[Assemblée nationale. ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 février 1790.) 50 i celles-là y fussent constamment soumises; — et dès lors nous nous trouvions forcés île regarilt-r comme abroge pour Puvenir la disposition de l’article 34 de I ô lit cité. — Mais d’un autre côté, nous avons considéré qu’il n’y a point de loi qui ait attribué expressément aux lettres de raiiliea-tion la vertu de purger les rentes foncières; qu elle leur a même été refusée par quelques arrêts, quoiqu’elle leur ait été accordée par d’autres; que les opinions des commentateurs sont partagées sur ce point; etqn’enlin le silence, que tient à cet égard l'édit de 1771, exige une interprétation de la part du corps législatif. — Nous ne pouvions, Messieurs, prendre sur nous de vous proposer cette interprétation, et sans doute vous en laisserez le soin à vos successeurs. Mais dans l’état actuel d’incertitude où so.it les principes relatifs aux effets des lettres de ratirica t ion sur les rentes foncières, nous avons cru devoir provisoirement nous arrêter, pour les droits ci-devant ftodaux et censnels, à un parti qui réunit à l’avantage d’alleger le fort des redevables, celui d’épargner aux seigneurs des embarras incalculables et des sollicitudes infinies. Il est certain que les redevables seraient écrasés de frais d’oppositions, si, soumettant les droits dont ils sont grevés au creuset des lettres de ratification, vous forciez le seigneur de former autant d’oppositions que. son territoire renfermerait d’arpents et de parcelles d’arpent. Eh! à quoi servirait donc cette multiplicité effrayante de procedures, si ce n’est à enrichir les greffiers, les procureurs, les huissiers? — Ce ne serait pa« la peine d’abolir les fonctions des commissaires a terriers. C’est donc par intérêt pour les redevables eux-mêmes, que nous oserons vous proposer le maintien provisoire de l’article 34 de l’édit de 1771 PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale, considérant quepar l’article premier de ses décrets des 4,6, 7, 8 et II août 1789, elle a entièrement détruit le régime féodal; qu’à l’égard des droits et devoirs féodaux ou censuels, elle a, par le même article, aboli sans indemnité ceux qui dépendaient ou étaient représentatifs, soit de la mainmorte personnelle ou réelle, soit de la servitude personnelle ; qu’elle a en même temps maintenu tuus les autres droits jusqu'au rachat par lequel elle a permis aux personnes qui en sont grevées, de s’en affranchir; et qu’elle s’est réservé de développer, par une loi particulière, les effets de la destruction du réyime féodal, ainsi que la di-tinction des droits abolis d’avec les droits rachetables, a décrété et décrète ce qui suit : TITRE I. Des effets généraux de la destruction du régime féodal. Art. 1er Toutes distinctions honorifiques, supériorité et puissance résultantes du régime féodal, sont abolies. Quant à ceux des droits utiles qui subsisteront jusqu’au rachat, ils sont entièrement assimilés aux simples rentes et charges foncières. Art. 2. La foi-hommage, et tout autre service pure ment personnel, au |uel les vassaux, censitaires et tenanciers ont été assujettis jusqu’à présent, sont abolis. Art. 3. Les fiefs qui ne devaient que la bouche et les mains, ne sont plus soumis à aucun aveu ni reconnaissance. Art. 4, Quant aux fiefs qui sont grevés de devoirs utiles ou de profits rachetables, et aux cen-sives, il en sera fourni par les redevables de simples reconnaissances passées à leurs frais par-devant tels notaires qu’ils voudront choisir, avec déclaration expresse des confins, et ce, aux mêmes époques, en la même forme et ne la même manière que sont reconnus, dans les différentes provinces et lieux du royaume, les autres droits fonciers par les personnes qui en sont chargées. Art. 5. En conséquence, la forme ci-devant usitée des reconnaissances par aveux et dénombrements, déclarations à terriers, gages -pleiges, plaids et assises, est abolie; et il est défendu à tous propriétaires de fiefs de continuer aucuns terriers, gages-pleiges. ou plaids et assises, commencés avant la publication du présent décret. Art. 6. La saisie féodale et la saisie censuelle sont abolies; mais les propriétaires des droits féo taux et censuels rachetables, pourront