[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 août 1790.] d’Avignon, vous demande de régler sa conduite; enfin ces prisonniers réclament votre protection; vous avez nommé des commissaires pour l’examen de ces pétitions. Des questions aussi importantes demandent la plus grande circonspection. Les trois pétitions sont la suite de la catastrophe du 10 juin, qui dépend elle-même d’événements antérieurs. Dès le mois d’août 1789, il se forma dans la ville d’Avignon des milices nationales, à l’exemple de celles de France. Dans le mois de novembre, il fut fait à l’Assemblée nationale une motion tendant à revendiquer la ville d’Avignon et le comtat Venaissin. Dans le même mois l’administration du comtat Venaissin déclara qu’elle resterait fidèle à la puissance à laquelle elle était légitimement soumise, cette délibération fut communiquée à toutes les communautés, qui la ratifièrent. Quelque temps après il s’est formé, sur un plan quelconque, une nouvelle constitution dans le comtat Venaissin; le vice-légat l’a sanctionnée; mais on prétend que cette sanction a été forcée. C’est alors que commença la diversité d’opinions: les uns voulaient que cette constitution fût définitive, les autres prétendaient qu’elle ne pouvait l’être que par la sanction du pape. En avril, survint un bref du pape qui cassait toutes les ordonnances extorquées à son vice-légat ; il fut fait défense aux commissaires du pape de publier cette proclamation. La ville d’Avignon devint alors le théâtre de dissensions et de troubles: le vice-légat se retira à Carpen-tras, protestant contre tout ce qui pourrait être fait; alors s’est érigé un tribunal composé d’un juge et de deux assesseurs. L’avis unanime de vos commissaires a été qu’on ne pouvait donner un caractère légal à ce tribunal. Je vais passer à l’examen des faits... Plusieurs membres font remarquer que l’heure est trop avancée pour entendre la fin de ce rapport et demandent le renvoi à demain. (Cette proposition est adoptée.) La séance est levée à trois heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DUPONT (DE NEMOURS). Séance du mardi 24 août 1790, au soir(l). La séance est ouverte à six heures et demie du soir. M. Dinocheau, secrétaire, fait lecture des adresses dont le détail suit : Adresse de félicitation, adhésion et dévouement de l’assemblée primaire du canton de Cara-man. Adresse de la municipalité de Lorient, qui présente à l’Assemblée une adresse que les sous-officiers et soldats du régiment de Bassigny, en garnison dans cette ville, ont envoyée à l’armée de ligne, pour la conjurer, au nom de l’honneur français et du véritable patriotisme, de ne pas se laisser entraîner par les exemples d’insubordination et de mésintelligence, donnés par quelques régiments, et de ne pas s’écarter des règles de la discipline militaire auxquelles elle a juré d’obéir. Adresse des gardes nationales du district de Sis-teron. Adresse du corps administratif du district de Monpon, qui se plaint contre quelques électeurs du département, relativement à la fixation du chef-lieu de district de cette ville. Adresse du directoire du département du Var, qui, dès l’instant de sa formation, présente à l’Assemblée les assurances de Son dévouement sans bornes, pour l’exécution de tous ses décrets et le maintien de la Constitution : il demande avec instance que le département du Var, comme frontière importante du royaume, soit un des premiers pourvu d’hommes et de munitions, et que l’Assemblée s’occupe incessamment de l’organisation des gardes nationales. Adresse des administrateurs du département de l’Yonne, qui envoient le procès-verbal du dépôt fait par les gardes nationales de ce département, dans la salle des séances de l’administration, de la bannière donnée par la municipalité de Paris. Adresse des curés des districts de Beaume et de Saint-Hippolyte, département du Doubs, contenant leur adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale, et les hommages de leur reconnaissance. L’Assemblée nationale renvoie au comité ecclésiastique la pétition de la demoiselle du Closel, novice à l’abbaye de Montmartre, pour en être rendu compte incessamment. L’Assemblée renvoie pareillement au comité de Constitution, la pétition et le projet présentés par le sieur Vaqué, colonel des gardes nationales de Calouges, district de Tonneins, département du Lot-et-Garonne. On introduit une députation des sourds et muets , présentés par le sieur abbé Sicard, instituteur royal de cet établissement. Plusieurs membres insistent pour que l’Assemblée veuille bien s’occuper promptement des secours que la situation de cet établissement exige. Ils demandent le renvoi de la pétition des sourds et muets au comité de mendicité. L’Assemblée rend le décret suivant: « L’Assemblée nationale a renvoyé la pétition des sourds et muets à son comité de mendicité, pour lui en être incessamment rendu compte et aautorisé lecomitéde mendicitéà conférer avec les autres comités de l’Assemblée, dont la participation serait nécessaire, pour améliorer et consolider le sort de cet utile établissement auquel l’Assemblée a accordé son intérêt et sa protection. » MM. de la Harpe, Ducis, Lemierre, Ghamfort, Mercier, Sedaine, Maisonneuve, Gailhava, Chénier, Florian, Blin, Sauvigny, Forgeot, Palissot, Framery, Murville et Fenouillot, sont admis à la barre et présentent une pétition dont l'objet est de réclamer contre les usages qui portent atteinte à la propriété des auteurs dramatiques . L'Assemblée renvoie au comité de Constitution l’adresse de M. de La Harpe et la pétition dont voici le texte (1) : ADRESSE DES AUTEURS DRAMATIQUES. Messieurs, tous vos moments appartiennent à (1) Cette séance est incomplète au Moniteur, (1) Ces documents n’ont pas été insérés au Moniteur. (Mf) [Assemblée natienale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (24 août 1790. [ la pairie : ils «ont consacrés à des objets d’une haute importance. Nous avons cru cependant que vous pourriez en accorder un aux intérêts d’une classe d’hommes, qui, sous le seul rapport de l'instruction publique, serait encore digne de l’attention des législateurs, quand même d’autres considérations politiques ne l’eussent pas liée dans tous les temps à la grandeur et à la pros-érité de« Etats. Ce n’est pas devant une assem-lée telle que la vôtre, Messieurs, devant ceux à qui nous devons une Constitution dont la raison est la première base, qu’il est nécessaire de recommander ceux qui se sont appliqués par état à cultiver leur raison, et ont sacrifié toute autre espèce d’ambition à celle d’éclairer les hommes. Mais en voyant nombre de nos confrères qui ont l’honneur d’être assis parmi vous, nous nous applaudissons, non par un vain amour-propre, mais par un juste sentiment de fierté patriotique qui sied à tous les citoyens, nous nous applaudissons de pouvoir dire, devant la plus auguste assemblée de l’univers, que les gens de lettres ont été les premiers moteurs de cette grande et heureuse Révolution qui vous met à portée de donner à la France la seule chose qui lui manquât pour être à sa place dans l’Europe, un gouvernement légal. Ce sont les gens de lettres, pour le dire en un seul mot qui renferme tout; ce sont eux et eux seuls qui ont affranchi l’esprit humain. La servitude de l’esprit était, sans doute, la première qu’il fallût détruire. Le pouvoir d’un seul sur tous, et les usurpations du petit nombre sur le plus grand étant évidemment l’ouvrage de l’ignorance ; l’ignorance était donc le premier anneau des chaînes morales, religieuses et politiques qui pesaient sur l’homme, et cet anneau une fois brisé, elles devaient bientôt, de leur propre poids, tomber à ses pieds. Les oppresseurs l’avaient bien senti : vous vous en souvenez, Messieurs, et vous nous pardonnerez de rappeler ici ce que nous avons souffert