[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 juillet 1790.] Qgg teurs du département de la Lozère, qui témoignent leur zèle pour se conformer à tous les décrets et à l’esprit patriotique de l’Assemblée nationale, et peignent celui dont ils sont eux -mêmes animés. « Inébranlables, disent-ils, dans les vrais principes de la religion, dans les principes de la justice et de l’égalité ; en un mot, dans les principes de la Constitution, nous vouons la guerre aux opinions qui la contrarient; mais nous avons fait le vœu de ramener par la douceur ceux qui pourraient être encore aigris par des sacrifices nécessaires au bien public... Tout pour la paix , ajoutent-ils, est notre cri de ralliement ; tout pour la paix sera notre seul esprit de corps. » M. Culot de Saint-Florent donne lecture de l’adresse suivante de trois citoyens ci-devant nobles du district de Sémur, département de la Côte-d’Or : « Nous, soussignés, ci-devant nobles et privilégiés du bailliage d’Auxois, après avoir lu la protestation faite, le 21 juin dernier, par M. d’Argen-teuil, député de la noblesse dudit bailliage, contre le décret rendu par l’Assemblée nationale le 19 du même mois; « Considérant que l’Assemblée nationale ayant reçu de la France entière le droit de lui donner une nouvelle Constitution, les décrets de cette auguste Assemblée, acceptés ou sanctionnés par le roi, sont pour tous les Français des lois inviolables et sacrées ; « Considérant que l’abolition de la noblesse héréditaire est une conséquence nécessaire des principes de justice et d’égalité, consacrés dans la déclaration des droits de l’homme ; « Considérant que les ci-devant nobles et privilégiés acquièrent dans cette heureuse Révolution l’état de citoyens libres, bien au-dessus de l’état de gentilshommes esclaves ; « Considérant enfin que la protestation de M. d’Argenteuil, vicieuse dans son principe, dangereuse dans :ses conséquences, est diamétralement opposée à l’instruction qu’il a reçue de ses commettants au mois d’août 1789 : « Nous désavouons formellement cette protestation, faite à notre insu et contre notre avis, et nous prions l’Assemblée nationale de recevoir ce désaveu comme l'expression de nos plus vrais sentiments; et comme le gage de notre soumission profonde à ses décrets. « Fait à Semur-en-Auxois, ce 14 juillet 1790. « Signé : François Gueneau ; — Jacques Reuil-lon ; Philibert-Hugues Gueneau (ci-devant d’Au-mont). » M. le Président annonce que le sieur Davy, graveur, supplie l’Assemblée d’agréer l’hommage d’une image encadrée, représentant un monument qui pourrait être élevé sur la place de la Bastille: l’Assemblée accepte l’estampe. M. Rewbell, secrétaire, fait lecture du procès-verbal de la séance de ce matin. M. Bouche représente qu’il a été fait une motion tendant à ce que le roi fût supplié de donner des ordres pour envoyer, dans le plus court délai, des troupes à Avignon ou aux environs, afin de protéger les établissements français qui sont dans cette ville. Il demande, en conséquence, que cette motion, qui a été renvoyée à l’ordre de deux heures, soit insérée au procès-verbal. M. B cw bel 1 répond qu’il n’a pas oublié cette motion dont il est l’auteur; mais comme l’Assemblée n’a pris aucune résolution, il n’a pas dû en faire mention au procès-verbal. (L’Assemblée passe à l’ordre du jour.) Les députés de la ville de Paimpol, â la confédération du 14 juillet , offrent un don patriotique ; l’un d’eux, M. Thomas, porte la parole en ces termes : « LaFrance a parlé ; 25 millons d’hommes ont exprimé leur vœu : l’alliance de toutes les parties de l’Empire pour soutenir l’ouvrage de votre sagesse, le serment que tous les Français ont fait de vivre et de mourir pour la Constitution: voilà le plus bel éloge de l’Assemblée nationale. Il était depuis longtemps dans tous les cœurs, il a été au même instant dans toutes lesbouches ; il a retenti dans l’univers, et ce cri d’un grand peuple, qui sera bientôt le modèle de tous les autres, va réveiller ceux qui dorment encore dans la servitude : vous leur avez révélé le secret de leurs droits, trop longtemps méconnus. Ils les ressaisiront, ils rompront leurs chaînes, comme vous avez brisé toutes celles qui nous entouraient, et, régénérateurs