445 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1789.] Saint-Domingue, qui n’avait pas été convoquée ( par le Roi, motivent l’avis du comité. Il consiste à admettre les députés de la Martinique au nombre de deux. Cet avis est adopté par l’Assemblée. MM. Arthur Dillon et Moreau de Saint-Méry, sont admis à prendre séance. Un membre du comité des recherches rend compte de l’affaire deM. de Besenval. Ce comité n’a pu se procurer aucune preuve contre cet officier général ; il lui a bien été remis des copies des deux lettres adressées par M. de Besenval, l’une au commandant, l’autre au lieutenant du Roi de la Bastille; toutes deux, écrites pendant le siège de cette place, engagent ces officiers à tenir bon, et annoncent un secours prochain. Mais le comité n’a jamais pu avoir les originaux de ces lettres. Il a reçu de M. de Montmorin une lettre qui renferme des réclamations de plusieurs cantons suisses, notamment de la république de Soleure, dont M. de Besenval n’a jamais cessé d’être le sujet, du régiment des gardes-suisses, qui demande que cet officier soit jugé par le tribunal militaire établi d’après les traités faits entre la France et la Suisse. Ce rapporteur fait aussi lecture d’un mémoire justificatif de M. de Besenval, qui tend à prouver que les ordres donnés par le Roi et transmis par cet officier général n’avaient pour objet que les brigands qui désolaient la capitale. Le comité pense que, dès qu’il n’existe aucune plainte, aucune accusation légale, aucune preuve concluante, on ne peut détenir plus longtemps M. de Besenval, et que le Roi doit être prié d’ordonner que cet officier général soit mis eu liberté. M. Rewbel observe que le comité des recherches, en proposant un pareil décret, a vraisemblablement oublié que c’est particulièrement à raison de l’affaire de 1. de Besenval que l’Assemblée a arrêté la création d’un tribunal, qui sera établi pour juger les crimes de lèse-nation; il pense que le moment est venu où l’on doit s’occuper de la création de l’établissement de ce tribunal. M. le duc de Liancourt appuie l’avis du comité, et propose pour amendement que M. de Besenval soit mis en liberté sur sa parole d’honneur de se représenter quand il en sera requis. Si l’Assemblée, ajoute-t-il, exigeait une caution de ce serment, et qu’il fût permis à un de ses membres de se présenter pour la remplir, j’oserais m’offrir moi-même pour caution de M. de Besenval. M. le duc de Luynes observe que la vie entière de M. de Besenval dépose en sa faveur, et que lui, qui a servi sous les ordres de cet officier généra], peut assurer qu’il n’a jamais vu en lui qu’un citoyen estimable et toujours fidèle à remplir ses devoirs de citoyen et de militaire citoyen. M. Moreau de Saint-Méry rend un compte fidèle de tout ce qui s’est passé à l’époque où M. de Besenval a été arrêté, époque à laquelle il était lui-même président de la commune de Paris. Il assure que la lettre originale par laquelle il donne des ordres au gouverneur de la Bastille est entre les mains du président du district de Saint-Gervais; il existe encore à l’hôtel-de-ville, ajoute M. Moreau de Saint-Méry, un paquet mis sous le sceau de la ville et sous mon cachet ; il est possible que les pièces contenues dans ce paquet soient entièrement à la décharge de M. de Besenval ; il est possible aussi qu’elles donnent de nouveaux éclaircissements contre lui; je pense donc que l'Assemblée ne peut, sans une justification légale, rendre la liberté à un homme que la voix publique a désigné comme coupable. M. Glezen propose que cette affaire soit renvoyée au Châtelet de Paris. M. Dupont appuie ce renvoi, et veut que toutes les affaires du môme genre soient aussi renvoyées au même tribunal, jusqu’au moment de la création de celui qui doit être établi par la Constitution pour juger les crimes de lèse-nation. M. Target observe que ce renvoi, portant une attribution au Châtelet, ne peut s’effectuer que par un décret de l’Assemblée nationale sanctionné par le Roi ; il ajoute que le Châtelet doit s’adjoindre, pour le jugement de l’affaire