[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 juillet 1790.] vain. Vous vous hâterez, Messieurs, de décréter tous les encouragements et de prendre, dès ce moment, toutes les mesures qui doivent un jour vous assurer les mêmes avantages; le rapport et le projet de décret de votre comité vous en préparent les voies. Ces avantages sont précieux, une foule de bras oisifs vous demandent de l’emploi. Considérez surtout le monde immense de femmes et d’enfants que ces manufactures emploieraient et que, sous le rapport de la morale, non moins que sous celui de l’humanité et de la politique, il est si important de soustraire à l’oisiveté, cette éternelle corruptrice des mœurs. Par tous ces motifs j’appuie (sauf de légères modifications sur quelques articles) le projet de décret qui vous est proposé par votre comité, et spécialement la disposition de l’article 4 pour le retour provisoire. J’adopte, toutefois, l’article 21 du projet de décret de M. Nairac (1) parce que je pense, comme lui, que les encouragements effectifs sont nécessaires à la prospérité de nos manufactures de toiles de coton, et qu’il ne suffit pas, pour atteindre à ce but, d’imposer les toiles de l’Inde et les toiles étrangères. Plusieurs membres demandent l’impression du discours de M. Bégouen. L’impression est ordonnée. On demande la clôture de la discussion. M.Rœderer. Les raisons pour et contre n’ont pas toutes été produites. Je demande le renvoi à une autre séance. Ce renvoi est prononcé. La séance est levée à dix heures du soir. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 8 JUILLET 1790. AFFAIRE DES TROUBLES DE SOISSONS. Lettre de cent-vingt citoyens de Soissons à l’Assemblée nationale. Du 23 juin 1790. Nosseigneurs, Les citoyens de Soissons, après de longs débats, et par la médiation de M. l'abbé Expilly, venaient enfin d’établir une municipalité constitutionnelle. Elle offrait dans son organisation tout ce qui (1) M. Nairac a dit qu’il croit démontré que l’Europe ne reçoit pas assez de coton des colonies et du Levant pour alimenter ses manufactures. Je ne sais de quelle manière cette assertion pourrait être démontrée, mais elle ne fait rien à la question. Nous nous occupons de la France et non de l’Europe. — Or, il est constant que nous fournissons à l’Angleterre une partie des cotons en laine que nous recevons de nos colonies. — Donc nous renvoyons vers nos rivaux des matières premières, au lieu de les employer pour nos propres manufactures. Il est constant encore que nos colonies peuvent doubler leurs cultures de coton par l’extension de nos manufactures, et l’encouragement qui résulterait de l’augmentation de leurs demandes. pouvait contrarier l’amour-propre des partisans de l’ancien régime; de simples bourgeois, marchands, ouvriers, artisans, se trouvaient élevés aux places de municipaux et de notables. Leurs adversaires multipliés et puissants imaginèrent, pour les traverser, de former une société qui, sous le nom de club potriotique , réunissait à peu près tous les ex-privilégiés, dont le nombre est considérable à Soissons. De leur côté, les partisans de la Révolution, pour soutenir la municipalité, qui leur paraissait trop faible contre une pareille coalition, se réunirent en une société qui, peu après, obtint le précieux avantage d’être affiliée à la société des amis de la Constitution de Paris. De cette société étaient membres le maire, les officiers municipaux et plus des trois quarts des notables. Le maire la présida le premier mois, et le procureur de la commune le mois suivant. Alors (s’il est permis de s’exprimer ainsi), les deux partis se trouvèrent fort à fort, et la municipalité soutint avec égalité la lutte contre les ex-privilégiés : mais cet état ne convenait point à ceux qui avaient projeté de s’élever sur le3 ruines de la municipalité. La fixation du chef-lieu du département de l’Aisne dans une ville rivale, fut l’occasion dont on se saisit pour jeter de la défaveur sur les opérations de la municipalité, jusque dans la société des amis de la Constitution. De nouvelles inquiétudes étant survenues pour la fixation du siège épiscopal, les choses en vinrent au point, par les insinuations du parti opposé, que la plupart des officiers municipaux n’osaient déjà plus se rendre dans leur propre club, où on les accusait d’être la cause des pertes que la ville essuyait journellement. Les choses étant en cet état, les anti-municipaux négocièrent une réunion entre les deux