de votre pays, vous deviendrez les bienfaiteurs, les libérateurs du monde. « L’admiration des siècles sera votre récompense ; vous en avez déjà obtenu une non moins précieuse, l’amour et la reconnaissance de vos concitoyens : ils bénissent vos travaux, ils répètent vos noms avec transport, ils les apprennent à leurs enfants avec les mots de patrie et de liberté. La France sera heureuse, et le spectacle de son bonheur fera votre bonheur et votre gloire. « Fiers d’avoir déjà été les organes des habitants de la ville de Paimpol au pacte de famille des Français, nous ne nous honorons pas moins de vous apporter l’hommage de leur respect et de leur dévouement ; vous l’avez plusieurs fois reçu, mais ils aiment à répéter ce qu’il est si doux pour eux de sentir: iis osent le dire, laRévolution n’a pas eu plus de fermes soutiens, ni l’Assemblée nationale d’admirateurs plus sincères. Epuisés par leur zèle et leurs nombreux sacrifices, les habitants de Paimpol ont cherché autour d’eux ce qu’ils pourraient encore offrir à la patrie ; ils n’ont trouvé que leurs boucles d’argent, leurs femmes y ont joint des bijoux ; nous venons les déposer entre vos mains. Ce tribut de notre patriotisme eût été plus digne de vous, si nos ressources avaient égalé notre courage à déjouer les sourdes menées des ennemis du bien public, notre vigilance à assurer la perception des impôts, et notre infatigable ardeur à soutenir la plus belle des révolutions. » (On interrompt plusieurs fois par des applaudissements.) M. le Président. L’Assemblée nationale applaudit au zèle qui vous anime ; elle a entendu avec sensibilité l’expression de votre patriotisme, et reçoit, avec satisfaction, le don que vous lui présentez. Puissent tous les Français mériter, comme vous, ses éloges ! Elle vous invite à assister à sa séance. M. le Président. L'ordre du jour est un rapport du comité des rapports sur la succession de Jean Thierry . M. Pellerin, député de Nantes , rapporteur. Messieurs, la succession de Jean Thierry existe-t-elle ? Il n’est pas permis d’en douter d'après une 324 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 juillet 1790.] foule de faits accumulés qui la constatent. Jean Thierry tint toutes ses richesses du legs universel porté au testament de Stipaldy, son coassocié dans le commerce, lequel l’avait adopté pour son frère. Ce testament est reconnu : il contient un détail énonciatif de propriétés foncières et de titres de créances ; deux certificats d’ambassadeurs de France à Venise attestent l’existence de Thierry et de son hérédité. Quels sont les biens qui composent cette succession? Ce sont des capitaux sur l’hôtel des monnaies de Venise, sur l’hôtel de ville de Paris, et trois maisons-situées à Corfou. Quel est l’intérêt de l’Etat à l’examen de cette succession ? C’est de donner, d’une part, des juges aux parties contendantes, afin que la justice soit rendue ; et, de l’autre part, d’approprierauTrésor public une succession opulente qui lui serait dévolue à titre de déshérence. Qui peut statuer sur cette question ? L’Assemblée nationale. En l’année 1781, il a été établi une commission du conseil pour la juger ; les prétendants, éconduits par d’anciens arrêts, demandent un nouveau tribunal, deux seuls restent en litige, et, en consentant à la prorogation d’une commission qui ne réunit pas la confiance, ilsdésirent qu’elle ne juge qu’à la charge de l’appel. Voici le projet de décret que vous propose votre comité des rapports : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, désirant faire jouir les prétendants droit à la succession de Jean Thierry, décédé à Venise en 1676, dans une affaire qui présente un grand intérêt, des droits dont jouissent tous les citoyens dans des causes de bien moindre importance, proroge provisoirement, à la commission ci-devant nommée par le roi pour juger ces contestations nées et à naître entre les prétendants droit à la même succession, l’attribution de juridiction qui lui a été accordée à cet effet, à la charge que les jugements, par elle rendus ou à rendre, ne seront censés l’être qu’à la condition de l’appel ; en conséquence, l’Assemblée nationale accorde aux prétendants droit, actuellement en instance, et