de M. de Besenval, un nombre de citoyens notables élus par les citoyens. M . le comte de Mirabeau pense qu’on ne peut adopter ni l’avis du comité, ni celui de ceux qui demandent le renvoi au Châtelet. L’offre généreuse et presque chevaleresque de M. le duc de Liancourt pour un compagnon d’armes , sacré par le malheur, ne peut non plus être acceptée, parce que, dans Paris même où les élargissements sous caution sont admis, ils ne le sont jamais pour des crimes de lèse-nation. Il conclut à l’ajournement de cette affaire, jusqu’à ce que toutes les pièces de conviction pour ou contre M. de Besenval aient été soigneusement recueillies. Après l’examen de la motion de M. Dupont et de quelques amendements qui y ont été et qui y sont encore proposés, l’Assemblée décide « que le Châtelet sera provisoirement autorisé à informer, décréter et instruire, jusqu’au jugement définitif exclusivement, conformément à la loi provisoire, rendue pour la réformation de la jurisprudence criminelle, contre tous les prévenus et accusés du crime de lèse-nation. » La séance est levée à onze heures. ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 14 octobre 1789. Mémoire particulier pour la communauté des juifs établis à Metz , rédigé par Isaac Ber-Bing, l'un des membres de cette communauté (1). Depuis quelques années, les juifs de Metz implorent, par les vœux timides, ce grand acte de législation tant désiré, qui rend à rapprocher les distances que les préjugés religieux ont mis entre les citoyens, et à répartir avec plus d’égalité entre eux les produits de cette industrie vivifiante, les avantages de la société, ainsi que ses charges. Ils voyaient avec douleur, que des obstacles retardaient la marche bienfaisante du gouvernement; leur régénération déjà implicitement prononcée, est restée sans effet, par la force des (1) Ce mémoire n’a pas été inséré au Moniteur. 446 [Assemblée nationale.] préjugés qui sont vraiment la source de tous leurs malheurs. Le moment est enfin arrivé. Le bonheur public est le vœu le plus ardent de notre auguste souverain. Les anciens abus vont disparaître, et la restauration générale est prête à éclore. Se pourrait-il que les juifs restassent seuls opprimés? seraient-ils condamnés à n’être que les témoins gémissants de la félicité universelle, et à rester seuls malheureux dans ce vaste royaume? Déjà le tiers et la noblesse de la cité les appellent à devenir utiles. Ah ! que l’on ne croie pas qu’ils sont insensibles à ce cri de la raison et de l’humanité? l’effusion de la reconnaissance, les larmes de la joie sont leur réponse ; oui, ils deviendront utiles, dès qu’on daignera briser les fers honteux qui les accablent. Qu’on leur rende seulement les facultés du droit naturel, et bientôt l’opinion qui les a trop longtemps avilis, qui a tourné en mépris jusqu’à leur nom, va faire place aux sentiments que les citoyens se doivent entre eux. La législation envers les juifs fut presque toujours un jeu cruel de la finance et cette législation, à son tour, forma leur manière d’être, comme elle forme partout celle des nations. Depuis l’antique catastrophe qui anéantit notre patrie et en dispersa les membres, les juifs restèrent sans appui, et se virent presque toujours les jouets du fisc et les victimes du fanatisme. Epars sur le globe, étrangers partout, il n’ont plus été considérés que comme des aubains, ou comme des espèces de serfs, qu’on écrasait, tantôt par caprice, tantôt par intérêt. Leur attachetnent à des dogmes désavoués par lé Christianisme, les rendit odieux à quelques prêtres intolérants, qui allumèrent partout contre eux la haine des peuples. Les' princes, dans un teihps où les finances n’étaient pas encore un art, mirent cette haine à profit pour les opprimer sous lé manteau de la religion, les bannirent pour confisquer leur propriétés, leur vendirent ensuite la révocation de ce bannissement à prix d’or. C’est du règne de Philippe le Bel, un des plus déprédateurs des rois, que date l’expulsion des juifs de France ; et la même main qui alluma les bûchers des Templiers, fut