Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 décembre 1789.] 705 5e ANNEXE. : Discussion de la proposition de il I-de Custine , portant que la liberté de l'exercice public de toutes les religions doit être prononcée dans V Assemblée nationale, par M. ThiébaiïH, cure de Sainte-Croix à Metz, député de Metz (1). Messieurs, la proposition de M. le comte de Custine est anticonstitutionnelle ; elle est anti-patriotique; elle est anl [catholique. Voilà, sans art, sans détour, le jugement que j’en ai porté, après l’avoir examinée sous ses rapports les plus intéressants ; celui, j’ose l’espérer, que vous en porterez vous-mêmes, lorsque vous aurez entendu nia discussion, si déjà vous ne l’avez porté. Pour tout autre sujet, je vous demanderais votre attention; pour celui-ci je me crois dispensé de la solliciter; son importance suffit seule pour m’en assurer. En qualifiant la proposition de M. de Custine anticonstitutionnelle , je tire une première vérité d’un silence profond ; j’en consacre une seconde à un souvenir éternel. Avant la session présente de l’Assemblée nationale, à remonter jusqu’au quatrième siècle, notre gouvernement était monarchique ; la couronne y était héréditaire ; le trône appartenait de droit à la primogéniture masculine; la royauté ne pouvait tomber en quenouille... En France tout citoyen avait droit à sa propriété et à sa liberté... Ces lois constitutionnelles, ainsi que plusieurs autres touchant les droits réciproques du monarque et des sujets, étaient reçues comme faisant régie dans toute l’étendue de l’empire français. Donc il existait une constitution quelconque : c’est la vérité que je tire d’un oubli d’autant plus profond que, jusqu’à ce jour, aucun membre honorable ne lui avait fait hommage, en traitant de la constitution. La distraction n’est-elle pas étonnante ? Comme cependant je ne me la reproche pas, je pense volontiers que bien d’autres ont aussi leurs raisons pour ne se la point reprocher. La liberté du culte adopté par l'Église catholique, apostolique et romaine , doit être déclarée par l'Assemblée nationale ; c’est, Messieurs, cette autre vérité que je désire consacrer à un souvenir éternel ; celle que j’oppose à la très-récente proposition de M. de Custine ; celle que sans doute, il aurait respectée, s’il eut connu les faits que je vais avoir l’honneur de remettre sous ses yeux. Cet article fut déclaré loi fondamentale du royaume par Henri III, et parles trois ordres aux Etats généraux. Premier fait. (Tome IV, p, 134 du recueil des pièces justificatives concernant les Etats, etc.) Nos Rois en jurent l’observation et l’accomplissement le jour de leur sacre. Second fait, que le parlement de Paris rappelait en ses remontrances du 12 février 1562, lorsque se raidissant contre l’édit de tolérance, il disait à Charles IX : « Le Roi, comme ses prédécesseurs, en son sacre, a, naguère, fait serment solennel, et exprès, de chasser les hérésies de son royaume; il y est obligé envers Dieu (2). » (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Tandis que s’égaraient les conseils de Charles IX et de Catherine, le parlement frappait droit au hut ; sa lre Série, T. X* Les protestants ayant démandé aux Etats de 1614, que l’article de ce serment fut supprimé, il fut arrêté, de toutes les voix, qu’il subsisterait. Troisième fait. (P. 288 du recueil cité.) Bien plus, le Roi ayant fait demander aux Etats qu’ils retranchassent les mots inviolablement, et selon le serment fait ait sacre : ils persistent à ne vouloir pas faire ce changement. Quatrième fait , auquel je joindrai l’anecdote suivante par forme d’éclaircissement. M. Turgot, grand partisan de la tolérance, en poussa le système jusqu’à imaginer d’inviter à abolir une des cérémonies du sacre, « il trouvait, dit i’auteur de sa vie (p. 128), que dans celle qui est en usage, le Roi accordait trop à son clergé, et trop peu à la nation; qu’il y jurait de détruire les hérétiques; qu’il y faisait un' serment qu’il ne pourrait tenir sans violer les lois de l’humanité ; un serment que Louis XIII et Louis XIV avaient été obligés d’éluder en publiant, dans une déclaration, qu’ils n’entendaient pas y comprendre les protestants, c’est-à-dire, les seules hérétiques qui fussent dans leurs États. M. Turgot croyait qu’une promesse publique et solennelle ne pouvait pas être une vaine cérémonie, et que, lorsqu’un Roi prenait, à la face du ciel, un engagement avec les hommes, il ne devait jurer de remplir que des devoirs réels et importants. » Sur cette observation, Messieurs, j’aurai l’honneur de vous en proposer deux : 1° M. Turgot ne faisait pas attention que l’édit de Nantes subsistant aux époques du sacre de Louis XIII et de Louis XIV, ce fut une nécessité pour ces princes de déclarer qu’ils n’entendaient pas comprendre les protestants dans leur serment de détruire l’hérésie. Le sacre de Louis XV et de Louis XVI, au contraire, étant postérieurs à la révocation de l’édit de Nantes, il était très -conséquent, de leur part, de faire le serment du sacre selon la formule ancienne, et le ministre avait mauvaise grâce d’en proposer l’abolition. 2° Je demande acte de la conséquence de l’aveu de M. Turgot : 1° Que les protestants sont des hérétiques; 2° qu’uu serment solennel ne peut-être une vaine cérémonie ; 3° puis de celle du sacre réunie aux faits cités et consacrés dans les fastes de la monarchie française. Je conclus ce que j’ai dit en premier lieu de la proposition de M. le comte de Custine, qu’elle est anticonstitutionnelle, c’est-à-dire qu’elle tend à détruire l’ancienne constitution, à retrancher les bases les plus solides du gouvernement, à ébranler la monarchie jusque dans ses fondements. Quelle manière de régénérer l’Etat! Très-anticonstitutionnelle, la proposition du membre honorable est anlipalriotique, très-contraire au bien fie la patrie, à la tranquillité du royaume, à ce lien de concorde qui doit y unir les citoyens. Ce qui me le fait dire avec ce ton de confiance qu’inspire la perception claire d’une grande vérité profondément méditée, c’est, Messieurs, l’expérience, qui seule doit diriger la raison dans les discussions politiques, surtout lorsqu’elles présentent un même résultat, l°dans un très-long intervalle de temps, 2° sous chacun des règnes qui se sont succédé pendant ce long intervalle. A quoi sert l’histoire des siècles et des empires, si les tristes événements du passé politique était celle du bon sens, dit (page 15 de son discours) l’écrivain d’où j’ai tiré ce fait; il en dit autant du parlement de Dijon, page 25. 45 706 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 décembre 1T89. ne nous précautionnent pas contre les tristes événements de l’avenir ? Je l’ai consulté, ce maître des hommes tes plus sages dans tous les âges, je l’ai consulté relativement à la religion juive et à la religion calvinienne principalement, comme étant les religions fausses les plus connues en notre France; déjà je me suis expliqué sur la première dans un imprimé de 18 pages (1). Pour m’expliquer maintenant sur la seconde avec une juste étendue, je vais, Messieurs, mettre sous vos yeux le tableau raccourci de ce qu’a fait la secte calvinienne sous François 1er, sous Henri II, sous François II, sous Charles IX, sous Henri III, sous Henri IV, sous Louis XIII, sous Louis XIV et même sous Louis XV. Puis à la manière des historiens, je remonterai de ces faits à leurs principes, que j’aurai l’honneur de vous exposer, sans préjugé, sans passion, sans autre vue que celle du bien public, sans m’écarter de ces trois principes, savoir : 1° Que je dois aimer mes frères errants comme en effet je les aime tous en Dieu et pour Dieu ; 2° que ma conduite envers eux et les non catholiques doit être calquée sur ces textes de saint Paul : Evitez-les; de saint Jean: Ne les saluez pas; d’où il suit qu’un pasteur ne doit pas moins craindre pour les siens, ceux qui peuvent nuire à leur foi que ceux qui nuiraient à leurs mœurs; 3° qu’en matière de lois, faire abstraction de la vraie religion, ce serait nous rejeter dans les siècles barbares de l’antique philosophie. Donc cette question, mise à la tête de ma discussion, n’est point déplacée : quœ societas, etc. Donc je puis ici demander : Quelle société de la lumière avec V erreur ? du catholique avec l’hérétique ? Peut-elle être bien intime entre deux hommes divisés sur le point le plus essentiel ? � Ces principes