exercer les actions, contraintes, exécutions, privilèges et préférences qui, par le droit commun, les Différentes coutumes et statuts des lieux, appartiennent â tous premiers bailleurs de fonds. Art. 7. Tous les droits féodaux et censuels seront, à l’avenir soumis, jusqu’à leur rachat, aux règles que les diverses lois et coutumes du royaume ont établies sur la prescription, relativement aux simples droits fonciers. Art 8. Les lettres de ratification établies par l’édit du mois de juin 1771, continueront de n’avoir d’autre effet sur lesdits droits que d’en purger les arrérages, jusqu’à ce qu’il ait été pourvu par une nouvelle loi, à un régime uniforme et commun à toutes les rentes et charges foncières, pour la conservation des privilèges et hypothèques. Art. 9. Le retrait féodal, le retrait censuel, le droit de prelatiou et le droit de retenue seigneuriale sont abolis. Art. 10. Toute féodalité et nobilité de biens étant détruite, les droits d’aînesse et de masculi-ni é sont abolis à l’égard des fiefs, domaines et aile ix nobles,, qui seront en conséquence, soumis dans les successions et partages, aux mêmes lois, statuts et coutumes que les autres biens. Suite du rapport fait à l'Assemblée nationale , au nom du comité de féodalité, le 8 février 1790(1), par M. Mlerlin, député de Douai. (Imprimé par ordre de l’Assemblée.) Messieurs, après avoir examiné quels doivent être les effets de la destruction du régime féodal, pro mncée par la première partie de l’article 1 de vos décrets du 4 août 1789, nous sommes arrivés à la partie de ce même article qui supprime sans indemnité et la mainmorte tant personnelle que rée le, et la servitude personnelle, et les droits dépendants ou représentatifs de l’une et de l’autre. Là, trois difficultés principales se sont présentées, et la première a été de savoir précisément quelle avait été votre intention en abolissant la (1) Cette partie du rapport n’a pas été présentée en entier ce jour-là à l’Assemblée nationale; on y a ajouté d puis des développements qu’on a cru nécessaires, et que le défaut de temps n’avait pas permis de rédiger auparavant. 502 [Assemblée nationale:] ARCHIVES PARLEMENTAIRES; [8 février 1790.] mainmorte réelle: (1)-. Avez-vous par là affranchi de tous droits et la personne et le fonds du main-mortable ? ou, en faisant jouir la personne d’une liberté entière, et' en effarant du fonds même toutes les tracesdela mainmorte, avez-vous laissé subsister sur ce*fonds les droits qui n’ont par eux-mêmes rièn'de servile.1? Je m’explique par un exemple. Un seigneur avait dans son territoire deux fônds, A et B ; il a concédé le fonds A en censive, et le fonds B en mainmorte: Pàr cette diversité de concessions, le possesseur dm fonds, A n’a dû, jusqu’à présent à ce seigneur, qu’un cens annuel, et un droit de lods à chaque mutation par venté. Le possesseur du fonds B, au contraire, a été jusqu’à présent assujetti par sa possession même non seulement au cens annuel et au droit de lods> qui lui sont communs avec les possesseurs du fonds A,, mais encore à toutes les charges, à toutes les privations,- j’ai pensé dire, à toutes les-horreurs de la servitude. Aujourd’hui que la1 raison et1 Phnmanitê ont enfin triomphé d’un usage barbare ; aujourd’hui qu’à la voix de l’Assemblée nationale, tous les mainmortables ont secoué leurs fèrs, quel doit être lé sort du possesseur du fonds B ? Sans doute, il est maintenant aussi libre que le possesseur du fonds, A; mais l’estdi plus que’ lui ? Sans doute il est affranchi, comme l’a toujours été le possesseur du fonds A, desj droits dè’ mainmorte auxquels il s’était soumis dans le principe; mais l’est-il aussi des droits de cens-- et de lods qu’à toujours supportés, comme lu#, le possesseur du fonds A ? Én un mot,, sa condition est-elle aujourd’hui meilleure que si-Originairement il, lui avait été fait une concession em censive, au lieu1 d’une-concession en mainmorte ? Tel1 est, Messieurs, lè véii-table état de la question. — Votre comité apensé (l).No»S'Cro3{oo« Inutile dp. prévenir queice motmainr mortes des synonymes, et que partout où, l’on rencon-- tre les effets de la mainmorte, là doivent s’appliqua les dispositions de rarticle-1VP des décrets du 4 août, sans. s’embarrasser si - s!est du terme mainmorte