sociétés, qui eut effectivement lieu les 12 et 13 juin, et qui eût pu avoir les plus heureux effets, si la municipalité eût été comprise dans la capitulation, et si l’on n’eût point saisi, pour la signer, l’instant de son éloignement. Il résulta de cette réunion que le peuple reprit, sous une forme nouvelle, le joug des ex-privilégiés ; aussi les vrais amis de la Constitution désertèrent-ils incessamment ce club, pour l’abandonner à leurs rivaux. En cet état de choses, le club forma une pétition de cent cinquante citoyens actifs, pour obtenir une assemblée générale de la commune. EUe fut fixée, pour ménager la perte du temps aux ouvriers, au dimanche 13 juin. Nous ne nous étendrons pas sur les scènes mortifiantes de cette assemblée, parce queM. Je maire est porteur de son procès-verbal ; il suffira de dire que les ex-privilégiés y dominèrent, que les officiers municipaux qui y présidèrent y furent honnis, bafoués, vilipendés ; que ce ne fut qu’a-près la séance fermée, et rouverte par la complaisance de M. le maire, qu’un petit nombre (1) (1) Quarante-quatre seulement, sur plus de mille citoyens dont l’assemblée fut composée et qui se retirèrent à neuf heures du soir (hors ces quarante-quatre et trois de ceux que ce petit nombre a nommés députés), après avoir entendu dire à M. le maire que la séance était finie. Qu’on lise le procès-verbal de cette assemblée, et on n’y verra que quarante-sept signatures, y compris celle de ces trois députés. Dans leurs pouvoirs il n’est pas dit un mot sur aucun club. Dans tout ce qu’ils font à cet égard, ils sont sans caractère, et le conseil général n’a point de contradicteurs. 762 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 juillet 1790.] de membres de la commune choisirent quatre députés pour Paris parmi les membres de l’ancienne société patriotique, qui remportèrent encore cet avantage sur les vrais amis de la Constitution. Alors leurs prétentions ne connurent plus de bornes : ce que l’on aurait peine à se persuader, le lendemain même de l’assemblée générale, ils avaient déjà fait signer et présenter une pétition de cent cinquante citoyens actifs, pour en demander une autre pour le jour suivant, abusant sans pudeur d’un décret qui fait le plus sûr rempart de la liberté publique contre le despotisme ui pourrait s’introduire dans les municipalités ; espotisme qui ne pourra jamais affecter la municipalité de Soissons : 1° à cause de son attachement à la Constitution (1) ; 2° à raison de sa faiblesse relative contre le parti qui lui est opposé. La municipalité prévoyant les suites d’une pétition aussi déplacée, remit à y faire droit après que son maire, qu'elle députa incontinent à Paris, aurait pris les ordres de l'Assemblée nationale sur une demande aussi extraordinaire. Ce refus devint bientôt le prétexte de nouvelles calomnies, et M. le maire, le jour de son départ pour Paris (le 15 juin), se trouva tellement menacé, qu’il crut devoir requérir que, pour la sûreté et la tranquillité publiques, une brigade de maréchaussée se transportât (secrètement cependant, pour éviter l’alarme) à l’hôtel de son commandant. Nouveau sujet à la calomnie. On inculpe le maire d’avoir demandé la maréchaussée au mépris de la garde nationale, quoique la garde nationale fût l’ouvrage de ce même maire, qui, seul avec la municipalité, l’avait créée, composée, mise en activité, malgré tous les efforts du parti opposé : c’est une de ces vérités dont on peut dire qu’à Soissons les murs mêmes sont témoins; ce qui prouve invinciblement qu’il n’a jamais pu la mépriser. La société patriotique toujours dominante, l’exclub des amis de la Constitution imagine une adresse aux représentants de la nation, avec quatre chefs de demande, dont les trois premiers portent évidemment sur des objets d’utilité publique; le quatrième même, ne paraissant avoir pour objet que de disculper la ville de Soissons auprès des représentants de la nation, ne présente qu’un objet louable : aussi n’est-ce que dans le second membre de la période que le venin est caché. Là, le chef du corps municipal est formellement accusé d’avoir donné des ordres pour la sûreté de la municipalité, qui n’était pas menacée, et pour la tranquillité publique, qui n’était pas troublée : c’est-à-dire que les pétitionnaires, sans s’en douter, au moins pour la plupart, accusaient M. le maire de mensonge et de calomnie. Les citoyens simples et sans défiance furent pris au piège ; et, sans entrer en discussion