incontestables, posés et admis, je dis : Sous François Ier. Les calvinistes n’étant point encore assez puissants en France pour y prendre les armes, tirent des efforts incroyables pour grossir leur parti. Le prince s’en aperçut, il comprit que l’esprit de la réforme était un esprit d’inquiétude, d’indépendance et de sédition ; il donna ses ordres, et Calvin obligé de sortir du royaume, se vengea de la juste fermeté du monarque en faisant répandre des libelles satiriques contre le gouvernement. Voilà en peu de mots les premiers souffles du calvinisme en France. Sous Henri II. Les novateurs profitèrent de la guerre d’Allemagne en 1555 pour s’établir à Paris, à Orléans, à Rouen, en plusieurs autres villes; ils y applaudirent aux malheurs et aux larmes de ia France désolée par la perte de la bataille de Saint-Quentin en 1557. Ils y firent éclater de la manière la plus indigne, par leurs paroles, par leurs actions, par leurs écrits scandaleux, la joie excessive que leur causa la mort d’un prince qui avait su réprimer leur audace. (1) Je n’aurai que quelques notes à y ajouter à la fin de cette discussion. Sous François II. Les sectaires formèrent l’exécrable projet, connu sous le nom de conjuration cVAmboise (l), château où était le jeune roi avec la reine sa mère. Là où ils voulaient se saisir de la personne sacrée du monarque, sinon pour le faire mourir, bien certainement pour l’enlever au duc de Guise et au cardinal de Lorraine. M. Bossuet s’expliquant sur ce fait détestable (tome II des Variations , p. 20-30), observe que : « Il ne s’agissait de rien moins que d’allumer dès lors, dans tout le royaume, le feu de la guerre civile. Tout le gros de la réforme, dit-il, entra dans ce dessein... Bèze témoigne un regret extrême de ce qu’une si juste entreprise ait manqué, et en attribue l’insuccès à la déloyauté de quelques-uns... Il est vrai qu’on a voulu donner à cette conjuration un prétexte de bien public; mais quatre raisons montrent que c’était, au fond, une affaire de religion, et une entreprise menée par les réformés. La première, etc. (p. 21 et suiv.) a Si nous en croyons Brantôme, l’amiral était bien dans une meilleure disposition... mais ce grand homme d’honneur... ne laissa pas deux ans après, de se mettre à la tête des calvinistes rebelles, et de signifier de leur part, au jeune prince, qu’ils allaient appuyer leurs demandes par 50,000 hommes. » Que de sang répandu dans toute la France, sans la sage précaution du monarque, qui fit arrêter le roi de Navarre pendant les Etats d’Orléans, et instruire le procès du prince de Gondé ! Sous Charles IX. « Le parti n’eut pas plus tôt senti ses forces, qu’on n’y médita rien moins que de partager l’autorité, de s’emparer de la personne du Roi, et de faire la guerre aux catholiques (tome III des Variât., p. 218). « Tandis que les calvinistes ne prétendaient, en France, qu’à la tolérance, ils affectèrent en Béarn l’intolérance la plus outrée... A Orthez se lit un carnage horrible, surtout des prêtres, des religieux , puis de la noblesse ; comme si le 24 d’août eût été, en ce siècle, une époque sinistre, consacrée à des exécutions barbares. « Ce jour-là même, un grand nombre de gentilshommes fut poignardé à Pau, contre la foi des traités, et par la noire perfidie des calvinistes. « L’histoire dépose que Charles IX jura de s’en venger, et que dès cet instant il médita d’user de ces représailles qui eurent lieu trois ans après ; représailles que les uns sans doute ont eu tort d’excuser, mais que d’autres aussi ont eu tort de rejeter sur le clergé, comme instigateur de l’exécrable projet. » Ici, Messieurs, je suis, comme vous, saisi d’effroi à l’aspect du sang de mes frères coulant à grands flots, en celte ville fameuse, le jour trop mémorable de Saint-Barthélemy : mais aussi, Messieurs, comme moi, ne frémissez-vous pas d’indignation, lorsque vous observez la noire calomnie du théâtre, maniant habilement son infernal pinceau, et vous représentant un prince (1) À celte conjuration d’Amboise on peut joindre celle de Meaux, aussi projetée par les calvinistes. 707 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 décembre 1789.] de l’Eglise qui, en habits pontificaux, bénit les poignards dont le sein de nos frères doit être percé? Elle ose ainsi peindre : où? quand?... Je me tais... Je ne reprends la parole que pour te le demander, à toi, Paris! à toi, que nous nommions hier la bonne ville! Eh! comment aujourd’hui tes habitants font-ils leurs délices de ces scènes d’horreurs? (1) Ensevelissons-en le souvenir, Messieurs, et avec un de nos sages magistrats, écrions-nous : excidat ilia dies œvo, nec postera credant sœcula. Sous Henri 111. Quoique vaincus à Dreux, à Saint-Denis, à Jarnac, à Moncontour, sous son auguste prédécesseur, leur chef, le prince de Condé, entra en France à la tête de 11,000 Allemands. Une nouvelle victoire remportée sur les rebelles, les rendit plus traitables. L’édit de Poitiers semblait avoir éteint l’incendie, mais le feu se ralluma bientôt dans la Guyenne, dans le Languedoc, dans le Dauphiné, etc. Toujours mêmes forfaits, mêmes horreurs, mêmes rébellions. En Languedoc, nouvelle confédération, où les sectaires proclament Henri, roi de Navarre, et le prince de Gondé, protecteurs nés du royaume, sous V autorité de Sa Majesté. N’était-ce pas se servir de son nom pour lui faire la guerre? De là, Messieurs, cette fameuse ligue contre les huguenots, qui désola la France, et qui ne Finit que Sous Henri IV. Quel prince je viens de nommer! j’aime à le penser, Messieurs, son nom seul a excité en vos cœurs un sentiment d’amour, mêlé d’admiration. Cependant ce prince si aimable ne fut point aimé des sectaires. J’en trouve la preuve dans leurs écrits et dans leur conduite. Lorsque Henri le Grand revint à la foi de ses pères, les calvinistes lui Firent une adresse, où ils disaient : ne doutes, pas qu’en vous faisant catholique, vous ne couriez à votre ruine, et qu’en abandonnant le parti des réformés , ils ne vous abandonnent aussi. Vous connaissez leur promptitude et leur résolution (c’est-à-dire, leur disposition à la révolte) ; terminant cette missive insolente, ils rappellent que les armées des protestants ont mis le pied sur la gorge à toutes les principales villes de France. Voilà un échantillon de la manière d’écrire des sectaires. Lorsque Henri IV sacrifiait son repos et sa vie pour la défense et la gloire de la patrie, ils saisirent les caisses publiques ; ils affrontèrent son autorité ; ils pressèrent l’Angleterre et la Hollande de traverser les négociations de la paix de Vervins; ils sollicitèrent le duc de Lesdi-guières de joindre ses troupes aux leurs, et de livrer le Dauphiné au duc de Savoie ; ils tourmentèrent le bon Roi jusqu’à ce qu’en 1598, ils eu obtinrent cet édit de Nantes, qui soulevaà la fois le conseil, les parlements, la capitale et le royaume entier. Eut-on pu le penser, Messieurs? Cet édit, qui surpassait leurs espérances , fut cependant le germe de nouveaux attentats. D’un grand nombre, je ne vous citerai que les suivants. (1) Lisez l’abbé Caveirae, Dissert, sur la journée de la Saint-Barthélemy : vous verrez que ce fut une affaire de proscription, à laquelle la religion n’eut aucune part. Henri avait proscrit toute correspondance entre les calvinistes et les étrangers. Cependant les ministres des cantons Suisses furent invités par le Synode provincial d’Ablon, d’envoyer leurs députés à l’assemblée générale. On leur avait promis d’occuper les charges et offices publics; iis eurent la hardiesse de s’opposer à ce qu’ils fussent remplis par les catholiques du Languedoc; ils méprisèrent les ordres du Roi les rappelant à l’ordre. Avec les calvinistes des autres parties du royaume, ils statuèrent dans un synode que, sans avoir égard à l’ordonnance du Roi , ils se maintiendraient dans l’état où ils avaient été avant l’édit de Nantes. Tel était l’état des choses lorsque Henri IV, déterminé enfin à parler et agir en maître, tomba sous le fer de ce monstre exécrable, qui osa trancher le Fil des jours d’un Roi à jamais chéri de tous les bons Français. Sous Louis XIII. Les novateurs demandent qu’il leur soit permis de fortifier toutes leurs places de sûreté. Ils demandent que la somme de 45,000 écus, stipulée pour l’entretien de leurs ministres, soit augmentée. Ils demandent que leurs députés généraux à la cour, soient payés par le Roi. Ils demandent qu’outre les cent trois places que l’édit de Nantes leur accorde, il leur en soit livré en douze autres provinces. Que ne demandaient-ils le royaume tout entier ? La Rochelle était le boulevard de la révolte suggérée par l’hérésie. C’est là que le plan projeté longtemps auparavant, de changer la monarchie française en république, qui serait administrée par les calvinistes, eut enfin son exécution. Tout le royaume devait être partagé en huit cercles. On avait dressé un règlement en 47 articles, que devaient observer les commandants, sous l’autorité souveraine de l’Assemblée, séante h la Rochelle. Ici , Messieurs, je ne vous présenterai le tableau ni de cette audace des calvinistes, ni du siège de la Rochelle, qui en fut la suite, ni des horreurs de ia famine qu’éprouvèrent les Rochelois, ni de la honte de ces tiers républicains, forcés à invoquer à genoux la clémence du Roi; le tableau de ces grands événements, arrivés sous le ministère du cardinal de Richelieu, vous est connu. Ce que j’observerai donc, parce que Je malheur des temps l’exige, c’est que de là est née cette haine implacable qu’ont vouée à l’immortel cardinal les philosophes modernes, secrètement ulcérés contre les vengeurs de l’autorité royale. Cette pensée va se présenter sous l’article suivant. Sous Louis XIV. A ce nom, Messieurs, peut-être avez-vous déjà entendu retentir à vos oreilles ces mots : despotisme, fanatisme, superstition. Cette voix est celle de la philosophie moderne, qui, ayant juré d’opérer une conversion générale dans toutes les idées, altère et anéantit les annales de l’histoire, verse le fiel sur la réputation des héros religieux, et voue à l’anathème la grandeur de Louis XIV, parce qu’elle avait pour base le respect et l’amour de ia religion. Un fait sur lequel nos philosophes l’attaquent principalement, est la révocation du fameux édit de Nantes, laquelle ils qualifient ou impolitique, ou cruelle, ou irréligieuse, Les uns partiellement , les autres collectivement. Us l’attaquent 708 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 décembre 1789.] encore sur plusieurs articles : comme sont, ses guerres, la magnificence de sa cour, les inclinations de son cœur... Mais ne sortirais-je pas de l’ordre si je discutais ces points ? Je me bornerai donc, Messieurs, au seul coup d’autorité que j’ai cité d’abord, à la révocation, en 1685, de l’édit de Nantes, donné par Henri IV, en 1598. Voici les motifs qui justifient cet acte à mes yeux et le justifieront, non à ceux de la nouvelle philosophie, mais à ceux d’une raison saine, qui sera de tous les temps, de tous les lieux, de toutes les têtes bien organisées, ces motifs furent : 1° Les requêtes et les députations importunes et séditieuses par lesquelles les calvinistes fatiguaient continuellement la cour ; 2° Leurs séditions à Nîmes, à Florac, à Mon-tauban et en plusieurs autres lieux ; 3° Leurs contraventions aux édits et aux déclarations données en interprétation de l’édit de Nantes ; celles-ci, par exemple, d’avoir reçu des apostats et des relaps; d’avoir multiplié" leurs temples, contre la disposition de l’édit de 1598. Pourquoi, le nombre de la secte étant notablement diminué, voulaient-ils les multiplier? 4° L’édit n’avait été accordé qu’aux seuls calvinistes. Or, des ministres, plus de moitié étaient devenus sociniens, et prêchaient publiquement les maximes les plus dangereuses. 5° Enfin, prince aussi politique que religieux, Louis XIV, après avoir bien pesé dans sa sagesse, les avantages et les inconvénients de son édit de révocation, ne le porta qu’après avoir aperçu la nullité de ceux-ci comparés à ceux-là. Aussi, Messieurs, ne vois-je qu’exagérations outrées, en ce que les ennemis de la gloire de ce grand Roi lui opposent aujourd’hui. Exagération outrée dans le calcul des hommes sortis de la France en vertu de l’édit de révocation ; leur nombre est moindre que celui qu’eut emporté une guerre de longue durée. Peut-on blâmer Louis XIV d’avoir fait pour l’honneur de la religion et pour assurer la tranquillité de l’Etat, des sacrifices pareils à ceux que font quelquefois les princes par ambition et par caprice ? Ecoutons, Messieurs, sur ce point, M. le duc de Bourgogne, père de Louis XV, dans son excellent discours au conseil de Louis XIV ; il disait à Louis XIV, son aïeul : « On a exagéré infiniment le nombre des huguenots qui sortirent du royaume à cette occasion, et cela devait être ainsi. Comme les intéressés sont les seuls qui parlent et qui crient, ils affirment tout ce qui leur plaît. Un ministre qui voyait son troupeau dispersé, publiait qu’il avait passé chez l’étranger. Un chef de manufacture qui avait perdu deux ouvriers, faisait son calcul, comme si tous les fabricants du royaume avaient fait la même perte que lui. Dix ouvriers sortis d’une ville où ils avaient leurs connaissances et et leurs amis, faisaient croire, par le bruit de leur fuite , que la ville allait manquer de bras pour-tous ses ateliers... « Quand le nombre des huguenots qui sortirent de France à cette époque, monterait, suivant le calcul le plus exagéré, à 67,732 personnes (1), il ne devait pas se trouver parmi ce nombre, qui comprenait tous les âges et les deux sexes, assez d’hommes utiles, pour laisser un grand vide dans les campagnes et dans les ateliers, et influer sur le royaume entier..,. On ne s’aperçut pas du prétendu vide au moment où il (1) Excepté celui de Voltaire qui le porte de 4 à 500,000 âmes. Ce mensonge de sa part ne m’étonne pas plus que tous les autres. se fit, et on s’en plaint aujourd’hui. Il faut donc en chercher une autre cause; elle existe, en effet, et si on veut la savoir, c’est la guerre. Quant à la retraite des huguenots, elle coûta moins d’hommes utiles à l’Etat, qu’une seule année de guerre civile. « N’ai-je donc pas pu le dire? Exagération outrée : 1° Dans le calcul des hommes. Exagération outrée : 2° Dans le calcul du numéraire, transporté de France en Allemagne. Ce que dit Voltaire à ce sujet n’existe que dans son imagination. L’homme raisonnable comprend bien qu’on doit trouver en Allemagne beaucoup d’argent de France, à cause des armées que nous y avons de temps en temps; mais il ne s’avisera pas de dire que c’est l’argent que les réfugiés y ont porté il y a un siècle et au delà. Exagération outrée : 3° Dans le calcul commercial. Le détail que Voltaire fait des manufactures d’étoffes, de galons, de chapeaux, de bas, etc., qui furent transportés chez l’étranger, n’est que la déclamation d’un avocat qui soutient une mauvaise cause. Sous Louis XV, notre commerce, en tous ces objets, s’est trouvé plus étendu qu’il ne l’avait jamais été sous Louis XIV. Exagération outrée : 4° Dans le calcul des richesses des villes du Nord, ensuite de la révocation de l’édit de Nantes. Ces villes, n’en déplaise aux disciples du prétendu philosophe, n’étaient point agrestes avant l’émigration des calvinistes ; dès lors Brême, Hambourg, Lubec, et plusieurs autres villes étaient déjà des villes très-puissantes et très-riches. D’après ces justes observations, Messieurs, qu’il me soit permis de le demander, quel estdonc le délire de ce siècle philosophique, qui vomit, à pleine bouche, des imprécations contre la mémoire de Louis XIV? de Louis le Grand ? de Louis tellement grand , que son siècle porte son nom? Sous Louis XV. Qu’a fait la religion prétendue réformée ? ce prince nous l’apprenddans la déclaration de 1724. H y est dit qu’il a été informé qu’il s’est élevé et s’élève journellement, dans le royaume, plusieurs pi'édicants qui ne sont occupés qu’à exciter ie peuple a la révolte. De peur, Messieurs, de fatiguer votre attention par le détail des faits des calvinistes, en 1742, en 1743, en 1744, etc., etc., je me bornerai à ce seul mot de Louis XV, approuvant dans son conseil la sage politique de Louis XIV. Remontant des actions des calvinistes, sous huit rois, jusqu’à leurs principes, je dis, Messieurs : Nous jugeons du caractère d’un particulier par ses actions; nous disons d’un homme qu’il est ivrogne, lorsque nous l’avons vu ivre très-souvent pendant un très-grand nombre d’années. Nous jugeons aussi du caractère de divers peuples par leurs actions. D’après elles, nous disons de l’un, il est léger; de l’autre, il est traître, etc., etc. Des Grétois, nous eussions pu dire autrefois qu’ils étaient des ventres paresseux , des menteurs. Donc si la secte calviniste, depuis François Ier jusqu’à Louis XV, a fait la guerre à ses rois; si elle leur a livré quatre batailles rangées, etc., on peut souscrire à ces qualifications qui lui ont été données, que c’est une secte audacieuse dans sa naissance , séditieuse dans son accroissement, républicaine dans sa prospérité, menaçante dans ses derniers soupirs. Ce tableau; Messieurs, ne vous [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 décembre 1789.] 709 paraîtra pas trop chargé, lorsque vous aurez entendu l’élève de iùméion, le duc de Bourgogne, père de Louis XV, raisonnant sur le calvinisme, relativement à la France. « Je ne rappellerai pas en détail, disait-il au conseil de Louis XIV, celte chaîne de désordres consignés dans tant de monuments authentiques, ces assemblées secrètes, ces serments d’associations, ces ligues avec l’étranger, ces refus de payer les tailles, ces pillages des deniers publics, ces menaces séditieuses, ces conjurations ouvertes ces sacs de villes, ces incendies, ces mas-acres réfléchis, ces attentats contre les rois. Urne suftit de dire que depuis François 1er jusqu’à nos jours , c'est-à-dire sous sept règnes différents, toiis ces maux et d’autres encore ont désolé le royaume avec plus ou moins de fureur. « Voilà le fait historique, que l’on peut charger de divers incidents, mais que l’on ne peut contester substantiellement et révoquer eu doute. Or, c’est là le peint capital qu’il faut toujours envisager dans l’examen politique de celte affaire.... Il est vrai que les huguenots ont causé moins de désordres éclatants sous Je règne actuel que sous les précédents; mais c’était moins la volonté de remuer, qui leur manquait, que la puissance; encore se sont-ils reudus coupables de quelques violences, et d’une infinité de contraventions aux ordonnances.... « Malgré leurs protestations magnifiques de fidélité et leur soumission en apparence la plus parfaite à l’autorité, le même esprit inquiet et fâcheux subsistait toujours. Dans le temps que le parti faisait au Roi des offres de services, et qu’il les réalisait même, on apprenait par des avis certains qu’ils remuaient sourdement dans les provinces éloignées, et qu’ils entretenaient des intelligences avec l’ennemi du dehors. Nous avons en main les actes authentiques des synodes clandestins, dans lesquels ils arrêtaient de se mettre sous la protection de Cromwel, dans le temps où l’on pensait le moins à les inquiéter, et les preuves de leurs liaisons criminelles avec le prince d’Orauge subsistent également. C’est, Messieurs, le portrait que le duc de Bourgogne faisait des calvinistes, celui qui s’est trouvé dans les papiers de feu monseigneur le Dauphin, père de Louis XVI; celui qu’ont tracé les protestants eux-mêmes les plus accrédités. Ils sont séditieux et amis du tumulte, perturbateurs de la paix publique et de la tranquillité des empires. Ils n'ont qn’un plan, celui d'exciter des factions, des soulèvements , des divisions , des massacres et l’effusion de sang. C’est sous ces traits odieux que le protestant Jean Schutz les dépeint. Partout où les disciples de Calvin sont devenus dominants , ils ont bouleversé le gouvernement. L’esprit du calvinisme est d’outrager et de tout brouiller. C’est le témoignage de Grotius, protestant lui-même. Est-il recusable? M. de Custinc le connaissait-il? avait-il bien combiné les faits avec les principes des calvinistes., quand il écrit que la liberté du culte public de toutes les religions doit être déclarée par V Assemblée nationale ? Sa proposition, est anticonstitutionnelle, elle est antipatriotique, je l’ai prouvé. Elle est aniicaiho-lique, c’esl la troisième partie de ma contre-motion; la méthode que j’ai suivie pour discuter la seconde est celle que je suivrai dans la discussion de la troisième. Sous le faible Charte IX, ils s’assemblent, à Sainte-Foix, et y déclarent que la religion catholique doit être anéantie dans le royaume. En Dauphiné, ils brûlent, iis démolissent ies églises; ils pillent les vases sacrés: ils abolissent le sacrifice de nos autels ; ils y substituent le prêche ; ils forcent les catholiques à y assister; ils y traînent un parlement tout entier; ils massacrent ou enterrent tout vivants, les religieux et les prêtres. A Nîmes, ils chassent l’évêque de son siège, les chanoines de leurs églises, les religieuses de leurs couvents. A ürthez se lit un carnage horrible, surtout des religieux et des prêtres. On voyait des ruisseaux de sang couler dans les maisons, ies places et les rues. Le fleuve du Gave parut tout ensanglanté, et les ondes empourprées portèrent jusqu’aux mers voisines les nouvelles de cet affreux désastre. Sous Henri 111... j’allais, Messieurs, suivre la chaîne des événements, depuis Charles IX jusqu’à Louis XV; mais dans la crainte quelle ne paraisse trop longue à ceux qui la connaissent, je passe aussitôt des preuves à cette foule d’objections que les ennemis de la religion catholique nous font en faveur du système de M. deCustine: les voici, Messieurs, avec leurs réponses les plus simples et ies plus succinctes possible. Ire Objection. — C’est aux catholiques, et non aux calvinistes, qu’il faut attribuer les séditions < t les guerres civiles qui ont désolé la France depuis Charles IX jusqu’à Louis XV. R. 1° Telle est la méthode de Voltaire adoptée par ses disciples : les infidèles ont toujours raison vis-à-vis les chrétiens, et les hérétiques vis-à-vis ies catholiques. 2° Tel est cependant l’ordre des faits dans l’histoire, que les guerres ont toujours commencé par les sectaires. Vous dira-t-on, Messieurs, qu’un prince légitime ne puisse prendre les armes pour punir ies rebelles? pour venger la religion? pour maintenir l’ordre? 2e Objection. — En Prusse, en Angleterre, etc., les calvinistes vivent en paix avec les catholiques, pourquoi n’v vivraient-ils pas en France en ce siècle de lumière et de tolérance? R. 1° Cette objection fût-elle aussi vraie qu’elle est fausse, mon' assertion resterait intacte : celle de M. de Gnstine serait prouvée anticatholique. Tout ce que je conclurai-; de cette paix prétendue, c’est justement ce que M. de Ghabanne écrivait en 1751, à M. le contrôleur général, alors en place, en ces termes : « Cette multitude de sectes qui fourmillent de toutes parts a amené l’irréligion... Ce qu’on voit combattu de tant de manières; ce qu’on voit agité de tant de façons, paraît toujours incertain, équivoque et exclut des cœur? cette fermeté d’adhésion qui ne peut être opérée que par la certitude des principes dans l’esprit. Aussi l’expérience nous apprend que les pays où le calvinisme est établi, sont remplis de déistes, d’athées et non-croyants. » On ne dispute plus des faits lorsqu’une fois ils ont été prouvés. Quoi qu’il en soit de la Prusse, de l’Angleterre, il est prouvé qu’en France le calviniste ne vit pas mieux avec le catholique que le loup avec l’agneau. Quand même ce serait la faut de celui-ci, serait-il d’une sage politique, de mettre chaque jour, 24 millions de Français aux prises avec 6 à 800,000 tout au plus (1)? (li J’ai entendu un orateur intéressé à grossir le nombre des calvinistes en France, le porter 3 millions Cependant, calcul fait, il serait fort embarrassé d’y en trouver 1 million, puisque ceux de Saintonge, de Valence, de Die, de Nîmes, d’Alais, de Marseille, de La-Rochelle, de Castres, c’est-à-dire des lieux où ils sont plus multipliés n’est pas de 120,000. En tout on compte à peu près 200,000 familles, 600,000 personnes. 710 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. • [21 décembre 1789.] 3° Les mots de siècle de lumières, ne se prononcent plus aujourd’hui que comme ceux d’aristocratie et de despotisme, avec dégoût. Eh! qu’elle se fasse donc enfin, cette lumière tant vantée par ceux qui osent s’en targuer; car, hélas! jusqu’ici, je me trouve environné des ténèbres les plus épaisses, si aussitôt je n’ouvre les yeux à la lumière admirable de l’Evangile. 4° Avant de réclamer la tolérance, il faudrait en définir la nature et en distinguer les espèces; il faudrait convenir avec nous, que la tolérance religieuse est inadmissible; nous conviendrions ensuite que la tolérance civile des personnes actuellement domiciliées en France est tolérable. 