celle qui signa notre proscription. Ces traitements atroces trop souvent renouvelés, ces persécutions habituelles pendant les siècles de barbarie, plièrent tellement le caractère de la nation, que ses membres rendus inquiets et tremblants par l’impression profonde d’une longue suite d’indignités, devinrent insensibles à tout ; ils oublièrent dans un long avilissement ce que les peuples florissants nomment point d'honneur. Environnés d’ennemis et de délateurs, ils se méfièrent de tout; ne comptant d’amis que parmi eux, les liens de famille et de nation leur devinrent plus chers, et la société, qui leur refusait tous ses avantages, perdit enfin ses attraits à leurs yeux. Le commerce fut le seul objet qui fixa leur attention, parce qu’il leur ménageait des ressources contre les injustices du gouvernement ; et, comme la théocratie est la seule consolation des malheureux sur la terre, leur attachement aux usages les moins essentiels de la religion s’accrut dans la même proportion que leurs malheurs. C’est ainsi que cette austérité de mœurs, cette rigide observance de la religion, se sont conservés par les effets mêmes qui semblaient devoir les détruire. A ce teinps d’ignorance succédèrent les siècles [14 octobre 1789.] de la philosophie; la progression des lumières adoucit enfin la férocité des peuples : ils ne persécutèrent plus pour des opinions religieuses ; mais voyant végéter dans leur sein des milliers d’individus méprisés, sans art, sans science et sans propriété, ils prirent les effets pour la cause, crurent que la nature les avait reprouvés, les laissèrent dans cet état pour ne pas s’opposer sans doute aux vœux de la nature. Encore de nos jours, malgré l’exemple frappant qui montre la différence entre diverses colonies juives, leurs progrès proportionnels avec la tolérance, ia sagesse et la bonté du gouvernement, des écrivains insipides ont osé dire qu’on s’occupait en vain de leur sort, qu’ils ne changeront pas. Que l’on compare cependant le négociant juif d’Amérique, de Londres, d’Amsterdam et de Berlin, à ceux que l’opinion publique dédaigne parmi nous, et on sera persuadé que le juif devient patriote, à mesure que la patrie devient bienfaisante envers lui. C’est ainsi que ia douceur du gouvernement envers les juifs de Metz, et la protection qui y rend leur existence supportable, en ont fait une communauté légale, régie par un code de lois civiles revêtu de la sanction d’une longue suite de monarques, et qui a été souvent utile, et jamais onéreuse à la province. Cette communauté est formée de membres originaires de la ville. Ils sont nés sujets du Roi; ils sont les descendants des quatre familles établies dans la cité, depuis des siècles. De tout temps ils refusèrentd’admettre, sans précaution, les étrangers qui désiraient s’incorporer avec eux par des mariages, et depuis des lettres patentes de 1718, ce motif ne peut plus servir à l’admission d’un étranger parmi eux. De tout temps ils se sont signalés par leur fidélité envers nos rois : Henri IV en porte le témoignage flatteur dans les patentes où il leur accorda sa protection. Louis XIII les renouvela en 1630, et rendit de même justice aux services importants que les juifs de Metz lui avaient rendus ; tous leurs successeurs ont cru devoir renouveler et étendre cette protection qu’on regarda alors comme un . privilège. Ces anciennes familles osent se glorilier de n’avoir jamais été souillées par un crime grave, que les fastes de la justice n’offrent point d’exemples qu’aucun de leurs membres ait été supplicié. Elles osent s’honorer de n’avoir presque jamais fait naître de banqueroutes frauduleuses ; que si elles n’ont pas toujours été exemptes des embarras inséparables d’une profession qui gît uniquement dans le commerce, du moins, ces malheurs ont été plus rares, à proportion, et moins fâcheux que partout ailleurs. Circonscrits dans un quartier étroit de la cité, ils y ont l’exercice libre de leurs culte, usages et coutumes ; ils ont la répartition de leurs charges, une espèce de juridiction de leurs différends, et la police intérieure de leur corporation. L’une et l’autre n’ont de force que par ia religion et le respect humain. Le public ne sait pas assez combien cette religion est austère dans ses principes, exigeante dans son ascétisme, et combien elle est scrupuleusement observée. 11 ignore quecetle religion consiste moins en dogmes qu’en lois positives ou négatives. L’a-moür du prochain ; la charité envers tous les ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (14 octobre 1789.] 447 arts et métiers, enfin toutes les professions et • pauvres, sans distinction (1); la fidélité envers le Roi et la patrie en sont les préceptes les plus solennellement recommandés (2). L’extrême frugalité dont les juifs font professions, les a jusqu’à présent préservés de la déprédation du luxe; l’union conjugale est encore y parmi eux inviolable ment respectée; l’autorité des chefs de famille n’est pas encore dédaignée, � et la vieillesse ne gémit pas parmi nous d’un mépris qui décèle l’oubli des devoirs les plus sacrés. La communauté des juifs de Metz de son côté, _ a fait jusqu’à présent tous ses efforts pour prévenir par des règlements intérieurs, sinon les abus, du moins les désordres du commerce. Elle P a généralement défendu de prêter aux enfants de famille, aux militaires qui vivent sous la loi de ♦ leurs parents, et aux militaires mineurs, dans tous les cas (3). Outre les jeux de hasard, la plupart des jeux permis aux chrétiens leur sont défendus ; ils ont r des règlements somptuaires et de police pour le maintien desquels ils n’ont d’autre autorité � que l’opinion, et cependant ils s’observent comme de soi-même. � Privés dés secours de l’agriculture, des arts, de toutes les charges civiles, quelques-uns tiennent labanqueavec les négociants des autres royaumes ; d’autres font le commerce d’étoffes, de chevaux * et de bijoux ; plusieurs se chargent de toutes sortes d’entreprises. Le reste qui, hélas, forme les deux tiers de la nation, languit sans autres res-sources que la petite friperie (4). Ce n’est cependant qu’avec ces chétifs moyens ► que les juifs de Metz sont obligés d’acquitter les impositions énormes dont ils sont surchargés. f Réduits à environ 2,000 individus, ne formant presque pas le 18e de la population de la ville, ne possédant aucuns biens réels, et peut-être pas le centième des richesses représentatives des habitants de la ville, ils payent le sixième de la capitation de la cité : 8,297 , puis 7,706 livres à m** titre d’industrie; 3,465 livres pour vingtième de leurs chétives habitations et 1,391 livres pour � corvées. De plus ils contribuent avec environ 350 juifs ,■ de la campagne au payement de 20,000 livres, à titre de droit de protection dont Louis XIV a fait � don à la maison de Brancas. Us payent une rétribution de 450 livres à l’hôpital général , où jamais ils ne sont W admis. Ils payent 200 livres annuellement au vicaire delà paroisse, 500 livres pour le logement > (1) Nous observons fidèlement de donner aux pauvres la dîme que les chrétiens payent au clergé. Nous ► y soumettons même le produit de l’industrie. (2) Il est sans doute glorieux pour un peuple qu’il �n’y ait point d’exemple qu’aucun de ses membres ait 'jamais trempé dans une conspiration ou émeute populaire. > (3) La communauté eût l’intention d’écrire en 1786, à tous les chefs de corps en garnison dans les évêchés y pour les prier, en cas qu’un juif du syndicat de Metz, prêtât à un militaire mineur, de lui dénoncer la négo-cialion, en s’engageant à faire rendre le titre que le mi-� neur aurait souscrit, sans aucune formalité. (4) Il est digne de remarque que, malgré les entraves ►qui nous ont tous pliés au commerce, il n’y a pas un juif dans les évêchés qui eût porté ses vues sur le commerce en gros des blés ; et cela, parce que la religion � a prononcé une espèce de blâme contre ceux qui entassent ce premier objet de nécessité, pour attendre y avec avidité le moment de la cherté. des gens de guerre, et 200 livres au bailliage, sans compter cette espèce de tribut que la faiblesse porte à la force, comme un hommage, et qui s’est érigé en droit, sans compter les dépenses religieuses et civiles de leur corporation; enfin, leurs moyens sont si bornés, et leurs charges si considérables que leur existence tient vraiment du prodige ; c’est le chef-d’œuvre de ce que peuvent l’industrie, l'activité et J a frugalité réunies. Tel est le peuple dont on a mis en problème, s’il est possible de le rendre utile. Peut-être eût-il mieux valu mettre en question comment, sous tant d’abus contraires à l’humanité et au bon ordre social , il a pu conserver son existence. O11 n’ignore par le reproche banal que forme contre nous un vulgaire prévenu et qu’il prend pour prétexte de sa haine. Notre religion, dit-on, favorise, ordonne même l’usure ; elle est notre élément ; elle dévaste la ville et les campagnes ; elle forme le caractère national et ce caractère est indélébile. Ce reproche est le point de ralliement de tous ceux qu’une animosité particulière ou des préjugés enracinés ont indisposés contre nous. On conçoit à peine que des chrétiens dont le système religieux est principalement fondé sur la Bible, puissent assurer qu’elle renferme un précepte aussi antisocial; qu’elle érige l’usure en loi positive. Ce n’est pas manquer aux devoirs de la religion, quand on ne lit pas l’Ancien Testament, bu qu’on ne le lit que superficiellement; maisc’est manquer essentiellement au devoir de l’homme, quand on abuse d’une lecture superficielle pour inculper aussi gravement une nation entière et sa loi. Il est taux et très-faux que la nôtre autorise les profits usuraires: elle a prouvé plus d’une fois qu’elle défend l’usure dans tous les cas envers tous les hommes (1), et l’opinion contraire doit être mise au nombre des paradoxes hasardés par des écrivains plus avides de réputation que d’être exacts. On se fût exprimé avec plus de justesse, si l’on eût dit que les lois du royaume, en considération du peu de ressource laissé aux juifs pour subsister, leur avaient permis qu’il prêtassent à un intérêt supérieur au taux ordinaire. Les lettres patentes de 1634 les autorisent à prêter à 12 0/0. Les lois générales de la nation sur l’intérêt légal parurent ensuite modifier celle-ci; mais dans la pratique, cette dérogation resta toujours dans une sorte d’incertitude. Que deviendrait en effet un peuple à qui on a interdit la propriété territoriale, l’exercice des (1) Il est vrai que le législateur admet une différence entre l’usure et l’intérêt ; il se sert de deux termes pour exprimer l’un et l’autre. Comme son vœu était incontestablement que les juifs, citoyens de la Palestine, formassent un peuple agricole et non commerçant, témoin l’institution du jubilé et de l’année sabbatique, le commerce n’y pouvait être que l’occupation de l’étranger, et c’est envers lui seulement, quand il empruntait pour son commerce, que la loi permit l’intérêt marchand ; mais l’usure ne fut jamais permise dans ancun cas; le sieur J.-R.-B. dans une brochure qu’il publia en 1787, en réponse à un libelle anonyme, a démontré ces assertions avec toute l’évidence dont une pareille matière est susceptible ; les bornes et le genre de cet ouvrage ne permettent pas de rapporter ici le concours de ses épreuves. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1789.] 448 charges civiles, tandis que, d’un autre côté, on l’a surchargé d’impôts et de taxes excessives? N’est-il pas obligé de tourner ses vues vers le commerce, de spéculer sans cesse sur l’argent ? Et le commerce, comme toute autre matière, a ses abus; mais ces abus sont la suite d’une nécessité si impérieuse, que la loi même n’a pu s’empêcher de les respecter. Nous pourrions observer ici que les abus mêmes sont très-souvent balancés par des avantages réels ; que tels citoyens chargés des entreprises au-dessus de leurs forces, s’applaudissent souvent de trouver chez les juifs des ressources que la méfiance de leurs concitoyens leur eût refusées. Ceux-ci demandent des sûretés, et des sûretés plus claires que le jour, et l’habitude de calculer les probabilités, donne aux juifs une intrépidité