à ceux qui out été précédemment jugés, le droit de se pourvoir par appel contre les jugements de la commission, rendus ou à rendre, par-devant celui des tribunaux qui vont être incessamment organisés, qui leur sera désigné pour tribunal d’appel ; et pour venir au secours de ceux des prétendants droit à cette succession, qui ne se sont pas mis en état, dans les delais successivement fixés par les arrêts du conseil précédemment rendus, l’Assemblée nationale leur accorde un nouveau délai de six mois, à compter de la publication de son présent décret, pour servir à ladite commission leurs titres, papiers, documents, généalogies et mémoires, dans les formes déterminées par les mêmes arrêts. « L’Assemblée nationale charge son Président de se retirer par-devers le roi pour le supplier de donner sa sanction au présent décret. » M. Bouchotte. Je demande qu’il soit fait des informations auprès de la république de Venise pour connaître les sommes qu’elle a payées aux ministres ou aux prétendants à l’hérédité. M. Goupil. La succession de Jean Thierry me paraît ressembler à la dent d'or de l’enfant de la Silésie. Les savants se disputèrent, se dirent force injures, pour combattre ou prouver l’existence et la possibilité de ce prétendu* phénomène. Voilà l’histoire de la conduite de tous les contendauts à cet héritage imaginaire. Si cette succession existe, les héritiers doivent aller à Venise, demander l’exécution du testament créé sous les lois de cette république. Je crois donc qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. BouttevilIe-Dumetz.Ce n’estpas une commission dans l’acceptation ordinaire de ce terme, qui a été établie pour cette affaire, mais un tribunal institué par un pouvoir légitime, lorsqu’il n’y en avait point d’autres qui pussent en être légalement saisis. D’après ces principes.on ne doit pas raisonnablement accorder aux contendants déjà jugés la faculté d’appeler des jugements déjà rendus. M. Prieur. Vous ne pouvez détruire, par un appel facultatif, des jugem< nts rendus en dernier ressort, et auxquels les parties ont aquiescé en renonçant aux voies de requête civile ou de cassation. (L’Assemblée renvoie cette affaire au comité pour proposer un nouveau projet de décret.) (La séance est levée à dix heures.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 24 JUILLET 1790. OPINION de M. l’abbé llanry, député de Picardie, SUR LES FINANCES ET SUR LA DETTE PUBLIQUE ; dont l'état a été présenté et discuté par lui au comité des finances , le 23 et le juillet 1790 (1). Messieurs, en ma qualité de membre de votre comité des finances, j’ai été député au nouveau bureau institué pour régler les aliénations des biens nationaux. Nous n’avons eu encore qu’une seule séance dans laquelle nous n’ayons approfondi le plan proposé par M. l’evêque d’Autun. Ce prélat était présent à notre discussion préparatoire. Nous avons été convoqués et contremandés trois fois depuis cette première assemblée, où nous n’avions rien arrêté. Urne semble cependant que le premier article du projet de décret dont on vient de vous faire lecture, préjuge définitivement la question que vous nous avez ordonné d’examiner. Nous sommes ajournés pour la traiter à fond, lundi prochain; mais elle ne serait plus entière, et vous l’auriez décidée d’avance, si vous adoptiez, dès ce moment, le décret présenté par M. le duc de La Rochefoucauld. Il s’agit d’examiner s’il est avantageux à la nation d’aliéner tous les biens du domaine et du clergé, et de recevoir, en payement de ces ventes, les créances sur l’Etat, en évaluant les capitaux, à raison de 5 0/0 de leur intérêt annuel. Avant d’entrer dans cette discussion, j'insiste d’abord sur la demande que j’ai si souvent et si inutilement réitérée dans l’Assemblée nationale. Je ne cesse, depuis dix mois, de faire les motions les plus expresses pour vous engager à vous élever, dans vos délibérations sur les finances, au-dessus des aperçus vagues, des moyens partiels, des ressources provisoires, des palliatifs du moment, enfin des petits expédients plus propres à débarrasser l’administration qu’à régénérer l’Etat. J’insiste particulièrement sur cette importante (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur .