558 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de Sylla; car il ne s’agissait pas ici d’amis ou d’ennemis du peuple; il s’agissait de proscrire ceux qui ne voulaient pas obéir à tel ou tel individu. Je vais citer un fait qui prouvera que Robespierre, qui, depuis quelque temps, ne parlait que de Marat, a toujours détesté cet ami constant du peuple. A la fête funèbre de Marat, Robespierre parla longtemps à la tribune qu’on avait dressée devant le Luxembourg, et le nom de Marat ne sortit pas une seule fois de sa bouche. Le peuple peut-il croire qu’on aime Marat lorsqu’on déclare avec humeur qu’on ne veut pas lui être assimilé ? Non, ils avaient beau, ces hypocrites, parler sans cesse de Marat, de Chal-lier : ils n’aimaient ni Marat, ni Challier; Challier, dont j’ai vu la conduite, dont j’ai chéri, admiré et respecté les vertus ! Le peuple le sait bien ; c’est dans les vertus de la vie privée qu’on reconnaît les vertus publiques. (On applaudit). FAYAU : Je demande la parole pour un fait. Un des commissaires d’une section a fait demander au directeur d’un atelier des fusils pour en armer les jeunes gens de cette section demain à la fête. Les fusils ont été refusés. (On applaudit). La séance est suspendue (l). F [SAINT-JUST :] (2) Je ne suis d’aucune faction ; je les combattrai toutes. Elles ne s’éteindront jamais que par les institutions qui produiront les garanties, qui poseront la borne de l’autorité, et feront ployer sans retour l’orgueil humain sous le joug de la liberté publique. Le cours des choses a voulu que cette tribune aux harangues fût peut-être la roche tarpéienne pour celui qui viendrait vous dire que des membres du gouvernement ont quitté la route de la sagesse. J’ai cru que la vérité vous étoit due, offerte avec prudence, et qu’on ne pouvoit rompre avec pudeur l’engagement pris avec la conscience de tout oser pour le salut de la patrie. Quel langage vais-je vous parler ? comment vous peindre des erreurs dont vous n’avez aucune idée, et comment rendre sensible le mal qu’un mot décèle, qu’un mot corrige ? Vos comités de sûreté générale et de salut public m’avoient chargé de vous faire un rapport sur les causes de la commotion sensible qu’avoit éprouvée l’opinion publique dans ces derniers temps. La confiance des deux comités m’honorait; mais quelqu’un cette nuit a flétri mon cœur; et je ne veux parler qu’à vous. (l) Moniteur (réimpr.), XXI, 337-338; Débats, 177-180; J. Mont., n°93bis; Ann. patr., nos DLXXIV et suppl1; C. Eg., nos 708, 709; J. Perlet, nos 673, 674; Rép., suppl1 au n°220; Ann. R.F., n°239; Mess Soir, n°708; J. Sablier, n° 1464; J. Fr., nos 671, 672. Mentionné par C. univ., n° 939. Voir P. V, nos 4,9 et 11. (2) Convention nationale. Discours Commencé par Saint-Just, En la séance du 9 thermidor, Dont le dépôt sur le bureau a été décrété, par la Convention nationale, et dont elle a ordonné l’impression par décret du 30 du même mois. J’en appelle à vous de l’obligation que quelques-uns sembloient m’imposer de m’exprimer contre ma pensée. On a voulu répandre que le gouvernement étoit divisé : il ne l’est pas; une altération politique, que je vais vous rendre, a seulement eu lieu. Ils ne sont point passés, tous les jours de gloire ! et je préviens l’Europe de la nullité de ses projets contre la vigueur du gouvernement. Je vais parler de quelques hommes que la jalousie me paraît avoir portés à accroître leur influence, et à concentrer dans leurs mains l’autorité par l’abaissement ou la dispersion de ce qui gênoit leurs desseins, en outre en mettant à leur disposition la milice citoyenne de Paris, en supprimant ses magistrats pour s’attribuer leurs fonctions; qui me paraissent avoir projeté de neutraliser le gouvernement révolutionnaire, et tramé la perte des plus [?] gens de bien (l) pour dominer plus tranquillement. Ces membres avoient concouru à me charger du rapport. Tous les yeux ne m’ont point paru dessillés sur eux. Je ne pouvois pas les accuser en leur propre nom : il eût fallu discuter long-temps dans l’intérieur le problème de leur entreprise; ils croyoient que, chargé par eux de vous parler, j’étois contraint par respect humain de tout concilier, ou d’épouser leurs vues et de parler leur langue. J’ai profité d’un moment de loisir que m’a laissé leur espérance, pour me préparer à leur faire mesurer devant vous toute la profondeur de l’abyme où ils se sont précipités. C’est donc au nom de la patrie que je vous parle. J’ai cru servir mon pays et lui éviter des orages, en n’ouvrant mes lèvres sincères qu’en votre présence. C’est au nom de vous-mêmes que je vous entretiens, puisque je vous dois compte de l’influence que vous m’avez donnée dans les affaires. Je suis donc résolu de fouler aux pieds toutes considérations lâches, et de vider, en un moment, à votre tribunal, une affaire qui eût causé des violences dans l’obscurité du gouvernement. La circonstance où je me trouve eût paru délicate et difficile à quiconque aurait eu quelque chose à se reprocher. On aurait craint le triomphe des factions qui donnent la mort ; mais, certes, ce serait quitter peu de chose qu’une vie dans laquelle il faudrait être ou le complice ou le témoin muet du mal. J’ai prié les membres dont j’ai à vous entretenir, de. venir m’entendre : ils sont prévenus à mes yeux de fâcheux desseins contre la patrie; je ne me sens rien sur le cœur qui m’aît fait craindre qu’ils ne récriminassent, je leur dirai tout ce que je pense d’eux, sans pitié. J’ai parlé du dessein de détruire le gouvernement révolutionnaire. Un complice de cet attentat est arrêté et détenu à la conciergerie : il s’appelle Legray; il avoit été receveur des rentes; il étoit membre du comité révolutionnaire de la section du Muséum : il s’ouvrit de son projet à quelques personnes qu’il crut attirer dans son crime. Le gouvernement révolutionnaire étoit à son gré trop rigoureux; il falloit le détruire : il manifesta qu’on s’en occupoit. Legray ajouta que des discours étoient préparés dans les sections contre la Convention nationale; il (l) Voir B.N., 8° Le 38 871 : « des meilleurs gens de bien » (?). 558 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de Sylla; car il ne s’agissait pas ici d’amis ou d’ennemis du peuple; il s’agissait de proscrire ceux qui ne voulaient pas obéir à tel ou tel individu. Je vais citer un fait qui prouvera que Robespierre, qui, depuis quelque temps, ne parlait que de Marat, a toujours détesté cet ami constant du peuple. A la fête funèbre de Marat, Robespierre parla longtemps à la tribune qu’on avait dressée devant le Luxembourg, et le nom de Marat ne sortit pas une seule fois de sa bouche. Le peuple peut-il croire qu’on aime Marat lorsqu’on déclare avec humeur qu’on ne veut pas lui être assimilé ? Non, ils avaient beau, ces hypocrites, parler sans cesse de Marat, de Chal-lier : ils n’aimaient ni Marat, ni Challier; Challier, dont j’ai vu la conduite, dont j’ai chéri, admiré et respecté les vertus ! Le peuple le sait bien ; c’est dans les vertus de la vie privée qu’on reconnaît les vertus publiques. (On applaudit). FAYAU : Je demande la parole pour un fait. Un des commissaires d’une section a fait demander au directeur d’un atelier des fusils pour en armer les jeunes gens de cette section demain à la fête. Les fusils ont été refusés. (On applaudit). La séance est suspendue (l). F [SAINT-JUST :] (2) Je ne suis d’aucune faction ; je les combattrai toutes. Elles ne s’éteindront jamais que par les institutions qui produiront les garanties, qui poseront la borne de l’autorité, et feront ployer sans retour l’orgueil humain sous le joug de la liberté publique. Le cours des choses a voulu que cette tribune aux harangues fût peut-être la roche tarpéienne pour celui qui viendrait vous dire que des membres du gouvernement ont quitté la route de la sagesse. J’ai cru que la vérité vous étoit due, offerte avec prudence, et qu’on ne pouvoit rompre avec pudeur l’engagement pris avec la conscience de tout oser pour le salut de la patrie. Quel langage vais-je vous parler ? comment vous peindre des erreurs dont vous n’avez aucune idée, et comment rendre sensible le mal qu’un mot décèle, qu’un mot corrige ? Vos comités de sûreté générale et de salut public m’avoient chargé de vous faire un rapport sur les causes de la commotion sensible qu’avoit éprouvée l’opinion publique dans ces derniers temps. La confiance des deux comités m’honorait; mais quelqu’un cette nuit a flétri mon cœur; et je ne veux parler qu’à vous. (l) Moniteur (réimpr.), XXI, 337-338; Débats, 177-180; J. Mont., n°93bis; Ann. patr., nos DLXXIV et suppl1; C. Eg., nos 708, 709; J. Perlet, nos 673, 674; Rép., suppl1 au n°220; Ann. R.F., n°239; Mess Soir, n°708; J. Sablier, n° 1464; J. Fr., nos 671, 672. Mentionné par C. univ., n° 939. Voir P. V, nos 4,9 et 11. (2) Convention nationale. Discours Commencé par Saint-Just, En la séance du 9 thermidor, Dont le dépôt sur le bureau a été décrété, par la Convention nationale, et dont elle a ordonné l’impression par décret du 30 du même mois. J’en appelle à vous de l’obligation que quelques-uns sembloient m’imposer de m’exprimer contre ma pensée. On a voulu répandre que le gouvernement étoit divisé : il ne l’est pas; une altération politique, que je vais vous rendre, a seulement eu lieu. Ils ne sont point passés, tous les jours de gloire ! et je préviens l’Europe de la nullité de ses projets contre la vigueur du gouvernement. Je vais parler de quelques hommes que la jalousie me paraît avoir portés à accroître leur influence, et à concentrer dans leurs mains l’autorité par l’abaissement ou la dispersion de ce qui gênoit leurs desseins, en outre en mettant à leur disposition la milice citoyenne de Paris, en supprimant ses magistrats pour s’attribuer leurs fonctions; qui me paraissent avoir projeté de neutraliser le gouvernement révolutionnaire, et tramé la perte des plus [?] gens de bien (l) pour dominer plus tranquillement. Ces membres avoient concouru à me charger du rapport. Tous les yeux ne m’ont point paru dessillés sur eux. Je ne pouvois pas les accuser en leur propre nom : il eût fallu discuter long-temps dans l’intérieur le problème de leur entreprise; ils croyoient que, chargé par eux de vous parler, j’étois contraint par respect humain de tout concilier, ou d’épouser leurs vues et de parler leur langue. J’ai profité d’un moment de loisir que m’a laissé leur espérance, pour me préparer à leur faire mesurer devant vous toute la profondeur de l’abyme où ils se sont précipités. C’est donc au nom de la patrie que je vous parle. J’ai cru servir mon pays et lui éviter des orages, en n’ouvrant mes lèvres sincères qu’en votre présence. C’est au nom de vous-mêmes que je vous entretiens, puisque je vous dois compte de l’influence que vous m’avez donnée dans les affaires. Je suis donc résolu de fouler aux pieds toutes considérations lâches, et de vider, en un moment, à votre tribunal, une affaire qui eût causé des violences dans l’obscurité du gouvernement. La circonstance où je me trouve eût paru délicate et difficile à quiconque aurait eu quelque chose à se reprocher. On aurait craint le triomphe des factions qui donnent la mort ; mais, certes, ce serait quitter peu de chose qu’une vie dans laquelle il faudrait être ou le complice ou le témoin muet du mal. J’ai prié les membres dont j’ai à vous entretenir, de. venir m’entendre : ils sont prévenus à mes yeux de fâcheux desseins contre la patrie; je ne me sens rien sur le cœur qui m’aît fait craindre qu’ils ne récriminassent, je leur dirai tout ce que je pense d’eux, sans pitié. J’ai parlé du dessein de détruire le gouvernement révolutionnaire. Un complice de cet attentat est arrêté et détenu à la conciergerie : il s’appelle Legray; il avoit été receveur des rentes; il étoit membre du comité révolutionnaire de la section du Muséum : il s’ouvrit de son projet à quelques personnes qu’il crut attirer dans son crime. Le gouvernement révolutionnaire étoit à son gré trop rigoureux; il falloit le détruire : il manifesta qu’on s’en occupoit. Legray ajouta que des discours étoient préparés dans les sections contre la Convention nationale; il (l) Voir B.N., 8° Le 38 871 : « des meilleurs gens de bien » (?). SÉANCE DU 9 THERMIDOR AN II (MATIN) (27 JUILLET 1794) - F 559 se plaignit de l’expulsion des nobles; que ç’avoit été un moyen de les reconnoître pour les assassiner; que la mémoire de Danton alloit être réhabilitée; qu’on feroit repentir Paris des jugemens exécutés sous ses yeux. Dans le même temps, le bruit dans toute l’Europe se répandoit que la royauté en France étoit rétablie, la Convention nationale égorgée, et l’arbre de la liberté et les instrumens du supplice des traîtres, brûlés au pied du trône ; il s’y répandoit que le gouvernement étoit divisé. On se trompe : les membres du gouvernement étoient dispersés. Dieu ! vous avez voulu qu’on tentât d’altérer l’harmonie d’un gouvernement qui eut quelque grandeur, dont les membres ont sagement régi, mais n’ont point voulu toujours en partager la gloire; vous avez voulu qu’on méditât la perte des bons citoyens. Je déclare avoir fait mon possible pour ramener tous les esprits à la justice, et avoir reconnu que la résolution évidente de quelques membres y étoit opposée. Je déclare qu’on a tenté de mécontenter et d’aigrir les esprits pour les conduire à des démarches funestes, et l’on n’a point espéré de moi sans doute que je prêterais mes mains pures à l’iniquité; ne croyez pas au moins qu’il aît pu sortir de mon cœur l’idée de flatter un homme. Je le défends, parce qu’il m’a paru irréprochable; et je l’accuserais lui-même, s’il devenoit criminel. Quel plan d’indulgence, grand Dieu ! que celui de vouloir la perte d’hommes innocens ! Le comité de sûreté générale a été environné de prestige pour être amené à ce but. Sa bonne foi n’a point compris la langue que lui parloit un dessein si funeste ; on le flattoit, on lui insinuoit qu’on visoit à le dépouiller de son autorité : les moindres prétextes sont saisis pour grossir l’orage. Trois ouvriers de la poudrerie, habitans d’Arcueil, mêlés à dix ou douze pensionnaires de Bicêtre, qui s’étoient enivrés ensemble, sont présentés aux deux comités par Billaud-Va-renne, comme des patrouilles de conjurés; à ce sujet il faut arrêter ou chasser le maire de Paris et l’état-major, et s’emparer de tout. Cette nuit encore, on se disoit sous le couteau ; on annonçoit qu’on serait mort sous vingt-quatre heures; qu’il y aurait une révolte aujourd’hui. J’adjure ici les consciences : n’est-il point vrai que dans les mêmes temps on inspirait à beaucoup de membres des terreurs telles, qu’ils ne couchoient plus chez eux ; on leur insinuoit que certains membres du comité faisoient à leur sujet de sanglantes propositions; l’on préparait ainsi les cœurs à la vengeance et à l’injustice. J’atteste que Robespierre s’est déclaré le ferme appui de la Convention, et n’a jamais parlé dans le comité qu’avec ménagement de porter atteinte à aucun de ses membres. Collot et Billaud prennent peu de part depuis quelques temps aux délibérations, et paraissent livrés à des intérêts et à des vues plus particulières. Billaud assiste à toutes les séances sans parler, à moins que ce ne soit dans le sens de ses passions, ou contre Paris, contre le tribunal révolutionnaire, contre les hommes dont il paraît souhaiter la perte. Je me plains que lorsque l’on délibère, il ferme les yeux et feint de dormir, comme si son attention avoit d’autres sujets. A sa conduite taciturne a succédé l’inquiétude depuis quelques jours. A ce sujet, je veux essayer de crayonner la politique avec laquelle tout se conduit, et vous dire des choses qu’il faut que vous sachiez, et que vous eussiez ignorés. Il m’a paru que l’on cherchoit à renouveler l’époque où Valazé, Fabre-d’Eglantine, Deffieux, tentèrent d’exciter du trouble dans Paris, pour justifier la révolte de