rare qui leur fait tout entreprendre. Mais sans nous prévaloir d’exemples particuliers, avouons au moins que ce serait le comble de l’injustice de présenter comme un caractère national, ce qui est partout l’abus habituel du commerce et le vice de quelques particuliers. Qui osera dire que les folies de l’agiotage n’aient été infiniment plus dangereuses? Eh bien! compte-t-on un seul juif parmi ceux qu’elles ont signalés? l'homme d’affaire quiescompte un effet, le citoyen qui vend à crédit, cherchent également à faire* profiter leurs fonds; la différence entre eux et les juifs est en raison de ce que les affaires de ceux-ci sont généralement plus aventurées, leurs entreprises plus périlleuses, parce que ceux qui possèdent quelque numéraire sont tous gens d’affaires et marchands. Mais abstraction faite de ce nombre qui est vraiment petit dans cette ville, fixez vos regards, si la répugnance de voir des malheureux vous le permet, sur tant d’individus absolument indigents, qu’une loi tyrannique éloigne des ateliers et des travaux de l’agriculture, que leur extrême pauvreté empêche de se faire une ressource du commerce; c’est dans les demeures de ces infortunés, dans le sein de leurs malheureuses familles, qu’il faut voir lutter la nature et la religion contre le désespoir. Figurez-vous des pères de famille parcourant la ville depuis le matin jusqu’au soir, heurtant à toutes les portes pour recevoir et débiter les livrées de l’indigence ; heureux encore si, avec l’insulte et le mépris, ils recueillaient un pain de douleur que la famine seule peut les déterminer à chercher ! Contents de pouvoir apaiser les plaintes de ces êtres innocents, qui, ne connaissent pas encore leur sort, ils retournent le soir dans leur retraite obscure, d’où ils sortent le lendemain sans autre consolation que d’avoir fait un pas de plus vers le tombeau. Et c’est ainsi qu’ils achèvent les jours de misère auxquels l’indifférence du gouvernement les a condamnés. Ah ! si le souffle d’un Roi bienfaisant secondé par un ministre éclairé, a ranimé le génie presque expirant de la nation; quel baume vivifiant sera pour les juifs une législation douce qui lèvera cette barrière, qui effacera cette ligne de démarcation qui les sépare des citoyens? La chaleurn’est pas plus soumise à la préférence de l’astre qui nous éclaire, que les hommes à l’inlluence des lois qui les régissent dans l’intervalle de deux générations ; les gouvernements rendent les hommes stupides et indolents par de mauvaises lois, sages et industrieux par de bonnes. Pour changer notre déplorable position nous ne demandons ni faveurs, ni privilèges, ni grâces ; nous implorons la bonté du souverain et la générosité de la nation pour qu’on fasse cesser l’oppression à notre égard et que la patrie ne nous traite plus en marâtre. Nous supplions qu’on nous accorde le retour au droit naturel, commun à tous les hommes qui ne s’en sont pas rendus indignes par des crimes. Le premier et le plus important de tous, est la faculté d’exercer les arts et métiers. Peut-être quelque jour la postérité aura peine à concevoir qu’on ait pu défendre à une classe entière d’hommes de vouer ses bras au service de la société, et de rendre à leurs compatriotes les secours journaliers qu’ils reçoivent d’eux. Quel motif a pu dicter cette prohibition? Ce n’est pas l’intérêt de la nation. Elle doit désirer d’accroître l’industrie commune, d’augmenter le produit de cette iudustrie et de multiplier autant qu’il est psssible les objets manufacturés. Ce n’est pas l’intérêt de la cité: comme la nation, elle doit désirer de voir naître plus d’émulation, plus de concurrence par le surcroît du nombre de ses artisans. Ce n’est pas l’intérêt de la nation juive: son premier vœu est au contraire qu’on lui permette l’exercice des arts et métiers qui seront la ressource de tant de familles aujourd’hui si misérables. On n’a pas assez approfondi d’ailleurs, quelle imposition ruineuse renferme cette interdiction. Les juifs aujourd’hui sont véritablement tributaires des ouvriers qui bâtissent, qui