des défiances et des alarmes du pouvoir absolu. Ce jour où nous avons l’honneur de paraître devant vous est pour nous un jour de jouissance ; et en est-il une plus douce que de pouvoir, devant les fondateurs de la liberté, se glorifier d’avoir mérité la haine des tyrans ? Quoique le théâtre en particulier semble ne pas appartenir de si près à cette raison universelle que l’étude des lettres a propagée de tous côtés depuis un siècle, cependant nous croyons pouvoir assurer qu’il a commencé de nos jours à n’y être pas étranger, et qu’à l’exemple de Voltaire, une philosophie courageuse, et une morale faite pour des hommes libres a osé plus d’une fois s’y faire entendre, et n’a pas été inutile aux progrès de la vérité. S’il était possible de douter de l’influence que peut avoir en ce genre l’art dramatique, il suffirait de retracer la surveillance ombrageuse et la flétrissante inquisition que le ministère exerçait de nos jours sur la scène. C’était, il est vrai, le seul lieu où l’on eût encore conservé quelque apparence, quelque expression de liberté. Mais aussi que de soins, que d’efforts pour l’anéantir! combien le despotisme en était effrayé ! que d’inquisiteurs à gages occupés à le rassurer! quelle servile industrie exercée à calculer l’effet d’un vers, l’intention d'un mot ! On eût dit que ce qu’il y avait de plus bas dans la pensée des tyrans et des esclaves fût constamment employé à deviner ce qu’il pouvait y avoir de noble et d’honnête dans la pensée des âmes libres. Et pourtant tout ce misérable travail était souvent infructueux ; car la puissance injuste, quoi qu’elle fasse, ne gaurait jamais échapper entièrement à la vérité ni au mépris. Plus d’une fois, des mouvements inattendus révélèrent à la fois l’opinion des peuples et la honte du gouvernement. Ces détails, dont nous nous abstenons, ne seront pas indignes de l’histoire ; ils serviront à peindre ces temps malheureux. Ici nous en concilierons seulement que si la tyrannie a toujours redouté cette voix terrible, formée de toutes les voix des hommes rassemblés, ce cri que sa conscience même ne pouvait pas toujours prévoir et que toute sa puissance n’a jamais pu étouffer, rien ne doit plus contribuer désormais à entretenir l’esprit patriotique que cette expression des sentiments publics manifestée dans nos spectacles; car, ce qui était l’effroi de la tyrannie doit être l’espoir de la liberté. Aujourd’hui, sans doute, elle est rendue aux talents dramatiques, comme à tous les autres travaux de l’esprit, cette liberté si précieuse et si longtemps invoquée en vain. De ce côté, nous n’avons plus rien a désirer. Mais ce n’est pas assez pour maintenir et perpétuer un art dont l’importance, que personne ne méconnaît, doit augmenter chaque jour en raison de notre situation actuelle. Il faut encore qu’il ne trouve pas tous les obstacles et tous les découragements possibles dans ceux qui en sont les instruments nécessaires; et c’est là, Messieurs, ce qui nous amène devant vous. Nous ne descendrons point à ce sujet dans un détail réservé pour le mémoire que nous nous proposons de laisser en vos mains. A la hauteur où vous êtes placés, Messieurs, vous ne considérez que les idées générâtes; vous posez les principes; vous faites les lois; vous distribuez les pouvoirs; et de cette élévation où vous êtes, la raison publique, sous le nom de la loi et avec toute la majesté qui lui appartient, descend dans tous les rangs de la société, dans toutes les parties du corps politique, va mettant à leur place les hommes et les choses et affermissant partout cet ordre et cette harmonie qui sont la vie des Etats. Ainsi donc, nous nous bornons à vous présenter en peu de mots les considérations générales qui peuvent fonder nos demandes, et qui suffiront pour vous déterminer, d’après la supériorité de vos lumières. Les auteurs sont les fondateurs naturels des spectacles, puisqu’il n’y en aurait point sans leurs ouvrages; les comédiens sont leurs organes uniques et nécessaires, puisque sans eux les ouvrages ne pourraient être représentés. Ce besoin réciproque établit, entre les auteurs et les comédiens, des rapports indispensables, et met leurs intérêts et leurs droits respectifs en compromis. Ces intérêts et ces droits ne doivent point être livrés à l’arbitraire ; d’abord parce que rien ne doit être arbitraire dans un gouvernement légal ; de plus, parce que les comédiens forment une société liée par le même intérêt, et les auteurs n’eu formant point, il en résulte l’avantage incalculable d’une corporation sur un individu. Or, un privilège exclusif accordé aux comédiens français, dans un temps où les productions même de t’es-prit, c’est-à-dire ce qui, par sa nature, est le plus naturellement libre, étaient soumises à des privilèges, a détruit-entièrement cette égalité légitime qui doit exister entre des parties contractantes ; et des règlements arbitraires qui n’avaient d’autre sanction que l’autorité des gentilshommes de la chambre, toujours favorable aux comédiens leurs protégés naturels ; règlements éludés encore et [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 août 1790.J 251 violés à tout moment avec impunité, ont achevé de rendre tout à fait intolérable cette inégalité de condition dont l’effet est d’assujettir les auteurs aux comédiens. Daignez, Messieurs, considérer d’abord le régime de la comédie, absolument anarchique, l’insuffisance et la violation de leurs préteudus règlements, leur crédit tout-puissant auprès de leurs supérieurs de la cour ; considérez ensuite qu’en vertu de leur privilège, ils sont jusqu’ici les interprètes uniques du talent dramatique, et qu’il fallait de toute nécessité qu’un auteur renonçât à voir ses ouvrages représentés, c’est-à-dire renonçât à tout, ou qu’il fût absolument à leur discrétion ; et d’après ces données incontestables, jugez, Messieurs, si l’on ne doit pas conclure qu’au lieu d’un accord et d’une réunion où tout devait être égal, d’un côté était le despotisme et de l’autre la servitude; et dans les petites choses, comme dans les grandes, ces deux mots offrent d’un côté l’excès de l’injustice, et de l’autre l’excès de l’oppression. Le talent, et surtout le talent supérieur, ne peut guère se séparer de quelque élévation dans l’âme, de quelque fierté dans les sentiments, et il est triste de penser qu’il ait fallu si longtemps rabaisser son caractère pour déployer son génie. Que la bassesse soit à la porte de la fortune, on le conçoit; mais qu’elle soit aux avenues du temple de la gloire, il est impossible d’en soutenir i’idée. Nous ne vous demandons, Messieurs, que ce qui est la conséquence de vos décrets, puisqu’ils ont prononcé l’abolition de tous les privilèges. Celui dont les comédiens ont joui pendant cent ans, a fait naître dans leur esprit une idée qui paraîtrait bien étrange, si nous n’étions pas accoutumés, par tant d’autres exemples, à voir la possession abusive érigée en propriété. Ils regardent, comme la leur, les pièces de tous les auteurs morts ou vivants qu’ils ont jouées depuis un siècle, par la raison qu’ils avaient seuls la permission de les jouer. Nous nous flattons d’avoir fait disparaître ce fantôme de propriété dans la pétition que nous avons l’honneur de vous adresser. L’égalité seule peut rétablir l’ordre, et la seule concurrence peut faire naître l’émulation. Nous croyons donc, Messieurs, que deux choses principalement peuvent rendre aux auteurs leurs droits légitimes, et leur assurer l’indépendance dont tout citoyen doit jouir dans l’exercice de ses talents. Ces deux choses sont : 1° la concurrence légalement établie entre plusieurs troupes de comédiens légalement autorisées à jouer toutes les pièces des auteurs morts ou vivants ; 2° un règlement général pour tous les théâtres, rédigé par la municipalité. C’est ainsi, Messieurs, que vous étendrez sur les gens de lettres ce grand bienfait de la liberté dont vos décrets font jouir tous les autres citoyens. On doit en être aujourd’hui d’autant plus jaloux, que l’esprit civique rend plus incapable de supporter aucune espèce d’asservissement. Les productions théâtrales doivent prendre bientôt un caractère plus mâle, plus hardi et plus patriotique ; et celui qui voudra être le poète de la patrie et de la liberté, sans doute ne commencera pas par être l’esclave des comédiens. Il faut que la régénération de la scène française date de la même époque que celle de la France entière. Cette scène, fameuse par tant de chefs-d’œuvre admirés du monde entier, fut une des créations du dernier siècle, lorsque le despotisme, soutenu par le génie, avait au moins de l’éclat ; elle penchait vers sa décadence, quand ce même despotisme, abandonné à son anjection naturelle, eut tout corrompu et tout avili ; elle doit renaître, comme tout le reste, sous les auspices de la liberté. PÉTITION DES AUTEURS DRAMATIQUES, Les spectacles sont, par leur nature, un objet essentiel de la police des grandes villes, et toute police bien ordonnée doit dériver des lois générales dont les règlements particuliers ne sont que l’application et la conséquence. Ce serait méconnaître entièrement la liberté individuelle, que d’imaginer qu’elle doive soustraire aux regards de la loi ce qui tient essentiellement à l’ordre public, et quoi de moins étranger à l’ordre public, qu’un établissement qui consiste à rassembler tous les jours environ deux mille citoyens de toutes les classes, pour des représentations théâtrales qui ne peuvent être i i différentes aux mœurs, au caractère national, au progrès des arts, à la gloire qui en rejaillit sur une nation, à l’affluence des étrangers que ces arts attirent, enfin, aux jouissances honnêtes et pures de quiconque a reçu quelque éducation? Aussi les spectacles dramatiques dans les anciennes républiques, à Romeetdans Athènes, étaient-ils sous la direction des magistrats et faisaient partie de leur administration. La loi, qui doit protéger tous les citoyens et mettre l’ordre partout, doit donc statuer sur les droits respectifs des auteurs et des comédiens, de manière à prévenir, autant qu’il est possible, toute lésion et même toute discussion. Les comédiens, payés par le public, ont avec lui des engagements à remplir : l’autorité municipale doit donc veiller également pour le public comme pour le particulier ; ce serait également un désordre que l’un ou l’autre fût réduit à se faire justice lui-même, puisqu’il est dans la nature des choses, que ni le public, ni le particulier ne mette de mesure dans la justice qu’il se fait. De ces principes qu’on ne peut contester, il suit que les comédiens doivent être soumis à des règlements positifs dans tout ce qui tient aux rapports continuels qu’ils out avec les auteurs et avec le public; et le moment est venu de le dire publiquement, une longue habitude d’indiscipline et d’indépendance fait qu’aujourd’hui que tous les ordres de citoyens sont également soumis à la loi ; il existe une corporation qui ne reconnaît aucune loi, et c’est celle des comédiens. Iis ne manqueront pas de répondre qu’ils ont depuis longtemps des .règlements rédigés entre eux et les gentilshommes de la chambre, alors leurs supérieurs, et sanctionnés par des arrêts du conseil. Un simple exposé des faits réduira cette réponse à sa juste valeur. D’abord tout était abusif dans ces règlements, à commencer par Je titre de comédiens du roi ; et l’on ne sera pas surpris que, dans un temps où les abus s’étendaient sur tout, ils prévalussent encore davantage dans le régime de la comédie, gouvernée par des gentilshommes de la chambre. Nous disons que ce titre de comédiens du roi, entretenus par Sa Majesté, comme il était écritsur le frontispice de leur hôtel, était un titre abusif, et cela est prouvé par le fait. Personne n’ignore que si les comédiens avaient été réduits à ce qu’ils recevaient du roi, ils seraient à peu près morts de faim, où plutôt la comédie n’aurait pu exister. Ils étaient véritablement les comédiens du public, puisque c’était le public qui les faisait vivre. Mais alors les notions les plus claires et les plus simples étaient confondues ; on ne comprenait [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 août 1790.] 252 même pas qu’il était peu séant à la dignité royale, que ceux que le roi appelait ses comédiens, fussent payés par la ville de Paris, et que pourtant le service de la cour se fît souvent au détriment de celui de la ville. Nous avons à présent le bonheur de posséder habituellement notre roi dans cette capitale; la plupart de ses maisons de campagne en sont à peu de distance. Nous devons dous flatter qu’il honorera nos spectacles de sa présence : aucun théâtre ne sera spécialement celui du roi ; mais tous ceux qui seront légalement institués auront des droits à sa bienveillance et à sa protection : c’est un des apanages du trône, de protéger tous les arts. Ce n’est pas sans raison que nous relevons l’abus de cette dénomination de comédiens du roi. On sait que dans le siècle dernier, à l’époque des chefs-d’œuvre de Corneille, de Racine et de Molière, il y avait à Paris trois troupes de comédiens français, et aucune neprenait encore le titre de troupe du roi. Du moment où il y en eut une, et qu’elle fut, en conséquence, sous l’autorité immédiate des gentilshommes de la chambre, ce fut la première source de tous les abus attachés aux privilèges exclusifs. Ces abus sont parvenus progressivement au dernier excès du désordre, et ces prétendus règlements, qu’on voudrait nous opposer comme des lois, ont été précisément la destruction de tout ordre et de toute loi. Leur premier effet fut de soustraire presque entièrement les comédiens à la police de la ville, et à l’autorité des magistrats quoique naturellement les spectacles dussent être de leur ressort, comme ils doivent l’être aujourd’hui de celui de la municipalité, qui remplace les officiers royaux. Mais, dès lors, le seul nom duroi,cenomqui,dans un ordre de choses bien entendu, n’aurait jamais dû rappeler que l’homme de la loi, ce nom, par une fatalité attachée à tous les gouvernements absolus, était précisément l’opposé de la loi. Les gentilshommes de la chambre introduisirent aisément dans l’administration de la comédie le despotisme de la cour. Les comédiens, qui avaient tous les moyens possibles de tourner ce despotisme à leur profit et d’en acheter la protection en se faisant de toute manière les complaisants de leurs supérieurs el les ministres de leurs plaisirs ; les comédiens, sous le seul prétexte qu’ils appartenaient au roi, se mirent bientôt au-dessus de toutes les lois qui pouvaient les obliger envers le public et envers les auteurs, et leur crédit fut pousséau point que, de nos jours, ils obtinrent un arrêt du conseil qui évoquait à lui toutes les discussions qu’ils pourraient avoir avec les auteurs dramatiques, en sorte que ceux-ci, qui invoquèrent plusieurs fois la justice des tribunaux, les trouvèrent fermés à leurs plaintes. On les renvoyait au conseil qui usait alors de son privilège ordinaire, celui de ne juger jamais, quand il ne le voulait pas ; et, en effet, il n’a jamais jugé aucune de ces causes, parce que le moyen le plus court était la dénégation de toute justice. On conçoit aisément, parce seul trait, combien étaient illusoires ces règlements, qui semblaient destinés à assurer les droits des auteurs, et qui pourtant avaient été faits sans que l’on daignât même les consulter. Dans les démêlés qui naissaient journellement, si vous vous adressiez au gentilhomme de la Chambre, qui, par ces règlements, était le premier juge, quelle justice en pouviez-vous attendre ? Une réflexion bien simple peut le faire comprendre. Il regardait les comédiens comme à lui ; la comédie était pour lui un gouvernement, une annexe de sa charge : l’auteur, au contraire, lui était tout au moins indifférent. Il n’avait à craindre aucune espèce de juridiction au-dessus de la sienne. Consultez les probabilités morales, et jugez ce que cette juridiction pouvait être. Cependant, il y a quelques années, les justes plaintes des auteurs éclatèrent plus vivement, ils se réunirent pour leur donner plus de poids, le gentilhomme de la chambre en exercice voulut bien les entendre, et, concurremmentavec les comédiens, de nouveaux règlements furent rédigés. Mais la seule amélioration qu’ils opérèrent porta sur un objet qui ne permettait guère de contradiction, dès qu’on avait admis l’examen : c’était celui qui regardait la rétribution des auteurs. On prouva par les registres mêmes de la comédie, que les auteurs avaient été fraudés, surtout depuis l’établissement des petites loges, environ de la moitié de leurs droits légitimes. Comme il n’y a point de réponse aux calculs arithmétiques, l’éloquence des chiffres fut la seule à laquelle les comédiens ne purent rien opposer. Le traitement des auteurs fut donc réglé sur une répartition plus exacte, et augmenta en compensation de ce qu’ils avaient perdu. Mais les comédiens, pour s’en dédommager, eurent l’adresse de faire insérer dans le nouveau règlement des articles insidieux (1) qui les laissaient absolument maîtres du sort des pièces et de la distribution des jours de représentation. D’ailleurs, le désavantage qu’ils venaient d’essuyer les aigrit et les révolta, et, depuis cette époque, c’est un principe, avoué tout haut parmi eux, que les auteurs sont leurs ennemis naturels. Mais ce qui est malheureusement trop démontré, et ce qui démontre en même temps la nécessité de l’intervention de la loi, c’est que les comédiens sont en effet les ennemis naturels des auteurs. Ceux qui ne jugent les choses que sur un premier aperçu seraient tentés de croire tout le contraire : ils imagineraient que rien n’est plus naturel que l’union intime de deux espèces d’artistes qui ont un besoin indispensable les uns des autres. Mais pour peu qu’on y réfléchisse, on verra qu’il doit y avoir entre eux, par le fait, une rivalité continuelle et d’intérêt et d’amour-propre, c’est-à-dire de tout ce qui divise le plus les hommes. On peut s’assurer en même temps, à l’examen, qu’il est moralement impossible qu’un auteur ait jamais ou les moyens ou la volonté de léser en quoi que ce soit les comédiens ; au lieu que ceux-ci peuvent avoir très naturellement (1) Nous n’en citerons qu’un exemple : il est frappant d’évidence, il suffit pour faire juger du reste. Jusqu’en 1180, l’auteur ne perdait son droit à sa rétribution que lorsque la recette était au-dessous de 12u0 livres en hiver, et de 800 en été. En augmentant sa part, qui était d’un neuvième et qui devint alors le septième, les comédiens crurent devoir porter le taux des règles à 1500 livres en hiver et à 1000 en été. Cette espèce de proportion, quoiqu’elle ne fût rien moins qu’équitable, passa. Mais que firenl-ils, pour déterminer le taux des règles ? Ils ne s’en tinrent plus à la recette de la porte, la seule pourtant qui soit applicable à la pièce qu’on joue ; ils réglèrent ce taux sur la recette totale, et le portèrent sous ce rapport à 2300 livres, en partant de l’évaluation des petites loges, à cette époque, c’est-à-dire d’environ 800 livres par jour. Or, assurément, rien n’est plus éventuel et plus variable que le produit des petites loges à l’année. Rien n’est plus étranger au plus ou moins de succès d’une pièce; et cependant on en fait la règle de proportion sur laquelle un auteur perd sa propriété! Rien n’est plus absurde ni plus injuste. On peut juger par là de la mauvaise foi qui a présidé à la rédaction de ces règlements. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 août 1790.] tous les jours les moyens et la volonté de nuire à un auteur. La rivalité d’amour-propre se présente d’elle-même. Les acteurs partagent avec le poète le succès et les applaudissements ; il est dans la nature qu’ils en réclament en secret la meilleure part, et d’autantplus souvent cette prétention est fondée ; car s’il arrive que les ouvrages fassent valoir les acteurs, il n’est pas moins commun que les acteurs fassent valoir les ouvrages. Mais loin que ce partage ait jamais excité la jalousie des auteurs, il est de fait qu’elle n’a jamais attiré que leur reconnaissance. Ils sont si portés à mettre le plus grand prix au succès, qu’ils ne demandent pas mieux que de rendre hommage à ceux qui ont pu y contribuer : là-dessus les écrivains les plus médiocres sont d'accord avec les plus sublimes; lisez leurs préfaces : il n’y en a pas un qui n’ait payé un tributd’éloges et de remerciements à l’acteur ou à l’actrice dont les talents ont le mieux servi les siens. Cette rivalité dont je parie n’a donc produit un esprit d’envie et de malveillance que dans les comédiens, et l’on en voit clairement le motif, dans la différence d’existence sociale et de considération personnelle attachée aux deux professions, différence remarquable, surtout dans les écrivains distingués. L’in juste préjugé qui a si longtemps flétri les comédiens devait les irriter d’autant plus qu’ils voyaient quelquefois honorer davantage ceux dont ils étaient les interprètes et dont ils se flattaient d’avoir fait la fortune. Mais dans le temps même où ils en savaient mauvais gré aux auteurs, ceux-ci ne cessaient de réclamer contre le préjugé qui dégradait l’état de comédien, et si ce préjugé est aujourd’hui affaibli dans l’opinion et aboli par la loi, on ne peut nier que ce ne soit principalement aux gens de lettres qu’ils en ont l’obligation. Quant à la rivalité d’intérêt, elle est sensible. Les comédiens sont une société qui trafique des productions de l’esprit. Il est tout simple qu’ils cherchent à les payer le moins possible, et même ils ne s’en cachent pas. L’auteur qui traite avec eux ne peut jamais leur demander que ce qui lui est du parles règlements; mais comme cequi est dû est subordonné au nombre et au produit éventuel des représentations, et qu’il existe un taux au delà duquel les règlements actuels ne lui adjugent plus aucune rétribution, il est facile de comprendre, sans entrer dans des détails que nous nous interdisons, que pour peu que les comédiens aient des moyens de préparer et d’accélérer ce terme, la volonté ne doit pas leur manquer. Ces moyens sont sans nombre, non seulement parce qu’il en est qui leur sont assurés par les règlements mêmes, mais parce qu’enfin ils en sont venus à regarder comme nuis ces mêmes règlements tout, insuffisants qu’ils étaient, et à les violer avec l’assurance de l’impunité. Nous croyons avoir suffisamment prouvé, dans cet exposé sommaire, combien la situation des auteurs dramatiques, dans leurs rapports avec les comédiens, est inégale et désavantageuse. On a fait souvent une observation spécieuse qu’il importe de réfuter. On a dit que la recette étant le premier intérêt des comédiens, il n’était pas vraisemblable qu’ils ne fisseut pas tout ce qui était en eux pour porter le succès des ouvrages aussi loin qu’il pouvait aller. Gela était vrai, en effet, et très vrai, jusqu’à l’époque de l’établissement des petites logés. Alors les auteurs ne pouvaient se plaindre que du texte des règlements, qui, faits sans leur participation, avaient considérablement restreint leur traitement légitime, par une foule de déductions dont l’injustice a été depuis reconnue. D’ailleurs, les comédiens, alors beaucoup moins riches, et réduits à leur recette journalière, étaient absolument unis d’intérêt avec l’auteur pour le succès de sa pièce, et, sur ce point, il n’y avait rien à dire. Mais lorsque les petites loges, dont la mode commença il y a environ trente ans, se furent bientôt multipliées au point d’usurper sur le public près de la moitié de la salie, alors les comédiens, dont chacun était sûr de 10 ou 12,000 livres de part au bout de l’année, indépendamment de la recette journalière, n’eurent plus, à beaucoup près, un intérêt si direct à regarder celle-ci comme la chose essentielle à qui tout devait être subordonné, et c’est, là pour le dire en passant, la première cause de la décadence de la comédie française. G’est une maxime fondée sur l’expérience : gardez que le salaire ne précède le travail; car, à coup sûr, le travail en vaudra moins. Aussi, dès lors l’émulation et le zèle se ralentirent: le plus ou le moins qu’ils pouvaient produire, pour chaque acteur, était trop peu considérable pour balancer cent autres petits intérêts qui, dès lors, devinrent prédominants. L’empressement d’attirer le publie par toute sorte d’efforts, le besoin de ménager les bons auteurs par des procédés, ne furent plus les mêmes ; ils firent place aux passions particulières ; chacun ne songea plus qu’à soi, et le public et les auteurs furent à peu près comptés pour rien. Alors les congés, auparavant très rares, devinrent très fréquents, alors les acteurs principaux accoutumés auparavant à jouer régulièrement trois fois par semaine, agirent envers le public comme des souverains qui font grâce à leurs sujets quand ils veulent bien leur accorder leur présence; alors les intrigueS'et les querelles des foyers firent la loi aux spectateurs, et l’affiche changée sans cesse d’un jour à l’autre ne leur garantit plus le spectacle sur lequel ils devaient compter. Alors, enfin, le désordre fut poussé au point qu’une actrice déclara solennellement qu’elle ne paraîtrait jamais dans aucune pièce avec une autre actrice, et elle a tenu parole ; et les supérieurs et le public souffrirent patiemment le scandale d’une pareille insulte. Mais, pourtant, ce même public, si peu ménagé, prit à la fin de l’humeur, et l’on sait que, depuis plusieurs années, il l’a marquée de plus en plus, de manière à produire des scènes violentes et des tumultes affreux, qui, plus d’une fois, ont répandu l’épouvante dans des assemblées destinées aux jouissances de l’âme et aux plaisirs de l’esprit. On a trop vu qu’indigné de la conduite des comédiens, il s’était, pour ainsi dire, déclaré l’ennemi de ceux qui ne peuvent subsister que par sa bienveillance, qu’il voulait eu toute occasion les punir et les humilier; et cette espèce de guerre entre des acteurs et le public est encore un scandale dangereux qu’une bonne police doit prévenir. Enfin, pour terminer ce tableau trop fidèle, tel est depuis plusieurs années l’état de la comédie française, que nulle espèce de règle n’y est plus même question ; que chaque acteur est le maître, par le fait, de refuser dans une pièce nouvelle le rôle que les règlements l’obligent de jouer; qu’il est le maître de quitter son rôle dès qu’il le veut; qu’en l’acceptant il croit non pas faire son devoir, mais faire grâce ; que non seulement il exige tel rôle pour lui, mais qu’il s’oppose à ce que tel rôle soit pour un autre; que chacun ne joue que quand il lui plaît et avec qui lui plaît ; ARGHIVBS PARLEMENTAIRES. [24 août 1700.] â§4 [Assembléenatioaale.] que le répertoire ne se forme que par. des arrangements où il ne s’agit ni de varier les plaisirs du public, ni de satisfaire à ce qu’on doit aux auteurs» mais seulement de donner aujourd’hui telle pièce pour un tel, sous Ja condition qu’un autre jour il jouera dans telle autre pièce donnée pour tel autre acteur; que l’on entremêle trois ou quatre nouveautés, de manière que chacune ne peut être jouée qu’une fois en quinze jours, et que. le publio se voit sans cesse sur l'affiche, attendant des pièces qu’il n'attend plus. Ce n’est pas tout : des haines implacables et des discordes furieuses divisent la comédie en deux partis, dont l’un inyoque inutilement une règle» parce qu’il est opprimé, et dont l’autre en repousse jusqu’au nom, parce qu’il est le plus fort* Qu’on se représente, au milieu de ces conflits et de ces secousses, vingt auteurs dramatiques qui en reçoivent nécessairement le contre-coup, et qui, ayant besoin de tout le monde, ne peuvent complaire à l'un sans blesser l’autre. On avouera qu’il n’y a guère de pire condition. Il doit vous être permis de faire valoir ici une considération morale qui doit être de quelque poids. Non seulement il est de justice qu’un pouvoir légal intervienne entre ceux dont le concours est nécessaire à l’existence des spectacles qui intéressent l’ordre public , c’est-à-dire entre les auteurs et les comédiens, mais encore il convient d’avoir quelque égard au caractère que l’on doit raisonnablement supposer dans ceux qu’un talent naturel a déterminés à cette profession d’hommes de lettres, que tous les peuples policés sont convenus d’honorer, et qu’on ne peut encourager qu’en l’honorant. C’est une ancienne maxime vérifiée par l’expérience, que l’honneur est l’aliment dés arts : honos alit a rte%. Oü ne peut nier que ceux qui s’y livrent n’aient pu communément, avec beaucoup moins de travail et d’effort, réussir dans d’autres professions bien moins épineuses et bien plus profitables; Les premiers pas du talent sont ordinairement le sacrifice de l’ambi tion et de la fortune commandées, sans doute, par la nature à ceux qu’elle a doués, mais dont cependant on est convenu qu’il fallait tenir quelque compte. C’est en partie sur ce principe que sont fondées les récompenses et les grâces qu’on a coutume d’accorder à leurs travaux, quand le temps en a confirmé le sbccès. On a senti qu’il était juste» qu’il était digne d’un gouvernement sage de ne pas négliger le sort d’une classe d’hommes naturellement portés à négliger tous les intérêts pour celui qui est, à leurs yeux, le premier de tous, la réputation. Ce (fu’on a cru devoir faire en leur faveur a paru d’autant plus équitable que ce gênre de incompensés, nécessairement renfermées dans un très petit nombre d’hommes et toujours assez modiques en elles-mêmes, est de tous le .moins onéreux à l’État, et proportionné à la modération de leurs désirs. Nous ne craignons pas d’être démentis en assurant que le premier vœu des auteurs dramatiques n’a jamais été pour le produit de leurs ouvrages, et que leurs plaintes les plus vives, les plus continuelles» et malheureusement jusqu’ici les plus inutiles ont toujours porté sur les dégoûts de toute espèce qu’entraînait l’inévitable indépendance où les mettaient leurs rapports avec les comédiens. Le même scrupule qui, jusqu’ici, nous a écartés de tout détail, nous les défend encore plus sur cet article : nous respectons trop l’Assemblée nationale pour énoncer devant elle des vérités qui ressembleraient trop à la satire personnelle. Nous ne cherchons point la vengeance ; nous réclamons seulement la justice ; nous ne voulons point exciter l’indignation : nous ne songeons qu’à montrer la nécessité de l’ordre. Mais si les comédiens, aveuglés par une longue habitude des abus, avaient la confiance imprudente de s’opposer à nos demandes, et dé vouloir infirmer nos assertions, alors devant ce premier de tous les juges, le public, à qui l’on peut tout dire, parce qu’il a le temps de tout écouter, il ne nous sera que trop facile d’accabler nos adversaires d’une telle multitude de faits prouvés, que les lecteurs et les comédiens seront également dans le cas de nous crier grâce, les uns par satiété, les autres par confusion. Qu’il nous suffise d’affirmer que telle était l’alternative où les gens dé lettres étaient réduits, que le3 plus complaisants n’achetaient les faveurs qu*à force de s’avilir, et que les plus fiers, rebutés des contradictions et de6 dégoûts, abandonnaient leurs droits et leurs avantages. Heureusement les uns se taisaient le plus