SÉANCE DU 2 BRUMAIRE AN III (23 OCTOBRE 1794) - N° 50 393 leurs services dans les armées de la République (140). [Talot propose comme article additionnel, de décréter que copie de ce décret, certifiée par les représentans du peuple près du camp de Mars, sera délivrée aux élèves (141).] La séance est levée à trois heures. Signé, PRIEUR (de la Marne), président ; GUIMBERTEAU, ESCHASSERIAUX jeune, BOISSY [d’ANGLASj, Pierre GUYOMAR, GOUJON, secrétaires. En vertu de la loi du 7 floréal, l’an III de la République française une et indivisible, signé , GUILLEMARDET, J.-J. SERRES, BALMAIN, CAA. BLAD, secrétaires (142). AFFAIRES NON MENTIONNÉES AU PROCÈS-VERBAL 50 Merlin (de Thionville) se présente à la tribune (143). Bentabole observe que Merlin (de Douai) a un rapport à faire sur le mode d’accusation de ce représentant du peuple. Merlin (de Douai) obtient la priorité (144). Merlin (de Douai), au nom des comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, présente le projet de décret suivant : La Convention nationale, après avoir entendu ses comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, décrète : Art. premier. - Toute dénonciation contre un représentant du peuple sera portée ou renvoyée devant les comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation. Art. II. - Si les trois comités pensent qu’il doit être donné suite à la dénonciation, ils déclareront à la Convention nationale qu’ils estiment qu’il y a lieu à examen. Art. III. - Sur cette déclaration, qui ne sera pas motivée, la Convention nationale nommera, à l’appel nominal, onze de ses membres pour lui faire un rapport sur les faits dénoncés et sur les preuves produites à l’appui. Art. IV. - Avant de présenter leur rapport à la Convention nationale, les onze membres entendront le prévenu, lui communiqueront les (140) P.V., XL VIII, 20-23. C 322, pl. 1363, p. 25, minute de la msdn de Guyton-Morveau, rapporteur. Moniteur, XXII, 312; Bull., 2 brum.; M. U., XLV, 54-55. (141) J. Univ., n° 1793. (142) P.-V., XL VIII, 23. (143) Voir plus haut, n° 46. (144) Ann. R.F., n° 32. pièces sans déplacement, et lui en feront délivrer copie, s’il le demande. Art. V. - Après le rapport, s’il tend au décret d’accusation, la Convention nationale décidera s’il y a lieu à l’arrestation provisoire. Art. VI. — Le rapport sera imprimé et distribué. La discussion ne pourra s’ouvrir que trois jours après la distribution. Art. VII. - Le prévenu sera présent à la discussion, et y sera entendu. Art. VIII. - Si, après la discussion, la Convention nationale décrète qu’il y a lieu à accusation contre le prévenu, les onze membres présenteront le lendemain un acte qui articulera et précisera les faits sur lesquels l’instruction devra porter. Art. IX. - Le tribunal qui sera chargé d’instruire ne pourra informer et juger que sur les faits compris dans l’acte d’accusation (145). PERES : Citoyens, le temps est venu de rétablir tous les principes et de fonder un système de justice universelle qui garantisse l’ordre social, sans lequel il ne peut exister ni bonheur individuel, ni prospérité publique. Jusqu’ici le mouvement révolutionnaire qui, par sa nature, entraîne tout hors de sa place, la collision des intérêts, le choc des passions et la fureur des partis, avaient semé autour de nous la confusion et le chaos, et ne nous avaient permis que des demi-conceptions, que des idées imparfaites qui se ressentaient de la circonstance qui les faisait naître; mais aujourd’hui que la République écrase de son pied triomphant la coalition des rois et les factions de l’intérieur; aujourd’hui que les Français respirent sous le règne des lois, des moeurs, de la justice, et que la confiance la plus étendue comme la mieux méritée investit la Convention nationale, il est du devoir de chacun de nous de porter son tribut de zèle et de lumières à cette tribune, afin de rectifier ce qu’il y a de vicieux dans nos institutions, de les porter au degré de perfection dont elles sont susceptibles, et de préparer le peuple à jouir enfin de la plénitude de ses droits. Une grande question s’agite devant vous. Lorsqu’un représentant s’est oublié au point de provoquer contre lui la sévérité des lois, par qui doit-il être jugé, et quelles sont les formes qui doivent être employées dans l’instruction de son