210 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] [3 juillet 1789. [ tiesdu devoir, ne voient plus leur sûreté que dans la terreur qu'elles inspirent. Enfin, ont-ils prévu, les conseillers de ces mesures, ont-ils prévu les suites qu’elles entraînent pour la sécurité même du trône? Ont-ils étudié dans l’histoire de tous les peuples comment les révolutions ont commencé, comment elles se sont opérées? Ont-ils observé par quel enchaînement funeste de circonstances les esprits les plus sages sont jetés hors de toutes les limites de la modération, et par quelle impulsion terrible un peuple enivré se précipite vers des excès dont la première idée l’eût fait frémir? Ont-ils lu dans le cœurde notre bon Roi? Connaissent-ils avec quelle horreur il regarderait ceux qui auraient allumé les flammes d’une sédition, d’une révolte peut-être, (je le dis en frémissant, mais je dois le dire), ceux qui l’exposeraient à verser le sang de son peuple, ceux qui seraient la cause première des rigueurs, des violences, des supplices dont une foule de malheureux seraient victimes? Mais, Messieurs, le temps presse ; je me reproche chaque moment que mon discours pourrait ravir à vos sages délibérations, et j’espère que ces considérations, plutôt indiquées que présentées, mais dont l’évidence me paraît irrésistible, suffiront pour fonder la motion que j’ai l’honneur de vous proposer. Qu'il soit fait au Roi une très-humble adresse, pour peindre à Sa Majesté les vives alarmes qu’inspire à l’Assemblée nationale de son royaume l’abus qu’on s’est permis depuis quelque temps du nom d’un bon Roi pour faire approcher de la capitale et de cette ville de Versailles un train d’artillerie et des corps nombreux de troupes, tant étrangères que nationales, dont plusieurs se sont déjà cantonnés dans les villages voisins, et pour la formation annoncée de divers camps aux environs de ces deux villes. Qu’il soit représenté au Roi, non-seulement combien ces mesures sont opposées aux intentions bienfaisantes de Sa Majesté pour le soulagement de ses peuples dans cette malheureuse circonstance de cherté et de disette de grains, mais encore combien elles sont contraires à la liberté et à l’honneur de l’Assemblée nationale, propres à altérer entre le Roi et ses peuples cette confiance qui fait la gloire et la sûreté du monarque, qui seule peut assurer le repos et la tran-quilliié du royaume, procurer enfin à la nation les fruits inestimables qu’elle attend des travaux et du zèle de cette Assemblée. Que Sa Majesté soit suppliée très-respectueusement de rassurer ses fidèles sujets en donnant les ordres nécessaires pour la cessation immédiate de ces mesures également inutiles, dangereuses et alarmantes, et pour le prompt renvoi des troupes et du train d’artillerie aux lieux d’où on les a tirés. Et, attendu qu’il peut être convenable, en suite des inquiétudes et de l’effroi que ces mesures ont jetés dans le cœur des peuples, de pourvoir provisionnellement au maintien du calme et de la tranquillité, Sa Majesté sera suppliée d’ordonner que dans les deux villes de Paris et de Versailles, il soit incessamment levé des gardes bourgeoises qui, sous les ordres du Roi, suffiront pleinement à remplir ce but sans augmenter autour de deux villes travaillées des calamités de la disette le nombre des consommateurs. Les signes les moins équivoques d’approbation se manifestent par les vifs applaudissements de toute l’Assemblée. Le bruit des applaudissements se prolonge. M. le Président. La motion qui est faite vierpt d’autant plus à propos, que j’ai reçu aujourd’hui des ordres qui peuvent rassurer les esprits de l’Assemblée et du public ; le Roi m’a fait ordonner de me rendre auprès de sa personnne à six heures du soir. Jugez-vous à propos, Messieurs, de renvoyer au bureau pour en rendre 'compte demain, comme le demande M. de Mirabeau ? M. le marquis de Lafayette. Il me semble que la motion de M. de Mirabeau est tellement importante, qu’elle est de nature à être renvoyée au bureau, et je suis d’avis que la discussion s’établisse aussitôt sur cette motion. M. de Goupil de Préfeln. Le sentiment dje l’honneur et de la liberté est inné dans le cœür des Français ; il