souvent sur leurs humiliations, les autres sur leurs chagrins; et ce silence a pu nous épargner, du moins en partie, l’affligeante confidence des épreuves où fe talent était condamné. Maintenant quels sont les remèdes à tant d’inconvénients ? Nous croyons qu’il en est deux principaux qui peuvent obvier à tout ; le premier, la concurrence légalement établie entre plusieurs troupeB de comédiens légalement autorisées à jouer toutes les pièces des auteurs morts ou vivants : le second, un règlement général pour tous les théâtres» rédigé par la municipalité. Nous allons développer eD peu de mots l’objet, les conséquences de cette double disposition, et détruire les objections frivoles qu’on voudrait y opposer, D’abord, pour ce qui est du droit» il est formel et reconnu ; il est la suite des décrets qui ont aboii tout privilège exclusif. Les comédiens ne portent donc plus leurs prétentions jusqu’à s’opposer, comme ils l’ont fait longtemps, à ce que d’autres théâtres s’élèvent dans la capitale, Mais ils prétendent encore que toutes les pièces qu’ils sont en possession de jouer depuis l’établissement de leur théâtre, sont leur propriété éternelle et inviolable, et qjie nulle autre troupe ne peut les jouer sans leur faire un vol. Cette prétention est si absurde et si ridicule que nous ne nous permettrions pas de la discuter» si, dans le fait, elle n’eût pas été, depuis la Révolution, un des obstacles qui ont retardé l’existence d’un second Théâtre-I Français, que demandent depuis si longtemps tous les auteurs dramatiques, et qui, pour se réaliser, a besoin d’un décret. La discussion ne sera pas longue. A quel titre les comédiens seraient-ils propriétaires des pièces qu’ils jouent? II. ne peut y en avoir qu’un : un acte de transmission, émané des propriétaires naturels, les auteurs, en vertu duqüel ceux-ci* moyennant dés clauses convenues, leur auraient concédé le droit exclusif à eux et à leurs successeurs, de représenter leurs ouvrages. Ce titre a-t-il jamais existé? Les comédiens s’imaginent en trouver l’équivalent dans la part qu’ils Ont payée, eux ou leurs prédécesseurs» sur le produit d’un certain nombre de représentations. C’est confondre deux choses absolument différentes, Que prouvent les quittances des auteurs ? Rien autre chose que l’exécution d’un marché. Et quel était ce marché ? Le voici, selon lé style et les idées du temps : « Un privilège du roi, c’est-à-dire la vb-« fonte du roi dérogeant aux lois générales (car « c’est là ce que signifie, privilège) attribue à vous « seuls le droit de représenter les tragédies, etc 4 « Je vous en apporte une : vous m’en payerez un [Assemblée nationale.] « produit dans la quotité marquée par vos règle-« ments établis aussi par la volonté du roi, et « quand j’aurai reçu ce produit, vous ne me de-« vrez plus rien; car il faut bien obéir au roi. » Gela veut-il dire : « moyennant telle somme que « vous me payerez, je vous vends, en ma qualité « d’auteür et de propriétaire de mon ouvrage, « le droit exclusif à vous et à vos successeurs de « le représenter, et je renonce expressément pour « moi et pour mes ayants cause, au droit de le « faire jamais représenter par d’autres. » La disparité de ces deux marchés est palpable , et cependant pour que les comédiens eussent la propriété des ouvrages, il faudrait que ce second marché fût, en effet, celui qu’ils peuvent alléguer. Ils ne le peuvent pas : ils n’ont donc aucun titre de propriété. — Mais enfin (disent-ils), nous étions seuls en possession de représenter ces ouvrages� — Oui, mais prenez garde que ce n’était pas en vertu de l’argent que vous aviez donné, c’était en vertu du privilège exclusif qui vous donnait à vous seuls le droit de représenter. La différence est totale. Vraiment, il fallait bien vous laisser seuls en possession de jouer, puisqu’il n’y en avait pas d’autres que vous ; mais une possession et une propriété ne sont point du tout la même chose. La propriété dérive d’un droit naturel, qui dans l’ordre social est sanctionné par la loi, et il est de sa nature de n’avoir nul besoin de privilège. Ges deux mots même, propriété et privilège, si l’on y fait attention, s’excluent nécessairement. L’un est la négation de l’autre ; car un privilège, encore une fois, est une loi particulière , et qui jamais s’est avisé de se faire garantir par une loi particulière ce qui lui appartient par les lois générales? Quelqu’un a-t-il jamais demandé un privilège pour hér iter du bien de son père, pour posséder ce qu’il a légitimement acheté, ou ce qu’on lui a légitimement donné, ou le salaire qui lui est légitimement dû? Non, sans doute. Voilà la propriété. Voire possession n’était exclusive que par un privilège, elle ne l’est plus, dès qu’il a cessé. Vous possédiez seuls ce qui, par sa nature, était communicable à d’aütres, au gré de l’auteur propriétaire -, c’était un abus. Vous posséderez encore, mais non pas exclusivement. La seule chose que vous ayez payée à Fauteur* c’est le droit de représenter son ouvrage; vous le conserverez. L’exclusif, qu’il était forcé de vous laisser, vous ne le teniez pas de lui, mais d’un privilège. Le privilège n’est plus, \' exclusif tombe avec lui, et tout le monde rentre dans ses droits. Cette même distinction fait disparaître toutes les objections que les comédiens établissent sur la même confusion d’idées. « Ndus sommes (di-« sent-ils encore), en tant que communauté, les « héritiers et les ayants cause de nos prédéces-« seurs ; et comme nous sommes aujourd’hui pro-« priétaires des terrains qu’ils ont achetés, nous « le sommes aussi des pièces qu’ils ont payées. » G’est toujours le thème sophisme. Vous êtes propriétaires de terrains qu’ont acquis vos prédécesseurs : oui, vous l’êtes aussi du droit qu’ils ont payé de jouer les pièces des auteurs de leur temps : oui; mais l’êtes-vous du droit de jouer exclusivement, qu’ils n’ont jamais acquis, ni vous non plus ? Non. . Ils feront une dernière objection : « Les con-« ventions lient ceüx qui les ont faites* et il est « porté dans les règlements , qui sont censés une « convention, puisque vous vous y êtes soumis, « qü’üce pièce appartiendra aux comédiens* [34 août 1790.1 395 « quand la recette sera tombée à telle somme : « donc, dans les cas où les pièces sont arrivées à ce « terme, elles nous appartiennent réellement� » Une distinction bien simple et bien claire renverse tout ce raisonnement. Les conventions lient ceux qui les ont faites. Oui, quand elles sont volontaires de part et d’autre : mais votre privilège exclusif vous mettait dans le cas de faire la loi à quiconque voulait être joué ; et tout contrat où l’une des deux parties est dans le cas de faire la loi à l’autre, est nul de droit, De plus, comment pouvez-vous regarder des arrêts du conseil, rédigés sans la participation des auteurs, comme des conventions volontaires des auteurs? Leur cause n’est pas meilleure dans ce qui regarde les pièces des auteurs vivants. Us s’écrient qu’ils ont payé 80,000 francs, par exemple, pour le Mariage de Figaro ? « Est-il juste, ajoutent-ils, .« s’il s’élève une nouvelle troupe, qu’elle joue le Mariage de Figaro. » Oui, sans doute, car elle fera comme vous 5 elle payera en raison de sa recette. Quand vous avez payé 80,000 francs, c’est que vous en avez gagné 500,000. Pourquoi voudriez-vous être les seuls qui puissent faire avec les auteurs des marchés si avantageux ? Pourquoi les auteurs ne pourraient-ils traiter qu avec vous de la représentation de leurs ouvrages? Ils ont le droit naturel de les faire représenter par quiconque est prêt de les payer en raison de leur produit, à moins, comme on l’a déjà dit, que les auteurs ne fassent une cession entière, moyennant des conditions convenues. Enfin, s’il faut joindre les faits aux raisonnements , Racine fit jouer successivement son Alexandre par la troupe du Palais-Royal et par celle de l’Hôtel -de-Bourgogne, et cet exemple n’est pas le seul du même temps. G’est qu’alorsil n’y avait point encore de troupe duroi et par conséquent point de privilège exclusif . Il a fallu réduire une fois en démonstration ces vérités évidentes, pour écarter cette chimère de propriété que nous opposent ies comédiens avec une visible confiance, depuis le moment où la voix publique, jointe à la nôtre, a demandé un second théâtre. 