488 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [u mai 1790. j « Nos chers frères et compatriotes, « Il n’est point de liberté sans lois consenties, et il n’est point de lois salutaires sans liberté. Nous jouissons présentement de ces deux biens inappréciables, c’est à les conserver que doivent tendre toutes nos actions. « En réfléchissant à notre ancienne position, nous sentons qu’elle était la plus cruelle de tou-es; nous sentons que des différentes classes entre lesquelles était autrefois divisée la famille des Francs, la nôtre est celle qui a le plus gagné par le recouvrement de ses droits si longtemps et si indignement méconnus : l’écrit que nous vous adressons en contient l’authenticité bien frappante. La reconnaissance nous oblige donc, plus que d'autres, à procurer à nos libérateurs la satisfaction de voir s’achever leur majestueuse entreprise. Cependant, combien de nos compatriotes dont l’état n’est pas la profession des armes, nous donnent l’exemple du plus grand dévouement pour garantir le bonheur public 1 Ces pactes fédératifs de dix, vingt, quarante, cent mille hommes, couvriraient nos drapeaux d’un opprobre éternel, et nous rendraient indignes du nom de Français, si nous ne manifestions les sentiments qui nous animent, en attendant l’occasion de les faire mieux connaître. « En conséquence, nos chers frères et compatriotes, après que nous avons tous prêté, dans notre âme, le serment exprimé par un de nos camarades dans l’adresse ci-jointe, nous le renouvelons entre vos mains, et vous prions, conjurons au nom de lu liberté et du salut commun, d’employer toutes vos forces, de sacrifier toutes vos existences pour le maintien de la Constitution : nous comptons sur vous. Non, il ne sera point dit que les sénateurs de France auront été interrompus dans leur saint ministère 1 non, il ne sera point dit que les guerriers de France, et surtout les grenadiers, les auront abandonnés aux poignards des faux et impies patriotes! non, il ne sera point dit que Louis XVI, restaurateur, appui de notre liberté, aura été livré à ceux qui ont tant de fois déchiré son cœur paternel en le trompant sur le sort de ses peuples! « Nous allons instruire l’Assemblée nationale de notre démarche. « Nous sommes avec cordialité, nos chers frères et compatriotes, vos très humbles et très obéissants serviteurs. « Les grenadiers du régiment d’Aquitaine, de notre propre mouvement, et à l’invitation des chasseurs et de nos autres camarades. Signé : Belisle, caporal ; Hercule, caporal ; Buisson, caporal ; Troussac, caporal ; Laplanche, caporal ; Valenciennes, caporal ; Maubeuge, caporal ; Vertamour, caporal ; Sansoucy, caporal ; La Faveur, appointé ; Monteautac, appointé ; Belhu-meur, appointé ; Contois, appointé ; YUlard, appointé; Rigaud, grenadier ; Vendôme, grenadier Hector, grenadier ; Lamoureux, grenadier ; Vernin, grenadier ; Vernay, grenadier ; Latranchée, grenadier ; Janvier, grenadier ; Désirez, grenadier ; Duval, grenadier ; Lajoie, grenadier-, Balalrd, grenadier-, Bonneville, grenadier ; Sansquartier, grenadier ; Fleur-d’Epine, grenadier ; Latour, grenadier ; Robert, grenadier , Laferté, grenadier ; Léveillé, grenadier ; Lavallée grenadier ; Bien-aimé, grenadier-, Lovandhal, grenadier-, Sainte-Foi, grenadier ; Tureune, grenadier ; l’intrépide, grenadier-, Peries, Berol, Bies, Pret-à-boire, Ber-taux, Lavolonté, Bruiay, Duché. » Une députation de la ville d’Arras a été admise à la harre : l’orateur, qui était à la tête, a prononcé un discours qui annonce, de la part des habitants de l’Artois, les dispositions les plus formelles de tenir étroitement unis à l’empire français, et d’employer tous les efforts que peuvent inspirer la sagesse et le courage pour le maintien de la liberté et de la nouvelle Constitution. Ce discours annonce en même temps qu’une fédération patriotique de toutes les gardes nationales des provinces belges, est sur le point de s’effectuer, et l’orateur termine par l’exposition d’un projet de fédération de toutes les gardes nationales du royaume, pour le �maintien de la Constitution et de ia liberté. Adresse de la commune et de la garde nationale de la ville d'Arras. Nosseigneurs, les citoyens qui composent la commune d’Arras et la garde nationale de cette ville, admirateurs de vos glorieux travaux, nous ont députés vers vous pour vous exprimer leur dévouement à la chose publique, dont vous vous occupez si constamment, et le désir qu’ils ont de seconder vos vues patriotiques, dans le généreux dessein que vous accomplissez, celui de régénérer le plus puissant empire de l'univers. Cette commune, Nosseigneurs, obligée de résister au mouvement qui la porterait à devenir déposer ici elle-même l’hommage de son admiration, a cru en devoir charger d’abord le citoyen qui a été assez heureux pour être l’objet de son premier choix. Après lui avoir commandé de se placer à sa tête, de veiller toujours pour elle, et de ne pas quitter le poste important qui lui a été confié par ses frères, elle veut aujourd’hui qu’il s’éloigne d’elle ; elle lui accorde d’avance la plus magnifique récompense de ses travaux, en lui donnant la commission de se présenter, en son nom, devant cette auguste assemblée ; et lui tout fier de cette nouvelle marque de confiance, se félicite, en ce moment, d’avoir à remplir une fonction aussi douce et aussi glorieuse. D’autres citoyens la partagent avec lui : dix mille auraient voulu l’accompagner, trois seulement ont été choisis ; deux d’entre eux représentent ici ces braves citoyens armés pour la liberté et pour la Constitution, qui ont juré d’être les défenseurs de l’une et de l’autre, et qui les ont défendues avant de l’avoir promis ; les autres nous suivaient de leurs vœux. Allez, s’écriaient-ils, lorsque nous nous séparions d’eux, allez, heureux enfants de la patrie, paraissez devant vos pères ; dites-leur qu’il existe à quarante lieues d'eux, vingt-deux mille citoyens qui les bénissent, et qui ne veulent d’autre gloire et d’autre félicité que celle qu’ils leur préparent. Mais, que dis-je ? Nosseigneurs, pendant que j’ose vous entretenir ici de notre dévouement, pendant que nous nous vantons d’être patriotes, tandis que ia France entière l’est, l’envie peut-être s’élève contre nous, la calomnie nous attaque et veut nous perdre. La calomnie ! pourrions-nous la craindre en cette enceinte sacrée? Non, non, elle bourdonne peut-être autour de ces murs, mais elle n’y pénètre jamais. Les législateurs, impassibles comme la loi, ne peuvent se laisser séduire par les suggestions empoisonnées : il faut donc vous l’apprendre, Nosseigneurs, elle a voulu nons infecter de son odieux venin. On a osé dire que, courbés encore sous le joug des préjugés, nous refusions d’ouvrir les yeux au jour pur que la liberté nous offrait. On a osé dire que nous étions opposés à vos 489 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 mai 1790.] décrets. Qu’ils viennent dans nos murs, ces barbares, qui ont voulu troubler la douceur dont nous jouissions dans l’exécution de vos lois. Ils y verront un peuple de frères respectant religieusement ces droits de l’homme, si capables de relever la dignité dégradée par des institutions vicieuses; ils verront comme nous savons nous aimer les uns les autres, et nous leur apprendrons plus encore, comme nous savons pardonner. Ils chercheront s’il existe parmi nous quelque trace de résistance à vos décrets : qu’ils parcourent le registre précieux qui les renferment tous, et qu’ils nous montrent un seul article qui n’ait pas eu parmi nous sa pleine et entière exécution. qu’ils ouvrent celui qui contient les noms des citoyens et les impositions qu’ils doivent supporter, et ils verront s’il en est un seul qui ait manqué de remplir, à cet égard, le devoir que la patrie lui impose. Nous leur montrerons un registre plus intéressant encore : ce registre est déposé sur l’autel de la patrie, ils y apercevront que notre offrande patriotique se monte à six-cent mille livres. Et quand ils apprendront que dans cette même ville, qui ne contient que vingt-deux mille âmes, il existe huit mille pauvres à qui il a fallu donner des secours pendant l’hiver, à qui il faut les continuer encore, et que ces secours ont été et sont fournis par la contribution volontaire des habitants, sans taxe, sans emprunt, sans aucun autre moyen que la persuasion, le seul qui devrait être nécessaire quand il s’agit de soulager des frères d’autant plus chers