[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.] 141 procès-verbal de la séance d’hier n’aura lieu qu’à la séance du soir. M. de Curt présente une troupe de jeunes élèves de la pension de M. de Prévert, à Picpus, qui offrent en don patriotique une somme de trois cents livres représentant le quart de leurs menus plaisirs. L’un des jeunes élèves dit : « Nous jurons de nous instruire de vos sages décrets, d’en faire notre principale étude, et nous graverons dans nos cœurs le décret que nous attendons de vous sur l’éducation nationale. Puissions-nous nous rendre dignes d’être un jour citoyens actifs chez une nation qui ne connaît plus d’autres privilèges que ceux du mérite et des vertus !. » M. le Président leur a fait la réponse suivante : « C’est au nom de la patrie que l’Assemblée nationale accepte votre offrande ; toujours sensible aux traits de patriotisme, elle voit avec une satisfaction plus particulière le germe des vertus civiques se développer dans le cœur des jeunes citoyens. » L’Assemblée permet à ces enfants d’assister à la séance et les couvre d’applaudissements. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur la division des départements du royaume. M. Gossin, organe du comité de constitution, propose un décret relatif à la division du département de Bordeaux. Plusieurs députés de la sénéchaussée sont entendus pour et contre les villes de Bourg et de Blaye. M. le Président met aux voix le projet de décret du comité, qui est adopté ainsi qu’il suit : I. « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de constitution: « 1° Que les limites du département du Bordelais demeurent fixées conformément aux délibérations prises par les députés du département, et par les députés des départements limitrophes; « 2° Que la ville de Bordeaux est chef-lieu du département du Bordelais, lequel est divisé en sept districts, dont les chefs-lieux sont Bordeaux, Libourne, la Réole, Bazas , Cadillac , Bourg ou Blaye et Lespare ; « 3° Que la division de ces districts en cantons est seulement provisoire; que la première assemblée de département est autorisée à rectifier toutes erreurs, et à faire les changements que les convenances locales exigeront ; « 4° Que l’assemblée de département déterminera aussi l’établissement qu’elle jugera convenable de fixer dans la ville de Sainte-Foy, unie au district de Libourne : « 5° Que la ville de Castelmoron d’Albret, faisant partie du district de la Réole, étant en possession, depuis plusieurs siècles, de trois cours de justice, pourra être le siège de l’un des établissements que l'assemblée de département jugera convenable d’y fixer ; « 6° Que, sur les difficultés qui se sont élevées pour savoir laquelle des deux villes de Bourg ou de Blaye serait le chef-lieu du district établi dans cette contrée, la première assemblée des électeurs de ce district, qui se tiendra dans la ville de Bordeaux, décidera cette contestation à la pluralité des suffrages, à laquelle assemblée n’assisteront pas les électeurs des paroisses du Fronsadois, taisant actuellement partie de ce district ; « 7° Que ces paroisses ont dès à présent l’option de s’unir au district de Libourne, ou de rester à celui de Bourg ou de Blaye, si elles le jugent plus convenable ; « 8° Que les électeurs du district de Bourg ou de Blaye décideront si le tribunal de justice et l’administration seront divisés entre ces deux villes, ou si ces établissements seront réunis. II. M. Gossin fait un autre rapport sur le bourg de la Guillotière, près de Lyon. Ce bourg, dit-il, est depuis 300 ans en procès avec la ville de Lyon ; ses habitants ont vu le terme de cette espèce de guerre, dans votre constitution en Assemblée nationale, et ses députés la supplient de donner à leur cause l’attention que le sénat romain accordait aux cités de l’empire sur le sort desquelles il prononçait. Le bourg de la Guillotière est séparé de Lyon par le Rhône ; ce fleuve est la limite générale du Dauphiné avec le Bugey, le Lyonnais et le Viva-rais ; il invoque la décision portée pour le bourg de Saint-Laurent que le Maçonnais a en vain prétendu obtenir. Tout prouve que le bourg de la Guillotière n’est pas un faubourg de Lyon, comme le prétend celle-ci. Tout le prouve, les querelles anciennes et nouvelles, les barrières entre Lyon et le bourg, les derniers arrêts du conseil, tout se réunit pour l’établir. Mais le comité a pensé que le bourg devait rester uni à Lyon. C’est une exception à tout ce que le comité a proposé sur des contestations de ce genre ; mais elle est nécessaire par l’importance de la ville de Lyon et de son commerce. Il est évident aussi que les habitants de la Guillotière doivent être citoyens de Lyon, participant aux mêmes avantages municipaux et administration communale. Le juger autrement ce serait établir la guerre entre les deux villes, miner le commerce de Lyon et nuire même à celui du bourg. Il ne faut pas que ces malheureux habitants soient comme autrefois des ilotes. Le temps de ces séparations haineuses, de ces existences solitaires, est passé. Les malheurs de la Guillotière, ce qui lui manque en prospérité, vient de la séparation de Lyon. Ils étaient ennemis, il faut qu’ils soient amis ; et ils le deviendront parce qu’il existe une grande vérité morale, c’est que l’intérêt rapproche les hommes que l’intérêt a divisés. Mais à quelles conditions ou sous quelles réserves ce bourg serait-il uni à Lyon ? ce sera l’objet d’un court rapport qui vous sera fait bientôt. En attendant le comité vous propose un premier décret. M. Périsse Duluc s’élance à la tribune et propose un amendement pour les intérêts de la ville de Lyon. M. Delley-d’JLgier, répond par un autre amendement favorable au Dauphiné. Une foule de membres : Aux voix ! la question préalable sur les amendements ! M. le Président consulte l’Assemblée, qu 442 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790. adopte la question préalable sur les amendements et sanctionne le décret du comité qui est ainsi conçu : « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de constitution : « 1° Que le bourg de la Guillotière appartiendra à la ville de Lyon ; « 2° Que le comité de constitution proposera incessamment son avis sur les demandes que le bourg de la Guillotière a subsidiairement formées dans le cas auquel il serait décidé qu’il ferait partie de la ville de Lyon, pour y être statué ce qu’il appartiendra. » III. M. Dupont (de Nemours) fait le rapport de la division du département d’Aunis et de Saintonge. Il dit que quelques habitants de la ville de Bar-bezieux demandent d’être réunis au département de Saintonge, mais le comité trouve plus utile qu’elle demeure dans celui de l’Angoumois. Quant au chef-lieu du déparlement, trois villes y prétendent, Saintes, La Rochelle et Saint-Jean-d’Angély. Après avoir exposé, avec une grande clarté, les motifs qui rendent faciles à concilier les prétentions de ces villes, le rapporteur propose un décret au nom du comité de constitution. M. Alquier représente fortement que la ville de La Rochelle, plus puissante, plus peuplée, plus riche, mérite d’être préférée comme chef-lieu ; que cette ville est en possession d’être le siège de l’intendance du gouvernement, d’un hôtel des monnaies et d’une sénéchaussée ; il invoque ensuite la protection que l’on doit aux villes de commerce et il finit par rappeler les traits de courage et de patriotisme donnés par les Rochelois en diverses circonstances. M. Griffon de Romagné insiste longtemps pour lire une adresse de la nouvelle municipalité de La Rochelle et un mémoire de M. Nairac, député extraordinaire de La Rochelle. Beaucoup de membres font remarquer que cela est contraire à l’ordre du travail et ne peut avoir lieu que dans les séances du soir ( voy . plus loin le Mémoire de M. Nairac). M. Regnaud (de Saint-J ean-d’ Angély) réplique que le décret proposé par le comité est conforme à l’intérêt public, tandis que La Rochelle voudrait qu’on lui sacrifiât les intérêts de la Saintonge, dont les habitants cultivateurs et pauvres ont besoin d’avoir leurs administrateurs au milieu d’eux. 11 justifie la fixation du chef-lieu du département à Saintes ou à Saint-Jean-d’Angély et conclut au rejet de la demande de M. Alquier. M. le Président met aux voix l’avis du comité, qui est décrété ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de constitution : « Que le département de Saintonge et d’Aunis sera divisé en sept districts, dont les six premiers auront pour chefs-lieux Saintes, la Rochelle, Saint-Jean-d’Angély, Rochefort, Marennes et Pons; dans le septième, les électeurs assemblés à Mont-lieu décideront si le directoire et les assemblées subséquentes y seront fixées, ou se tiendront ailleurs. « Le district de la Rochelle comprendra l’ile de Rhé, celui de Rochefort l’île d’Aix, et celui de Marennes l’île d’Oléron. « La première convocation de l’assemblée de département sera faite à Saintes, et la première session de cette assemblée et du directoire s’y tiendra. Les convocations et les sessions suivantes auront lieu successivement à La Rochelle et à Saint-Jean-l’Angely, à moins que, dans le cours de la première session, l’assemblée de département n’ait cru devoir proposer à l’Assemblée nationale une autre disposition définitive; et sous la réserve encore, dans le cas où l’alternat de l’assemblée de département ne se réaliserait pas, de fixer dans la ville de La Rochelle les établissements publics qui pourront y être placés, et particulièrement ceux qui seront les plus propres à favoriser son commerce, comme aussi d’avoir tel égard que de raison aux conventions faites entre les députés de Saintonge, et mentionnées dans le rapport du comité de constitution. » IV. M. le baron de Cernon fait un autre rapport sur la division du département du Verman-dois et du Soissonnais. M. Aubry du Rochet réclame pour La Ferté-Milon et demande qu’elle entre en partage dans la distribution des établissements à créer par la constitution. La question préalable sur l’amendement est demandée et prononcée. Le projet du comité est adopté dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de constitution : « Que le département du Vermandois et Soissonnais est divisé en six districts, dont les chefs-lieux sont Soissons, Laon, Saint-Quentin, Château-Thierry, provisoiremeni Guise et Chauny ; « Que les établissements du district de Guise pourront être partagés avec Vervins ; et que les électeurs du district, lors de leur première assemblée, statueront définitivement sur le choix du chef-lieu et sur la réunion ou division des différents établissements résultant de ta constitution ; « Que les électeurs du district de Chauny détermineront définitivement, lors de leur première assemblée, les chefs-lieux des différents établissements résultant de la constitution, de manière que ces établissements soient partagés, le plus également possible, entre les trois villes de Chauny, Goucy et La Fère, si toutefois le nombre de ces établissements le permet » . M. le Président fait lecture d’une lettre qui lui a été écrite par M. le comte d’Antraigues, à l’occasion du serment civique que chaque membre de l’Assemblée doit prêter. Paris, le 6 février 1790. « Monsieur le Président. « Je n’ai pu assister jeudi à la séance et prêter le serment civique, parce que je suis malade; mais je ne veux pas différer plus longtemps à prêter le serment imposé à tous les députés. « Je jure d’être fidèle à la nation, à la loi, au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le roi. « J’ai l’honneur de vous observer que je ne regarderai jamais comme une atteinte portée à la constitution, d’exposer dans ses discours et dans