5° Mais ce n’est plus ce que demandent M. de Custine, ni M. R... Ces mots : tolérer les calvinistes , leur déplaisent fort; j’en ai entendu un s’en plaindre comme d’une injure atroce ; insister sur ce qu’on aime les bons, et qu’on tolère les méchants; ce mot, ajoutait-il, outrage des sujets fidèles, de bons Français, etc. Quelle douceur d’abord dans le discours deM..., tandis qu’il en espérait le succès! quelle différence de ton en voyant ses espérances s’évanouir! 3e Objection. — Celle, Messieurs, qui vous fut proposée à l’article de la presse, en ces termes à peu près : « la religion dans laquelle nous sommes nés, et qui nous enchaîne par les entraves d’un préjugé invincible, est pour nous d’une obligation indispensable; vous nous croyez dans l’erreur et nous vous y croyons ; nous vous souffrons dans la vôtre, pourquoi ne nous souffririez-vous pas dans la nôtre? nous ne gênons pas votre conscience, pourquoi gêneriez-vous la nôtre? pourquoi donc nous interdiriez-vous un culte qu’elle nous commande? Une telle violence faite à des hommes libres, est-elle bien le sens du faites-les entrer , de l’Evangile? » L’objection, Messieurs, est plus spécieuse que solide. Quand un de nos frères séparés vous dit, au nom de MM. les protestants que vous ne pouvez faire violence à leur conscience, et les obliger à la religion catholique; par le fait même, il me le semble, vous avez répondu à ses commettants : « Eh vous, Messieurs, vous ne pouvez forcer l’Assemblée nationale à changer les lois et la religion du royaume, pour la plier à vos opinions religieuses; sans doute votre conscience est un sanctuaire impénétrable à sa puissance; mais si elle n’est pas la reine de la nature, elle est reine constituée de la société politique; elle lui doit son bonheur et sa tranquillité; l’un et l’autre dépendent de la conservation du culte unique de cette auguste religion qu’elle adopta dès l’origine de la monarchie; elle est par conséquent dans l’heureuse impuissance de porter atteinte à cette antique et vénérable institution. En vous laissant cette liberté de penser, qu’elle ne prétend ôter à personne, elle vous dit : vivez tranquilles à l’ombre du trône, travaillez, commercez, faites tout ce que vous jugerez à propos, mais ne dogmatisez pas en public, prenez le nom de Français (1), jamais celui de protestants... » Cette réponse, Messieurs, n’est-elle pas celle que vous avec donnée par le fait, à l’occasion de (1) L’abus que j’ai entendu faire des termes de Français, de frères, dans toute l’étendue du royaume, ne tend à rien moins qu’à abolir toute distinction de propriété, de religion. Souvent on en a conclu à la demande do la loi agraire ; Dieu veuille que quelque entreprenant n’en vienne jamais à l’exécution ! c’est le moyen de tout bouleverser. la liberté de la presse? N’est-elle pas un préjugé bien favorable à la cause importante que j’ai le bonheur de soutenir en cette auguste Assemblée. 4e Objection . — La population, les arts, le commerce demandent, pour les sectaires absents, leur rappel, et pour les présents, le culte public de la religion calvinienne : on espère l’un et l’autre : 1° M. le duc de Bourgogne, dans son mémoire déjà cité, dit, contre la première partie de l’objection: « Dans la supposition, bien fausse assurément, que l’on ait eu tort de faire ce que l’on fit (en révoquant l'édit de Nantes), je maintiens que l’on aurait bien plus grand tort aujourd’hui de le défaire. .. 11 y a des torts dont il faut savoir profiter, des torts qui ne sauraient se réparer que par des plus grands encore. . . « Si on rappelait les Huguenots, ne se croiraient-ils pas en droit, plus que jamais, de composer avec leur souverain, et plus encore de lui faire la loi ? Les rappeler, ne serait-ce pas rappeler les amis des ennemis de la France? Ne serait-ce pas exposer l’Etat ? Ne serait-cepas en même temps imprimer à l’hérésie le sceau de la perpétuité en France?... Ne serait-ce pas exposer la religion à se trouver parmi nous, avant moins d’un demi-siècle, dans l’état malheureux où nous la voyons chez les peuples qui nous avoisinent? » 2° Voyez, je vous prie, Messieurs, les conséquences qui s’ensuivraient si vous accordiez aux calvinistes le culte public de leur religion. Ces conséquences, un écrivain récent les a déduites en leur donnant une juste étendue; leur abrégé, le plus succinct possible suffira à l’auguste Assemblée. Après avoir obtenu le culte public, les calvinistes demanderont que les catholiques contribuent aux réparations des temples. Première conséquence. Ils réclameront le droit naturel et civil de vivre de l’autel, non en fixant leurs regards sur les dîmes (dont l’abolition est décrétée), mais sur une taxe, ou particulière, qui grèvera d’une charge nouvelle des hommes, qui déjà succombent sous le poids des charges anciennes, ou générale, dont la répartition se fera sur tous les sujets du royaume, qui depuis longtemps se plaignent d’être excédés par les impôts. Seconde conséquence. Ils exigeront des synodes et des assemblées périodiques pour régler et maintenir la discipline de leur prêche. Troisième conséquence. Ils exigeront des écoles et des séminaires qui régénèrent et instituent les ministres de la religion. Quatrième conséquence. Ils se présenteront pour les places de collèges, et ils y seront admis par des hypocrites philosophes, qui, avec leur morgue connue, diront : « Nous méprisons toutes les querelles théologiques: le règne de la superstition est passé... ne cherchons que des instituteurs éclairés, honnêtes et vertueux. » Cinquième des conséquences relatives au bien de la religion. Les seules que je déduis, sont celles relatives au bien de l'Etat. Ne vous fait-on pas pitié, Messieurs, quand on vous propose la population, les arts, etc., comme motifs durappel des calvinistes (1). Avons-nous rien (1) Ceux qui reviendraient seraient, ou de la classa des pauvres (nous en avons assez, Dieu merci) ; eu de la classe des riches, exerçant les arts, ils nuiraient à mille et mille artistes qui manquent d’ouvrage. Quand M, de Custine nous représente les capitalistes étrangers accourant en Franco, où il leur sera permis d’exercer uu culte divin, selon les rites choisis par leurs pères ; [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 décembre 1789.] à envier à nos voisins en fait d’arts? d’arts de luxe principalement? Relisons, Messieurs, l’ouvrage de M. Necker sur les finances, n’y assure-t-il pas que présentement la balance du commerce est en faveur de la France ? 4° Quand on vous dit, Messieurs, qu’on espère le rappel des calvinistes et le culte public de leur religion, n’êtes-vous pas tentés de demander, comme moi, quel est le principe de cette espérance ? Les cris fanatiques de la philosophie moderne? le délire contagieux qu’elle a répandu partout, le mépris souverain qu’elle affiche audacieusement pour la religion ? Il est aisé, Messieurs, de pénétrer le dessein des partisans de celtepetite et dangereuse philosophie, la dernière des hérésies qui affligeront l’Eglise. Malgré elle, l’empire de l’opinion, supérieur aux caprices, attache encore une idée défavorable à l’homme qui aenl’imprudencedenepas sauver les apparences en refusant de fréquenter les églises, de participer aux sacrements, au moins à la mon. Delà l’embarras de plusieurs incrédules modernes. Ils veulent être philosophes, mais ils ne veulent pas passer pour impies. L’introduction du protestantisme en France leur présentera l’expédient le plus heureux pour se délivrer de ces perplexités. Ils seront calvinistes, et dès lors, aux yeux qui veulent encore de la décence, il n’y aura plus pour eux de déshonneur à renoncer au culte extérieur de la religion dominante. Il seront légalement irréligieux ; l’ignominie de l’irréligion sera masquée par le voile de la profession extérieure du protestantisme. De là, Messieurs, résultera la désertion de cette multitude innombrable de catholiques, intérieurement mécréants, maispourqui l’unité de religion était encore un frein. De là une apostasie presque générale, une insurrection presque universelle contre les catholiques; car, dit Montesquieu, sur la tolérance, c'est un principe que toute religion qui est réprimée , devient elle-même réprimante. Sitôt que , par quelque hasard, elle peut sortir de l'oppression, elle attaque la religion qui la réprimait, non pas comme une religion, mais comme une tyrannie. Tel est, continue Montesquieu, le principe fondamental des lois politiques en fait de religion; quand on est maître de recevoir dans un Etat une nouvelle religion ou de ne la pas recevoir, il ne faut pas l'y établir. Donc, il ne