588 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (S septembre 1790.: des calculs! il atteste la patrie qu’il n’a rien dissimulé du danger qu’elle court, et moi j’atteste cette même patrie qu’il va la perdre sans ressource. Je le rends garant et responsable envers elle des suites de l’inique et violente opération qu’il ose proposer ; lui de qui L’éloquence versatile, échauffée par une tête ardente, préconise aujourd’hui ce qu’il désapprouvait autrefois de la manière la plus énergique ; qui nous offre comme une mesure sage ce qu’il appelait l’orgie de l’autorité en délire, et qui enfin veut porter d’une main homicide le fer et le feu dans une plaie que la sagesse, la patience et le temps seuls peuvent fermer. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE JESSÉ. Séance du dimanche 5 septembre 1790 (1). La séance est ouverte à onze heures du matin. M. Anthoine, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier au matin. M. Le Couteulx de Canteleu demande la permission de lire une pétition des administrateurs composant le directoire du département de la Seine-Inférieure , du directoire du district de Rouen, du conseil général de la commune et de la chambre de commerce de la même ville, relativement aux assignats. (Voy. ce document annexé à la séance de ce jour, p. 599). M. Regnauld (de Saint-Jean-d' Angêly). Ce mémoire n’est pas le seul qui vous parviendra. Nous perdrions un temps précieux à en entendre la lecture et les membres absents seraient dans l’ignorance des motifs qu’on fait valoir pour et contre les asssignats. Je vous propose le décret suivant qui me semble de nature à sauvegarder tous les intérêts : « L’Assemblée ordonne l’impression de tous les mémoires relatifs aux assignats qui viendront des départements et le renvoi de tous les autres au comité des finances qui en rendra compte incessamment. » (Ce décret est adopté.) M. Prngnon. Il vous a été fait lecture d’une adresse du département de la Meurtbe, pour vous prier d’attribuer au tribunal de Nancy le jugement en dernier ressort de ceux que je m’abstiendrai de qualifier. Le conseil général de la commune de Nancy adhère formellement à cette adresse ; je vais vous donner lecture de sa délibération : Extrait des registres des délibérations du conseil général de la commune de Nancy. Séance du jeudi 2 septembre. « Cejpurd’hui 2 septembre 1790, le conseil général de la commune, profondément affligé de toutes les scènes d’horreurs dont cette ville a été le théâtre depuis plusieurs jours, et notamment (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. le 31 août dernier; considérant que la punition des criminels est le seul moyen d’effrayer les coupables et de prévenir de semblables désordres ; que les braves et fidèles citoyens, ainsi que les militaires qui se sont dévoués au maintien de la loi et ont exposé leur vie pour la faire respecter, ont droit d’attendre, de la sévérité de la justice, la vengeance de assassinats commis sur leurs frères ; que le nombre des accusés étant déjà très considérable, il est important de procéder avec la plus grande célérité ; que trop de lenteur pourrait occasionner une fermentation funeste, en laissant soupçonner qu’on néglige la cause des défenseurs de la patrie; que déjà les troupes qui ont remplacé la garnison rebelle réclament l’exécution des lois et l’exemple prompt d’une sévérité qui puisse à l’avenir contenir les ennemis du bien public ; que d’après la communication que le conseil général de la commune a prise de l’arrêté du directoire du district, il ne lui reste, en employant tous les moyens qui l’ont dicté, qu’à adhérer à tout ce qu’il renferme : « Après avoir oui le substitut du procureur de la commune, le conseil général a arrêté d’adhérer à l’adresse faite à l’Assemblée nationale de la part du directoire du département et de celui du district ; en conséquence, de la supplier d’attribuer au bailliage de Nancy toute cour et juridiction pour juger en dernier ressort et sans appel, tous les prévenus des crimes et attentats commis dans la journée du 31 août dernier dans cette