Dumouriez. Voici comment on a suivi cette idée. Billaud répète souvent ces paroles avec un feint effroi : Nous marchons sur un volcan. Je le pense aussi; mais le volcan sur lequel nous marchons est sa dissimulation et son amour de dominer. Le bruit court dans l’étranger, que la Convention a été forcée de tirer soixante-mille hommes de la Belgique pour les appeler vers Paris. Je ne pense pas que personne aît pensé à réaliser ce bruit ; mais je trouve très-déplorable que Paris se trouve précisément troublé dans ce moment, que ce soit dans ce moment même que des idées de jalousie et des desseins d’innovation se manifestent, et que la liberté d’émouvoir les troupes soit concentrée dans très-peu de mains avec un secret impénétrable; de manière que toutes les armées auraient changé de place, que très-peu de personnes en seraient instruites. Puisqu’on a dit qu’une loi permettrait de ne laisser dans Paris que vingt-quatre compagnies de canonniers, je ne nie point qu’on ait eu le droit d’en tirer, mais je n’en connois pas le besoin. On ne le fit point dans de grands dangers : l’ennemi fuit, et nous abandonne ses forteresses. Je reviendrai sur les affaires militaires : je veux achever de parler de l’intérieur. Tout fut rattaché à un plan de terreur. Afin de pouvoir tout justifier et tout oser, il m’a paru qu’on préparait les comités à recevoir et à goûter l’impression des calomnies. Billaud annonçoit son dessein par des paroles entrecoupées : tantôt c’étoit le mot de Pisistrate qu’il prononçoit; et tantôt celui de dangers. Il devenoit hardi dans les momens où ayant excité les passions, on paroissoit écouter ses conseils; mais son dernier mot expira toujours sur ses lèvres : il hésitoit, il s’irritoit, il corrigeoit ensuite ce qu’il avoit dit hier. Il appeloit tel homme absent Pisistrate, aujourd’hui présent, il étoit son ami; il étoit silencieux, pâle, l’œil fixe, arangeant ses traits altérés. La vérité n’a point ce caractère ni cette politique. Mais si on examine ce qui pouvoit avoir donné lieu à la discorde, il est impossible de le justifier par le moindre prétexte d’intérêt public. Aucune délibération du gouvenement n’ avoit partagé les esprits : non point que toutes les mesures absolument eussent été sages, mais parce que ce qu’il y avoit de plus important, et surtout dans la guerre étoit résolu et exécuté en secret ; un membre s’étoit chargé, trompé peut-être, d’outrager sans raison celui qu’on vouloit perdre, pour le porter apparemment à des mesures inconsidérées, à se plaindre publiquement, à s’isoler, à se défendre hautement, pour l’accuser ensuite des troubles dont on ne conviendra pas que l’on est la première cause. Ce plan a réussi à ce qu’il me paraît, et la conduite rapportée plus haut a tout aigri. C’est dans l’absence de ce membre qu’une expédition militaire, qu’on jugera plus tard parce qu’on ne peut la faire connoître encore, mais que je tiens pour insensée dans la circonstance où elle prévalut, SÉANCE DU 9 THERMIDOR AN II (MATIN) (27 JUILLET 1794) - F 559 se plaignit de l’expulsion des nobles; que ç’avoit été un moyen de les reconnoître pour les assassiner; que la mémoire de Danton alloit être réhabilitée; qu’on feroit repentir Paris des jugemens exécutés sous ses yeux. Dans le même temps, le bruit dans toute l’Europe se répandoit que la royauté en France étoit rétablie, la Convention nationale égorgée, et l’arbre de la liberté et les instrumens du supplice des traîtres, brûlés au pied du trône ; il s’y répandoit que le gouvernement étoit divisé. On se trompe : les membres du gouvernement étoient dispersés. Dieu ! vous avez voulu qu’on tentât d’altérer l’harmonie d’un gouvernement qui eut quelque grandeur, dont les membres ont sagement régi, mais n’ont point voulu toujours en partager la gloire; vous avez voulu qu’on méditât la perte des bons citoyens. Je déclare avoir fait mon possible pour ramener tous les esprits à la justice, et avoir reconnu que la résolution évidente de quelques membres y étoit opposée. Je déclare qu’on a tenté de mécontenter et d’aigrir les esprits pour les conduire à des démarches funestes, et l’on n’a point espéré de moi sans doute que je prêterais mes mains pures à l’iniquité; ne croyez pas au moins qu’il aît pu sortir de mon cœur l’idée de flatter un homme. Je le défends, parce qu’il m’a paru irréprochable; et je l’accuserais lui-même, s’il devenoit criminel. Quel plan d’indulgence, grand Dieu ! que celui de vouloir la perte d’hommes innocens ! Le comité de sûreté générale a été environné de prestige pour être amené à ce but. Sa bonne foi n’a point compris la langue que lui parloit un dessein si funeste ; on le flattoit, on lui insinuoit qu’on visoit à le dépouiller de son autorité : les moindres prétextes sont saisis pour grossir l’orage. Trois ouvriers de la poudrerie, habitans d’Arcueil, mêlés à dix ou douze pensionnaires de Bicêtre, qui s’étoient enivrés ensemble, sont présentés aux deux comités par Billaud-Va-renne, comme des patrouilles de conjurés; à ce sujet il faut arrêter ou chasser le maire de Paris et l’état-major, et s’emparer de tout. Cette nuit encore, on se disoit sous le couteau ; on annonçoit qu’on serait mort sous vingt-quatre heures; qu’il y aurait une révolte aujourd’hui. J’adjure ici les consciences : n’est-il point vrai que dans les mêmes temps on inspirait à beaucoup de membres des terreurs telles, qu’ils ne couchoient plus chez eux ; on leur insinuoit que certains membres du comité faisoient à leur sujet de sanglantes propositions; l’on préparait ainsi les cœurs à la vengeance et à l’injustice. J’atteste que Robespierre s’est déclaré le ferme appui de la Convention, et n’a jamais parlé dans le comité qu’avec ménagement de porter atteinte à aucun de ses membres. Collot et Billaud prennent peu de part depuis quelques temps aux délibérations, et paraissent livrés à des intérêts et à des vues plus particulières. Billaud assiste à toutes les séances sans parler, à moins que ce ne soit dans le sens de ses passions, ou contre Paris, contre le tribunal révolutionnaire, contre les hommes dont il paraît souhaiter la perte. Je me plains que lorsque l’on délibère, il ferme les yeux et feint de dormir, comme si son attention avoit d’autres sujets. A sa conduite taciturne a succédé l’inquiétude depuis quelques jours. A ce sujet, je veux essayer de crayonner la politique avec laquelle tout se conduit, et vous dire des choses qu’il faut que vous sachiez, et que vous eussiez ignorés. Il m’a paru que l’on cherchoit à renouveler l’époque où Valazé, Fabre-d’Eglantine, Deffieux, tentèrent d’exciter du trouble dans Paris, pour justifier la révolte de Dumouriez. Voici comment on a suivi cette idée. Billaud répète souvent ces paroles avec un feint effroi : Nous marchons sur un volcan. Je le pense aussi; mais le volcan sur lequel nous marchons est sa dissimulation et son amour de dominer. Le bruit court dans l’étranger, que la Convention a été forcée de tirer soixante-mille hommes de la Belgique pour les appeler vers Paris. Je ne pense pas que personne aît pensé à réaliser ce bruit ; mais je trouve très-déplorable que Paris se trouve précisément troublé dans ce moment, que ce soit dans ce moment même que des idées de jalousie et des desseins d’innovation se manifestent, et que la liberté d’émouvoir les troupes soit concentrée dans très-peu de mains avec un secret impénétrable; de manière que toutes les armées auraient changé de place, que très-peu de personnes en seraient instruites. Puisqu’on a dit qu’une loi permettrait de ne laisser dans Paris que vingt-quatre compagnies de canonniers, je ne nie point qu’on ait eu le droit d’en tirer, mais je n’en connois pas le besoin. On ne le fit point dans de grands dangers : l’ennemi fuit, et nous abandonne ses forteresses. Je reviendrai sur les affaires militaires : je veux achever de parler de l’intérieur. Tout fut rattaché à un plan de terreur. Afin de pouvoir tout justifier et