qu’ils sont plus malheureux, ils rougiront d’avoir offensé des citoyens à qui ils rendront, sans doute, plus de justice. Nous rougissons nous-mêmes d’avoir osé parler de nos calomniateurs, quand nous paraissons devant nos bienfaiteurs : mais si l’habitant d’Arras méprise les coups qu’on lui porte dans l’ombre, il montre son énergie lorsqu’elle devient un pas de plus vers le bien ; et quand cette énergie est échauffée par la justice et la vérité, il n’est plus rien qui l’arrête, et les obstacles à vaincre sont pour lui un plaisir de plus. En ce moment, Nosseigneurs, tandis que nous vous entretenons de nos concitoyens ils s’occupent à ajouter une force de plus à ce superbe édifice de la Constitution que vous avez rendu inébranlable. Il se prépare dans la ville d’Arras une fédération de toutes les gardes nationales du Pas-de-Calais. Au moment où nous quittions cette ville des courriers partaient pour les autres villes, les bourgs, les communautés qu’il contient, et allaient proposer à toutes les gardes nationales de se rendre dans son enceinte le 3 du mois prochain, pour y jurer, en présence du maître des hommes, de défendre, jusqu’au dernier soupir, la Constitution que vous avez établie, et de voler partout au secours les uns des autres. Ce serment solennel doit se répéter, trois jours après, dans la ville de Lille, où se rencontreront les députés des gardes nationales des deux départements du Nord et du Pas-de-Calais. Quelle action plus grande et plus généreuse fut jamais plus digne d’attirer les regards du ciel; celle de resserrer des liens que la nature indique, que la loi autorise, que la patrie commande, que la sûreté de tous nécessite; celle de se constituer les protecteurs de tout ce qui est en danger, les défendeurs de tout ce qui est attaqué, les vengeurs de tout ce qui est opprimé ; celle de former de la France une enceinte formidable, toujours prête à repousser les ennemis du dehors, et à écraser ceux qui oseraient s’élever dans son sein; celle d’échauffer encore, s’il est possible, les sentiments d’attachements réciproques, qui, sous les auspices de la liberté, ne vont plus faire de vingt-quatre millions d’hommes, qu’une seule famille ; celle de rassembler dans un même lieu les représentants des gardes nationales de deux grands départements, pour y jurer, à la face du ciel, de consacrer le bonheur public par l’adhésion la plus ferme et la plus parfaite à tous les décrets de cette auguste Assemblée, et par l’amour le plus tendre pour un roi restaurateur de la liberté, et qui ne veut régner que par la loi. On pourrait concevoir un projet plus grand encore, Nosseigneurs, et la garde nationale d’Arras, de concert avec la municipalité et la commune de cette ville, nous ordonne de le mettre sous vos yeux, et de vous supplier d’en ordonner l’exécution. Déjà, Nosseigneurs, dans différentes parties de la France, les gardes nationales ont formé des fédérations particulières : ces différentes fédérations sont les parties d’un grand tout ; et, outre les liens particuliers qui vont nous unir avec les gardes nationaux des deux départements du Nord et du Pas-de-Calais, nous sommes également les frères d’armes des gardes nationaux du départe-de Paris, de ceux du département du Rhône et de tous les autres. Pourquoi ne se ferait-il pas une fédération générale de tous les gardes nationaux du royaume? Souffrez, Nosseigneurs, que nous vous soumettions le plan de cette auguste cérémonie. Il se ferait dans le chef-lieu de chaque département une assemblée des commissaires ou députés des gardes nationaux de toutes les villes, bourgs et communautés du département. Dans cette assemblée, il serait nommé, au scrutin et à la pluralité absolue, deux, trois ou quatre députés, qui se rendraient ici au jour indiqué ; et en présence de cette assemblée, ils jureraient tous ensemble l’adhésion la plus entière à vos décrets, sanctionnés par le roi, et la fraternité la plus franche et la plus loyale à tous les gardes nationaux du royaume. Tandis que ces députés des gardes nationales lèveraient ici la main, le même jour et à la même heure, dans toutes les villes, ies bourgs et les communautés du royaume, toutes les gardes nationales seraient sous les armes; et