faut y établir, ni la religion calvinierme, ni son culte. C’est, Messieurs, la conséquence qu’offre la maxime de l’écrivain cité, très-contraire à M. de Custine. Selon l’opinion de celui-ci, l’Assemblée nationale devrait décréter la liberté du culte public, non-seulement 1° des religions juive et calvini-enne, mais 2° des sociniens, des déistes et des soi-disant philosophes, admettant la religion naturelle; mais aussi 3° des nègres non baptisés, en grand nombre dans nos colonies ; mais 4° d’un hacha qui voulant échapper au cordon fatal, seseraitenfui en France; mais 5° d’un Chinois venu chez nous avec des marmousets; mais 6° etc., etc. Pensez-vous, Messieurs, que les vrais fidèles, qui savent croire sans disputer, apprendront sans un secret frémissement que cette opinion a pu être conçue, écrite, publiée? Ah! j’ai donc lieu de m’y attendre, vous repousserez la motion du préopinant, comme contraire au repos public, comme funeste à la religion, à laquelle est attaché le repos publié; je crois apercevoir un Irait de sa fort vive imagination, rien de plus. 711 comme préparant à l’Etat et à l’Eglise, et de mauvais citoyens et de mauvais fidèles. Ce sont encore les expressions du tolérant Montesquieu. Ici, Messieurs, doit trouver sa place la réponse à une cinquième objection, savoir : qu'un concordat entre les princes de laisser en repos les sujets de diverses religions, le procurerait infailliblement. Cette difficulté, Messieurs, a été proposée par M. le duc de Bourgogne, élève du grand Fénelon; voici le jugement qu’il en a porté ; « D’abord, a-t-il dit, la partie ne serait pas égale, puisqu’on mettrait la religion du ciel en parallèle et de niveau avec l’hérésie. Qu’à la bonne heure les luthériens, les zwingliens, les calvinistes, les anabaptistes, les quakers et autres novateurs passent entre eux ce concordat : nouveauté pour nouveauté, erreur pour erreur, il n’y aurait point de parti essentiellement lésé dans ce pacte, au lieu que les catholiques ne pourraient le faire qu’avec un désavantage évident ..... « En second lieu, est-ce une vérité bien incontestable qu’un prince chrétien puisse permettre que le mal se fasse dans ses Etats pour obtenir que le bien se fasse dans les Etats étrangers? Peut-il dire : Souffrez que Dieu soit honoré chez vous, je souffrirai qu’il soit blasphémé chez moi ? En supposant qu’il le puisse, ce que je ne crois pas, personne ne supposera qu’il le doive. « En outre, quand même tous les souverains conviendraient entre eux de laisser en repos leurs sujets de deux religions, reste à savoir s’ils voudraient y rester. Il n’est pas question de savoir ici comment deux religions peuvent compatir en d’autres pays ; l’expérience la plus funeste et la plus longue n’a que trop prouvé qu’elles étaient incompatibles dans ce royaume ; et c’est, encore un coup, le point auquel il faut s’en tenir, sans le perdre jamais de vue. » Il ne servirait de rien de dire, ce qui est de tou chez nos pauvres petits-maîtres, que la philosophie a éclairé les esprits et adouci les mœurs. 1° Pour user du style italien, ce dire a souffert une furieuse reculade dans les quatre beaux mois de cette année. 2° Ce dire pourrait être vrai d’une secte, sans l’être de la calvinienne, républicaine, dure et séditieuse par principes, en sorte qu’être doux, docile à l’Eglise et au Roi, habituellement, constamment, ce serait renoncer de fait au calvinisme, dont les partisans sont rebelles par système, par des principes républicains, qui leur sont, ce semble, propres, je m’-explique : à l’exclusion de toutes les autres sectes. Avant Calvin, aucune secte n’avait tenté de remuer dans l’Etat; aucune n’avait demandé des temples les armes à la main; aucune n’avait voulu avoir des places de sûreté; aucune n’avaittraité avec les ennemis de l’empire. A peine les calvinistes se sont-ils montrés, qu’on a vu les provinces ébranlées par leurs maximes et leurs armes. Ne l’ai-je pas démontré? 3° Lès hommes, pris individuellement, peuvent passer du bien au mal et du mal au bien; mais, envisagés collectivement, presque toujours ces hommes sont les mêmes, très-rarement les corps civils et politiques changent. Vos principes mêmes, Messieurs, viennent à l’appui de mes observations : car pourquoi avez-vous abattu les corps par vos décrets ? N’était-ce pas pour cette raison qu’un esprit qui les a animés une fois les anime toujours? Donc les individus du calvinisme peuvent changer personnellement; mais la secte en général conserve les maximes de révolte dont j’ai produit 712 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 décembre 1789.] les preuves ; elle ne varie que dans ses apparences. Qu’on donne à sa licence naturelle son ancienne activité, elle fera renaître les mêmes événements; plus que jamais elle lèvera fièrement la tête, se voyant appuyée par tous les philosophes du siècle. Grànd Dieu! quelles seraient les suites d'une telle confédération siun décret de l’Assemblée nationale paraissait à la suite de la mo’ion de M. de Custine ? Elle est anticonstitutionnelle, antipatriotique , anticatholique \ c’est, Messieurs, ce que j’avais à montrer, et ce qu’en effet j’ai porté, il me semble, jusqu’à l’évidence morale ; il ne s’agit plus maintenant que de me-résumer, et des principes établis, tirer les conséquences, en exposant mon avis. Le voici, Messieurs. Mon avis est 1° que, conformément à l’article 1er de l’édit de 1724, le culte public de la religion catholique, apostolique et romaine, soit déclaré le seul libre et permis dans toute l’étendue du royaume. Mon avis est 2° que, conformément à l’édit de 1685, il soit permis aux protestants en attendant qu’il plaise à Dieu de les éclairer comme les autres, de demeurer dans tous les lieux du royaume, d’y continuer leur commerce et jouir de leurs biens, sans pouvoir être troublés ni empêchés sous prétexte de leur religion, à condition de ne faire aucun exercice collectif , ni assemblée de religion (1). Mon avis est 3° que les articles 3-16 de l’édit de 1724, soient renouvelés et autorisés par autant de décrets de l’Assemblée nationale, dont un, au moins, modifiera celui de 1787, relativement aux empêchements de clandestinité et de parenté (2). Mon avis est 4° qu’en explication d’un article de la déclaration concernant les droits de l’homme, celui de manifester ses pensées , même par la presse, tandis que leur manifestation ne nuira pas à AUTRUI, il soit ajouté:' Quant à sa réputation, quant à la pureté de ses mœurs , quant à l’intégrité de la foi (3). Mon avis est 5° que non-seulement la seule solennité (comme le veut M. de Custine), mais encore la seule publicité du culte, soit réservée pour l’Eglise romaine. Quant à la solennité du culte romain, mon avis est 6° qu'il n’en soit rien diminué sous prétexte des besoins de l’Etat, à moins qu’auparavant, (1) Cet édit défend aussi aux protestants de sortir du royaume, et voilà ce qui démontre que les philosophistes (a) déclamant contre Louis XIV, pour avoir chassé de son royaume des millions d’hommes (disent-ils), n’ont jamais lu l’édit de 1685. (a) Par ce mol j’exprime toujours deux sentiments : celui du dédain pour une philosophie dont je connais les dangereux dédales et les infâmes stratagèmes ; celui d’une pitié chrétienne pour ceux qui adoptent cette philosophie antireligieuse. (2) Dans un grand ouvrage que jai mis en contribution en plus d’un endroit de cette discussion, je lis (page 271) ces sages réflexions : « Si -des dissidents regnicoles étaient attachés à leui’s sentiments, moins par un esprit de révolte que par un préjugé de leur naissance, le prince alors observerait qu’il serait bien dur de bannir ces hommes... Sa sagesse lui inspirerait un expédient qui concilierait tout, ce serait d’empêcher que le culte de là secte n’eût aucune publicité.. . Sauf aux sectaires à pratiquer leur culte religieux dans l'intérieur de leurs maisons, sans éclat et sans bruit, culte domestique et privé, sur lequel le gouvernement garderait un silenGe politique. » (3) _ Immédiatement avant que ce décret ne fût porté, j’avais demandé et obtenu la parole, mais pour minutes seulement : obligé d’abréger une discussion qui exigeait une demi-heure au moins, je ne pus qu’in-; diquer cét amendement dont, nonobstant ma réquisi-partout, les hôtels des spectacles ne soient fermés, les pensions des acteurs supprimées, les meubles servant à la décoration du théâtre vendus au profit de la caisse nationale, etc., etc. Mon avis est 7° qu’il ne faut pas gêner la liberté du culte public de la vraie religion pour étendre celle du culte public des fausses religions ; c’est un principe de toute équité. Or, la liberté du culte public de la religion catholique, seule vraie, serait gênée, si le culte public de la religion ealviriietme, par exemple, était libre. Ce qui se passe dans le pays de Nassau, de Deux-Ponts et chez nos voisins en est une preuve d’expérience presque quotidienne. Notes promises dans celte discussion. Ges notes auront ici pour objet, non plus les mémoires des juifs, distribués aux membres honorables de l’Assemblée nationale, vers le mois d’octobre, mais un imprimé ayant pour titre : Motion en faveur des Juifs , par M. Grégoire, etc. Cette motion convient avec la mienne et cependant elle en diffère. Elle convient avec la mienne en ce que l’une et l’autre sont en faveur des Juifs pce mot faveur bien entendu. Elle en diffère, en ce que M. Grégoire dit ce qu’à sa place je n’aurais pas dit. Page 9, il dit qu'une haine secrète des Alsaciens et des habitants de Lixheim, couvait contre eux , qu’ils ont été chassés et cruellement maltraités... Page 9, il dit des habitants de Bâle qu’ils feraient rougir les catholiques alsaciens, s'ils en étaient capables. Je n’aurais rien dit de semblable, 1° parce que mon style ne fut jamais si véhément, 2° parce que MM. les députés d’Alsace ont réclamé à l’Assemblée même, contre l’accusation de M. Grégoire : là ils ont assuré qu’ils n’avaient rien entendu du fait; un d’eux, que j’interrogeais, m’a seulement avoué que les juifs écrasaient le pays par leurs usures excessives. Ibid., il dit : Ils se sont réfugiés en foule dans les cantons suisses, où ils ont reçu l’accueil , etc. Je ne l’aurais pas dit, parce que le fait étant aussi douteux que le précédent, je n’aurais pas imité Voltaire, qui loue toujours les hérétiques aux dépens des catholiques. Page 10 et page 8, il dit : J'aurais voulu que l’affaire des juifs fût décrétée le jour de la Saint-Barthélemy, pour qu’un acte de justice et de bienfaisance marquât V anniversaire d’un crime à jamais exécrable. Je ne l’aurais pas dit dans un temps où j’entends les philosophes mentir, en attribuant à la religion catholique et aux prêtres le massacre de la Saint-Barthélemy; pourquoi ces demi-savants parlent-ils toujours de la Suint-Barthélemy des catholiques à Paris, jamais de la Saint-Barthélemy des huguenots à Orthez? Pourquoi encore blâment-ils les Bellièvre et autres, lion, MM. les secrétaires ne firent aucune mention. Je le répète aujourd’hui comme nécessaire, et parce que ce qui nuit aux mœurs et à la foi, nuit toujours et très-certainement à autrui en matière infiniment importante. En tout état de chose, je dirai toujours: il est fort bien que l’Assemblée ait décrété que ia manifestation des pensées serait défendue quand elle nuirait à autrui; mais leur manifestation une fois faite, quoique nuisible à ma réputation, à ma foi, etc., que ferai-je pour en arrêter tes suites fâcheuses? intenterai-je un procès au coupable? que j’aime la maxime qu’une sage république s’occupe beaucoup plus du soin de prévenir les crimes que de celui de les punir ! [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 décembre 1789.] 743 qui ont voulu justifier la journée de la Saint-Barthélemy, sur des raisons d'Ktat, tandis qu’ils préconisent les fameuses journées de Saint-Bruno et autres antérieures. Je le présume, il viendra un temps où l’on ne dira plus hautement : Le sang qui a coulé était-il donc si pur ? La valeur française, etc.... Page 12, il dit : Les Parisiens et les Bordelais, plus justes que les Alsaciens, ont élevé des juifs au grade de soldats, et même de capitaines. Je ne l’aurais pas dit pour en conclure que nous pouvions enrôler les Juifs comme les chrétiens. Autre chose est d’être soldat à la ville, près de ses foyers, ou en campagne, à la belle étoile. J’avoue une ligne de la page 35 de M. Grégoire, j'avoue que sous les Asmonéens , la nation juive fût belliqueuse , mais il me faut un long commentaire des autres lignes; j’exige surtout la conciliation de deux mots, distants l’un de l’autre seulement de quatre pages; que Joseph II, persuadé de la bravoure des Juifs en avait enrôlés environ trois mille (page 34), et que l’édit de Joseph II, instruit par une expérience contraire, avait le défaut d'avoir franchi les intermédiaires. Page 12, il dit, par l’organe des Juifs, qu’ils ont toujours été soumis, jamais rebelles. Je ne l’aurais pas dit, leur dispersion même n’est-elle pas un effet permanent de leur rébellion ? Ouvrez l’histoire de leur historien, le célèbre Josèphe; ouvrez ensuite le premier volume de Phistoire ecclésiastique de M. Fleury (p. 304), pourrez-vous y lire sans effroi ces mots : longtemps après les Juifs se révoltèrent , à Alexandrie, en Egypte, dans la Cérénaïque... non contents de tuer les Romains et les Grecs , ils mangeaient leur chair , ils se ceignaient de leurs intestins, ils se frottaient de leur sang..., ils firent périr ainsi plus de deux cent mille personnes. C’est ce qu’a fait une nation qui ne fut jamais rebelle. Le même historien (t. IX, p. 110) dit : Les Juifs d’Espagne, au vne siècle, étant convaincus d’avoir conspiré contre l’Etat, etc. Encore une fois, c’est ce qu’a fait une nation qui ne fut jamais rebelle. Combien de fois ne répéterais-je pas ce refrain, si je suivais ici la chaîne des siècles? Page l-5 : Je n’aurais pas plus écrit la petite phrase, jointe à celle où les Juifs et les comédiens sont représentés à l’Assemblée nationale; ma plume s’y serait refusée. Page 2, il dit : j’exposerai les causes qui ont altéré les traits natifs de son caractère; ou je ne l’aurais pas dit, de peur de faire vingt-quatre pages très-inutiles, ou j’aurais mis parmi ces causes le déicide commis par les Juifs dans la personne de Jésus-Christ. G’est ce qu’Alexandre II fait dans sa lettre aux évêques des Gaules en 1068 ; selon saint Grégoire , leur écrivait-il , c’est une impiété de vouloir exterminer les Juifs, puisque Dieu les a conservés pour vivre dispersés par toute la terre en punition du crime de leurs pères. Si M. Grégoire a lu celte lettre qu’il cite page 16, pourquoi donc ne l’imite-t-il pas ? Pourquoi aussi 11’observe-t-il pas que ces papes qui ont pris les Juifs sous la protection du Saint-Siège, n’ont jamais pensé à les rendre indéfiniment citoyens? Pourquoi encore ne cite-t-il pas le concile dé Bâle si respecté en France? Pourquoi n’en cite-t-il pas la défense de communiquer avec les Juifs? Craint-il que l’auguste Assemblée ne souscrive à une loi aussi sage? Si j’osais ici me permettre une autre question à M. le curé catholique, je lui demanderais pourquoi si souvent il se pare de ce surnom? Peut-il donc croire qu’il soit suspect à cet égard ? 1 Mais je m’écarterais de l’ordre. M’y renfermant rigoureusement et m’attachant à la proposition de M. Grégoire page 2, je dis : Gomme chrétien parfaitement convaincu, comme prêtre et comme curé, j’avais cru ne pouvoir écrire trente pages sur les malheurs des Juifs, sans en assigner la première cause. Si de temps en temps j’avais donné des torts aux catholiques de certains lieux, en certains temps, je n’aurai pas toujours innocenté les Juifs ; un bon historien se fait une loi invariable de dire la vérité tout entière. J’aime les Juifs, comme taillé en Jésus-Christ du même rocher qu’eux; je les protège de mon mieux contre les railleurs, etc., je blâme fort les injustes à leur égard ; je dirai toujours à ceux-ci : Ce n’est point à vous à accomplir les malédictions divines portées contre ce peuple; mais pourrais-je empêcher l’accomplissement des prophéties? Page 3, il dit que le nombre des Juifs à Metz et aux environs, est de 2,400 personnes. Je ne l’aurais pas dit, parce que M. Gabriel, écrivain aussi exact que savant, très à portée de connaître la population judaïque, en porte constamment le nombre à 5 à 6,000. Page 10, il dit, en se plaignant, que l’Europe a produit 400 règlements pour élever un mur de séparation entre les chrétiens et les Juifs; je ne l’aurais sûrement pas dit au nom des Juifs, puisque ce mur dont M. Grégoire veut combler l’intervalle, est élevé, soutenu, constamment fortifié par leur loi même. Page 11, il dit, le Juif est communément bon père. Je ne l’aurais pas dit sans faire une restriction importante; elle, aurait