SÉANCE DU 16 FRUCTIDOR AN II (2 SEPTEMBRE 1794) - N“ 41-45 195 VI. La présente loi sera insérée au bulletin de correspondance, et envoyée aux armées de la République (75). 41 La Convention nationale, après avoir entendu son comité de Législation sur la pétition du citoyen François Dauvergne, tendante à ce que, vu les certificats délivrés au pétitionnaire par les communes de Brou-chaud, de Saint-Perdoux, de la Boissière, de Montagnac, de Gabillou, qui attestent son républicanisme et sa probité, le jugement du tribunal de cassation du 16 prairial, qui casse celui du tribunal criminel du département de la Dordogne, du 22 ventôse, soit annulé; Considérant que les jugements du siège de la connétablie étaient sujets à l’appel; que le pétitionnaire n’a pu profiter de cette loi, ayant été, à la sollicitation de sa famille, enfermé à Charenton, où il est demeuré trois ans, et d’où il n’est sorti qu’à la faveur de la révolution; Décrète que le jugement du tribunal de cassation, du 16 prairial dernier, est annulé. Le présent décret ne sera pas imprimé (76). 42 La Convention nationale, après avoir entendu son comité de Législation sur la pétition du citoyen Gauthier Coustances. Décrète qu’il est sursis provisoirement à l’exécution de deux jugements rendus contre le pétitionnaire, à la requête et diligence du citoyen Jean Roblin, receveur des droits d’enregistrement et des domaines nationaux à Senlis, en date des 20 novembre 1792 et 27 juillet 1793 (vieux style). Le comité de Législation est autorisé à prendre des renseignements positifs, sur les causes de ces jugements, tant auprès des tribunaux des districts de Senlis et Crepy, qui les ont rendus, qu’auprès des administrations du district de Senlis et du département de l’Oise. Le présent décret ne sera pas imprimé; il sera envoyé manuscrit à la commission des Revenus publics (77). (75) P.-V., XLV, 10-11. Bull., 16 fruct. C 3418, pl. 1282, p. 22, 41, minute signée de Bezard. Décret n°10 692. M.U., XLIII, 283; Rep., n° 258; J. Fr., n° 708; J. Parie, n° 611. (76) P.-V., XLV, 12. C 318, pl. 1282, p. 23, minute signée de Bezard. Décret n° 10 682. (77) P.-V., XLV, 12. C 318, pl. 1282, p. 24, 41, minute signée de Bezard. Décret n° 10 693. 43 La Convention nationale, après avoir entendu le rapport du comité de Législation sur la pétition du citoyen Jean-Nicolas Cazin, capitaine de la première compagnie du premier bataillon des compagnies franches, tendante à obtenir l’annulation d’un jugement du tribunal criminel de l’armée de la Moselle, séant à Metz, du 11 messidor, qui le condamne à la peine de six années de fers, comme étant convaincu d’avoir porté sa troupe au-dessus de son nombre effectif, pour se faire délivrer l’étape au-delà du besoin. Considérant que le délit imputé au citoyen Cazin est réputé par les dispositions avoir été commis à la fin de l’année 1792, antérieurement à la loi du 12 mai 1793 (vieux style), qui qualifie le délit et détermine la peine; que, par conséquent, le jugement a violé les principes, en donnant un effet rétroactif à la loi, annule le jugement du tribunal criminel militaire établi près l’armée de la Moselle, du 11 messidor, décrète que le citoyen Jean-Nicolas Cazin sera mis sur-le-champ en liberté; charge le comité de Législation de prendre des renseignements sur la conduite des membres de ce tribunal, et d’en faire un rapport à la Convention nationale. Le présent décret ne sera publié que par la voie du bulletin de correspondance (78). 44 La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Législation sur la dénonciation qui lui a été faite par l’accusateur public près le tribunal criminel du département des Côtes-du-Nord, d’un jugement rendu par le juge-de-paix du canton de Lambale, section des campagnes, qui condamne solidairement Louis Couturier et autres à une amende de 150 L, et aux dépens; Considérant que ce jugement, qui porte la date du 3 thermidor, a été rendu à la maison d’arrêt; que les condamnés ne sont point convaincus d’être en contravention avec la loi du 11 septembre dernier sur les subsistances; mais que, suivant le juge-de-paix, ils auraient vraisemblablement commis cette contravention, s’ils n’en avaient été empêchés. Considérant que le juge-de-paix n’a pu transiger avec la loi, et que, s’il y avait lieu à une amende, elle ne pouvait être modifiée à la somme de 150 L, à laquelle il a condamné les pétitionnaires. Déclare illégal et nul le jugement dont il s’agit, et décrète que l’amende et les dépens seront restitués. (78) P.-V., XLV, 13. C 318, pl. 1282, p. 25, minute de la main de Bar. Décret n° 10 687. Moniteur, XXI, 677. Bull. 16 fruct. (suppl.); J.S.-Culottes, n°566; J. Perlet, n°711. 196 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Le présent décret ne sera pas imprimé; il sera inséré au bulletin de correspondance (79). 