sur le second membre du quatrième chef, signèrent aveuglément la pétition (2). On peut prouver que sur cinq cents signatures, il n’y a guère que trois cents citoyens actifs, dont les deux tiers au moins sont de l’ancien régime , pour ne rien dire de plus ; le surplus est de citoyens inactifs, de jeunes gens, de signatures répétées et même d’étrangers, qui ont signé par bienveillance sur (1) Elle en a donné plusieurs preuves à l’Assemblée nationale et trop récentes pour qu’elles soient oubliées. (2) Des rétractions nombreuses sont annoncées et seront mises sous les yeux de l’Assemblée nationale. les trois premiers chefs de pétition. Les vrai» amis de la Constitution indignés de l’artifice, et spécialement du propos que l’on ferait sauter , c’est-à-dire changer la municipalité, s’élancent au milieu du club, tout à coup, sur la boîte de laquelle, comme de celle de Pandore, sortent tous les maux qui affligeaient la ville, sans même que l’espérance de les voir finir restât au fond, s’en emparent, heureusement sans accident, par la retraite prudente des membres de l’ancienne société patriotique, et arrivent, suivis d’un peuple nombreux, à l’hôtel commun, où ils requièrent que le scellé soit apposé sur la boîte fatale. Mais, dans l’intervalle, l’inquiétude et la terreur se répandent. L’officier (1) de la garde vient annoncer à l’hôtel de ville que les deux partis sont aux mains. On lui ordonne de voler à leur secours avec les forces de son poste. Plusieurs officiers et notables le suivent. Le conseil général, peu nombreux, et qui venait de clore la séance, agite déjà s’il fera déployer le drapeau rouge. Le calme succède à la plus vive agitation, lorsqu’une multitude de citoyens, qui escortent la boîte, annoncent que personne n’a été blessé, mais que tous les aristocrates (ce sont les termes) sont en fuite. Cependant l’officier municipal, faisant les fonctions de procureur de la commune, avait requis cent hommes de garde nationale extraordinaire. Les patrouilles sont en activité, les postes essentiels doublés. A ce moment, la multitude de citoyens qui remplit le salon et les pièces attenantes à l’hôtel de ville demande à cris redoublés l'interdiction des clubs, comme causant depuis trois mois le malheur des citoyens les plus respectables, et des pères de famille les plus intéressants, principalement à cause d’une menace faite à plusieurs ouvriers de les quitter, dans un temps surtout où l’ouvrage est rare et précieux ; comme ayant exposé, au moment même, des citoyens (qui avant l’érection des clubs, vivaient en frères) aux suites toujours redoutables d'une insurrection ; en un mot, comme étant un germe perpétuel de dissention dans une ville trop peu peuplée pour avoir deux de ces établissements, c’est-à-dire deux partis toujours subsistants. Sur cette réquisition, deux officiers municipaux en écharpe, et deux notables, assistés d’un secrétaire-greffier, se rendent aux deux clubs, tant à celui où s’était opérée la réunion, qu’à celui qui, quoique réuni, avait encore conservé son premier local, où on préparait les matières à discuter dans les assemblées. Le scellé est apposé et les deux clubs provisoirement interdits. Les officiers reviennent aux acclamations d'un peuple nombreux. Enfin, le zèle et la sagesse de M. le major, des officiers, sous-officiers et soldats de la garde nationale, assurant le conseil général de la tranquillité de cette nuit qui s’était ouverte par une scène aussi alarmante, le conseil, qui qui s’était réuni une seconde fois sur la clameur publique, se sépare à minuit ; et l’officier faisant les fonctions de procureur de la commune, assuré que tout est rentré dans l’ordre, se retire, après avoir conféré une dernière fois avec M. le major qui lui atteste ultérieurement le rétablissement de la tranquillité. Telle est, Nosseigneurs, dans l’exacte vérité, la série des événements qui ont failli se terminer, (1) Son rapport, écrit de sa main et signé de lui, est imprimé à la suite de cette lettre, et joint aux pièces étant entre les mains de M. le rapporteur de cette affaire dans le comité de rapports ; avec cette lettre, il supplée le procès-verbal, que le tumulte de la circonstance n’a point permis à la municipalité de dresser. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 juillet 1790.1 763 le vendredi 18 juin au soir, par une insurrection dangereuse, dont la vigilance du conseil général, le zèle de la garde nationale et le caractère de douceur et de générosité de nos concitoyens ont heureusement empêché les suites. Sur quoi les citoyens soussignés vous supplient de décréter que provisoirement, et jusqu’à ce que la fermentation qui règne dans les esprits soit calmée, les choses restent en cet état ; et déjà redevables à vos soins paternels du premier des biens, de la liberté, ils vous devront encore leur tranquillité et leur sûreté. Signé: Drigni, caporal; Gérard, marchand tapissier; Duhamel, soldai national; Gérard, chapelier, soldat de la garde nationale ; Mulot, soldat national ; Valot, lieutenant de la garde nationale; Pillont-Deville; Soumacher; Corneli ; Chevalier, traiteur; Pivot; de la Croix; Rivierre; Charles Leclerc; Tingri; Osselin-Gouslaut, lieutenant de la garde nationale; Flament; Michel de Mont val ; Revercaux ; d’Auvergne ; Levasseur; Quinquet, capitaine de la garde nationale ; Jur-geans, soldat de la garde nationale; Vauvillé ; Roussel ; de Corse ; Fabus, cordonnier ; Thérotte l’aîné; Bourdon ; Carlier; François Maréchal; Vil-loque fils; Guion fils; André Yve, Turaux fils; Flamant-Yaudendriez; Leroux; Pierre Bourgier; Letellier ; Agouin ; Morlet ; Prévost fils ; Nicolas Flamant; Dru fils, marchand drapier ; Dru père; d’Auvergne, notaire; Binard, soldat de la garde nationale; Richeron ; Mignot; Hédouin; Jupin, marchand fripier ; Moury ; Lebrun ; Picard ; Naudet, Rousin; Jupin l’aîné; Istre Roger; Os-seim, notaire ; Bertrand ; Durand ; Buguieourt ; Ohtte Campamgne ; Pezontos-Uvalle ; Levasseur, sous-lieutenant de la garde nationale; Tingri, sergent, Nicolas Solalie; Thévoitte le jeune, garde national ; Nirigaux, meunier; Delahaye; François Tingri ; Vanisier ; Vauvillé, maître tonnelier ; Fouget; le Paon; Dubois, potier; Barbier; La-dague ; Moiselot l'aîné ; Malo, coutelier ; Henri Guenne ; Maséré ; Humel ; Henique ; Humel ; Dudon; Bézu ; Pourvilit; Humel; Joseph Monté-nécourt; Jupin; Monténécourt ; Mahy ; Dudrumet; Faquy-Veaumarne; Nicolas Charlier;Ghar lier ; Char-pentier; Mëlay; Pillet, maître d’école ; Lefebvre, maître charron; ûucoffre; Pado, serrurier; Sénéchal ; Bendaut ; Roland, caporal de la garde nationale ; Levasseur ; Fiet ; Morlon ; Pierre Dubois; Le Grand-Gosse; Evrard; Paulhet; d’Au-teuil;Bressaud, marchand; Guillaume, marchand; Morel, marchand ; Dumont; Paiublanc, chanoine; Houdry; Paris, serrurier; Caplet. L’original ès mains de M. le rapporteur du comité de rapport. Le 3 juillet, proclamation du conseil général de la commune de Soissons, d’après une lettre du comité des recherches de l’Assemblée nationale du 30 juin, par laquelle proclamation, pour la grande considération de la sûreté publique menacée, si le chef rouvrait : il est fait défense à toute personne de tenir des assemblées particulières, ou d’y concourir , sans avoir préalablement averti la municipalité de l'heure et du lieu de ces assemblées, conformément au titre 62 du décret constitutif des municipalités. Toutes les lettres venant de Soissons, soit du conseil général, soit de la municipalité, soit de particuliers, tous les rapports de ceux qui arrivent de cette ville à Paris, annoncent que le calme règne à Soissons, depuis que le club a cessé, mais que l’agitation renaîtrait, s’il rouvrait : en sorte que le conseil général supplie l’Assemhlée nationale de laisser subsister la proclamation, pour que là municipalité se livre avec sécurité à ses fonctions. Quant à la boîte dont il est question en la lettre ci-dessus, la municipalité, qui l’a reçue pour éviter une insurrection, n’entend point et n’a jamais entendu la retenir. Le conseil général est prêt à la remettre, dès qu’il le pourra, sans qu’il en résulte de la fermentation ; mais tant qu’elle est à craindre, son devoir est d’en éloigner toutes les causes. Il est très important d’observer que les citoyens qui ont enlevé cette boîte du club en sont membres avant sa réunion au second ; qu’ils étaient à la séance où cet enlevèment a eu lieu, et qu’ils se sont crus autorisés à s’emparer de cette boîte sur le refus qui leur a été fait de leur communiquer plusieurs pièces ; que lorsqu’ils sortirent de la salle du club avec cette boîte, dont ils se regardaient comme propriétaires, ils furent suivis jusqu’à l’hôtel de ville de plus de deux cents personnes. Quant au scellé apposé par la municipalité sur les clubs, la lettre ci-dessus et le rapport de l’officier de garde prouvent encore que la municipalité devait aussi cette apposition à la tranquillité publique. Dans un temps plus calme, quand la division cessera entre les citoyens de Soissons, le conseil général s’empressera de rendre hommage à la liberté, en rouvrant les clubs, aussi utiles, quand la paix et un même esprit y rassemblent les citoyens, que dangereux , qu’alarmants, lorsque deux partis partagent toute une ville, soit qu’il n’y existe qu’un club, soit qu’il y en ait deux. Rapport fait à la municipalité de Soissons, par l’officier de garde , de ce qui s'est passé dans la soirée du vendredi 48 juin 1790, au clubdes Cordeliers . Je, soussigné, Remi-Antoine Furcy-Lampon, sous-aide major de la première division de la garde nationale soissonnaise, atteste ce qui suit : Que me rendant aux Cordeliers, pour y assembler la garde, ainsi qu’il était d’usage, j’entendis beaucoup de bruit dans une salle proche du cloître de ce couvent où se tenait le club dit des « Amis de la Constitution;» alors, craignant que ce bruit ne devînt dangereux, je priai les fusiliers de la garde de laisser leurs fusils dans le cloître, afin que personne n’entrât dans la salle du club. Mais, voyant enfin que ce tapage augmentait, je crus qu’il était de la prudence d’en prévenir la municipalité ; c’est ce que me vinrent conseiller plusieurs personnes qui avaient pu s’échapper de ce club. Arrivé à la municipalité, je rendis compte de ce qui se passait ; l’on me remit un ordre signé Dieu, procureur de la commune, pour que la garde se transportât au club des Cordeliers, à l’effet de ne laisser entrer personne. Retournant à la garde qui allait se former pour remplacer l’ancienne, je la vis toute dispersée ; je m’adressai à quelques membres qui restaient, à l’effet de leur faire part de l’ordre dont j’étais porteur ; ils me répondirent que la garde n’étant point encore formée, c’était à l’ancienne garde à marcher. Voulant suivre cet avis, d’autant plus fondé, que l’ordre ne portait pas si ce serait l’ancienne garde, qui était alors incomplète, qui marcherait, ou la nouvelle, je voulqs retourner au corps de garde de la place, pour faire mettre le plus promptement possible cet ordre à exécution, attendu que le bruit et les clameurs qui se faisaient en'- 764 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 juillet 1790.1 tendre donnaient lieu de croire que l'on en était aux mains. Aussitôt, j’aperçus plusieurs personnes qui sortirent avec une boîte, et se rendirent à la municipalité. Les disputes s’étant alors apaisées, je revins, à la sollicitation des fusiliers qui me dirent de faire défiler la garde. M’étant rendu sur la place à cet effet, M. Roussel, sous-aide major, me fit part d’un nouvel ordre de la municipalité, adressé à M. Glacy, capitaine, à cause de l’absence deM. le major, par lequel messieurs de la municipalité requéraient cent hommes de garde, pour maintenir le bon ordre qui paraissait alors troublé. J’annonçai donc aux sergents et caporaux d’ordre cette réquisition, qui fut exécutée peu de temps après. Ma garde défilée, et ce service fini, je remontai à l’hôtel de ville, où l’on me chargea de deux ordres pour M. Vallot, alors officier de garde, à l’effet, l’un de faire des patrouilles sur-le-champ, l’autre ensuite, portant que les patrouilles dissiperont, le plus doucement possible, les attroupements qu’elles rencontreront. MM. les officiers municipaux ayant manifesté qu’ils craignaient encore de nouvelles insurrections, et les voulant éviter, me donnèrent ordre verbal de les suivre avec un piquet de trente hommes, pour aller fermer la salle du club des Cordeliers : nous étant transportés à la porte de ce couvent avec MM. Le Lièvre et Floquet, officiers municipaux, la première porte d’entrée se trouva fermée. L’on fit sonner à plusieurs reprises; personne ne vint, et l’on se retira. Seconde réquisition semblable nous fut faite, en présence deM. Garnier, major, pour nous rendre dans un lieu destiné à la société dite Patriotique, où étant, nous fûmes introduits par la fille de M. Daras dans deux appartements, le premier au rez-de-chaussée, qui paraisait destiné à la lecture des nouvelles. Etant ensuite montés au premier étage, nous avons trouvé une chambre garnie de tapisseries, chaises rangées, bureau, fauteuils et tribune: alors M. Devillers, faisant les fonctions de greffier, dressa procès-verbal et ensuite apposa le scellé sur les portes de ces deux appartements. Après quoil’on descendit dans la salle à manger de M. Daras, où l’on fit signer le procès-verbal par la domestique qui était présente à la visite ; nous avons tous signé et quatre fusiliers seulement, et nous nous sommes rendus à l’bôtel de ville dans le même ordre ; le piquet ayant repris son poste, nous nous retirâmes. Lesquels faits je certifie conformes à la vérité. A Soissons, ce 21 juin 1790. Signé : Lampon fils, sous-aide major. Proclamation du conseil général de la commune de Soissons, du 2 juillet 1790. Le comité des recherches vient de consacrer, par une approbation authentique, les principes qui ont dirigé le conseil général dans la suspension provisoire de l’assemblée qui tenait ses séances aux Cordeliers. Ces principes reposent sur l’obligation étroite imposée par la loi à toute administration municipale, de veiller au maintien de la sûreté et de la tranquillité publiques, et de prendre, par conséquent, toutes les mesures nécessaires pour prévenir ce qui pourrait les compromettre ou les altérer. Cependant, s’il pouvait exister quelques doutes sur la légalité des démarches du conseil général, la décision du comité des recherches suffira pour prouver à tout citoyen véritablement ami de la Constitution que le conseil général n’a point excédé les bornes d’une sage surveillance, en interdisant provisoirement une assemblée devenue la cause d’une effervescence dangereuse, et en se précautionnant contre celles que l’on n’aurait pu tenir ailleurs sans s’exposer au même inconvénient. Lettre du comité des recherches de VAssemblée nationale , à MM. les maire et officiers municipaux de la ville de Soissons. « Paris, le 30 juin 1790. « Le comité des recherches a examiné votre « adresse et les pièces y jointes. Il pense, Mes-« sieurs, que la loi ayant prononcé que les « citoyens ont droit de s’assembler paisiblement « et sans armes, après en avoir prévenu les offi-« ciers municipaux, a exigé incontestablement « que la condition de paix et de tranquillité fût « remplie. C’est donc aux municipalités, aux-« quelles la police est confiée, de veiller au main-« tien de l’ordre et de la tranquillité publics, « et lorsqu’il est manifestement prouvé qu’une « assemblée mésuse de la liberté pour détruire « la liberté même et troubler le repos public, les « administrateurs sont fondés à suspendre cette « assemblée ; ainsi, la municipalité de la ville de « Toulouse a donné une preuve de sa prudence « et de sa sagesse en suspendant, par une procla-« mation motivée, des assemblées qu’elle avait « approuvées ; ainsi, la municipalité de la ville « de Paris a suspendu une assemblée qui, malgré « une protection continuelle de la police, produi-« sait un mouvement tumultueux dans le peuple « et faisait craindre des événements fâcheux. Le « comité croit donc devoir approuver les mesures « sages que vous avez prises pour suspendre une « assemblée qui occasionnait des agitations nui-« sibles au repos public. « J’ai l’honneur d’être, Messieurs, votre très « humble et très obéissant serviteur. Signé : Charles Voidel, vice-président ; et « Charles Cochois, secrétaire. » Le corps municipal, vu la lettre ci-dessus, ouï les conclusions de l’officier municipal faisant les fonctions de procureur de la commune, et après avoir pris l’avis de messieurs les notables, fait défense à toute personne de tenir des assemblées particulières, ou d’y concourir, sans avoir préalablement averti la municipalité de l’heure et lieu desdite assemblées, conformément au titre 62 du décret constitutif des municipalités, sous peine de désobéissance ; ordonne, en outre, que le présent arrêté sera lu, publié et affiché dans tous les lieux bublics et carefours de cette ville et faubourg à ce que personne n’en ignore. Fait en l’hôtel de ville lesdits jour et an. Signé : Pourcelle aîné, président; Le Lièvre, üantao, Carpette, Floquet, officiers municipaux ; Dieu, officier municipal, faisant les fonctions de procureur de la commune ; Àrouy, Huet, Macadré, Millet, Dehureau, Bression, Latson, Ringard, Tingry, marchand, le Grand, Devillers, Delobelet D’Auvergne, secrétaire-greffier. Précis présenté à l'Assemblée nationale pour le conseil général de la commune de Soissons, le 8 juillet 1790. L’Assemblée nationale va prononcer entre deux partis qui divisent la ville de Soissons ; les exprivilégiés, tous ceux qui tiennent à l’ancien ré- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 juillet 1790.] gime, et la nouvelle municipalité, avec elle les notables et toute la partie des habitants de Sois-sons qui sont attachés à la Constitution. Les