11 serait d’ailleurs superflu d’en détailler les avantages, ils sont tous contenus dans la seule idée de la concurrence. Quand il faudra se disputef ies auteurs et le public, il est clair que les droits des uns et les plaisirs de l’autre seront beaucoup plus soigneusement ménagés, que lorsqu’une seule troupe, fière de son privilège , pouvait dire : contents ou mécontents� il faut vous en tenir à nous. 11 est prouvé que les comédiens, par leur possession exclusive, ont accumulé un fonds immens de richesses dramatiques qu’ils ne peuvent à eux seuls mettre en valeur. Ce fonds récompensera le travail d’autres comédiens, et ne sera plus perdu pour le public; le public y gagnera ée Rouble avantage, que ses plaisirs seront ihultiplîés par la variété, et plus piquants par la comparaison, et cette comparaison même, qui sert toujours à former le goût, rendra son jugement plus sûr. Ün auteur ne sera plus obligé cependant d’attendre cinq ou six ansle moment de voir éclore le fruit de ses veilles, et n’aura plus devant les yeux la décourageante perspective de cette longue attente qui était la mort de toute émulation dans un art où l’on a surtout besoin d’être soutenu parle sentiment de ses forces que le succès seul peut confirmer, et instruit par l’expérience de ses fautes que la représentation seule peut éclairer. Il est dê fait que ce seul obstacle a suffi pôur écarter de la scène des hommes d’un mérite reconnu. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 256 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (24 août 1T90.1 Mais pour assurer d’une manière stable l’indépendance des talents et l’égalité de condition qui doit régner entre les auteurs et les comédiens contractants, il est nécessaire qu’un règlement légal détermine leurs obligations réciproques et leurs droits respectifs, de manière que les uns n’aient rien à demander ni à disputeraux autres, et que tous apprennent du texte de la loi ce qu’ils doivent et ce qui leur est dû. Tels sont les deux moyens capitaux de la réforme que nous implorons; et, pour nous résumer définitivement, nous demandons un décret qui fasse passer en loi les cinq articles suivants : 1° Tout privilège exclusif étant aboli, il sera permis à tout entrepreneur, à toute compagnie qui voudra faire les frais d’un nouveau théâtre public, d’exécuter son entreprise, en se conformant aux règlements établis par la municipalité; 2° La municipalité étant désormais chargée de tout ce qui concerne la police des spectacles, rédigera un règlement général qui déterminera les droits respectifs des auteurs et des comédiens, statuera sur le régime intérieur de la comédie, sur tout ce qui regarde le service du public, et deux commissaires du bureau d’administration seront chargés de surveiller l’exécution des règlements et de prononcer sur les discussions qui pourraient s’élever ; 3° Les comédiens n’ayant point de droit de propriété sur les pièces qu’ils représentent depuis rétablissement de leur théâtre, toute autre troupe ancienne ou nouvellesera autorisée à représenter les pièces des auteurs morts, devenues une propriété publique, et de traiter avec les auteurs vivants pour les pièces déjà représentées ou pour celles qui ne l’auraient pas encore été ; 4° Les ouvrages des auteurs vivants ne pourront être représentés sur aucun théâtre public, dans toute l’étendue du royaume, sans leur consentement formel et par écrit ; 5° Cinq ans après la mort des auteurs il sera permis de représenter leurs ouvrages sur tous les théâtres, sans que personne puisse en exiger de rétribution, à moins qu’ils n’en aient fait une cession particulière à telle ou telle troupe; auquel cas, cette troupe sera seule en droit de les jouer tant qu’elle subsistera. Signé : de La Harpe, J. Sedaine, Gailhava, Ducis, Fenouillot, Lemierre, Laujon, Marie-Joseph Chénier, Mercier, Paiissot, Fabre d’Eglantine, Framery, André de Murvilte, Forgeot, de Sauvigny, de Maisonneuve, Yigée, Chamfort, Fallet, etc., etc. SUPPLÉMENT. On n’imaginerait pas qu’une pétition des auteurs dramatiques réclamant leurs droits natu-nelsetimprescriptibtes, usurpés par lescomédiens; une pétition qui énonce un vœu reconnu depuis longtemps pour le vœu général, celui de l’abolition d’un privilège exclusif aussi contraire aux intérêts du public qu’à ceux des auteurs, pût donner de l’humeur à d’autres qu’aux comédiens privilégiés. Point du tout : voilà qu’un M. de Char-nois qui a hérité d’une feuille intitulée le Modérateur , mais non pas de l’esprit et du talent de MM. de Fontane et Flins qui la rédigeaient avaut Jui, y insère, à propos de cette démarche des auteurs dramatiques, un article infecté du venin de la malignité la plus basse, mais heureusement la plus maladroite. Voici les débuts de cet article, car il n’en faut rien perdre, pas même la plaisanterie oùM. de Chamois excelle. « Après les sourds « et les muets , nous attendions les aveuglés. » Ce trait contre l’Assemblée nationale et contre une institution si digne de ses encouragements n’est-il pas bien fin, bien noble, bien délicat? nefait-il pas pour le moins autantd’hon-neur à l’âme de M. de Chamois qu’à son esprit? « Quand nous avons vu paraître une députation « de quelques hommes de lettres de la capitale, à <■ la tête de laquelle était M. de La Harpe, nous « disons de quelques hommes de lettres, parce « qu’on n’a pas consulté sur cette députation la « dixième partie des littérateurs de Paris, parce « qu’on peut bien avoir énoncé un vœu qui de-« viendra général, mais qu’à présent ce vœu « n’estencorequecelui de quelques particuliers...!» M. de Chamois voudrait bien le faire croire, et je ne sais pas encore par quel intérêt. Mais malheureusement ce qu’il dit est un mensonge et une sottise. Je me sers des termes propres ; je le prouve, et c’est tout ce que j’ai à prouver. N’est-ce pas une sottise bien conditionnée que de prétendre qu’il fallait consulter tous les gens de lettres sur une pétition qui ne regardait uniquement que les auteurs dramatiques dans leurs rapports avec les comédiens? Je crois que l’aca-dérbie des sciences et l’académie des inscriptions auraient été un peu étonnées qu’on les consultât sur les droits des auteurs qui travaillent pour le théâtre. Nous n’avons pas même consulté l’académie française, parce qu’elle nous aurait répondu que la justice que demandent les écrivains dramatiques ne pouvait regarder qu’eux seuls. Il faut avoir entièrement renoncé au sens commun pour nier une chose si évidente. Feindre de l’oublier ou de l’ignorer est un artifice bien plat ; mais on en avait besoin pour énoncer ce mensonge grossier, que l’Assemblée nationale n’avait entendu que le vœu de quelques particuliers. Elle a entendu le vœu de tous les auteurs dramatiques du théâtre français, sans exception c’est-à-dire, de tous ceux que l’affaire concernait, et la pétition est faite expressément au nom des auteurs dramatiques. Il est vrai que ce sont aussi des gens de lettres; c’est leur titre générique : mais les gens de lettres, comme on sait, se partagent en plusieurs classes, suivant la nature de leurs travaux, et il n’était ici question que de ceux qui, travaillant pour le théâtre, ont nécessairement affaire aux comédiens. Il n’y a peut-être au monde que M. de Chamois à qui l’on soit obligé d’apprendre et de prouver des choses si claires. J’en suis