importe à notre honneur que nous délibérions en liberté ; cela importe ausèi au bien du service du Roi. Quel citoyen, désirant reconnaître les droits légitimes de la puissance exécutive, ne se trouverait pas arrêté par cpt appareil alarmant : que doit-on espérer, quan}d ce sera au milieu des troupes que nos travaux se formeront ? Notre réclamation ne saurait êffie un acte de faiblesse ; chacun de nous en e$t incapable : ce n’est qu’un hommage que je rends aux libertés nationales. ] Je propose d’engager M. le président de présenter ce soir au Roi cette considération importante. M. l’abbé Sieyès. Je ne parle point pour faire adopter ni pour faire rejeter la motion, parce que je n’en connais pas encore suffisamment la contexture; mais je crois utile de rappeler A l’Assemblée que dans toutes les Assemblées délibérantes, et notamment aux Etats de Bretagne, on ne se croirait pas assez libre pour délibérer, s’il se trouvait des troupes à dix lieues à la ronde du lieu où ils se tiennent ; qu’il est une vérité incontestable : c’est que l’Assemblée nationale doit être libre dans ses délibérations ; qu’elle ne peut l’être au milieu des baïonnettes ; et enfin, que lors même que le sentiment intérieur de tous ceux qui la composent les élèverait au-dessus de toute crainte, ce n’est pas assez, puisqu’il est absolument nécessaire que le peuple, que la nation les regarde comme libres si l’on ne veut pas perdre tout le fruit de cette Assemblée. M. Chapelier: Personnne n’a osé s’élever contre ia motion ; car, comment soutenir en effet que des corps et des armées doivent environner l’Assemblée et alarmer nos commettants? 11 y a vingt ans qu’une pareille réclamation fut faite aux Etats de Bretagne ; cette réclamation partit de la noblesse, et les troupes furent retirées. M. le comte de Mirabeau. Lorsque j’ai présenté ma motion, j’étais persuadé et je n’ai jamais douté que la noblesse ne se jetât entre nous et les baïonnettes ; ce n’est pas elle que je redouté; je les connais les conseillers perfides decesatteù-tats portés à la liberté publique, et je jure sûr l’honneur et la patrie de les dénoncer un jour. (On applaudit.) M. Target met sous les yeux de l’Assemblée un article de son cahier qui porte « qu’aucune troupe militaire ne pourra approcher plus prés de dix lieues de l’endroit où seront assemblés les Etats généraux, sans le consentement ou la demande des Etats. » [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1789.] 211 M. l’abbé Grégoire, curé d’Emberménil. On ne peut se dissimuler que ceux qui craignent la réforme des abus dont ils vivent, épuisent toutes les ressources de l’astuce et font mouvoir tous les ressorts pour faire échouer les opérations de l’Assemblée nationale. Si les Français consentaient actuellement à recevoir des fers, il seraient l’opprobre du genre humain et la lie des nations ; en conséquence, non-seulement j’appuie la motion, mais je demande qu’on dévoile, dès que la prudence le permettra, les auteurs de ces détestables manœuvres ; qu’on les dénonce à la nation comme coupables du crime de lèse-majesté nationale, afin que l’exécration contemporaine devance l’exécration de la postérité. Plusieurs membres demandent que la discussion soit fermée, et qu’on aille aux voix. M. de Gouy d’ Arcy. Le sujet est si important et la délibération si pressante, que je prie M. le président de faire procéder à l’appel, et de finir la délibération avant de lever la séance. La discussion est fermée ; on demande de nouveau à aller aux voix. M. le comte Mirabeau relit sa motion. M. ISIauzal. Le Roi n’aura jamais de garde plus assurée que la confiance de ses sujets fil est le père de tous les Français ; pourrait-il redouter de se trouver au milieu de ses enfants ? Cependant on environne de troupes cette Assemblée ; on fait venir des extrémités du royaume une effrayante artillerie ; on établit des 'camps aux environs de cette ville, comme s’il y avait lieu de craindre des attaques et de livrer des combats. Pour faire cesser ces alarmes, j’adopte la motion de M. le comte de Mirabeau ; mais je propose, par amendement, de retrancher l’article concernant la garde bourgeoise, sauf à y revenir dans la suite, s’il