3�6 [Assemblée nationale.] M. Ànson lit un décret qui n’est relatif qu’à la ville de Paris. M. Dubois de Craneé.Le comité des finances ne nous parle que de Paris lorsque la question qui est à l'ordre du jour ne concerne que la Champagne. Je demande formellement que le rapporteur s’explique et qu’il nous donne son opinion ; l’Assemblée ne peut se mettre dans la dépendance d’un comité. M. Anson. Le comité des finances persiste à vous demander de voter d’abord le décret de Paris et ensuite celui de la Champagne, comme ayant entre eux une liaison intime. M. le Président prend le vœu de l’Assemblée, qui se prononce pour le décret concernant la Champagne. M. Anson dit qu’une difficulté s’est élevée en Champagne sur l’interprétation et l’exécution du décret du 25 septembre 1789, quant à la confection des rôles de l’imposition de 1790, à raison de la taxe personnelle, relative au revenu des propriétaires qui n’exploitent point leur propriété par eux-mêmes, et qui ont un autre domicile que celui du lieu dans lequel est située cette propriété. La question est de savoir si les ci-devant privilégiés doivent être imposées dans le lieu de leur domicile ou dans celui où leurs biens sont situés. Le comité des finances propose de résoudre les difficultés par le décret suivant : «L’Assemblée nationale, considérant qu’il s’est élevé dans quelques pays de taille personnelle des difficultés pour l’exécution de son décret du 25 septembre 1789 sur la confection des rôles de l’imposition ordinaire, à raison de la taxe personnelle, relative aux revenus des propriétaires qui n’ont pas encore été imposés, qui n’exploitent pas par eux-mêmes et ont un autre domicile que celui du lieu de leur propriété; « Considérant en outre qu’en 1790 les impositions ordinaires et celles des vingtièmes seront réunies en un seul impôt, dont le mode de répartition reposera sur des principes plus justes, qu’il y aurait des inconvénients à changer les rôles pour une seule année; « Décrète: « Que les propriétaires ci-devant privilégiés seront imposés pour les six derniers mois de 1789 et pour l’année 1790, comme l’ont été pour l’année 1789 les propriétaires non privilégiés à raison de la taxe personnelle, relativement aux revenus de ces propriétaires qui n’exploitent pas par eux-mêmes, et qui ont un autre domicile que celui du lieu dans lequel est située cette propriété. » (La lecture de ce décret est suivie de marques non équivoques de désapprobation.) M. «le Cernon. Si un pareil projet de décret pouvait être adopté, il y aurait plus de 2 millions de matière imposable qui échapperaient à l’impôt supporté par la Champagne, et cela au profit exclusif de la ville de Paris. M. Delandine explique la différence qui existe entre la taille réelle et la taille personnelle ; la province du Forez, qu’il représente, formule les mômes réclamations que la Champagne, il s’ensevelit dans la nuit des temps et donne des preuves d’une érudition qui fatigue l’Assemblée. M. le Président rappelle l’orateur à la ques-[28 novembre 1789.] tion en lui faisant remarquer qu’il s’agit simplement de décider si les ci-devant privilégiés seront imposés au lieu de leur domicile ou au lieu où est située la propriété. M. Le Chapelier critique le projet du comité qui a proposé que les plaintes sur taxe au-dessus de 25 livres seront vérifiées par le comité des finances de l’Hôtel-de-Vilie et les plaintes au-dessous de 25 livres par le maire seul. 11 trouve que le maire seul n’est pas une garantie suffisante. M. le marquis d’Ambly fait valoir le décret du 25 septembre dernier où il est dit que le peuple doit être soulagé et que les ci-devant privilégiés ne doivent payer qu’à sa décharge. Il fait la motion expresse de décréter qu’on payera au lieu de la propriété et non pas au domicile du propriétaire. M. l’abbé Goutte. Je demande qu’il soit fait deux rôles, l’un pour les privilégiés, l’autre pour les non-privilégiés de façon à ce que les sommes portées sur le premier soient en déduction des sommes du dernier. M. Gaultier «le Biauzat a attaqué avec force le projet de décret proposé par le comité des finances. Il a fait sentir que ce serait écraser les