé qu’ils portaient au moulin, sous condition néanmoins s’obligeant lesdits seigneurs à faire expédier les farines dans l’espace de vingt-quatre heures, par un maître meunier que la communauté se choisissait elle-même, aux frais et dépens dudit seigneur, et à faute de ce faire, il leur était permis de faire emporter, sans autre formalité, le blé qu’ils auraient dans lesdits moulins, pour aller les faire mettre en farine où bon leur semblerait; mais, dans la suite, regardant, comme indigne d’eux d’être soumis à la moindre subordination envers des gens qu’ils regardaient, non comme des hommes, mais comme un troupeau de bêtes, toutes dévouées à l’intérêt de leurs maîtres, et se prévalant de leur supériorité, ils se sont saisis, sous divers prétextes, et en différents temps, de tout ce qu’ils ont cru leur être de quelque utilité, ne trouvant que quelques légères résistances, et souvent aucune de la part de la communauté qu’ils attaquaient, par le manque de gens désintéressés et capables de les diriger, ou par la crainte dans laquelle ils tenaient ceux desquels ils avaient quelque chose à craindre, et qui, se voyant attaqués vigoureusement, et hors d’état de se défendre, par 1 inégalité des forces, aimaient mieux sacrifier le bien public que d’abandonner leurs intérêts particuliers, et de n’ètre pas même en sûreté, en luttant avec des capricieux qui mettaient en usage toute sorte de moyens dont nous n’avons que trop ressenti les funestes effets; nos deux moulins, qui n’avaient été construits que pour notre seul usage, furent donc divisés, et l’on en destina un à servir les étrangers, nos voisins; le tout ne fut pas là, et nous nous croirions encore heureux, si, après en avoir perdu un, le second nous avait été conservé inviolablement avec tous les droits dont nous y jouissions ; au contraire, le seigneur commença à donner ses moulins à des fermiers qui, exploitant eux-mêmes les farines, nous mettent, chaque jour, dans la douloureuse nécessité de laisser nos sacs pleins de blé à leur disposition, tout le temps qu’ils le jugent à propos, sans qu’il soit permis à aucun particulier de leur faire même les plus humbles remontrances, sans qu’il s’expose à se voir gâter totalement ses farines, et n’ait, en sus, aucune espérance d’en être dédommagé , comme quelques-uns ont inutilement tenté d’en avoir satisfaction ; la communauté n’a jamais, à la vérité, voulu in-[Sénéchaussée d'Aix.j tervenir, craignant d’être réduite, à l’instar des habitants de la vallée d’Aygues, qui,- sous la directe du même seigneur que nous, ont non-seulement la banalité des moulins, mais ne peuvent même, à quelque extrémité qu’ils soient réduits, etpour quelque causeque ce soit, prendre du pain à un autre endroit qu’à un boulanger que ledit seigneur tient au centre, et pour toute la vallée, qui est de plus de trois lieues, qu’ils ne s’exposent à être arrêtés par un garde qui leur ôte non-seulement le pain qu’ils portent, mais les maltraite même, et les oblige à des contributions; passe encore pour le coup, si le pain qu’on leur donne n’était pas quelquefois indigne d être donné à des chiens ; crainte donc d’un plus grand mal, et se voyant épuisés au point de ne pouvoir soutenir un tel procès, nos communaulés ont souffert que les choses fussent portées au point où elles sont, attendant sans cesse que lorsque l’injustice serait montée au plus haut degré, une main plus puissante qu’elle, voulant leur épargner la peine défaire, pour se. relever, des efforts qui les eussent peut-être perdus sans ressource, frapperait ces tètes altières qui les dominaient, et dont la chute doit nécessairement entraîner le corps tyrannique auquel elles tenaient, et qui les soutenaient, Quel serait l’inhumain cannibale qui, livré à sa brutale férocité, ne donnerait pas à son compagnon de caravane, épuisé de fatigue ou de maladie, ou dans quelque besoin pressant, une portion des prises qu’il aurait fuites, même sans sa participation, ou tous les secours qu’il pourrait lui fournir pour le tirer du danger? Sans doute, Français, que s’il le refusait, ses compagnons, justement irrités contre lui, mettraient à l’instant son corps en pièces, et s’en dépèceraient les lambeaux; et nous, plus inhumains que lui, nous souffririons plus longtemps que nos concitoyens, et en général tous nos compatriotes, manquassent des principaux nécessaires de la vie, qu’ils s’exposassent, pour se les procurer, à être poursuivis ignominieusement, condamnés à des peines afflictives et à des amendes onéreuses; que, forcés par de semblables maux et l’impuissance d’y remédier, à recourir le plus souvent, et emprunter des hommes voués aux intérêts des plus forts, qui, sous les apparences d’un service réel, tâchent de s’engraisser aux dépens des plus faibles, ils (deviennent la proie de la vengeance et de l’ambition. En effet, à défaut, pour le pauvre débiteur, de satisfaire, au temps marqué, à l’obligation qu’il a contractée, son créancier vient lui témoigner qu'à regret il ne peut attendre davantage, lui fait juridiquement vendre de quoi se payer, et, pour une modique somme, le réduit dans la dure et étroite nécessité de perdre une propriété d’un prix quadruple, qui se partage entre le seigneur, ses officiers de justice et le créancier, son exacteur, qui trouve par là le seul moyen de posséder sûrement et sans défiance un fonds de terre quelconque qui n’est plus asservi au terrible droit de prélation. Le moyen d’éviler une partie de ces maux, dont la source est dans la justice seigneuriale, serait sans doute de s’exploiter soi-même; mais où trouver quelqu’un qui, après avoir, en acquérant un fonds quelconque, donné la dixième partie du total du montant dudit fonds, payé les droits du contrat et du contrôle, aimât encore à être exposé , l’espace de trente ans , au caprice d’un homme qui, pendant tout ce temps, a le droit, en remboursant seulement les derniers, de s’emparer de ladite propriété, si bon lui semble? ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 435 [Etat3 gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée d’Aix.] Ainsi, ces messieurs, après avoir retiré une bonne partie du fonds, parie droit du Ipds, peuvent encore profiter de toutes les améliorations qui se font pendant trente ans; ils recueillent, en plusieurs endroits , jusqu’à la sixième partie des fruits à la perception, ont des droits sur ce qui se consomme dans le pays, par la banalité de leurs fours et par les impositions qu’ils mettent jusque sur le pain, sans compter encore les censés et redevances auxquelles une infinité de particuliers sont assujettis : à Lourmarin, dont le terroir est contigu aii nôtre, et sous la même direction, le seigneur donne à son garde-chasse l’usage sur tous les fruits qui sont dans l’enceinte dudit terroir, et la permission d’entrer dans tous les jardins des particuliers pour y prendre son nécessaire de fruits, légumes et herbes potagères qu’ils renferment. Après tant d’exactions et de supercheries criantes, le droit de chasse que les seigneurs ont seuls à eux propre, ne nous cause pas un moindre dégât de la part de ceux qui en ont la garde, que du côté des animaux qu’ils poursuivent; cette engeance mercenaire que l’autorité de leurs mai-très rend aussi insolents qu’hasardeux dans les entreprises où l’espérance du gain est pour eux une amorce sûre, s’attachent à la désolation publique, plus fortement que des cirons et des poux ne s’acharneront sur une tête remplie d’humeurs. Ils se font un plaisir, dans le temps des moissons, malgré la prohibition à eux faite, de par Sa Majesté, de chasser en ce temps, de passer, repasser et contourner dans les terres ensemencées avec des meutes de chiens, et y causer des dégâts incompréhensibles : dans toutes les autres saisons de l’année, ils tirent impunément sur nos arbres fruitiers, lâchent publiquement des coups de fusil dans des troupeaux de pigeons domestiques, sans que pour les raisons inalléguées aucun particulier puisse sûrement leur en faire le moindre reproche. Après les dégâts et les contributions sans nombre que les seigneurs exigent de nous, ils se dispensent encore de payer leur contingent des réparations et dépenses que les communautés sont obligées défaire pour les réparations des chemins, et autres frais communs et utiles, dont ils se font décharger, sous le nom de défalcation. Nous donnons encore aux prieurs décima-teurs du lieu, pour le service spirituel de notre paroisse : 1° La dixiéme partie de nos grains, et la huitième de toutes nos autres denrées consistant; 2° en remier et second foin ; 3° olives ; 4° noix ; ° amandes ; 6° toute sorte de légumes ; 7° et la communauté fait encore une rente annuelle de 120 livres pour les haricots , le reste du jardinage et la feuille du mûrier. Voilà bien de quoi donner un confesseur à chaque famille, et nous avons à peine un curé et un servant, qui, sans trop de travail et de peine, pourvoient aux soins de leur petit troupeau. Dans le temps où notre communauté naissante, ayant besoin de pasteur pour l’instruire des vérités de la religion, lui en prescrire toutes les cérémonies, et faire remplir les devoirs auxquels elle oblige, donna les choses susdites sous le nom de dîme, ce qui n’était, en effet, que la dixième partie des grains, étant alors les seuls revenus de nos pères, à celui sous la conduite duquel elle se mit : le produit qui lui en revenait était très-médiocre, et lui fournissait à peine de quoi vivre; les terres, presque toutes en friche, ne donnaient que fort peu à des gens dont la chusse, qui mur riait permise alors étant, presque le seul exercice, se contentaient de se procurer, par le travail de leurs mains, de quoi faire un peu de pain ; mais dans la suite, et lorsque les successeurs de ces premiers pasteurs furent, par des successions héréditaires, devenus eux-mêmes seigneurs, ils commencèrent à faire défendre à leurs vassaux, qu’ils gouvernaient en rois, l’exercice de la chasse ; ces habitants ne trouvant plus, de ce côté-là, une ressource assurée pour fournir à la nourriture animale, furent contraints de chercher leurs commodités dans le travail de leurs bras; les terres se défrichèrent , les plaines furent cultivées et complantées ; enfin le laborieux cultivateur, recueillant abondamment, et moissonnant, à pleines mains, le produit de ses sueurs, les prieurs déci-mateurs, dans la personne du seigneur ou de ses successeurs, longtemps unis ensemble par les liaisons du sang,' prétendirent avoir leur part de ce produit; il fallait bien le leur donner. Que faire avec des gens dont les forces sont supérieures aux nôtres, et qui n’ayant à craindre, de notre part, aucun ressentiment, viennent nous dire, d’un tou plein d’assurance, qu’une portion de nos fruits leur plaît, sinon de consentir à ce qu’ils l’enlèvent? Ainsi, ces messieurs ayant obtenu ce qu’ils demandaient, voulurent même en avoir la huitième, et en jouirent conformément jusqu’au temps où les revenus des prieurés étant transférés, en la personnes du prieur, au chapitre d’Aiguemortes, en Languedoc, dont celui-là était membre, le seigneur qui restait sur le lieu demeura possesseur des droits et fonds seigneuriaux, tandis que MM. les chanoines emportaient loin de nous une partie des biens destinés à la subsistance des pauvres habitants du lieu, et en retirent annuellement, près de 4,000 livres de revenu, laissant le soin de nous instruire à un curé qui, sur le lieu, ne s’épargne certainement pas de quoi faire des fonds. Nous nous promettons qu’à l’aspect de tant de justes remontrances que nous avons l’honneur de présenter, par l’entremise de nos députés , à une assemblée aussi clairvoyante que celle qui se trouve aujourd'hui convoqnée ; par les règles de la plus saine équité, nos protecteurs ne« perdront pas de vue le point qui nous anime, et que, prenant, dans l’intérêt de la nation entière notre soin particulier, ils nous mettront en état de payer noire contingent des subsides nécessaires aux besoins de l’Etat par la réunion de toutes les exactions que nous supportons, à un même but, qui est le bien général et la libération de l’Etat; et pour donner des preuves authentiques de la pureté de nos sentiments, et de la sincérité de nos intentions, nous déclarons unanimement renoncer à tout ce qui pourrait nuire à l’intérêt du plus grand nombre, empêcher la réunion de tous les corps particuliers en un seul commun miner la base fondamentale de notre rigoureuse constitution, et pour être la vérité telle, après avoir ensemble, avec tous les véritables Français remercié et reconnu l’éminente sagesse du monarque chéri que la France adore, le juste poids de son conseil, et formé des vœux pour leur conservation, nous avons attesté et signé le présent. S igné Miffre, maire-consul; Toppin ; Chaullier • P. Roche ; Colletine; Tavernier ; J. Jausson ; Louis Giraudot ; Pons Toppin; Alamelle ; Alamelle-Roche; Mauvoux ; Pellegrin ; Joseph Alays; Roman ; Brémont ; Bergier, greffier. Le présent cahier, contenant vingt-six pages L la présente comprise, a été par nous coté, par ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée d* Aix.] 456 [États gén. 1789. Cahiers.] première et dernière, et paraphé au bas d’icelle à Vaugine, le 25 mars 1789, ne varietur. Signé Borelly, viguier. CAHIER Des plaintes et doléances de la communauté de Vellaux , écrites le 29 mars 1789, d'après ce qui est prescrit dans la lettre du Roi (1). Les habitants de la communauté de ce lieu de Vellaux, encouragés par les bontés paternelles du Roi, osent déposer avec, confiance dans son sein les plaintes et doléances qu’ils ont à faire sur plusieurs articles des plus importans, soit pour le bien public, soit pour celui de cette communauté. Plaintes pour le bien public. Les habitants de ce lieu demandent que la justice se rende partout au nom du Roi. Destruction des juridictions seigneuriales; les troubles et les tracasseries qu’ils ont eu à essuyer, à ce sujet, de la part de leur seigneur, leur en prouvent la nécessité. Que les communautés, aujourd’hui seigneuriales, aient , à l’avenir, le droit de présenter leurs officiers de jusiice au Roi, qui aura le choix sur trois personnes désignées. Que les droits de lods, lors des ventes, appartiennent au Roi, mais sans droit de retrait seigneurial ; les lods perçus uniformément par toute la Provence. Que les banalités de toute espèce soient entièrement détruites, ainsi que 'toutes les autres servitudes. Que le droit de chasse soit aboli, et qu’il ne soit plus permis de ruiner un citoyen pour un délit de ce genre. Qu’il ne soit pas permis de décréter un citoyen de prise au corps, à la requête des parties, à moins qu’il ne s’agisse d’un crime public contraire au bien de la société. Que les charges de judicalure ne soient plus vénales ; que leur nomination appartienne aux Etats provinciaux qui pourront présenter au Roi trois sujets, dont il choisira un, et qui pourront être destitués à la volonté des Etats. Que les provinces elles-mêmes payent les magistrats qui seront en place; de là, point d’épices et la jusLice rendue gratis. Que les salaires et peines des avocats, procureurs, huissiers, soient diminués et lixés. Que le code soit civil, soit criminel, soit réformé. Que les employés des fermes soient détruits dans L’ intérieur du royaume. Que les citoyens seront jugés par leurs pairs. Que les cours de judicalure soient, en conséquence, composées d’un quart de juges ecclésiastiques, l’autre quart de noblesse, et la moitié restant nu tiers-état. Que tes charges publiques, soit dans le clergé, soit dans la magistrature, soit dans le militaire, soient communes a tous les états, et qu’elles ne soient données qu’au mérite. Que les cours de justice nesoient que pour juger des procès. Que les communautés soient redevables de leur administration aux Etats provinciaux, eL que, (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire. dans toutes leurs opérations, elles soient absolument indépendantes des cours de judicature. Que les affaires, occasionnées par les défrichements, soient décidées par l’assemblée provinciale, ou par une commission intermédiaire. Que les nouvelles lois soient enregistrées dans chaque province par les Etats du pays. ■ Que les compagnies qui ont des privilèges exclusifs, principalement pour le commerce du blé, soient détruites. Que la dîme soit supprimée. • Que les dignités ecclésiastiques soient affectées, par moitié, à des individus sortis du tiers. Que la nomination des évêques soit rendue aux diocèses, qui présenteront au Roi trois sujets pour faire le choix. Plaintes et doléances relatives à la Provence. Quant aux affaires particulières à la Provence, ses habitants demandent la convocation générale des trois ordres de la province, pour former ou réformer la constitution du pays. La permission aux communes de se nommer un syndic avec entrée aux Etats de la province. L’abrogation de la perpétuité de la présidence et la permanence de tous membres non amovibles ayant entrée aux Etats. L’exclusion des magistrats et de tous officiers attachés au fisc. La désunion de la procure du pays du consulat de la ville d’Aix. L’admission des nobles non possédant fiefs, ainsi que du clergé de second ordre. L’égalité des voix pour l’ordre du tiers, contre celles des deux premiers ordres, tant dans les Etats que dans la commission intermédiaire; Et surtout l’égalité de contribution pour toutes charges royales et locales, sans exemption aucune. L’impression annuelle des comptes de la province, dont envoi sera fait dans chaque communauté. Etablissement des bailliages et présidiaux, avec droit de juger définitivement jusqu’à certaines sommes. Plaintes particulières de la communauté. Outre toutes les plaintes ci-dessus qui peuvent être communes à une grande partie des sujets, les habitants de Vellaux en ont de particulières très-légitimes à faire sur l’oppression qu’ils ont soufferte de la part de leur seigneur, ou à son occasion. D’après l’arrêt rendu, en 1781, sur les dénonciations des biens domauiaux, pour leur réunion à la couronne, cette communauté, qui avait en main des litres de la domanial! té de la terre de Vellaux dont les seigneurs se sont arrogé la haute juridiction, eu ht faire la dénonciation au bureau des domaines à Paris. Il fut rendu, en conséquence, une decision et un jugement qui coutir-mèrent la-domanialité de ladite terre, eu constatèrent l’usurpation;, et établirent le droit de réunion par la couronne. Un député fut chargé de la poursuite de cette affaire : des offres de rachat, pour certaines redevances, furent faites par ladite communauté, et acceptées par les bureaux des domaines; l’arrêt de réunion devait se rendre, mais, par une fatalité inattendue, cette affaire, qui aurait dû. être finie depuis quatre ou cinq ans, est encore pendante, par des raisons qu’on iguure, et qui ne peuvent être que des raisous d’intérêt ou de protection qui ne devraient jamais l’emporter sur la justice.