paraît nécessaire. Cet amendement est adopté. La motion ainsi dégagée est mise aux voix ; elle passe à l’unanimité, excepté quatre voix. En voici le texte : « Qu’il sera fait au Roi une très-humble adresse, pour peindre à Sa Majesté les vives alarmes qu’inspire à l’Assemblée nationale de son royaume, l’abus qu’on s’est permis , depuis quelque temps, du nom d’un bon Roi, pour faire approcher de la capitale et de cette ville de Versailles, un train d’artillerie et des corps nombreux de troupes, tant étrangères que nationales, dont plusieurs sont déjà cantonnées dans les villages voisins, et pour la formation annoncée de divers camps aux environs de ces deux villes : qu’il sera représenté au Roi, non -seulement combien ces mesures sont opposées aux intentions bienfaisantes de Sa Majesté pour le soulagement de ses peuples, dans cette malheureuse circonstance de cherté et de disette des grains; mais encore combien elles sont contraires à la liberté et à l’honneur de l’Assemblée nationale; propres à altérer entre le Roi et ses peuples cette précieuse con-iiance qui fait la gloire et la sûreté du monarque, qui seule peut assurer le repos et la tranquillité du royaume, et procurer enfin à la nation les fruits* inestimables qu’on attend des travaux et du zèle de cette Assemblée : que Sa Majesté sera suppliée très-respectueusement de rassurer ses fidèles sujets, en donnant les ordres nécessaires pour la cessation immédiate de ces mesures, également inutiles, dangereuses et alarmantes, et pour le prompt renvoi des troupes et du train d’artillerie au lieu d’où on les a tirés. » En conséquence, M. le président qui, dans le cours de la séance, avait annoncé que Sa Majesté lui avait fait dire de se rendre auprès de sa personne à six heures du soir, a été chargé par l’ Assemblée nationale de demander au Roi si Sa Majesté voudrait bien recevoir une députation qui lui présentera la respectueuse adresse que l’Assemblée nationale vient de décréter. M. le Président invite les comités de rédaction, de vérification de pouvoirs, de règlement et de distribution du travail relatif à la constitution, à s’assembler ce soir à six heures, et la séance est prorogée à demain neuf heures du matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE FRANC DE POMPIGNAN, ARCHEVÊQUE DE VIENNE. Séance du jeudi 9 juillet 1789. Al’ouverturede la sépnce, M. le Président dit que, sur l’invitation qui lui en avait été faite par Sa Majesté, il s’était rendu hier au soir auprès du Roi. Le monarque lui a dit qu’il aurait voulu le voir pour lui manifester ses intentions relativement aux troupes qui se sont approchées de Paris et de Versailles ; qu’elles ne porteront jamais aucune atteinte à la liberté des Etats généraux ; que leur rassemblement n’a d’autre but que de rétablir le calme, et que leur séjour ne durera que le temps nécessaire pour garantir la sûreté publique, objet de sa prévoyance. Le Roi a ajouté qu’étant déjà instruit de la délibération prise par l’Assemblée à ce sujet, il recevrait la députation, et lui donnerait une réponse ostensible. On lit ensuite différentes adresses envoyées à l’Assemblée de la part des électeurs des villes de Bordeaux, Poitiers, Nemours, Ghâtellerault et Uzerches. Toutes ces adresses expriment les mêmes sentiments de respect, de reconnaissance pour l’Assemblée, et d’adhésion à tout ce qu’elle a déjà fait. L’Assemblée les accueille avec intérêt et en ordonne l’insertion au procès-verbal. M. de Lally-Tollendal donne lecture du procès-verbal. M. le Président prévient l’Assemblée que M. le rapporteur de la députation du bailliage d’Amont est prêt à faire le rapport de la contestation élevée sur les deux députations de ce bailliage. M. Tronchet fait ce rapport. Il en résulte qu’il existe deux députations de la noblesse. L’une, au nombre de trois, nommée par la majorité ; L’autre, par la minorité, également au nombre de trois. La première a été faite dans une convocation des trois ordres ; L’autre, en vertu d’un arrêt du conseil. Cette affaire est devenue excessivement compliquée par les arrêtés du parlement de la paovirice, les arrêts du Conseil, pour casser les arrêtés et les protestations des deux partis.