qu’on s’y sert, ou d’une' expressioir équivalente. Par exemples dans dà'Bresse» et-le Bi»gey$on la nomme taiUiabüitë: C’esti ce . qmei nous apprenaenti Revel, Des usages de finesse, remarque 35 j page 159; Guicbenon, Histoire de Bresse, part, i, p. 24; Colombet, Des mains-mortes, pagv 10 et 19.; Bouhier, Sur la coutume deBow gogne ; cbap. 64, etc. Dans le Nivernais, il existé, outre»: là mainmorte proprement dite; une tènirre particulière, appelée bor-delage, qui a quelques caractères-de la mainmorte» Non seulement, comme on le voit par le chapitre 6 de la coutume de cette» province;, le bordelier ne peut pas diviser ni démembrer les héritages, qu’il a reçus par un. même contrat; non seulement,, après y avoir bâti une maison ou planté dès arbres* il ne peut plus arracher les arbres, ni' abattre là' maisoh , non seulement, il' ne peut pas assigner le * douaire' de4 sa femme surfe forcis qu’il tient en bordelage, mars; et c’est ce qui1 identifie véritablement las tènare» bordelière avec, la tenui e mainmortable . la coutume ni ad met à succéder, au bordelier, dans les biens possédés en bordelage, que ceux de ses parents, qui se trouvent, en» communauté avec lui au moment de son décès; et à leur défaut, elle y appelle le seigneur. — Les héritiers en ligne directe, qui sont-au premier dtegré, ont été exceptés de celle rigueur; mais l’exception n’a lieu qu’en faveur de la ligne directe descendante; car il a été jugé par un arrêt du 29 août 1737, qu’une mère ne pouvait pas succéder à des héritages de làr nature dé-ceux dont il s’agit, qu’avait laissés sa fille, avec* laquelle elle n’était pas en communauté. Un doit aussi assimiler à là mainmorte; lé genre de tenuie qui, en Bretagne, porte le nom de quevaise: qu’en abolissant la mainmorte, et en affranchis'-* sant des droits qui en étaient la suite tous.- les-fonds mainmortables, vous n’aviez pas: touché’ aux droits qui ne tiennent point à la, main morte-elle-même, et dont les fonds mainmortables partagent le fardeau avec les fonds libres,. — 11 importe peu que l’une et l’autre espèces de droits aient été, stipulées en même temps et par un même acte de concession. Vous avez, considéré la stipulation des. droits de mainmorte comme une condition illicite, et vous-avez heureusement eu le courage de la. proscrire ; mais lo�que, dans un acte queltonq,ue,, une condition illicite est jointe à une condition honnête, la nullité de la première. porte t-elle atteinte à, la seconde? Vous savez tous*. Messieurs, que non ; et dès là, nul doute que dans* l’espèce proposée,, le possesse. r du fonds B ne doive demeurer sujet aux mêmes droits de cens et de lods„qpe le possesseur du fonds A (1). Cette première difficulté résolue, il s’en est élevé une seconde sur 1 abolition que vous avez, faite des droits représentatifs de la mainmorte; et tou-(1) Peut-être aurions-nous été pins loin, si la crainte' d’altérer la-lettre d’un décret dont l’ Assemblée* nationale-ne. nous avait délégué que le dêveloiqiement préparatoire, ne nous avait retenus. En reprenant l’hypolhèse que je« viens de proposer, je suppose que le fonda B n’ait é»é chargé, lors de la concession primitive du seigneur de qui il provient, que de droits absolument mammorta-bles, et qu’en conséquence il ne-doive aucun des droits censuels auxquels' est suji't le fondé A. Faudra-t-il, parce que lai mainmorte est abolie, que le* seigneur soit* dépouillé de toute espèce de droit sur le fonds B? S’il avait concédé ce fonds en simple censive, il conserverait le droit qu’il s’y serait retenu ; et. parce .qu’il Ta concé-- dé en main morte, c esl-à-dire d’une manière qjui mi était plus avantageuse , jugerait-on qu’il dut tout perdre? Parce qu’il a resserré dans des bornes plus étroites les effets utiles de sa. concession; croirait-on que son concessionnaire dût êue mieux tr.ilé? parce qu’il a adopté un. modeid’altéiiier qui* entr’autres avantages, lui assurait celui de la réversion du .fonds en cas d’échute, : et que conséquemment il s’est moins exproprié qu’il ne l’eût fait par une concession, en, censive, penserai1» -on. qu’il fût juste de ne lui rien réserver, de le dépouiller entièiement?. . . - Ce sont là des idées que repoussera sans doute loin de l’Assemblée nationale; la justice sévère qui préside à toutes-ses» délibérations; mais sur’ lesquelles le texte (embarrassant de l’article-premier des. décrelSidu4,aoét nous impose un silence religieux. — Il n’appartient qju!