réparent leurs maisons, de ceux qui façonnent leurs vêtements. Ne pouvant travailler pour eux, il n’v a point d’échange qui puisse balancer ces dépenses. Ainsi les diverses corporations de la ville regardent celle des juifs comme adversaire. Celles-ci craignant la concurrence, appellent la religion dominante au secours de l’intérêt ; et telle a été l’indifférence du gouvernement pour briser nos fers, qu’il n’a pas encore osé surmonter leur répugnance affectée. Aux termes de l’édit des non-catholiques, l’habitant de la Nigritie, celui de l’Indoustan, peuvent v être affiliés aux corps d’artisans, et le juif de Metz qui a acquis le droit d’indigeuat par tant d’années d’habitation, ne le pourrait pas? Ne craignons pas qu’au xvnr siècle, parmi les représentants de la nation française, le préjugé ait encore assez d’empire pour faire redouter d’associer l’artisan juif à l’artisan chrétien. Si, cependant il est décidé que pendant la génération actuelle, les juifs doivent rester isolés et circou-» scrits dans leur enceinte, qu’il leur soit accordé au moins un emplacement convenable pour l’exercice des arts, et pour préparer la jeunesse à cette révolution salutaire qu’ils désirent avec tous les amis de l’humanité. La communauté demandera la permission d’établir dans son sein des écoles des arts pour les pauvres, pour l’instruction desquels elle est prête à faire tes plus grands sacrifices, pourvu1 que le gouvernement veuille les favoriser et encourager. Mais telle est à présent la déplorable position de cette communauté, qu’il lui serait impossible de se soutenir dans une répartition plus équitable des impôts. Osons le dire enfin: dans son état actuel, elle est obligée de recourir annuellement à des emprunts pour lesquels elle hypothè-< que les propriétés de ses membres, afin de pouvoir couvrir le déficit qui se trouve entre sa recette et ses charges; et cependant il n’y a point de particulier qui ne soit cotisé selon sa [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1789.] 449 fortune, qu’il est obligé de déclarer sous la foi du serment, et d’en payer à peu près 12 livres 10 sous pour 1,000 annuellement. C’est sans doute son devoir dans ce moment solennel de réclamer avec énergie la sauvegarde royale et l’équité de la nation contre ce droit de protection de 20,000 livres accordées comme don à la maison de Blacas, qui n’a aucun fondement légitime ni dans le droit des gens ni dans celui du royaume ; d’implorer la bonté de Sa Majesté contre les autres taxes imposées au seul nom de juif; et de lui dénoncer, ainsi qu’à l’auguste Assemblée, les exactions de quelques seigneurs avides de transformer en droit positif les dons offerts par la crainte, et d’étendre sur les juifs des évêchés le despotisme qui s’est établi dans les diverses parties de l’Alsace. Le citoyen ne peut devoir à la patrie qu’un tribut proportionné à ses facultés ; les excéder, c’est l’opprimer injustement. Ne craignons pas de publier cette grande vérité que la nation entière admet, elle est trop généreuse pour refuser à la portion la plus indigente ce qu’elle sollicite pour elle-même. Si les privilèges qui dispensent une classe de citoyens des contributions communes sont des abus, les exceptions qui en surchargent une autre sont des concussions ; elles deviennent des barbaries, lorsqu’elles sont intolérables, et malheureusement telles sont les nôtres. Il ne faut pas se persuader non plus qu’en dernière analyse les fruits de nos spéculations de commerce nous appartiennent. Nos rapports avec les autres citoyens sont plus passifs qu’actifs, et enfin tout va se réunir à la masse des richesses effectives de la nation. Au vrai nous sommes plutôt les agents de la circulation que les propriétaires de l’or: aussi joignons-nous nos vœux à ceux du tiers de la cité, pour que le prêt d’argent au taux du prince, sans aliénation des fonds, soit permis à tous les citoyens, même aux gens de mainmorte. C’est ce qui favorisera infiniment la circulation et ranimera le commerce presque expirant dans les évêchés. A ces réclamations essentielles pour atteindre à l’utilité qu’on demande des juifs nous devons en joindre d’autres non moins importantes. La principale est la faculté dé posséder des fonds soit dans les villes, soit dans les campagnes. Observons que du droit de répandre leur habitation partout, il ne doit pas résulter la dissolution de leur corps et une incorporation absolue avec les autres citoyens. 