été relative aux traitements cruels que les Juifs font à leurs enfants, lorsqu’ils pensent à embrasser le christianisme. On peut juger de la haine qu’ils en ont pardiverses histoires citées dans Fleury, tome Vil, page 432; tome XV, pages 443 et 444, où M. Fleury dit : les Juifs prétendent que ce sont des calomnies ; mais pourquoi les chrétiens les auraient-ils inventées en ce temps plutôt qu’en un autre, s'il n'y avait eu quelque fondement ? Enfin (tome X.VI1I, p. 410), ce judicieux écrivain rapporte une lettre du pape Honorius à l’archevêque de Cantorbérv, où il dit des Juifs : tous les jours ils maudissent les chrétiens dans leurs synagogues. Page 13, il dit : Un principe que Fénelon marquait, à son illustre élève, est que chacun, sans gêne, professe le culte de sa religion Je ne l’aurais pas dit, parce que l’illustre élève de M. Fénelon, le duc de Bourgogne, dit tout le contraire dans le mémoire que j’ai souvent cité dans cette discussion. Page 13, il dit : Si nous, catholiques, nous habitions une contrée non catholique, où l’on mettrait en (question la tolérance, la facidté naturelle de professer son culte mous paraîtrait d'une évidence I irrésistible. Je ne l’aurais pas dit sans ajouter : I Nous, catholiques, fondés sur la certitude de nos motifs de crédibilité, nous céderions à cette évidence. Un non catholique à qui de tels motifs manquent, peut-il se vanter de cette prétendue évidence irrrésistible? N’est-il pas affligeant de voir l’erreur aspirer aux privilèges de la vérité? Page 18, il dit : En Angleterre on voit des mariages entre juifs et chrétiens... la loi qui les défends peut être abrogée. Je ne l’aurais pas dit par respect pour ces paroles de saint Paul : Nolite jugum ducere cùm injîdelibus. Si ce mot m’était échappé à l’âge de M. Grégoire, ne m’aurait-on pas imputé d’avoir convoité une Israélite, et pour ce l’abro* 744 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 décembre 1789.] galion de la loi du célibat? car de quoi ne plaisante-t-on pas ? Page 19, il dit : L'expérience journalière prouve que les Juifs partagent leur table avec les chrétiens. Je ne l’aurais pas dit, quand même on m’aurait souvent trouvé avec les Juifs à une table somptueuse préparée à leurs dépens. Page 23, il dit : Mais, ajoute-t-on, la bienveillance que vous réclamez contre les Juifs , leur sera funeste. A l’endroit où je l’ai dit je n’aurais pas ajouté avec M. Grégoire: Et quels sont donc ces animaux féroces que vous dites altérés du sang de leurs frères ? Quoi! j’appellerais animaux féroces les chrétiens révoltés des usures des Juifs, et j’excuserais les Juifs révoltés des insultes des chrétiens, en disant (p. 20) que cette conduite ne sort pas de la nature ! Page 31, il dit : Qu'il y a dans notre pays des manufactures abandonnées, que la rivalité (page 32) entre les chrétiens et les Juifs perfectionnerait l'industrie et maintiendrait LE BAS PRIX. Je ne l’aurais pas dit : 1° parce que je n’emprunte rien de la philosophie moderne à qui j’ai juré de ne jamais rien devoir; 2° parce que je ne voudrais pas tomber en contradiction avec moi-môme, d’une page à l’autre : supposer (p. 32) que la diminution dans les achats est unbien, et (p. 36) que leur augmentation en est un. Page 34. Il dit : Ne croyons pas que les Juifs dussent se refuser longtemps à la manœuvre le jour du Sabbat. Je ne l’aurais pas dit sans ajouter : Et ces Juifs ne tiennent plus à leur religion ; ils ne savent plus où ils en sont par rapport au Messie ; ils maudissent ceux qui en calculent les jours ; ils sont nihilistes en matière de religion; ils en ont seulement quelque apparence, parce que la décence l’exige. Belle autorité de passages du ridicule Talmud, qui approuve la violation du Sabbat dans le cas cité ! 7. Ibid, il dit : Je prédis que les Juifs nous dispensent déporter un pareil bilL Je ne l’aurais pas dit de peur qu’on ne me rappelât que, dans ma lettre aux députés , est un tissu honteux de prophéties, dont les événements ont coup sur coup démontré la fausseté, pour ne rien dire de plus. Pages 23, 24, 32, 37, il dit de plusieurs Juifs : Qu’iVs ont montré des talents pour le commerce, les belles-lettres, etc. Je ne l’aurais pas dit, sans remarquer que le fait était fort possible; mais qu’il ne tirait pas à conséquence pour l’universalité de la nation. Page 42, il dit : La nation ne trouvera pas un défenseur plus zélé que moi. Ceci, je l’aurais dit, en adoptant les conséquences d’une conduite semblable à celle de M. Grégoire. J’aurais même prouvé, par mes démarches et'par ma motion, que le Juif le plus passionné, le mieux salarié, n’aurait pu ni tirer plus davantage que moi des mémoires des synagogues, ni employer d’épithètes plus fortes que les miennes. Page 45, il dit : Messieurs, cinquante mille Français se sont levés esclaves, il dépend de vous qu’ils se couchent libres. Je ne l’aurais pas dit, parce qu’il est faux que les Juifs se lèvent esclaves; ils se lèvent soumis à des lois qui les concernent, j’en conviens; mais cette soumission est-elle un esclavage? En ce cas, nous sommes tous esclaves, car nous sommes tous soumis à des lois... Tout sujet est soumis aux lois de l’Etat, tout enfant est soumis aux lois paternelles, tout serviteur est soumis aux lois domestiques; s’ensuit-il que je puisse dire à l’Assemblée nationale, lui pariant des inférieurs : Messieurs, trois millions de personnes se sont levées esclaves , il dépend de vous qu’ils se couchent libres ? L’abus des mots liberté et esclavage, aristocratie et démocratie, despotisme et patriotisme, est aujourd’hui porté à un tel point, que bientôt on n’osera plus les prononcer; peut-être ai-je déjà trop fait de répéter celui d 'esclave qui blessa toujours la nation juive. Page 46, il dit : Sur les Juifs comme sur les catholiques, la révélation étend son voile majestueux. Je ne l’aurais pas dit sans nier aussitôt la comparaison, sans observer qu’un voile épais dérobe aux juifs la lumière de la révélation; que ce voile est écarté pour nous, que saint Paul fait cette distinction, qu’un prêtre instruit ne peut ignorer. Je laisse à deviner le dessein de l’auteur d’une phrase où le privilège d’une révélation est accordé aux juifs comme aux chrétiens; pour moi, j’ai la vue trop courte pour l’apercevoir. Page 46, il dit : Ma motion tend à ce que le Juif embrasse en moi son Ami. Je ne l’aurais pas dit, parce qu’un ami est un autre soi-même, et que cet autre moi-même, je ne puis le trouver dans un Juif, à moins que je ne sois aussi bon juif que lui. Qu’est-ce en effet qu’un couple d’amis? Deux hommes, dit l’orateur romain, qui ont mêmes pensées, mêmes volontés. Peut-être pouvais-je me borner à ce que j’avais écrit dans ma discussion, que les Juifs ne ' savent être justes envers Dieu, ni envers vous, Messieurs, ni envers eux-mêmes, mais j’ai préféré de proposer ces notes, au risque de laisser le moindre avantage aux clients (p. 9) de M. Grégoire, dont enfin l’imprimé vient de me parvenir. Si, comme je ne puis en douter, il contient tous les motifs des demandes des Juifs, je me tiens bien assuré que l’Assemblée prononcera qu’à leur égard, il n’y a pas même lieu à délibérer, et avec une nouvelle confiance je répète ce que je disais dans mon récit : Mon avis est 1°, etc. Enfin l’avis par lequel je finis, est que l’Assemblée ne déclare point la liberté du culte public de la religion, ni des Juifs, ni des calvinistes, ni des ubiquistes, ni des puritains, ni des antitrini-taires, ni des sociniens, ni des Arméniens, ni des gomaristes, ni des quakers, ni des anabaptistes, ni des Turcs, ni des Perses, etc., etc., autant de sectes contenues dans les expressions de M. le comte de Custine. Je savais bien que la vraie Eglise était une seule bergerie avec un. seul pasteur; j’ignorais que cette seule bergerie pùt renfermer dans son sein ce qui, dans le style des livres saints, est désigné sous les noms odieux de... Nota. L’affaire des Juifs ôtant ajournée pour la session présente, sans terme fixe; pouvant donc être appelée tous les jours et amener avec elle celle de M. de Custine ; il eût été imprudent de différer plus longtemps les deux présentes discussions. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DÉMEUNIER, Séance du mardi 22 décembre 1789, au malin (I). La séance est ouverte par M. Camus, qui annonce que M. Fréteau est incommodé, qu’il n’a (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.