procès? Voici mes idées sur cet objet important. La Convention nationale n’existe que parce que le peuple en masse ne peut point exercer sa souveraineté et délibérer sur les moyens d’opérer son salut. Mais s’il était possible qu’il se rendît dans un lieu commun, comme autrefois les républiques grecques, comme aujourd’hui de petites républiques en Europe, et qu’un membre de cette imposante assemblée se rendît sous ses yeux coupable d’un crime ré-(145) Moniteur, XXII, 315. Ann. Patr., n" 661; Ann. R.F., n° 32; C. Eg., n“ 796; Débats, n” 760, 468-469; F. de la Ré-publ., n° 33; Gazette Fr., n 1025; J. Fr., n° 758; J. Mont., n° 10; J. Paris, n° 34; J. Perlet, n° 760; J. Univ., n° 1792, 1793, 1795; Mess. Soir, n’ 796; M. U., XLV, 43; Rép., n 33. 394 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE voltant, croyez-vous qu’au lieu de confier à quelques hommes le droit de le juger, elle ne prononçât pas elle-même sur-le-champ, afin de donner un grand exemple et de venger la majesté du peuple offensé? Eh bien! ce que la nation ferait, vous qui la représentez, vous ne devez pas balancer à le faire. Chacun de nous est vis-à-vis de l’autre un dépôt dont nous répondons solidairement à la nation qui nous l’a confié; et si nous le remettons en des mains qui le violent, qui en abusent, craignons qu’il ne nous soit redemandé un jour, et que la plus terrible responsabilité ne pèse sur nos têtes. On dit qu’un représentant du peuple n’est qu’un simple citoyen, et que, lorsqu’il se rend coupable, il doit être puni par les voies ordinaires : sans doute, comme individu, il n’est pas plus qu’un autre, ou l’égalité ne serait qu’un être de raison; mais il est revêtu du plus auguste caractère, et ce caractère ne l’abandonne jamais, tant que son mandat subsiste. Lorsqu’il émet son voeu dans cette enceinte sur quelque point de politique ou de législation, c’est le peuple qui parle par sa bouche ; la nation est, pour ainsi dire, en lui; et certes ion homme qui est l’organe et l’interprète d’une nation telle que la nation française, doit nous paraître au-dessus d’un simple citoyen. Loin de moi cependant toute idée d’inviolabilité ! Je veux que les lois l’atteignent d’autant plus vite et d’autant plus sûrement que sa mission lui faisait une obligation plus étroite de les respecter. Mais, s’il faut au peuple une garantie contre son représentant qui ne serait pas pur comme lui, il en faut une aussi au représentant du peuple contre les manoeuvres de l’intrigue, de la malveillance et de la calomnie, auxquelles il est sans cesse en butte ; et cette garantie, je la trouve à ce qu’il soit jugé par les représentants du peuple, puisqu’il ne peut pas l’être par le peuple lui-même qui l’a délégué. Eh quoi! citoyens, vous ne statuez qu’avec la précaution la plus scrupuleuse sim les intérêts remis dans vos mains; vous descendez souvent aux moindres détails pour mieux répondre à la confiance pubbque; la plus légère dépense ne peut se faire sans un décret; et lorsqu’il est question du dépôt le plus précieux, de l’honneur et de la vie de vos collègues, de la conservation de vous-mêmes, de l’existence de la représentation nationale, vous renverriez à d’autres le soin de s’en occuper; vous verriez par d’autres yeux, ou, pour mieux dire, vous ne verriez pas du tout! Non, le génie de la France, appuyé aujourd’hui sur la justice et la vérité, m’atteste qu’elles sont passées sans retour ces époques malheureuses où l’on se jouait avec audace de la vie des représentants du peuple ; où, parce qu’ils déplaisaient à tel ou tel individu, ils étaient envoyés à un tribunal de cannibales, c’est-à-dire à la mort. La Convention nationale, forte du principe que chacun doit être jugé par ses pairs, ne se bornera pas à lancer des décrets d’accusation contre ceux de ses membres qui auront nécessité cette mesure ; elle fera les fonctions de jury de jugement; elle déclarera qu’ils sont ou ne sont pas convaincus; elle ne se dessaisira, en un mot, de leurs personnes, et ne les remettra à un tribunal pour l’application de la peine, qu’après s’être assurée qu’ils sont coupables, indignes de représenter le peuple, et les avoir dégradés solennellement; c’est alors, mais alors seulement, qu’un représentant du peuple devient un citoyen ordinaire, et qu’un tribunal ordinaire doit s’en