à. l’Assemblée nationale de l’interpréter, et c’est à elle seule-de juger si dans l’hypothese dont il. s’agit, le possesseur ci-devant mainmortable du fonds, B, ne doit pas être soumis à tous les droits censuels qui grèvent dans la même seigneurie les fondé tenus en censivei GVs-i à elle à' juger* si - le: mainmortable aurait à se plaindre, lorsquiL se verrait l’égal du censitaire) dont il enviait le sort il y a sept mois» C’est à-elle à, juger s’il serait juste de donner lieu au censitaire de regretter, en comparant sa condition à celle du ci-devant mainmortable, de n’avoir pas; , comme lui, été réduit précédemment à la servitude, et si elle doit l’exposer à profaner le saint nom de la liberté, en se plaignant d’étre né et -d’avoir bonjours» été libre. C’est-a* elié à juger enfin s’il est encore en son pouvoir de suivre à l’égar-i des fonds tenus en mainmorie, même dans les territoires allodiaux, l'esprit d’éq�eile .q-pia dicté l’article 4- de l’édit du mois d’août 1779, par lequel le monarque, restau - rat'eur de la liberté française a chargé d un sou de cens par arpent avec oroit-de lods et ventes, lés héritages-main inortables qui il a affranchi dans les domaines de-la Couronne ; charge qui n’est pou» ces. hériiages-quo-Je prix de leur concession primitive, et sans laquelle» il serait vrai.de dire* qu'ils m'auraient, rien coûté aux détenteurs. Peut-être ce mot de concession primitive choquera-t-il les oreilles' de quelqUes-uns de messieurs les députés de Franche-Comté ; peut-être répéteront-ils ce quils ont [Assemblée national©.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8- février «90.'] jours sûre que le seul moyen de mériter vos suffrages, c’est d’être toujours justes, nous avons cru devoir vous-’ proposer, relativement à cette partie de-l’article premier des décrets du 4 août, une interprétation propre à concilier les égards dus au texte de votre loi* avec le respeeP religieux; quVxigentde votre part et quiobiienneut toujours de vous la raison>et l’équité naturelle. Vous avez décrété l’abolition pure, simplë et sans indemnité; de tous les droits qui représentent la mainmorte ; et en cela, vous n’avez fait que suivre le lil des principes éternels qui assurent à l'homme une liberté toujours' inaliénable, et que jamais ne peuvent atleindre ni l’esprit commercial, ni les transactions qu’il produit. Sous ce’ rapport, votre décret est souverainement' juste, et1 il n’y a que la cupidité5 en délire qui puisse le censurer. Mais si la justice'de ce décret est au-dessus '.de toute exception, relativement aux� droits représentatifs de la mainmorte personnelle, nous ne devons pas dissimuler qu’il n’en serait pas de même par rapport aux droits représentatifs de la mainmorte réelle; si, à cet égard, votre décret devait être entendu a la lettre. Un seigneur avait aliéné des fonds pour être tenus de' lui en main-morte; par là, il s’était procuré des droits de servitude, droitsodieux sans doute, mais tolérés alors, et qui lui1 tenaient lieu du prix qu’il aurait pu tirer de ces fonds en les vendant. Dans la suiie, touché du sort1 de ses concessionnaires, devenus maiemortables parla possession des héritages qu’il avait aliénés, il a souscrit à la conversion de ces droits inhumains en droits plus doux : il a remplacé par des* droits affectés sur les fonds seuls, des droits qui pesaient en partie sur les-personnes; il a enfin métamorphosé ses mainmortables en censitaires, en les délivrant de la mainmorte, au moyen ou d’un cens, ou d’un droit de lots, ou de l’un et1 de l’autre conjointement. — Rien de plus digne assurément de! l’approbatiom des hommes justes et' sages, qu’un tel'* contrat envisagé dkns son principe; et certes, oneaurait épargnébien des maux à l'humanité, si l’on eût fait de pareils traités dans toutes les seigneuries mainmortables ? 