ex-privilégiés, les anciens dominateurs de cette ville, voient avec indignation que toutes les places de la municipalité leur ont échappé. Ils ont formé le plan de renverser cette municipalité constitutionnelle et de se ressaisir de l’autorité. Pour y parvenir, ils se soDt transportés du club qu’ils occupaient dans un autre, formé par la municipalité et né avec elle. G’est là qu’ils égaraient le peuple par des motions continuelles contre les officiers municipaux; c’est là qu’ils leur ôtaient la confiance de leurs concitoyens. Ce club, en peu de jours, était devenu une commune permanente, rivale de la municipalité et du conseil général. La tranquillité publique était troublée. Les haines, les animosités renfermées dans un espace étroit, éclataient au dehors et faisaient craindre les derniers excès. Les choses en étaient venues à ce point lorsque, le 18 juin, ce club a été dissipé par une trentaine de ses anciens membres, et dans une séance où ils étaient. Ils en ont ôté, sans commettre aucune violence, une boîte qui renfermait quelques papiers. Ils l’ont portée comme en triomphe et accompagnée de plus de deux cents personnes à l’hôtel de ville. Ils y ont demandé que les scellés y fussent apposés, et que ce club et celui que l’aristocratie n’avait quitté qu’en apparence fussent provisoirement interdits ; c’est ce qu’a fait la municipalité en apposant les scellés sur la porte de ce dernier club. Depuis, une décision du comité des recherches a approuvé la conduite de la municipalité de Soissoos. Le calme y règne par l’interruption de ce club, dont tous les citoyens paisibles des deux partis désirent la suspension ordonnée par une proclamation du conseil général de cette ville, proclamation jointe à cette décision du comité des recherches. Telle est l’affaire qui doit être incessamment rapportée à l’Assemblee nationale. La municipalité ne prétend point retenir la boîte du club. Elle n’en est que dépositaire. Elle ne pouvait refuser ce dépôt ni l’apposition des scellés sur un des clubs sans occasionner une insurrection. Elle est prête à renvoyer cette boîte dès que les mouvements dans le peuple, pour cette remise même, ne seront plus à craindre. Gette municipalité est loin de vouloir proscrire irrévocablement les clubs. Elle est trop pénétrée des principes de la Révolution pour former même un désir opposé à la liberté. Mais elle demande que le club qui agitait tout Soissons, qui alarmait ses habitants, ne reprenne point ses séances jusqu’à ce que la fermentation qui règne dans cette ville soit apaisée. Par là, elle remplit son plus saint devoir, de veiller à la sûreté publique. Cependant il n’est rien que ses ennemis ne tentent contre cette municipalité. Ils osent lui imputer d’avoir coopéré à l’enlèvement de ia boîte du club. Elle défie ses adversaires d’administrer la moindre preuve de cette imposture. Si elle a pu s’accréditer par la hardiesse à 1a soutenir, la municipalité demande qu’une information constate sa conduite à cet égard. Elle a reçu la boîte, elle le devait. On lui fait un reproche de l’apposition des scellés sur un club. La lettre des citoyens de Soissons à l’Assemblée nationale, le rapport de l’officier de garde, imprimé avec cette lettre, prouvent que cette apposition de scellés a été, de la part de la municipalité, un acte de sagesse et nécessaire pour prévenir les suites d’une agitation qui ne faisait que croître, et même pour garantir la maison où était ce club. S’il existe des doutes sur cet objet, la municipalité demande encore qu’il en soit informé. Contre son assertion, contre les pièces qu’elle produit, des actes fournis par ses ennemis, composés et rédigés par eux, des signatures mendiées ne peuvent rien faire préjuger. Pour improuver un corps administratif, il faut à l’Assemblée nationale des preuves constantes. Jusque-là, cette auguste assemblée est l’égide des municipalités, qui ne peuvent se soutenir que par une considération qu’il importe au progrès de la Révolution de leur conserver. Enfin, les ex -privilégiés nient qu’il y ait deux partis à Soissons et que le club dans lequel ils ont eu l’adresse de s’incorporer (ce qu’ils méditaient depuis longtemps) ait causé la moindre agitation. A les entendre, « ils dressent des autels à la « Constitution, ils sont les défenseurs de la muni-« cipalité ; la paix, la douce paix a réuni leur « club à celui des amis de la Constitution ; iis « sont venus trouver leurs frères pour s’entretenir « avec eux des