emparer. Vous connaissez à présent toute mon idée. On m’objecta, au comité de Salut public, où je la produisis en présence des trois comités, que la Convention remplirait alors les deux fonctions de jury d’accusation et de jury de jugement, et qu’il y aurait moins de sûreté pour un représentant inculpé que s’il était jugé par un tribunal. Je ne combattis pas l’objection, parce que mon idée fut soudaine, et ne se présenta pas à mon esprit avec tous ses développements ; mais je l’ai envisagée depuis sous toutes ses faces et sous tous ses rapports, et, loin d’y trouver rien d’alarmant pour les accusés, j’en regarde l’exécution comme leur plus grande sauvegarde, indépendamment du principe conservateur de la représentation nationale, qu’il est temps de consacrer. En effet, je veux que, lorsqu’une dénonciation sera portée contre un mandataire du peuple, les trois comités de gouvernement vous fassent un rapport sur cette question unique : « Y a t-il lieu, ou non, à examen? » Dans le cas de l’affirmative, une commission est choisie, mais par le sort, parce qu’il faut la garantir de l’influence de tous les intérêts, de toutes les passions, et qu’il n’est aucun de nous qui ne soit digne et capable de remplir toutes les fonctions que peut lui imposer sa qualité de représentant du peuple. Cette commission examine, entend à charge et à décharge, et vient ensuite vous faire son rapport avec cette déclaration qu’il y a lieu ou qu’il n’y a pas lieu à accusation. Vous retrouverez là tout l’avantage de la proposition de Cambacérès, qui a obtenu un assentiment général ; mais vous y trouvez de plus le choix par le sort, qui est important, et une troisième opération, la plus essentielle suivant moi, et qui sert de complément aux deux précédentes. L’acte d’accusation étant porté, la Convention devient un véritable jury de jugement, et toute l’instruction se fait sous ses yeux. Lorsqu’elle est suffisamment instruite, il se fait un appel nominal, dont j’exclus les membres de la commission; et si le résultat donne la conviction de la majorité contre le prévenu, il paraît à la barre, et le président, au nom du peuple français, le dépouille du caractère auguste de son représentant, et le renvoie par-devant un tel tribunal, pour s’y voir appbquer la peine due à son crime. Vous voyez, citoyens, que ce plan réunit toutes les qualités que vous pouvez désirer pour assurer au crime le châtiment qu’il mérite, à l’innocence le triomphe qui lui est dû, à la représentation nationale les égards convenables à sa dignité, et seuls garants de son existence. Trois comités, une commission et la Convention nationale elle-même tout entière, il est impossible que les dénonciations faites contre les SÉANCE DU 2 BRUMAIRE AN III (23 OCTOBRE 1794) - N° 50 395 représentants du peuple, après avoir passé par ces trois filières, n’en sortent avec tous les caractères de la vérité, et que vous ayez jamais à vous reprocher ni enthousiasme, ni prévention, ni précipitation. L’objection de la cumulation des deux fonctions de jury d’accusation et de jury de jugement devient nulle lorsque les premières sont confiées à une commission, et que la Convention remplit les secondes. A la vérité, la commission ne votera point dans ce jugement, de même que la Convention n’aura point coopéré à l’acte d’accusation; mais cet inconvénient est moins grave que celui de réunir ce qui doit être séparé pour le plus grand intérêt de la justice ; et d’ailleurs il n’est point de considérations qu’il ne faille sacrifier au premier de tous les principes dans un gouvernement représentatif et démocratique : c’est que, par respect pour le peuple, un représentant ne puisse être jugé que par les autres représentants, ne pouvant pas l’être par le peuple lui-même, son juge naturel. M’objectera-t-on les lenteurs et les détails fastidieux d’une procédure devant un corps politique, qui doit plutôt s’occuper à faire des lois? L’aréopage et le sénat de Rome ne trouvaient point de temps mieux employé que celui qu’ils mettaient à expulser de leur sein ou à envoyer à la mort ceux de leurs membres qui dégradaient leur auguste caractère. Vous aurez consumé trois mois à juger le dernier tyran des Français, qui ne fut leur représentant que par usurpation : regretteriez-vous trois jours pour prononcer sur le sort