fâché pour lui; mais s’il ne veut pas convenir qu’il a été assez inepte pour les ignorer, il faut absolument qu'il convienne qu'il a été d’assez mauvaise foi pour les dissimuler. Qu’il choisisse; car il n’y a pas un troisième pacte. Voilà ce que lui aura valu son petit article de journal. « M. de La Harpe a commencé son discours par un très pompeux éloge de la Révolution française. » Je ne sais pas s’il ôtait pompeux; je m’en rapporte à M. de Charnois ; mais je sais qu’il était juste, qu’il l’a trouvé très pompeux. «Il en « a ensuite attribué toute la gloire aux gens de « lettres ». C’est un mensonge insidieux et perfide: je n’ai point dit cette sottise; mon adresse est imprimée sur le manuscrit remis à l’Assemblée nationale : on y verra que j’ai dit que les gens de lettres avaient été les premiers moteurs ae cette grande et heureuse Révolution; et cette vérité, triviale en elle-même, ne pouvait avoir quelque mérite que par le développement qui a été honoré des applaudissements de l’Assemblée. Ceux qui entendent le français un peu mieux que M. de Charnois savent bien ce que veulent dire [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 août 1190.] ces mots, les premiers moteurs ; et ils seraient suffisamment expliqués par celte phrase qui suit immédiatement : « Ce sont eux et eux seuls qui « ont affranchi l’esprit humain ». Cela n’empêche pas que là gloire d’une Révolution, préparce par Jes lumièr. s et les travaux des gens de lettres, n’appartienne à la nation, qui a eu le courage de briser ses fers le 14 juillet, et à l’Assemblée nationale, qui, le 23 juin, a eu le courage, non moins admirable, de résister sans armes aux ordres du despotisme qui l’entourait de baïonnettes. Il est plaisant que ce soit un M. de Chamois qui veuille faire respecter mes sentiments sur la Révolution, et sur ceux dont elle est l’ouvrage. « Ou a renvoyé celte pétition au comité de Constitution. Il nous semble que l’Assemblée nationale en aurait dû ordonner l’impression ; les gens de lettres qu’on a dédaigné de consulter sauraient au moins s’ils peuvent y adhérer ou protester contre elle en tout ou en partie. » Je ne suis pas si prompt que M. de Chamois à décider ce que l’Assemblée nationale aurait dû faire. Il me semble qu’elle ne doit ordonner l’impression, que quand les objets sont d’une importance majeure et générale. A l’égard de la publicité qce réclame M. de Chamois, a-t-il pu croire que les auteurs dramatiques voulussent s’en priver? A-t-il pu imaginer qu’ils missent quelque si-cret dans une affaire où ils ne sauraient avoir trop de juges? Quelle absurde supposition ! Tout est imprimé, et M. de Chamois lui-même peut juger. Achevons ce paragraphe : la fin est curieuse. « Et puis ! c’est chez M. de Mirabeau (V universel) qu'on a couvé cette pétition: cela a inquiété les intéressés, même ceux qui voudraient bien lui avoir des obligations. » On a couvé! Ne dirait-on pas qu’il s’agit d’une conspiration ? Remarquez qu’il s’agit de réclamations et de plaintes publiquement répétées depuis 20 ans par tous f s auteurs du Théâtre-Français, car ceux du Théâtre-Italien ne se plaignent point du traitement qu’on leur fait : ces derniers conservent toute leur vie la propriété de leurs ouvrages; il n’en est pas de même des premiers. Il faut apprendre à M. de Chamois que ceux-ci se rassemblent en comité chez M. Sédaine, qu’ils ont nommé leur président, qu’ils ont tous été invités chez lui en dernier lieu pour entendre la pétition, et que tous ceux qui s’y sont rendus l’ont signée. Nous ne sommes pas inquiets de ceux qui n’out pu s’y rendre; nous ne craignons assurément aucune protestation. Mais le nom de M. de Mirabeau vous parait donc, monsieur de Chamois, quelque cho.>e de bien terrible? Quoi! parce qu’il s’intéresse à la cause des gensde lettres, et particulièrement des auteurs dramatiques, cela inquiète les intéressé s ? Qui sont-ils ? nommez-les? Qui sont donc les intéressés qui vous ont fait le confident de leurs inquiétudes? Je vous somme, je vous défie de les nommer. Et puis, que signifie donc, monsieur de Chamois, cetteaflectation si malveillante, mais si puérile et. si vaine, de vouloir diviser les auteurs dramatiques dans ce qui est de leur intérêt commun? De quoi vous mêlez-vous? où prenez-vous qu’on a. dédaigné qui que ce soit? Serait-ce vous par hasard? Auriez -vous travaillé pour le théâtre, sans que personne en sût rien? vous aurait-on oublié sans le vouloir ? En ce cas, dites-le-nous; car, en conscience, il n’y a pas de notre faute, dans cet oubli : et nous reconnaîtrons i« Série. T. XV1I1. 257 votre droit d'adhérer ou de protester, quand vous nous aurez appris le titre de vos ouvrages. De la Harpe, auteur de l'adresse et de la pétition . M. Régnier, député de Nancy, annonce qu’il est chargé par la municipalité de Nancy, d’instruire l’Assemblée du rétablissement du calme dans cette ville. Les soldats ont montré la plus entière soumission aux décrets de l’Assemblée nationale. M. Vaqué, colonel des gardes nationales de Colonges, district deTonneins, se présente à la barre; il offre à l’Assemblée l’idée d’un ouvrage qui serait intitulé : la Géographie de la France régénérée, ou son état civil, politique, agricole, industriel et commercial, de tableau présenterait des vues rapides sur les événements qui ont amené et réalisé la Révolution; la liste des membres de l’Assemblée constituante, la Constitution française, l’organisation des législatures, celle de tous les pouvoirs, de toutes les administrations, les richesses nationales, la population ; l'étendue, les diverses productions du sol et de l’industrie, les consommations, les importations et exportations du commerce comparé dans sa balance avec celles des autres nations commerçantes; les biens nationaux, leur valeur capitale, leur produit annuel, le montant des aliénations, les dettes publiques exigibles en capitaux, en rentes viagères et perpétuelles; les impositions directes et indirectes, leur mode de répartition et de perception, la dépense nationale, tant pour la liste civile que pour les autres payements généraux; la force publique, la garde nationale, l’armée de ligne, la marine, etc.; les tribunaux, leur organisation, leur régime, leur compétence, enfin l’éducation nationale. En descendant l’échelle de la division de ce travail, chaque point du tableau de la France trouvera ses développements, de manière qu’en remontant ensuite dans un ordre rétrograde des municipalités aux cantons, aux districts et aux départements, on arrivera toujours par des résultats au résultat général; par ce système, sans aucuue répétition, chaque chose serait à sa place naturelle et dans l’étendue convenable à son importance. A la tin de chaque législature, on recueillerait les changements qui pourraient survenir; le mode d’exécution est prompt et facile; il suffirait d’ordonner aux directoires de département et de district et aux municipalités d’e ivoyer à l’auteur les états et renseignements qu’il demanderait, et qui formeraient en grande partie ses matériaux. M. Vaqué consacrerait pour offrande patriotique le quart du bénéfice, et le reste serait employé sous la direction du Corps législatif. Il déclaré qu’accoutumé à vivre de peu, après les frais de l’entreprise, surveillée par des commissaires, il ne réserverait pour lui que l’ho-neur d’avoir rempli, par un ouvrage utile, ses devoirs de citoyen. M. Brostaret. L’intention deM. Vaqué est excellente et je demande que son adresse soit renvoyée au comité de Constitution pour en faire le rapport. (Cette motion est adoptée.) M. Périsse-Duluc, député de Lyon , annonce à l’Assemblée que tout est dans le plus grand calme danscette ville; lesbarrières ont été rétablies sans aucune opposition; la perception des octrois a été remise en activité; la sagesse et la fermeté *7