l’instant précis que vous auriez fixé, Nosseigneurs, quatre millions de mains se lèveraient vers le ciel, quatre millions de bouches exprimeraient le serment de mourir pour la patrie et la liberté, et ce serment retentirait dans vingt-quatre millions de cœurs. Si ce projet peut-être agréé par vous, Nosseigneurs, dites un mot il sera exécuté, et désormais, vous nos pères communs, vous n’aurez plus que des enfants fidèles et invincibles. Dubois de Fosseux, maire d’Arras; Fromentin de Sartel, Thellier, Deretz-Jouenne, députés de la commune et de la garde nationale de la ville d’Arras. M. Se Président répond : « L’Assemblée nationale applaudit au généreux patriotisme dont la commune d’Arras a donné tant de preuves, et qu'elle a exprimé si énergiquement dans l’adresse que vous venez de lire. La calomnie aurait tenté en vain de nous persuader que les braves Artésiens ne sont pas des Français dignes de ce beau titre, qui reçoit un nouveau lustre par le rétablissement de la liberté. L’union de vos gardes nationales et le vœu plus étendu que votre commune annonce garantissent à la France qu’elle 490 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 mai 1790.] n’a pas de citoyens plus fidèles à la Constitution et plus sincèrement dévoués à l’affermissement de la prospérité publique, que vos commettants. L’Assemblée nationale vous permet d’assister à sa séance. » M. de Robespierre. Je demande que l’Assemblée autorise M. le président à écrire à la ville d’Arras pour lui témoigner la satisfaction de l’Assemblée. (Cette proposition est adoptée.) M-Rrîoïs de Beamnetz. Je demande que l’adresse soit imprimée et qu’elle soit renvoyée au comité de Constitution afin qn’ii examine* la proposition qui y est faite de former une fédération générale des gardes nationales du royaume. (Cette proposition est mise aux voix et adoptée.) M. l’abbé Royer fait part àl’Assemblée d’une adresse souscrite pur 24 prêtres-curés du district d’Orgelet, département du Mont-Jura, qui s’élèvent contre le dessein criminel que plusieurs prélats ont fait éclater, de porter les peuples à la révolte, en se servant insidieusement de l’intérêt du ciel, pour la conservation de leurs intérêts personnels. L’Assemblée ordonne l’impression de cette adresse qui est ainsi conçue : « Nous soussignés, prêtres, curés et vicaires du district d’Orgelet, département du Jura, instruits des protestations qu’ont faites quelques évêques contre les décrets de l’Assemblée concernant les biens du clergé, et des projets qu’ils ont formés d’exciter dans les peuples des mouvements séditieux, sous le prétexte des intérêts de la religion, avons regardé comme un de nos plus saints devoirs de manifester hautement nos sentiments à cet égard. « La religion s’honore des vertus et non des richesses de ses ministres. « L’Eglise est la réunion des fidèles; ses biens sont les biens des peuples; ils viennent d’eux; ils leur appartiennent; ils ont toujours pu en disposer à leur gré. « La plaie la plus cruelle de la religion a toujours été le faste scandaleux de ses pontifes. L’Église n’a cessé de gémir de voir ses biens prodigués avec une profusion scandaleuse à des ministres oiseux et inutiles, pour en priver les seuls utiles et nécessaires. « Il était indispensable, il était urgent de faire cesser cette honte et cet opprobre. La religion était avilie : les mœurs était perdues : les richesses de l’Église ne servaient plus qu’au faste et à la débauche; les vrais pasteurs des peuples étaient dans le besoin ; les églises tombaient en ruines; les prélats, les religieux habitaient dans des palais, dans des temples, et le Dieu du ciel n’avait que de pauvres, sombres et obscures demeures (1). « Quel usage plus sacré la nation a-t-elle pu faire des offrandes faites à l’autel, des dons de la piété, que de subvenir aux calamités publiques, guérir les plaies de l’iitat, régénérer les mœurs, et conquérir la liberté? « Ce qu’on fait les rois, ce qu’ont fait des mi-(1) « Unde clericis exuberare existimas rerum af-« fluentiam, vestium splcndorem, mensarum luxuriant, « congeriem vasorum argenteorum aureorum, msi de « bonis Ecclesiæ? Inde est, quod iüapauper et ittops et « nuda relinquitur, facie miseranda, incul ta, hispida ;