d’un véritable délégué, d’un représentant avoué du peuple? Croyez d’ailleurs, si vous adoptez le projet que je vous propose, que vous n’aurez pas souvent à remplir le douloureux ministère de juger vos collègues. La majesté de ce tribunal, et la terrible dégradation qui doit frapper le coupable sous les yeux de la France et de l’Europe entière, comprimeront le crime, rendront familière la vertu, et bientôt le peuple français n’aura plus que des représentants dignes de lui. Je finis par cette observation, et je l’adresse à ceux qui s’obstinent à dire que la Convention ne doit être, en aucun cas, jury de jugement : ne vaudrait-il pas mieux qu’elle le soit en effet, que de le devenir par les conséquences sans l’avoir été? Où sont les décrets d’accusation qui n’aient pas été des arrêts de mort? Voici le projet de décret : La Convention nationale décrète ce qui suit : Art. PREMIER - Toute dénonciation tendant à compromettre l’honneur ou la vie d’un représentant du peuple sera portée directement à la Convention nationale. Art. II. - Elle sera signée et appuyée de pièces justificatives, ou elle énoncera celles dont on entend se servir. Art. III. - La Convention nationale en fera le renvoi à ses trois comités de Salut public, de Législation et de Sûreté générale, qui, au vu des pièces remises et de toutes autres qu’ils sont autorisés à recevoir, discuteront, s’il y a lieu ou non à examen, et en feront le rapport dans les trois jours. Art. IV. — Si la Convention nationale décrète qu’il y a lieu à examen, il sera formé, dans la même séance, une commission de dix-sept de ses membres, choisis par le sort, qui, au vu des pièces transmises par les trois comités, examineront s’il y a lieu à accusation, et feront individuellement leur déclaration à la tribune, dans le même délai de trois jours, par oui ou par non. Art. V. — Si la déclaration est qu’il y a lieu à accusation, la Convention nationale mettra en état d’arrestation le représentant du peuple accusé, et déclarera qu’il est en jugement devant elle. Art. VI. - Il sera présent aux débats et à toute l’instruction, sera entendu lorsqu’il demandera à l’être, et pourra proposer et établir tous ses moyens de justification. Art. VTI. - Lorsque la Convention nationale aura déclaré qu’elle est suffisamment instruite, il sera tenu de se retirer. Il sera procédé de suite à un appel nominal, ou à plusieurs appels nominaux, suivant les résultats successifs, où chaque membre s’expliquera sur le fait, l’auteur ou l’intention. Art. VIII. - Les membres qui auront formé la commission s’abstiendront de voter dans les appels nominaux. Art. IX. - Si, par le dernier résultat de ces appels nominaux, l’accusé est déclaré convaincu, il paraîtra à la barre, et le président lui adressera ces paroles : «... N..., la Convention nationale te déclare convaincu d’avoir... avec mauvaise intention. Elle te dégrade, par mon organe, du caractère sacré de représentant du peuple, et te renvoie devant le tribunal... pour l’application de la peine due à ton crime. » GOUPILLEAU (de Fontenay) : Il serait difficile d’exprimer des idées bien suivies sur une question aussi délicate, sans les avoir méditées auparavant. Cependant il me sera facile de démontrer que ce dernier projet ne doit pas être adopté : d’abord il fait remplir à la Convention les fonctions de jury d’accusation et de jury de jugement. L’auteur du projet a bien senti qu’on pourrait lui faire ce reproche, et, pour l’éviter, il tombe dans une faute plus grande encore : il propose de diviser la Convention en deux chambres. Il est constant que la Convention est une, et que ses délibérations doivent être prises par tous ses membres. Eh bien! si vous adoptez le projet de décret qu’on vous propose, il en résulterait que la Convention ne pourrait point participer à la délibération de la commission des dix-sept membres qu’on vous propose, et qu’à leur tour ces dix-sept membres ne pourraient participer à la délibération générale de la Convention. Ainsi vous scinderiez la Convention, ainsi vous établiriez le germe de deux chambres. Je crois que cela suffit pour exiger au moins une grande méditation du sujet. Un membre [GIROT-POUZOL] (146) : Il y a deux projets opposés; cela suffit pour nécessiter l’impression de tous deux, dans une ques-(146) J. Paris, n” 34.