avantages de la Révolution. Ils ne « sont occupés dans le club qu’à des matières « publiques, que d’objets généraux, jamais de la « municipalité, moins encore de la combattre, « de lui susciter des ennemis, de lui prêter des « torts et de méditer contre elle de continuelles « pétitions. Ils sont enfin les vrais, les bons amis « de la Constitution. Plusieurs d’entre eux portent « l’habit de garde nationale. Ils sont des persé-« cutés par la municipalité, s’ombrageant (1) de « toute assemblée, sans doute pour administrer « despotiquement et sans contradicteurs. » Il faut enfin leur répondre, puisque leurs chefs, leurs organes, ont nécessité cet éclat; le moment est venu de publier des vérités que la modération a tenu cachés jusqu’ici. S’il n’y a point deux partis à Soissons, pourquoi, au moisldeifévrier dernier, la députation des ex-privilégies et celle du peuple à l’Assemblée nationale, à l’occasion de troubles dont M. l’abbé Expilly a été le pacificateur ? Pourquoi le 21 de ce même mois, une des trois assemblées primaires formées pour l’élection de la nouvelle municipalité, a-t-elle été, sur la réquisition de l’ancienne municipalité, dissipée, et M. l’Herbon, son président (aujourd’hui officier municipal), misen fuite, quinze jours après le commencement de ses séances, par un détachement d’un régiment appelé, conservé depuis près d’un an à Soissons ? Pourquoi, à cette époque, des citoyens ont-ils été arrêtés par ordre de cette ancienne municipalité ? Pourquoi la garde nationale a-t-elle trouvé tant d’obstacles à se former; que ce n’est que depuis le mois de mai dernier et par les soins, la sollicitude et le zèle de la nouvelle municipalité qu’elle existe ? Pourquoi, pendant plusieurs mois après la Révolution, dont l’anniversaire va se célébrer avec tant d’éclat, était-ce à Soissons, non seulement un ridicule, mais presque un crime de porter la cocarde nationale ? Pourquoi le bailliage de Soissons vient-il de prononcer une condamnation provisoire et en (i) Elle est fondatrice de ce club qu’ils ont tourné contre elle. La première assemblée générale qu’ils ont convoquée, l’a été par le conseil général, et malgré les ex-privilégiés qui s*y sont opposés par une pétition, 766 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [S juillet 1790.Î dernier fessort contre la municipalité, pour raison d’une modération qu’elle a accordée sur la taxe du pain, proportionnellement à la diminution du blé? Pourquoi ........... mais il faut penser à la brièveté que doit avoir cet écrit et sacrifier à sa précision une foule d’autres traits semblables à ceux (1) qu’on vient de rapporter. Il y a donc deux partis à Soissons. Croira-t-on que celui des ex-privilégiés n’ait offert, depuis l’élévation de la nouvelle municipalité que le spectacle touchant qu’il étale par ses représentants à Paris ? Qu’on lise la lettre ( qu’on a déjà citée) des citoyens de Soissons a l’Assemblée nationale; qu’on consulte l’enquête faite à la municipalité et les déclarations du nombre de citoyens sur ce qui s’est passé au club et sur les suites de ses séances depuis que les ex-privilégiés en sont les maîtres ; qu’on parcoure le procès-verbal [2} (1) Il y a deux mille témoins et pour ceux-là les en nemis de la municipalité n’oseront pas les démentir. (2) Il est joint aux pièces produites au comité chargé du rapport de cette affaire. dressé par le conseil général de la Commune, de ce qui s’est passé à la séance de l’assemblée générale de la commune du 13 juin, et on verra si les ex-privilégiés se sont conduits dans ce club comme ils rassurent ici ; et on se convaincra du trouble qui menaçait Soissons si ce club eût subsisté. Au reste, — et c’est où réside tout l’intérêt de cette affaire, — si le club a alarmé la tranquillité publique, on ne croit pas qu’on trouve de contradiction en soutenant qu’il doive être suspendu. Si les preuves apportées par le conseil général ne paraissent pas suffisantes, encore, à cet égard, la municipalité demande des commissaires chargés de vérifier les faits, tout demeurant en état. Si le recours du conseil général de la commune de Soissons et les pièces qu’il produit, et le jugement qu’en a porté le comité des recherches, paraissent devoir convaincre l’Assemblée nationale du danger qu’il y aurait à Soissons de rouvrir un club dans ce moment ; la municipalité, les notables, supplient l’Assemblée nationale de décréter conformément à l’avis du comité des recherches. FIN DU TOME XVI.