11 serait dangereux qu’une commotion rapide changeât tout d’un coup notre manière d’être et relâchât subitement tous les liens de notre police particulière. Ajoutons que notre administration intérieure ne saurait être anéantie sans mettre la communauté dans le cas de manquer aux engagements qu’elle a contractés avec un grand nombre de citoyens qui lui ont confié à titre de fonds perdus ce qu’ils ont pu amasser pour se procurer sur le déclin de leurs jours le moyen d’être à l’abri d’une pauvreté absolue. Quant à la possession des terres qui est le plus puissant motif qui porte les hommes à s’occuper de l’agriculture, qui les retient près de cette nourrice commune des humains, on conviendra sans doute que la prohibition contre les juifs est impolitique et immorale. Impolitique, parce qu’on diminue par là le nombre des enchérisseurs qui haussent le prix des fonds et en multiplient les mutations, et parce lre Série, T. IX. que la terre produit toujours en proportion des bras qui la cultivent. Immorale, parce que c’est ôter à l’homme une ressource de subsister, c’est le priver de la plus utile, de la plus innocente des professions à laquelle la nature semble principalement l’avoir destiné. Tels sont les abus imprescriptibles contre lesquels les juifs de Metz présentent leurs réclamations avec la confiance respectueuse que la justice et la vérité peuvent inspirer. Il n’y a qu’un souverain juste, bienfaisant, magnanime, qui sache préférer de régner sur un peuple libre et heureux, que d’exercer son pouvoir sur des hommes faibles, avilis et gémissants ; il n’y a qu’une nation éclairée et généreuse qui sache proscrire vigoureusement les préjugés et les abus dès que l’humanité et la politique les sollicitent également. Il est superflu d’observer ici que la régénération d’un peuple ne s’opère que comme le changement des modes, et on n'aura sans doute pas l’injustice d’espérer que la réforme absolue des juifs suive de près la loi qui leur aura accordé le retour au droit naturel.il s’agit dans ce moment de planter un arbre, il faut laisser écouler des années avant qu’il vienne à la perfection et qu’on puisse en cueillir les fruits. Les opérations de la nature sopt lentes, mais les effets en sont d’autant plus sûrs, et jamais le succès ne répond au but quand on veut forcer sa marche. Mais dans l’espace de temps marqué par elle pour ces sortes de révolutions, on verra succéder à ces hommes aujourd’hui méprisés et réputés inutiles à la société, une génération nouvelle, souple et industrieuse, cherchant la gloire des arts, en état de donner l’essor à son esprit, peut-être à son génie. Ecrivains, esclaves des préjugés, qui croyez que les abus les plus meurtriers acquiérent un caractère respectable par leur ancienneté, votre influence ne saurait être redoutable dans cette auguste Assemblée, consacrée à la gloire de la nation et au bonheur des hommes. Avec quelle effusion de cœur la France entière n’a-t-elle pas accueilli les paroles à jamais mémorables de son auguste souverain : le bien est difficile à faire, a-t-il dit à ses sujets, mais je ne me lasserai jamais de le vouloir et de le rechercher. Quel spectacle imposant pour l’Europe entière que la majesté royale, environnée de l’élite de la plus généreuse des nations, déclarant qu’elle est aussi disposée à entendre la vérité qu’à la protéger ! Quel changement salutaire, quelle révolution heureuse! Les Français n’ont-ils pas le droit d’espérer en la bienfaisance du patriotisme et de la sagesse réunis ? Serait-ce donc une vaine illusion aux juifs de se dire : Et nous aussi, nous serons traite’ s comme des hommes ! Goudchau-Mayer-Cahen , Louis Wolff, députés de la communauté. 29