ville, circonstances et dépendances, et ce d’après les informations et procédures que ledit bailliage a déjà faites et fera à la suite : l’autoriser pareillement à faire exécuter les criminels convaincus et jugés, sans attendre la conviction de leurs complices et adhérents. » Signé j: PoiRSON, président , et MICHEL, secrétaire. » M. Prngnon reprend. L’idiome le plus riche devient indigent, lorsqu’il s’agit de qualifier ceux qui ont tiré par les fenêtres sur la garde nationale, qui venait défendre ses frères et ses amis. Ils sont de mon pays, et je suis le premier à invoquer contre eux la* sévérité des lois. M. Duport. Il y a du danger à ce que les juges, au milieu des passions qui les animent, exercent un jugement souverain. Au lieu de rétablir la paix, ce serait peut-être une manière certaine d’aigrir les esprits. Il faut éloigner les juges des attentats commis : c’est alors qu’ils jugeront avec impartialité. Je suis donc d’avis que ce jugement ne doit point être attribué au tribunal de Nancy, et je pense que les commissaires, dont vous avez décrété l’envoi, doivent être entendus sur cette question. M. Démeunler. La proposition de M. Pru-gnon me paraît prématurée ; je demande qu’elle soit ajournée et que l’on continue l’information commencée. (Cette proposition est adoptée.) M. Le Couteulx de Canteleu demande l’ajournement à dimanche prochain de la discussion de son rapport sur la comptabilité des collecteurs et premiers percepteurs des contributions. Cet ajournement est prononcé. M. Pellerin, député de Nantes , donne sa démission et présente, pour le remplacer, M. Mau-passant, son suppléant. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [S septembre 1790.1 589 L’Assemblée accepte la démission de M. Pelle-rin et renvoie les pouvoirs *de M. Maupassant à l'examen de son comité de vérification. M. de Rostaing, au nom du comité militaire , propose un projet de décret qui est adopté en ces termes * « L’Assemblée nationale a décrété : 1° que le bouton uniforme des gardes nationales de France sera conforme à l’empreinte annexée à la minute du présent décret, portant une couronne civique, au milieu de laquelle sont écrits les mots : là loi et le roi, avec le nom du district en entourage entre la couronne civique et le cordon du bouton; « 2° Que dans les districts où il y a plusieurs sections, elles seront distinguées par un numéro placé à la suite du nom du district; « 3» Que l’uniformité ne sera point détruite, quelle que soit la qualité du bouton, doré sur bois, surdoré sur os, sur moule de cuivre, ou massif, chaque citoyen restant le maître de choisir la qualité qui lui conviendra le mieux. » M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur la liquidation de la dette publique et sur les assignats. M. de SLablache (1). Vous connaissez tous, Messieurs, l’importance de la question qui nous agite. On vous a dit vrai, lorsque l’on vous présente cette question, comme devant décider le sort de l’Etat, la restauration de nos finances, l’ordre, le repos, la liberté, la Constitution : tous ces grands intérêts reposent et vont dépendre peut-être du parti que vous adopterez ; une fois pris, il ne faudra plus regarder en arrière; tous les retours deviendraient impossibles, le salut ou la perte, c’est là ce que vous allez bientôt prononcer. Je viens, Messieurs, acquitter ma conscience, acquitter mon devoir, en vous soumettant quelques observations ; si vous les jugez fausses, si vous les jugez inutiles, je ferai des vœux pour que mon opinion ne soit qu’un vain songe, et ce que j’ambitionnerai le plus alors sera de m’être égaré. Votre comité des finances n’a pas cru devoir prononcer un vœu, dans cette grande question. Il a voulu s’étayer de vos lumières, il a voulu s’entourer de l’opinion publique, et lui laisser le temps de se former: la question est donc entière. Et peut-être pour la considérer sous toutes ses faces, aurait-il été utile qu’il vous eût été fait deux rapports : l’un dans le sens des assignats, l’autre dans celui des quittances de finance, auxquels se seraient ralliés les membres qui se détermineront pour l’un ou l’autre de ces partis. Quant à moi, Messieurs, mon opinion déjà connue n’a point varié, et je l’avouerai, cherchant la vérité, désirant le bien par-dessus tout, dans les différents discours qui ont été prononcés à cette tribune, et qui presque tous ont été pour appuyer une émission d’assignats de plus de deux milliards, je n’ai rien entendu qui m’ébranlât; mais, en revanche, il m’a semblé que l’on avait négligé de vous présenter tout ce que cette opération peut avoir d’effrayant et de meurtrier. Lorsque M. l’évêque d’Autun agita le premier cette question, et proposa d’appeler concurremment tous les créanciers de l’Etat à l’acquisition (1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire du discours de M. de Lablacbe. des biens nationaux, à raison du capital au denier vingt de leurs titres, je fus et je suis resté presque entièrement de son opinion. Le comité des finances a pensé que la dette exigible seule devait être remboursée ; et, malgré l’avantage que pouvait procurer un plus grand nombre d’acquéreurs, j’ai senti tout ce que l’on pouvait dire en faveur de cette mesure, et je me suis rangé à la majorité de cette opinion. Mais aujourd’hui, Messieurs, ce n’est plus avec les créanciers seuls que l’on vous propose de traiter: c’est la France entière, que vous allez frapper à la fois, c’est d’un bout du royaume à l’autre que va s’étendre votre opération ; c’est toutes les fortuües, c’est tous les individus, c’est toutes les propriétés que vous allez atteindre, puisque les assignats deviendront forcément la propriété de tous ceux qui possèdent quelque chose ; c’est donc sous ce point de vue que nous devons envisager la question. Il me semble, Messieurs, qu’il est un objet que l’on a négligé de vous présenter, et qui n’a été indiqué que légèrement. On vous a toujours montré ces assignats sortant du Trésor national, acquittant la dette publique, et devant sur-le-champ s’anéantir et se dissoudre dans cette monnaie territoriale, qui est le but de leur création et le terme de leur durée. Si leur carrière était aussi courte, il serait inutile d’en suivre la marche, et nous aurions peu à nous inquiéter des effets qu’ils pourraient produire; mais vous voyez déjà, Messieurs, à combien d’usages étrangers à cette destination ils vont servir, lorsque vous leur appliquerez le titre de monnaie, et lorsqu’il sera impossible de les repousser : suivons-les donc un instant dans la route qu’ils vont parcourir, et voyons ensemble s’ils laisseront des traces funestes ou bienfaisantes de leur passage. Je vais, Messieurs, me rendre aussi clair qu’il me sera possible. On nous a dit, et on a eu raison de nous dire qu’aujourd’hui en finance, ce qui n’était pas entendu de tout le monde, n’était entendu de personne ; et je vais essayer de compter par mes doigts comme la bonne femme dont vous parlait ces jours derniers un de mes digues collègues. Je demanderai d’abord, Messieurs, à chacun de vous, si vous croyez, si vous pensez, si vous espérez, que, lorsqu’il existe une différence entre l’assignat et l’écu, n’y ayant en émission que 330 millions d’assignats dans tout le royaume : si vous espérez, dis-je, que lorsque cette émission se sera accrue jusqu’à deux milliards et demi, l’assignat s'élèvera jusqu’au niveau de l’argent effectif? permettez-moi, Messieurs, d’en douter un instant et de raisonner dans cette hypothèse. Je connais, Messieurs, tout ce que l’on oppose à ce fait incontestable : les uns disent, ce n’est point l’assignat qui perd, c’est i’écu qui gagne. D’autres vous disent : cette différence vient du défaut de vente des biens nationaux, vendez-en seulement pour quelques millions, et vous verrez l’assignat recherché, vous le verrez s’élever et surpasser la valeur du numéraire. Vain sophisme, Messieurs. Sans doute, il faut vendre ces biens; sans doute, il faut les vendre promptement, et les sortir des mains des municipalités, où iis périront sans utilité pour la chose publique : mais n’espérez pas, malgré cette nécessité, que l’assignat se soutienne sans une perte considérable.