provinces, que les peuples ne seraient pas soulagés, que l’exécution serait presque impraticable et qu’il soulèverait une réprobation générale. Les députés des Trois-Evêchés et du Lyonnais demandent que le décret concernant la Champagne leur soit commun. Un grand nombre de membres objectent que le décret doit être général. La discussion est fermée. M. le Président rappelle les diverses motions. L’Assemblée consultée rend un premier décret ainsi conçu : « L’Assemblée décrète que la question n’intéresse pas la Champagne seulement, mais qu’elle devient générale pour tout le royaume. » M. Emtnery, député de Metz, propose une motion qui paraît réunir l’assentiment général. M. Prieur propose d’ajouter à la motion les mots et tous contribuables, car sans cela, ce serait rendre les non-privilégiés privilégiés. M. Dupont (de Bigorre ) a proposé d’ajouter la taille d’industrie afin que le commerce ne se trouvât pas déchargé. M. le Président prend le vœu de l’Assemblée, qui donne la priorité à la motion de M. Emmery après avoir décidé qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur les amendements. La motion mise aux voix est adoptée en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète que l’article 2 de son décret du 25 septembre dernier sera exécuté selon sa forme et teneur ; qu’en conséquence tous les ci-devant privilégiés seront imposés à raison de leurs biens, pour les six derniers mois de 1789 et pour 1790, non 'dans le lieu de leur domicile, mais dans celui où lesdits biens sont situés ; et sera le présent décret présenté incessamment à la sanction du Roi, et envoyé, sans ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. aucun délai, aux municipalités et autres corps administratifs. » M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de lundi pour neuf heures du matin. lre ANNEXE à la séance de l’Assemblée nationale du 28 novembre 1789. Mémoire sur la destruction de la mendicité (1), par M. Du Tremblay de Rubelle (2), maître des comptes. De tous les projets utiles qui peuvent s’exécuter dans ce moment de régénération générale, il n’en est pas sans doute qui soit fait pour plaire davantage aux âmes honnêtes et sensibles, que la destruction de la mendicité ; mais les personnes qui joignent aux sentiments de bienfaisance les grandes vues de l’administration sentiront encore davantage combien la destruction de la mendicité serait essentielle à l’ordre public; et leur humanité en acquerra un nouveau degré d’énergie. Tout le monde convient de la nécessité de secourir l’indigence. Quand le sentiment de la bienveillance que la nature a mis dans notre âme n’agirait que faiblement, l’intérêt personnel, ce mobile puissant et universel, nous en ferait la loi. Le soin des propriétés, la sûreté publique, ne permettent pas d’abandonner le malheureux au désespoir; et le spectacle d’un être souffrant, qui serre le cœur du riche au milieu même de ses jouissances, est fait pour exciter sa sensibilité. L’inconvénient de la mendicité s’est si constamment fait sentir, qu’on a tenté plusieurs fois d’y remédier. Une foule d’ordonnances à ce sujet, notamment celles de 1614, 1656, 1662, 1686, 1724 et 1750, ont eu cet objet; mais ces ordonnances, en ouvrant un asile aux pauvres dans les hôpitaux, n’ont été peut-être qu’un degré d’encouragement pour la fainéantise qui, assurée de ne pas manquer de subsistance dans ces asiles, n’a pas hésité à se soustraire à la charge générale imposée à tous les membres de la société, de se rendre utiles au bien général. En 1777, l’académie de Châlorts, frappée de ces réflexions, lit de ce projet un sujet de prix qui a trouvé de dignes émules. Nous croyons du devoir d’un bon patriote de renouveler ces idées bienfaisantes dans un moment où l’esprit d’ordre, de bien général, de justice et de confraternité en rendent l’exécution plus facile. Le premier soin à prendre pour parvenir à éteindre la mendicité, c’est de bien connaître le nombre des mendiants; et l’ordre actuel facilite infiniment cette connaissance. Les districts étant presque tous bornés dans l’étendue de leurs paroisses, il est aisé aux citoyens du district de connaître les besoins de leurs concitoyens du (1) Ce mémoire n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Ce petit mémoire fait partie d’un ouvrage plus étendu, que j’ai remis à M. le comte de Lally-Tolen-dal, en sa qualité de député aux Etats généraux. L’utilité de ce projet, la facilité de son exécution dans les circonstances actuelles, me déterminent à le faire imprimer : puisse-t-il faire naître des idées plus heureuses ! et, en venant au secours des êtres souffrants, contribuer au bonheur et à la tranquillité de tous les individus ! (Note de V auteur.) [28 novembre 1789.] 