45 MERLIN (de Douai) : Je viens au nom de votre comité de Législation, vous proposer un grand acte de justice. Il s’agit de raccorder avec les principes étemels de la raison et avec le droit imprescriptible de la nature quelques dispositions qui déparent vos deux décrets. — Je me hâte de venir au fait. Le 7 septembre 1793, vous avez mis hors la loi tout Français qui avait accepté ou qui accepterait des fonctions publiques dans les parties du territoire de la République envahies par les puissances étrangères ou par les rebelles de l’intérieur. Ce décret est juste dans tous les points, et à Dieu ne plaise qu’il s’élève jamais dans cette enceinte une seule réclamation contre le principe qu’il a consacré ! Mais, le 17 du même mois, vous avez étendu ses dispositions à tout Français employé au service de la République, ou jouissant de ses bienfaits, qui, après l’invasion du lieu, soit de sa résidence, soit de l’exercice momentané de ses fonctions, ne serait rentré aussitôt dans le territoire non envahi de la République. Et, par un autre décret du 26 frimaire, vous avez, en expliquant celui du 17 septembre, déclaré qu’il comprenait dans sa disposition non seulement les officiers militaires, avec troupes ou sans troupes, et les agents des administrations des armées, mais mêmes les membres des corps administratifs, les officiers municipaux, les notables, les juges, les assesseurs des juges de paix, les greffiers des tribunaux, les agents de la régie nationale, les préposés des douanes, en un mot, tous les fonctionnaires publics salariés ou non salariés, sous quelque dénomination qu’ils fussent connus, tous les employés au service de la République en quelque partie que ce fût, enfin les pensionnaires de l’Etat, et le tout sans distinguer si l’invasion du lieu de leur résidence avait précédé ou suivi la promulgation de ce décret, ni même celle du décret du 17 septembre. Dans tout cela, rien que de juste, rien que de conforme aux principes, en ce qui concerne les officiers militaires et les agents des administrations des armées. Pourquoi ? Parce qu’avant le décret du 17 septembre il existait des lois, notamment celle du 12 mai 1793, qui les punissaient de mort lorsqu’ils désertaient leurs postes pour passer à l’ennemi, et que certainement ils étaient bien dans le cas de ces lois, ceux qui, étant attachés aux armées, ne se retiraient pas avec elles lorsque le lieu momentané de leurs fonctions était envahi, et préféraient rester au (79) P. V., XLV, 13-14. Bull. 16 fruct. C 318, pl. 1282, p. 26, minute signée de Bezard. Décret n°10 684. M.U., XLIII, 283-284. milieu des satellites des tyrans coalisés contre la République. Aussi, et vous devez le rappeler, le décret du 17 septembre a été rendu sur la dénonciation qui vous avait été faite de plusieurs officiers supérieurs de la garnison de Valenciennes, qui, après la reddition de cette place, y étaient restés, quoique la capitulation les autorisât formellement à rentrer dans l’intérieur de la République. Ce sont ces traîtres que vous avez frappés par votre décret du 17 septembre, et, je le répète, à leur égard, vous n’avez été que les dignes organes de la justice impartiale du peuple. Mais n’avez-vous pas été trop loin relativement aux autres; et l’état d’agitation, d’anxiété, dans lequel se trouvait la représentation nationale, ne lui a-t-il pas fait franchir à leur égard les bornes de la justice ? Jusqu’à cette époque désastreuse où Dunkerque et Maubeuge étaient menacés par l’Autriche et l’Angleterre, où l’Espagne envahissait les Pyrénées, où Toulon subissait le joug de ces infâmes puissances, où Marseille arborait l’étendard de la contre-révolution, où la hideuse Vendée triomphait de la valeur de nos soldats dirigés par des généraux perfides, où l’intérieur de la République tiraillé, déchiré en tout sens par les Chaumette et les Hébert, ne présentait à l’œil épouvanté que le chaos et l’approche du néant; jusqu’à cette époque, dis-je, aucune loi n’avait encore imposé aux fonctionnaires publics non militaires l’obligation d’abandonner leurs domiciles lorsque l’ennemi viendrait à s’en emparer; aucune loi surtout n’avait infligé la peine de mort à ceux d’entre eux qui continueraient d’y résider; et, bien loin de là, un décret formel, tout en frappant les traîtres qui avaient livré Longwy et Verdun, avait lavé de toute inculpation un grand nombre d’administrateurs et d’officiers municipaux de ces deux villes, quoiqu’ils fussent restés au milieu des Prussiens pendant l’invasion de 1792. Sans doute, en rendant ce décret, nous n’avez pas voulu tendre un piège aux fonctionnaires publics qui auraient pu se trouver par la suite dans le même cas, et vous n’avez pas entendu qu’ils pussent un jour être punis pour avoir agi d’après une décision émanée de votre sagesse et de votre justice. C’est assez dire que vos décrets des 17 septembre et 26 frimaire blessent essentiellement les principes, par l’effet rétroactif qu’ils donnent à leurs dispositions, et que vous devez vous empresser de les rectifier. J’ajoute deux faits qui, en fortifiant cette conséquence, prouveront en même temps que les deux décrets dont il s’agit ne pourraient, sans l’injustice la plus atroce, être appliqués aux fonctionnaires publics non militaires qui, même depuis leur promulgation, seraient restés dans les communes envahies par l’ennemi. Le premier, c’est que l’ennemi, informé de ces décrets, s’en est saisi comme d’un moyen de grossir le nombre des victimes de la révolution, et par conséquent celui de ses partisans; aussi, dès ce moment, a-t-il redoublé d’efforts pour empêcher toute communication entre les citoyens des communes envahies et ceux de l’inté-