'S> rait-it donc possible qu’aujourd’hui l’Assemblée nationale dit à. la séance du 6 aoûl 1789, que ce n’est pas des concessions des seign eurs que dérive la mainmorte réelle ; que c’est en partie dans les invasions de la puissance seigneuriale, en partie dans le fanatisme des propriétaires qui ont asservi leurs fonds aux chapitres et aux monastères, qu’il faut en chercher la véritable-origine ; qu’enliro, il'y a une foule de droits de mainmorte; autrefois 'personnels, qui sont devenus ou du moins ont été réputés réels, par l’effet o’urit» extension! donnée - à la coutume en 1549, sur la réjuisilion des é.ats (cVst-à-dire, du clergé, de la noblesse et des maires nobles des villes) de cette province Mais d’abord on les prie de considérer qu’en admettant tous les faits qu’ils avancent, il en résulterait seulement que tout ce qu’on a dit plus haut, relativement à la mainmorte provenant de concession de fonds (la. seule qui; soit véritablement réelle), ne devrait. pas s’appliquer k leur province; Ensuite, quoiqu'on ne puisse pos douter qu’il n’y ait en Franche-Comté des mainmortes regardées comme réelles qui ne proviennent nullement de conce>s on de fonds, on ne peut fias douter non plus qu’il n’existe dans cetté province, un grand nombre de-mainmortables qui ne le soin que parce qu’ils ont reçu des fonds pour-le devenir. Témoin Dimod, jurisconsulte franc-comtois qui, dans son traité de la mainmorte, page 30, s’exprime ainsi. « J'ai bien « vu des actes partesquels on a donné des mei\, à charge « de les tenir en mainmorte, et que le preneur serait « homme roainmortable du bailleur pour lui et sa pos-« térilé. o03> voulût anathématiser des actes qui n’ont, jusqu’à présent, porté que des caractères de bienfaisance T Nous ne saurions le penser, Messieurs; et nous en: sommes d’autant plus éloignés, qu’il y aurait en cela, de votre part, nonseulement un excès de sévérité, mais une véritable injustice: uneréflexion’ très simplë va le prouver. Il est universellement1 reconnu, et c’est une véri’é incontestable, qu’un seigneur propriétaire. de fonds a éié originairement le maître de les concéder en censive plutôt qu’en mainmorte. Il n’est pas moins constant qu'àprès avoir fait une concession primitive en mainmorte, il a pu, de concert avec son mainmortable, résilier le contrat fait entre lui et ce dernier, reprendre son fonds, et par ce moyen le décharger de la mainmorte. 11 est certain encore qu après ce résiliement, et! redevenu propriétaire de son fonds, il a pu faire avec son ci-devant mainmortable, un nouveau contrat, et lbi rendre le fonds pour le tenir dorénavant en censive. Or, voilà’ précisément ce qui s’èst fàit entre le seigneur et le mainmortable, lorsque le premier: a délivré le second de la mainmorte, moyennant' un sens ou un droits de lods et ventes. A la vérité' le seigneur n’a pas dit textuellement : je prends' l’hcritage que je vous avais concédé ; et le main-mortab'e n’a pas dit en propres termes : je vous' rends l’héritage que je tiens de vous en mainmorte. A la vérité, le seigneur' c'est pas rentré1 réellement et corporellement en possession de cet héritage, et le mainmortable n’en a pas été dessaisi de fait. A la vérité, le seigneur n’a pas fait expressêinentune nouvelle concession auci-devant1 mainmortable', et celui-ci n’a pas été, par une5 stipulation explicite et directe, réinvesti de ce fonds. Mais tout cela s’est fait, ou plutôt est censé' s’ètre fait, par une sorte d’opération tacite, qu’on appelle en droit fictio brévis manus:; fiction: qui, pour abréger et éviter un circuit inutile d'erésilie� ment, de rétrocession et! de tradition nouvelle, suppose que l’héritage, sans sortir des mains dü mainmortable, est entré, dans celles du seigneur, et que celui-ci l’a ensuite concédé de nouveau en censive. C’était précisément ainsi et' par le seul effet d’une fiction semblable, que se faisait, sous le régime féodal, la conversion d’une censive en fief, quoiqu’à proprement parler, elle ne pût être opérée -que par un résiliement du contrat de cens,; une rétrocession faite au seigneur du fonds cen-suel; et une nouvelle concession de ce fonds de la pari du seigneur à titre de fief. La fiction bre-vis mam/s suppléait à tous ces acies, et, comme le remarque Dumoulin, la censive devenait fief par la seule intention simultanée dü seigneur et , du censitaire, d’établir cette innovation, animo 1 novum slatum rei inducendi (1). Vous voyez donc, Messieurs, qu’il n'y a dans les traités qui ont substitué la teniire en censive à la tei ure en main merle, rien qui ne s’accorde parfaitement avec les principes de la justice, rien qui ne dérive directement du droit’ de propriété, rien par conséquent qu’il ne soit de votre devoir, comme dans votre intention, de maintenir; et d’après cela, je demande sous quel prétexte on pourrait dépouiller le seigneur des droits de cens et de lods et ventes, qui remplacent actuellement dans ses mains la mainmorte et les droits qu’elle, produisait? Qu’on ne dise pas au reste que votre décret est général, qu’il ne distingue pas entre les différents (1) Sur l’art. 15 de l’ancienne coutume de Paris. 