tout oser, il m’a paru qu’on préparait les comités à recevoir et à goûter l’impression des calomnies. Billaud annonçoit son dessein par des paroles entrecoupées : tantôt c’étoit le mot de Pisistrate qu’il prononçoit; et tantôt celui de dangers. Il devenoit hardi dans les momens où ayant excité les passions, on paroissoit écouter ses conseils; mais son dernier mot expira toujours sur ses lèvres : il hésitoit, il s’irritoit, il corrigeoit ensuite ce qu’il avoit dit hier. Il appeloit tel homme absent Pisistrate, aujourd’hui présent, il étoit son ami; il étoit silencieux, pâle, l’œil fixe, arangeant ses traits altérés. La vérité n’a point ce caractère ni cette politique. Mais si on examine ce qui pouvoit avoir donné lieu à la discorde, il est impossible de le justifier par le moindre prétexte d’intérêt public. Aucune délibération du gouvenement n’ avoit partagé les esprits : non point que toutes les mesures absolument eussent été sages, mais parce que ce qu’il y avoit de plus important, et surtout dans la guerre étoit résolu et exécuté en secret ; un membre s’étoit chargé, trompé peut-être, d’outrager sans raison celui qu’on vouloit perdre, pour le porter apparemment à des mesures inconsidérées, à se plaindre publiquement, à s’isoler, à se défendre hautement, pour l’accuser ensuite des troubles dont on ne conviendra pas que l’on est la première cause. Ce plan a réussi à ce qu’il me paraît, et la conduite rapportée plus haut a tout aigri. C’est dans l’absence de ce membre qu’une expédition militaire, qu’on jugera plus tard parce qu’on ne peut la faire connoître encore, mais que je tiens pour insensée dans la circonstance où elle prévalut, 560 ARCHIVES PARLEMENTAIRES CONVENTION NATIONALE fut imaginée. On avoit ordonné de tirer, sans m’en avertir ni mes collègues, de l’armée de Sambre-et-Meuse, dix-huit mille hommes pour cette expédition : on ne m’en prévint pas ; pourquoi, si cet ordre donné le 1er messidor s’étoit exécuté, l’armée de Sambre-et-Meuse étoit forcée de quitter Charleroy, de se replier peut-être sous Philippeville et Givet, et d’abandonner Avesnes et Maubeuge. Ajouterai-je que cette armée étoit devenue la plus importante ? L’ennemi avoit conduit devant elle toutes ses forces; on la laissoit sans poudre, sans canons, sans pain : des soldats y sont morts de faim en baisant leur fusil. Un agent que mes collègues et moi envoyâmes au comité pour demander des munitions, ne fut point reçu comme j’aurois été sensiblement flatté qu’il le fût; et je dois cet éloge à Prieur (l) : qu’il parut sensible à nos besoins. Il falloit vaincre : on a vaincu. La journée de Fleurus a contribué à ouvrir la Belgique. Je désire qu’on rende justice à tout le monde, et qu’on honore des victoires, mais non point de manière à honorer davantage le gouvernement que les armées ; car il n’y a que ceux qui sont dans les batailles qui les gagnent, et il n’y a que ceux qui sont puissans qui en profitent : il faut donc louer les victoires, et s’oublier soi-même. Si tout le monde avoit été modeste et n’avoit point été jaloux qu’on parlât plus d’un autre que de soi, nous serions fort paisibles; on n’auroit point fait violence à la raison pour amener des hommes généreux au point de se défendre pour leur en faire un crime. L’orgueil enfante les factions. C’est par les factions que les gouvernemens voisins d’un peuple libre attaquent sa prospérité; les factions sont le poison le plus terrible de l’ordre social; elles mettent la vie des bons citoyens en péril par la puissance de la calomnie. Lorsqu’elles régnent dans un état, personne n’est certain de son avenir, et l’empire qu’elles tourmentent est un cercueil ; elles mettent en problème le mensonge et la vérité, le vice et la vertu, le juste et l’injuste; c’est la force qui fait la loi. Si la vertu ne se montroit parfois la tonnerre à la main pour rappeler tous les vices à l’ordre, la raison de la force seroit toujours la meilleure. Ce n’est qu’après un siècle que la postérité plaintive verse des pleurs sur la tombe de[s] Gracques et sur la roue de Sidney. Les factions, en divisant un peuple, mettent la fureur de parti à la place de la liberté; le glaive des lois et les poignards des assassins s’entrechoquent; on n’ose plus ni parler ni se taire : les audacieux qui se placent à la tête des partis, forcent les citoyens à se prononcer entre le crime et le crime. Ainsi sous le règne d’Hébert et de Danton, tout le monde étoit furieux et farouche par peur. C’est pourquoi le vœu le plus tendre pour sa patrie que puisse faire un bon citoyen, le bienfait le plus doux qui puisse descendre des mains de Providence sur un peuple libre, le fruit le plus précieux que puisse recueillir une nation généreuse de sa vertu, c’est la ruine, c’est la chûte des factions. Quoi ! l’amitié s’est-elle envolée de la terre ? la jalousie présidera-t-elle aux mouvemens du corps social ? et, par le prestige de la calomnie, perdra-(l) Prieur de la Côte-d’Or. t-on ses frères parce qu’ils sont plus sages et plus magnanimes que nous ? La renommée est un vain bruit. Prêtons l’oreille sur les siècles écoulés : nous n’entendrons plus rien; ceux qui dans d’autres temps se promèneront parmi nos urnes, n’en entendront pas davantage : le bien, voilà ce qu’il faut faire à quelque prix que ce soit, en préférant le titre de héros mort à celui de lâche vivant. Il ne faut point souffrir que le crime triomphe ni que l’intensité de la morale publique diminue de sa force contre les méchans. La puissance des Lois et de la raison arrive à la suite, et tout le monde tremble sans distinction ; il n’y a plus que des esclaves épouvantés. Si vous voulez que les factions s’éteignent et que personne n’entreprenne de s’élever sur les débris de la liberté publique par les lieux communs de Machiavel, rendez la politique impuissante en réduisant tout à la règle froide de la justice; gardez pour vous la suprême influence; dictez des lois impérieuses à tous les partis : les lois n’ont point de passions qui les divisent, et qui les fassent dissimuler. Les lois sont sévères, et les hommes ne le sont pas toujours : un masque impénétrable peut les couvrir longtemps. Si les lois protègent l’innocence, l’étranger ne peut les corrompre; mais si l’innocence est le jouet des viles intrigues, il n’y a plus de garantie dans la cité. Il faut s’enfuir dans les déserts pour y trouver l’indépendance et des amis parmi des animaux sauvages ! Il faut laisser un monde où l’on n’a plus l’énergie ni du crime ni de la vertu, et où il n’est resté que l’épouvante et le mépris. C’est pourquoi je demande quelques jours encore à la Providence pour appeler sur les institutions les méditations du Peuple français et de tous ses législateurs. Tout ce qui arrive aujourd’hui dans le gouvernement n’auroit point eu lieu sous leur empire; ils seroient vertueux peut-être, et n’auroient point pensé au mal, ceux dont j’accuse ici les prétentions orgueilleuses. Il n’y a pas longtemps peut-être qu’ils ont laissé la route frayée par la vertu. Quand je renvins pour la dernière fois de l’armée, je ne reconnus plus quelques visages; les membres du gouvernement étoient épars sur les fon-tières et dans les bureaux : les délibérations étoient livrées à deux ou trois hommes avec le même pouvoir et la même influence que le comité même, qui se trouvoit presque entièrement dispersé, soit par des missions, soit par la maladie, soit par les procès intentés aux autres pour les éloigner. Le gouvernement à mes yeux a véritablement été envahi par deux ou trois hommes. C’est pendant cette solitude qu’ils me semblent avoir conçu l’idée très-dangereuse d’innover dans le gouvernement, et de s’attirer beaucoup d’influence. A mon retour, comme je l’ai dit, tout étoit changé; le gouvernement n’étoit point divisé, mais il étoit épars et abandonné à un petit nombre, qui, jouissant d’un absolu pouvoir, accusa les autres d’y prétendre pour le conserver. C’est dans ces circonstances qu’on a conçu la procédure d’hommes innocens, qu’on a tenté d’armer contre eux de très-injustes préventions. Je n’ai point à m’en plaindre : on m’a laissé paisible comme un citoyen sans prétentions, et qui marchoit seul, et c’est par erreur que, par le suffrage de quelques-uns on m’avoit chargé du rapport pour me lier à des 560 ARCHIVES PARLEMENTAIRES CONVENTION NATIONALE fut imaginée. On avoit ordonné de tirer, sans m’en avertir ni mes collègues, de l’armée de Sambre-et-Meuse, dix-huit mille hommes pour cette expédition : on ne m’en prévint pas ; pourquoi, si cet ordre donné le 1er messidor s’étoit exécuté, l’armée de Sambre-et-Meuse étoit forcée de quitter Charleroy, de se replier peut-être sous Philippeville et Givet, et d’abandonner Avesnes et Maubeuge. Ajouterai-je que cette armée étoit devenue la plus importante ? L’ennemi avoit conduit devant elle toutes ses forces; on la laissoit sans poudre, sans canons, sans pain : des soldats y sont morts de faim en baisant leur fusil. Un agent que mes collègues et moi envoyâmes au comité pour demander des munitions, ne fut point reçu comme j’aurois été sensiblement flatté qu’il le fût; et je dois cet éloge à Prieur (l) : qu’il parut sensible à nos besoins. Il falloit vaincre : on a vaincu. La journée de Fleurus a contribué à ouvrir la Belgique. Je désire qu’on rende justice à tout le monde, et qu’on honore des victoires, mais non point de manière à honorer davantage le gouvernement que les armées ; car il n’y a que ceux qui sont dans les batailles qui les gagnent, et il n’y a que ceux qui sont puissans qui en profitent : il faut donc louer les victoires, et s’oublier soi-même. Si tout le monde avoit été modeste et n’avoit point été jaloux qu’on parlât plus d’un autre que de soi, nous serions fort paisibles; on n’auroit point fait violence à la raison pour amener des hommes généreux au point de se défendre pour leur en faire un crime. L’orgueil enfante les factions. C’est par les factions que les gouvernemens voisins d’un peuple libre attaquent sa prospérité; les factions sont le poison le plus terrible de l’ordre social; elles mettent la vie des bons citoyens en péril par la puissance de la calomnie. Lorsqu’elles régnent dans un état, personne n’est certain de son avenir, et l’empire qu’elles tourmentent est un cercueil ; elles mettent en problème le mensonge et la vérité, le vice et la vertu, le juste et l’injuste; c’est la force qui fait la loi. Si la vertu ne se montroit parfois la tonnerre à la main pour rappeler tous les vices à l’ordre, la raison de la force seroit toujours la meilleure. Ce n’est qu’après un siècle que la postérité plaintive verse des pleurs sur la tombe de[s] Gracques et sur la roue de Sidney. Les factions, en divisant un peuple, mettent la fureur de parti à la place de la liberté; le glaive des lois et les poignards des assassins s’entrechoquent; on n’ose plus ni parler ni se taire : les audacieux qui se placent à la tête des partis, forcent les citoyens à se prononcer entre le crime et le crime. Ainsi sous le règne d’Hébert et de Danton, tout le monde étoit furieux et farouche par peur. C’est pourquoi le vœu le plus tendre pour sa patrie que puisse faire un bon citoyen, le bienfait le plus doux qui puisse descendre des mains de Providence sur un peuple libre, le fruit le plus précieux que puisse recueillir une nation généreuse de sa vertu, c’est la ruine, c’est la chûte des factions. Quoi ! l’amitié s’est-elle envolée de la terre ? la jalousie présidera-t-elle aux mouvemens du corps social ? et, par le prestige de la calomnie, perdra-(l) Prieur de la Côte-d’Or. t-on ses frères parce qu’ils sont plus sages et plus magnanimes que nous ? La renommée est un vain bruit. Prêtons l’oreille sur les siècles écoulés : nous n’entendrons plus rien; ceux qui dans d’autres temps se promèneront parmi nos urnes, n’en entendront pas davantage : le bien, voilà ce qu’il faut faire à quelque prix que ce soit, en préférant le titre de héros mort à celui de lâche vivant. Il ne faut point souffrir que le crime triomphe ni que l’intensité de la morale publique diminue de sa force contre les méchans. La puissance des Lois et de la raison arrive à la suite, et tout le monde tremble sans distinction ; il n’y a plus que des esclaves épouvantés. Si vous voulez que les factions s’éteignent et que personne n’entreprenne de s’élever sur les débris de la liberté publique par les lieux communs de Machiavel, rendez la politique impuissante en réduisant tout à la règle froide de la justice; gardez pour vous la suprême influence; dictez des lois impérieuses à tous les partis : les lois n’ont point de passions qui les divisent, et qui les fassent dissimuler. Les lois sont sévères, et les hommes ne le sont pas toujours : un masque impénétrable peut les couvrir longtemps. Si les lois protègent l’innocence, l’étranger ne peut les corrompre; mais si l’innocence est le jouet des viles intrigues, il n’y a plus de garantie dans la cité. Il faut s’enfuir dans les déserts pour y trouver l’indépendance et des amis parmi des animaux sauvages ! Il faut laisser un monde où l’on n’a plus l’énergie ni du crime ni de la vertu, et où il n’est resté que l’épouvante et le mépris. C’est pourquoi je demande quelques jours encore à la Providence pour appeler sur les institutions les méditations du Peuple français et de tous ses législateurs. Tout ce qui arrive aujourd’hui dans le gouvernement n’auroit point eu lieu sous leur empire; ils seroient vertueux peut-être, et n’auroient point pensé au mal, ceux dont j’accuse ici les prétentions orgueilleuses. Il n’y a pas longtemps peut-être qu’ils ont laissé la route frayée par la vertu. Quand je renvins pour la dernière fois de l’armée, je ne reconnus plus quelques visages; les membres du gouvernement étoient épars sur les fon-tières et dans les bureaux : les délibérations étoient livrées à deux ou trois hommes avec le même pouvoir et la même influence que le comité même, qui se trouvoit presque entièrement dispersé, soit par des missions, soit par la maladie, soit par les procès intentés aux autres pour les éloigner. Le gouvernement à mes yeux a véritablement été envahi par deux ou trois hommes. C’est pendant cette solitude qu’ils me semblent avoir conçu l’idée très-dangereuse d’innover dans le gouvernement, et de s’attirer beaucoup d’influence. A mon retour, comme je l’ai dit, tout étoit changé; le gouvernement n’étoit point divisé, mais il étoit épars et abandonné à un petit nombre, qui, jouissant d’un absolu pouvoir, accusa les autres d’y prétendre pour le conserver. C’est dans ces circonstances qu’on a conçu la procédure d’hommes innocens, qu’on a tenté d’armer contre eux de très-injustes préventions. Je n’ai point à m’en plaindre : on m’a laissé paisible comme un citoyen sans prétentions, et qui marchoit seul, et c’est par erreur que, par le suffrage de quelques-uns on m’avoit chargé du rapport pour me lier à des SÉANCE DU 9 THERMIDOR AN II (MATIN) (27 JUILLET 1794) - F 561 idées qui ne sont point faites, ce me semble, pour moi. Je ne puis épouser le mal ; je m’en suis expliqué en présence des comités : je rapportai mes propres paroles devant eux, lorsqu’il me parut qu’on les avoit assemblés pour les égarer. « Citoyens, leur dis-je, j’éprouve de sinistres présages; tout se déguise devant mes yeux; mais j’étudierai tout ce qui se passe; je me dirai ce que la probité conseille pour le bien de la patrie; je me tracerai l’image de l’honnête homme, et ce que la vertu lui prescrit en ce moment; et tout ce qui ne ressemblera pas au pur amour du peuple et de la liberté, aura ma haine ». Le lendemain, nous nous assemblâmes encore; tout le monde gardoit un profond silence ; les uns et les autres étoient présens. Je me levai, et je dis : « Vous me paraissez affligés : il faut que tout le monde ici s’explique avec franchise, et je commencerai, si on le permet. « Citoyens, ajoutai-je, je vous ai déjà dit qu’un officier suisse, fait prisonnier devant Maubeuge, et interrogé par Guyton, Laurent et moi, nous donna la première idée de ce qui se tramoit. Cet officier nous dit que la police redoutable survenue dans Cambrai, avoit déconcerté le plan des alliés, qu’ils avoient changé de vues; mais qu’on ne se plaçoit en Autriche dans aucune hypothèse d’accommodement avec la France; qu’on attendoit tout d’un parti qui renverserait la forme terrible du gouvernement ; que l’on comptoit sur des intelligences, sur des principes moins sévères. Je vous invitai de surveiller avec beaucoup de soin tout ce qui tendrait à altérer la forme salutaire de la justice présente : bientôt vous vîtes vous-mêmes percer le plan dans les libelles étrangers. Les ambassadeurs vous ont prévenus de tentatives prochaines contre le gouvernement révolutionnaire : aujourd’hui que se passe-t-il ? On réalise les bruits étangers; on dit même que, si l’on réussit, on fera contraster l’indulgence avec votre rigueur contre les traîtres. « Je dis ensuite que la République manquant de ces institutions d’où résultoient les garanties, on tendoit à dénaturer l’influence des hommes qui don-noient de sages conseils, pour les constituer en état de tyrannie; que c’étoit sur ce plan que marchoit l’étranger, d’après les notes mêmes qui étoient sur le tapis; que je ne connoissois point de dominateur qui ne se fût emparé d’un grand crédit militaire, des finances et du gouvernement, et que ces choses n’étoient point dans les mains de ceux contre lesquels on insinuoit des soupçons. « David se rangea de mon avis avec sa franchise ordinaire ; Billaud-Varenne dit à Robespierre : nous sommes tes amis; nous avons marché toujours ensemble ». Ce déguisement fit tressaillir mon cœur. La veille il le traitoit de Pisistrate, et avoit tracé son acte d’accusation. Il est des hommes que Lycurgue eût chassé de Lacédémone sur le sinistre caractère et la pâleur de leur front, et je regrette de n’avoir plus vu la franchise ni la vérité céleste sur le visage de ceux dont je parle. Quand les deux comités m’honorèrent de leur confiance et me chargèrent du rapport, j’annonçai que je ne m’en chargeois qu’à condition qu’il serait respectueux pour la Convention et pour ses membres; j’annonçai que j’irais à la source, que je développerais le plan ourdi pour sapper le gouvernement revolutionaire ; que je m’efforcerais d’accroître l’énergie de la morale publique. Billaud-Varenne et Collot-d’Herbois insinuèrent qu’il ne falloit point parler de l’Etre suprême, de l’immortalité de l’âme, de la sagesse ; on revint sur ces idées, on les trouva indiscrètes, et l’on rougit de la Divinité. C’étoit au même instant que la pétition de Ma-genthies parut, tendante à caractériser comme blasphème et à punir de mort des paroles souvent entendues de la bouche du peuple. Ah ! ce ne sont point là des blasphèmes : un blasphème est l’idée de faire marcher devant Dieu les faisceaux de Sylla ; un blasphème, c’est d’épouvanter les membres par des listes de proscription et d’en accuser l’innocence. Ainsi, l’on m’avoit condamné à ne vous point parlèr de la Providence, seul espoir de l’homme isolé, qui, environné de sophismes, demande au Ciel et le courage et la sagesse nécessaires pour faire triompher la vérité. Si l’on réfléchit attentivement sur ce qui s’est passé dans votre dernière séance, on trouve l’application de tout ce que j’ai dit : l’homme éloigné du comité par les plus amers traitemens, lorsqu’il n’étoit plus en effet composé que de deux ou trois membres présens; cet homme se justifie devant vous; il ne s’explique point, à la vérité, assez clairement, mais son éloignement et l’amertume de son ame peuvent excuser quelque chose : il ne sait point l’histoire de sa persécution; il ne connoît que son malheur. On le constitue en tyran de l’opinion-: il faut que je m’explique là-dessus, et que je porte la flamme sur un sophisme qui tendrait à faire proscrire le mérite. Et quel droit exclusif avez-vous sur l’opinion, vous qui trouvez un crime dans l’art de toucher les âmes ? Trouvez-vous mauvais que l’on soit sensible ? êtes-vous donc de la cour de Philippe, vous qui faites la guerre à l’éloquence ? Un tyran de l’opinion ! Qui vous empêche de disputer l’estime de la patrie, vous qui trouvez mauvais qu’on la captive ? Il n’est point de despote au monde, si ce n’est Richelieu, qui se soit offensé de la célébrité d’un écrivain. Est-il un triomphe plus désintéressé ? Caton aurait chassé de Rome le mauvais citoyen qui eût appelé l’éloquence, dans la tribune aux harangues, le tyran de l’opinion. Personne n’a le droit de stipuler pour elle; elle se donne à la raison, et son empire n’est pas le pouvoir des gouvernemens. La conscience publique est la cité : elle est la sauvegarde du citoyen : ceux qui ont su toucher l’opinion, ont tous été les ennemis des oppresseurs. Démosthène étoit-il un tyran ? Sous ce rapport, sa tyrannie sauva pendant long-temps la liberté de toute la Grèce. Ainsi la médiocrité jalouse voudrait conduire le génie à l’échafaud. Eh bien ! comme le talent d’orateur que vous exercez ici est un talent de tyrannie, on vous accusera bientôt comme des despotes de l’opinion. Le droit d’intéresser l’opinion publique est un droit naturel, imprescriptible, inaliénable; et je ne vois d’usurpateurs que parmi ceux qui tendraient à opprimer ce droit. Avez-vous vu des orateurs sous le sceptre des rois? non. Le silence règne autour des trônes; ce n’est que chez les peuples libres qu’on a souffert le droit de persuader ses semblables; n’est-ce point une arène ouverte à tous les citoyens ? Que tout le monde se dispute la gloire de se perfectionner dans l’art de bien dire, et vous verrez rouler un torrent 36 SÉANCE DU 9 THERMIDOR AN II (MATIN) (27 JUILLET 1794) - F 561 idées qui ne sont point faites, ce me semble, pour moi. Je ne puis épouser le mal ; je m’en suis expliqué en présence des comités : je rapportai mes propres paroles devant eux, lorsqu’il me parut qu’on les avoit assemblés pour les égarer. « Citoyens, leur dis-je, j’éprouve de sinistres présages; tout se déguise devant mes yeux; mais j’étudierai tout ce qui se passe; je me dirai ce que la probité conseille pour le bien de la patrie; je me tracerai l’image de l’honnête homme, et ce que la vertu lui prescrit en ce moment; et tout ce qui ne ressemblera pas au pur amour du peuple et de la liberté, aura ma haine ». Le lendemain, nous nous assemblâmes encore; tout le monde gardoit un profond silence ; les uns et les autres étoient présens. Je me levai, et je dis : « Vous me paraissez affligés : il faut que tout le monde ici s’explique avec franchise, et je commencerai, si on le permet. « Citoyens, ajoutai-je, je vous ai déjà dit qu’un officier suisse, fait prisonnier devant Maubeuge, et interrogé par Guyton, Laurent et moi, nous donna la première idée de ce qui se tramoit. Cet officier nous dit que la police redoutable survenue dans Cambrai, avoit déconcerté le plan des alliés, qu’ils avoient changé de vues; mais qu’on ne se plaçoit en Autriche dans aucune hypothèse d’accommodement avec la France; qu’on attendoit tout d’un parti qui renverserait la forme terrible du gouvernement ; que l’on comptoit sur des intelligences, sur des principes moins sévères. Je vous invitai de surveiller avec beaucoup de soin tout ce qui tendrait à altérer la forme salutaire de la justice présente : bientôt vous vîtes vous-mêmes percer le plan dans les libelles étrangers. Les ambassadeurs vous ont prévenus de tentatives prochaines contre le gouvernement révolutionnaire : aujourd’hui que se passe-t-il ? On réalise les bruits étangers; on dit même que, si l’on réussit, on fera contraster l’indulgence avec votre rigueur contre les traîtres. « Je dis ensuite que la République manquant de ces institutions d’où résultoient les garanties, on tendoit à dénaturer l’influence des hommes qui don-noient de sages conseils, pour les constituer en état de tyrannie; que c’étoit sur ce plan que marchoit l’étranger, d’après les notes mêmes qui étoient sur le tapis; que je ne connoissois point de dominateur qui ne se fût emparé d’un grand crédit militaire, des finances et du gouvernement, et que ces choses n’étoient point dans les mains de ceux contre lesquels on insinuoit des soupçons. « David se rangea de mon avis avec sa franchise ordinaire ; Billaud-Varenne dit à Robespierre : nous sommes tes amis; nous avons marché toujours ensemble ». Ce déguisement fit tressaillir mon cœur. La veille il le traitoit de Pisistrate, et avoit tracé son acte d’accusation. Il est des hommes que Lycurgue eût chassé de Lacédémone sur le sinistre caractère et la pâleur de leur front, et je regrette de n’avoir plus vu la franchise ni la vérité céleste sur le visage de ceux dont je parle. Quand les deux comités m’honorèrent de leur confiance et me chargèrent du rapport, j’annonçai que je ne m’en chargeois qu’à condition qu’il serait respectueux pour la Convention et pour ses membres; j’annonçai que j’irais à la source, que je développerais le plan ourdi pour sapper le gouvernement revolutionaire ; que je m’efforcerais d’accroître l’énergie de la morale publique. Billaud-Varenne et Collot-d’Herbois insinuèrent qu’il ne falloit point parler de l’Etre suprême, de l’immortalité de l’âme, de la sagesse ; on revint sur ces idées, on les trouva indiscrètes, et l’on rougit de la Divinité. C’étoit au même instant que la pétition de Ma-genthies parut, tendante à caractériser comme blasphème et à punir de mort des paroles souvent entendues de la bouche du peuple. Ah ! ce ne sont point là des blasphèmes : un blasphème est l’idée de faire marcher devant Dieu les faisceaux de Sylla ; un blasphème, c’est d’épouvanter les membres par des listes de proscription et d’en accuser l’innocence. Ainsi, l’on m’avoit condamné à ne vous point parlèr de la Providence, seul espoir de l’homme isolé, qui, environné de sophismes, demande au Ciel et le courage et la sagesse nécessaires pour faire triompher la vérité. Si l’on réfléchit attentivement sur ce qui s’est passé dans votre dernière séance, on trouve l’application de tout ce que j’ai dit : l’homme éloigné du comité par les plus amers traitemens, lorsqu’il n’étoit plus en effet composé que de deux ou trois membres présens; cet homme se justifie devant vous; il ne s’explique point, à la vérité, assez clairement, mais son éloignement et l’amertume de son ame peuvent excuser quelque chose : il ne sait point l’histoire de sa persécution; il ne connoît que son malheur. On le constitue en tyran de l’opinion-: il faut que je m’explique là-dessus, et que je porte la flamme sur un sophisme qui tendrait à faire proscrire le mérite. Et quel droit exclusif avez-vous sur l’opinion, vous qui trouvez un crime dans l’art de toucher les âmes ? Trouvez-vous mauvais que l’on soit sensible ? êtes-vous donc de la cour de Philippe, vous qui faites la guerre à l’éloquence ? Un tyran de l’opinion ! Qui vous empêche de disputer l’estime de la patrie, vous qui trouvez mauvais qu’on la captive ? Il n’est point de despote au monde, si ce n’est Richelieu, qui se soit offensé de la célébrité d’un écrivain. Est-il un triomphe plus désintéressé ? Caton aurait chassé de Rome le mauvais citoyen qui eût appelé l’éloquence, dans la tribune aux harangues, le tyran de l’opinion. Personne n’a le droit de stipuler pour elle; elle se donne à la raison, et son empire n’est pas le pouvoir des gouvernemens. La conscience publique est la cité : elle est la sauvegarde du citoyen : ceux qui ont su toucher l’opinion, ont tous été les ennemis des oppresseurs. Démosthène étoit-il un tyran ? Sous ce rapport, sa tyrannie sauva pendant long-temps la liberté de toute la Grèce. Ainsi la médiocrité jalouse voudrait conduire le génie à l’échafaud. Eh bien ! comme le talent d’orateur que vous exercez ici est un talent de tyrannie, on vous accusera bientôt comme des despotes de l’opinion. Le droit d’intéresser l’opinion publique est un droit naturel, imprescriptible, inaliénable; et je ne vois d’usurpateurs que parmi ceux qui tendraient à opprimer ce droit. Avez-vous vu des orateurs sous le sceptre des rois? non. Le silence règne autour des trônes; ce n’est que chez les peuples libres qu’on a souffert le droit de persuader ses semblables; n’est-ce point une arène ouverte à tous les citoyens ? Que tout le monde se dispute la gloire de se perfectionner dans l’art de bien dire, et vous verrez rouler un torrent 36 562 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de lumières qui sera le garant de notre liberté, pourvu que l’orgueil soit banni de notre République. Immolez ceux qui sont les plus éloquens; et bientôt on arrivera jusqu’à celui qui les envioit, et qui l’étoit le plus après eux. Un censeur royal se seroit contenté de dire : « vous avez écrit contre la cour et contre monseigneur l’archevêque ». Mais qu’avons-nous donc fait de notre raison ? on dit aujourd’hui à un membre du souverain : vous n’avez pas le droit d’être persuasif. Le membre qui a parlé long-temps hier à cette tribune, ne me paroît point avoir assez nettement distingué ceux qu’il inculpoit. Il n’a point à se plaindre et ne s’est pas plaint non plus des comités; car les comités me semblent toujours dignes de votre estime; et les malheurs dont j’ai tracé l’histoire, sont nés de l’isolement et de l’autorité extrême de quelques membres restés seuls. Il devoit arriver que le gouvernement s’altérerait en se dépouillant de ses membres. Couthon est sans cesse absent; Prieur de la Marne est absent depuis huit mois; Saint-André est au Port-la-Montagne; Lindet est enseveli dans ses bureaux; Prieur de la Côte-d’Or, dans les siens; moi j’étois à l’armée; et le reste, qui exerçoit l’autorité de tous, me parait avoir essayé de profiter de leur absence. Je regarderais comme un principe salutaire et conservateur de la liberté publique, que le tapis du comité fût environné de tous ses membres. Vous aviez confié le gouvernement à douze personnes; il s’est trouvé en effet, le dernier mois, entre les mains de deux ou trois. Avec cette imprudence, l’on s’expose à inspirer aux hommes le goût de l’indépendance et de l’autorité. Imaginez que cette altération eût continué; que Paris eût été sans état-major et sans magistrats; que le tribunal révolutionnaire eût été supprimé ou rempli de créatures de deux ou trois membres gouvernant absolument : votre autorité en eût été anéantie. Une seule chose aurait encore gêné ces membres ; c’étoient les Jacobins, qu’ils appellent la tyrannie de l’opinion; il falloit donc sacrifier les hommes les plus influens de cette société. Car en même-temps que Billaud-Varenne et Col-lot-d’Herbois ont conduit ce plan, ils ont manifesté depuis quelque temps leur haine contre les Jacobins; ils ont cessé de les fréquenter et d’y parler. S’ils avoient réussi tandis que la majorité du comité étoit plongée dans les détails, quelques hommes régnoient; ils n’avoient plus à craindre les orateurs incommodes, et jouissoient de la réputation et de l’autorité exclusives. Il a donc existé un plan d’usurper le pouvoir en immolant une partie des membres du comité et en dispersant les autres dans la République, en détruisant le tribunal révolutionnaire, en privant Paris de ses magistrats; Billaud-Varenne et Collot-d’Herbois sont les auteurs de cette trame. Les deux comités n’ont donc rien dû perdre de l’estime publique, et ceux-là seuls sont indignes d’eux, qui ont eu de l’ambition sous le masque du désintéressement, et qui ont pensé concentrer dans eux l’initiative des accusations contre vos membres. Je pense que vous devez à la justice et à la patrie, d’examiner ma dénonciation. Vous devez regarder comme un acte de tyrannie toute délibération du comité qui ne sera point signée de six membres; vous devez examiner aussi s’il est sage que les membres fassent le métier de ministres, qu’ils s’ensevelissent dans des bureaux, qu’ils s’éloignent de vous, et altèrent ainsi l’esprit et les principes de leur compagnie. Les affaires publiques ne souffriront point de cet orage; la liberté n’en sera pas alarmée, et le gouvernement reprendra son cours par votre sagesse. Il me reste à vous convaincre que je n’ai pu prendre d’autre parti que celui de vous dire la vérité. Si j’annonçois mon intention dans les comités, on n’avoit plus de mesure à garder, et tout pouvoit entraîner des démarches funestes. Dans ce cas, leur plan d’influence acquérait de nouvelles forces; ils rendoient d’autres membres solidaires avec eux, s’ils fussent parvenus à les tromper. J’ai cru éviter des désordres, et dispenser les comités d’une querelle difficile, puisque l’on eût tout employé pour brouiller les esprits. Les membres que j’accuse ont commis peu de fautes dans leurs fonctions : ils n’ont donc point à se justifier par les opérations, si ce n’est celles des dix-huit mille hommes qu’on a voulu enlever de l’armée de Sambre-et-Meuse. Je les accuse d’avoir tiré parti de la réputation du comité, pour l’appliquer à leur ambition. Sylla étoit un fort bon général, un grand politique; il savoit administrer, mais il appliqua ce mérite à sa fortune. J’aime beaucoup qu’on nous annonce des victoires, mais je ne veux pas qu’elles deviennent des prétextes de vanité. On annonça la journée de Fleurus et d’autres qui n’en ont rien dit, y étoient présens; on a parlé de sièges, et d’autres qui n’en ont rien dit étoient dans la tranchée. J’affirme que tout le mal est venu de ce que, sans que personne s’en doutât, toute l’autorité étoit tombée dans quelques mains qui ont voulu la conserver et l’augmenter par la ruine de tout ce qui pouvoit réprimer la puissance arbitraire. Je ne conclus pas contre ceux que j’ai nommés : je désire qu’ils se justifient, et que nous devenions plus sages : Je propose le décret suivant : La Convention nationale décrète que les institutions, qui seront incessament rédigées, présenteront les moyens que le gouvernement, sans rien perdre de. son ressort révolutionnaire, ne puisse tendre à l’arbitraire, favoriser l’ambition, et opprimer ou usurper la représentation nationale (l). (1) AD XVIIIe 245, n° 1, p. 1-19. Voir P. V., n° 1 1 . 562 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de lumières qui sera le garant de notre liberté, pourvu que l’orgueil soit banni de notre République. Immolez ceux qui sont les plus éloquens; et bientôt on arrivera jusqu’à celui qui les envioit, et qui l’étoit le plus après eux. Un censeur royal se seroit contenté de dire : « vous avez écrit contre la cour et contre monseigneur l’archevêque ». Mais qu’avons-nous donc fait de notre raison ? on dit aujourd’hui à un membre du souverain : vous n’avez pas le droit d’être persuasif. Le membre qui a parlé long-temps hier à cette tribune, ne me paroît point avoir assez nettement distingué ceux qu’il inculpoit. Il n’a point à se plaindre et ne s’est pas plaint non plus des comités; car les comités me semblent toujours dignes de votre estime; et les malheurs dont j’ai tracé l’histoire, sont nés de l’isolement et de l’autorité extrême de quelques membres restés seuls. Il devoit arriver que le gouvernement s’altérerait en se dépouillant de ses membres. Couthon est sans cesse absent; Prieur de la Marne est absent depuis huit mois; Saint-André est au Port-la-Montagne; Lindet est enseveli dans ses bureaux; Prieur de la Côte-d’Or, dans les siens; moi j’étois à l’armée; et le reste, qui exerçoit l’autorité de tous, me parait avoir essayé de profiter de leur absence. Je regarderais comme un principe salutaire et conservateur de la liberté publique, que le tapis du comité fût environné de tous ses membres. Vous aviez confié le gouvernement à douze personnes; il s’est trouvé en effet, le dernier mois, entre les mains de deux ou trois. Avec cette imprudence, l’on s’expose à inspirer aux hommes le goût de l’indépendance et de l’autorité. Imaginez que cette altération eût continué; que Paris eût été sans état-major et sans magistrats; que le tribunal révolutionnaire eût été supprimé ou rempli de créatures de deux ou trois membres gouvernant absolument : votre autorité en eût été anéantie. Une seule chose aurait encore gêné ces membres ; c’étoient les Jacobins, qu’ils appellent la tyrannie de l’opinion; il falloit donc sacrifier les hommes les plus influens de cette société. Car en même-temps que Billaud-Varenne et Col-lot-d’Herbois ont conduit ce plan, ils ont manifesté depuis quelque temps leur haine contre les Jacobins; ils ont cessé de les fréquenter et d’y parler. S’ils avoient réussi tandis que la majorité du comité étoit plongée dans les détails, quelques hommes régnoient; ils n’avoient plus à craindre les orateurs incommodes, et jouissoient de la réputation et de l’autorité exclusives. Il a donc existé un plan d’usurper le pouvoir en immolant une partie des membres du comité et en dispersant les autres dans la République, en détruisant le tribunal révolutionnaire, en privant Paris de ses magistrats; Billaud-Varenne et Collot-d’Herbois sont les auteurs de cette trame. Les deux comités n’ont donc rien dû perdre de l’estime publique, et ceux-là seuls sont indignes d’eux, qui ont eu de l’ambition sous le masque du désintéressement, et qui ont pensé concentrer dans eux l’initiative des accusations contre vos membres. Je pense que vous devez à la justice et à la patrie, d’examiner ma dénonciation. Vous devez regarder comme un acte de tyrannie toute délibération du comité qui ne sera point signée de six membres; vous devez examiner aussi s’il est sage que les membres fassent le métier de ministres, qu’ils s’ensevelissent dans des bureaux, qu’ils s’éloignent de vous, et altèrent ainsi l’esprit et les principes de leur compagnie. Les affaires publiques ne souffriront point de cet orage; la liberté n’en sera pas alarmée, et le gouvernement reprendra son cours par votre sagesse. Il me reste à vous convaincre que je n’ai pu prendre d’autre parti que celui de vous dire la vérité. Si j’annonçois mon intention dans les comités, on n’avoit plus de mesure à garder, et tout pouvoit entraîner des démarches funestes. Dans ce cas, leur plan d’influence acquérait de nouvelles forces; ils rendoient d’autres membres solidaires avec eux, s’ils fussent parvenus à les tromper. J’ai cru éviter des désordres, et dispenser les comités d’une querelle difficile, puisque l’on eût tout employé pour brouiller les esprits. Les membres que j’accuse ont commis peu de fautes dans leurs fonctions : ils n’ont donc point à se justifier par les opérations, si ce n’est celles des dix-huit mille hommes qu’on a voulu enlever de l’armée de Sambre-et-Meuse. Je les accuse d’avoir tiré parti de la réputation du comité, pour l’appliquer à leur ambition. Sylla étoit un fort bon général, un grand politique; il savoit administrer, mais il appliqua ce mérite à sa fortune. J’aime beaucoup qu’on nous annonce des victoires, mais je ne veux pas qu’elles deviennent des prétextes de vanité. On annonça la journée de Fleurus et d’autres qui n’en ont rien dit, y étoient présens; on a parlé de sièges, et d’autres qui n’en ont rien dit étoient dans la tranchée. J’affirme que tout le mal est venu de ce que, sans que personne s’en doutât, toute l’autorité étoit tombée dans quelques mains qui ont voulu la conserver et l’augmenter par la ruine de tout ce qui pouvoit réprimer la puissance arbitraire. Je ne conclus pas contre ceux que j’ai nommés : je désire qu’ils se justifient, et que nous devenions plus sages : Je propose le décret suivant : La Convention nationale décrète que les institutions, qui seront incessament rédigées, présenteront les moyens que le gouvernement, sans rien perdre de. son ressort révolutionnaire, ne puisse tendre à l’arbitraire, favoriser l’ambition, et opprimer ou usurper la représentation nationale (l). (1) AD XVIIIe 245, n° 1, p. 1-19. Voir P. V., n° 1 1 .