397 même district, et d’apprécier même l’étendue de ces besoins ; car il est juste qu’ils soient proportionnés à l’âge, aux charges des individus, et au plus ou moins de possibilité de se procurer des ressources. Ce premier lien de correspondance entre les indigents et ceux qui peuvent leur porter des secours est déjà précieux sous plusieurs rapports; il mettra une douce consolation dans le sein de l’infortuné, fondée sur l’espérance d’un meilleur être, et sur la satisfaction de voir qu’on s’occupe de son infortune; et il rappellera au travail des fainéants qui ne demandent du pain que parce qu’ils ne veulent pas le gagner. On peut se rappeler à ce sujet qu'en 1778 il y avait à Amiens un nombre considérable de pauvres; on y forma le projet de détruire la mendicité; on ht une quête dans la ville, et l’on en annonça la distribution : le jour même que les magistrats publièrent la défense de mendier dans les rues (1), les mendiants disparurent; et dans la crainte d’être arrêtés, retournèrent à leurs travaux. Le pauvre valide ne manque le plus souvent de subsistance que parce qu’il se refuse au travail, ou qu’il ne peut pas s’en procurer : un peu de surveillance peut empêcher l’un et l’autre; c’est donc de l’ordre qu’il faut en cette partie, et non de l’argent. Mais pour ôter toute ressource aux gens de mauvaise volonté de continuer à vivre dans leur dangereuse oisiveté, il faudrait que, les mesures prises pour soulager l’indigence, non-seulement on défendît dans le même moment la mendicité dans tout le royaume, mais qu’on obligeât toute personne à se faire inscrire dans son district, et à ne pouvoir aller s’établir ailleurs sans un certificat de son district qui, dans le cas de l’indigence, lui assurerait en même temps les secours dont il jouissait dans le district qu’il a quitté. Ge certificat pourvoirait à la subsistance de l’indigent, et la société s’assurerait de l’individu qui n’aurait plus la faculté de vagabonder sous prétexte de mendier, puisque la subsistance serait assurée. On ne saurait apprécier l’avantage que retirera la police publique de l’obligation ou seront les pauvres de renoncer à être vagabonds. On a observé avec raison que les grands criminels le sont rarement chez eux; un reste de pudeur les contraint de se soustraire aux regards de leurs compatriotes, ils ne pourraient les soutenir. L’ordre général y gagnerait donc infiniment, mais d’un autre côté, ii serait juste que la société, qui en retirerait un aussi grand bien que celui de la sûreté publique, l’achetât par quelques sacrifices : ce sacrifice ne paraîtrait pas considérable, si l’on considère tout le bien qu’un grand nombre d’hommes réunis en société peuvent faire en se rénissant pour l’opérer (2). Pour y parvenir avec une sorte d’égalité proportionnelle à la fortune et aux moyens, je proposerais une imposition par feu dans les villes, et par arpent dans les campagnes, parce que cette imposition me paraît la plus juste et ne tombe que sur celui qui possède; par celte raison, je serais d’avis que ceux qui ne possèdent qu’un seul feu ou un seul arpent ne tussent point taxés; d’un autre côté, il serait convenable que le luxe payât davantage : ainsi les feux inutiles, tels que ceux (1) Extrait d’un mémoire sur la mendicité. (2) Il faut considérer que tous les pauvres ne sont pas dans la môme indigence ; si la vieillesse des uns nécessite des secours de toute nature, les autres peuvent se procurer, par leurs travaux, une portion de subsistance, et il no s’agit que de suppléer à la modicité du salaire à laquelle leur infirmité les réduit.