504 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES.' [8 février 1790.] droits représentatifs de la mainmorte, et qu’il les Supprime tous. Un seul mot détruit cette objection : c’est que, dans l'hypothèse que nous proposons, les droits fonciers que nous osons vous inviter à maintenir ne sont pas, rigoureusement parlant, représentatifs de la mainmorte. Et eu effet, dans cette hypothèse, la mainmorte a été abolie par le résiliement qui a été fait entre le seigneur et le mainmoriable, de leur contrat primitif; dès lors, le seigneur et le ci-devant main moi table ont fait ensemble une nouvelle convention; mais on ne peut pas appeler cette nouvelle convention, représentative de l’ancien état des choses. Si, après m’avoir loué une maison, vous en rompiez le bail, d’accord avec moi, pour me la vendre, très certainement le contrat de vente ne représenterait pas le contrat de bai!; seulement il serait vrai de dire qu’il n’existe plus de contrat de bail entre nous, et que vous m’avez vendu votre maison. 11 en serait autrement, sans doute, si le seigneur, en déchargeant son mainmortab e des droits de servitude dont il l’avait précédemment grevé, ne substituait pas à ces droits des redevances ou (‘restations foncières, telles que le cens et leslods et ventes, mais d’autres droits ou devoirs personnels par leur nature. Dans ce cas, la mainmorte ne serait pas véritablement abolie, l’acte qui l’a établie aurait encore son effet, puisque le main-mortable resterait plus ou moins asservi dans sa personne; et d’ailleurs, en la supposant détruite, que resterait-il à sa place ? La fiction b/eois manus aurait beau ici venir au secours du seigneur; elle ne pourrait jamais faire supposer, de la part ne celui-ci, qu’une nouvelle stipulation de servitudes personnelles; et ce sont précisément ces servitude s personn Iles que vous avez voulu abolir sans indemnité. La troisième difficulté que nous a offerte la seconde partie de l’article premier des décrets du 4 août, a été de savoir ce qu’on y doit entendre par droits qui tiennent à la servitude personnelle, ou qui la représentent. Après un examen très réfléchi, il nous a paru qu’on devait comprendre, dans la liste de ces droits, tous ceux qui ne dérivent ni de contrats d’inféodaiien ni de contrats d’accensement, qui ne sont dus que par les personnes, indépendamment de toute possession de fonds, et n’ont pour busequ’une usurpation enhardie par la féodalité, soutenue pur la puissance seigneuriale, légitimée par la loi dn plus fort. Que sont-ils, en effet, ces droits dont une concession de fonds n’a pas été le pr incipe? D s droits féodaux ? Non, car qui dit droit féodal, dit un droit établi par le contrat de fief, oes droits censuels? Non encore; car qui dit droit censoel, dit un droit établi par le contrat de cens. Que sont-ils donc enfin ? Des exactions seigneuriales, et rien de plus. Mais par là même, ils tiennent à la servitude; car il n’y a qu’un esclave qui puisse les souffrir, et celui-là est néces:-airemeni plus ou moins esclave, qui les souffre plus ou moins. Or, sons ce point de vue, il ne peut êire douteux que ces droits ne soient abolis sans indemnité; et c’est une vérité qui deviendra plus sensible encore par le détail de ces mêmes droits I. Il est un grand nombre de seigneuries où jusqu’à pré.-ent il a été perçu au profit des seigneurs, des droits de taille ou aide, soit à la volonté de ceux-ci, soit dans certains cas «létermines par les coutumes ou par les tores. Ces cas sont le plus générale i eut ; t° celui où un seigneur parvient à la chevalerie; 2° celui où il marie sa fille aînée ; 3° celui où, pris à la guerre par les ennemis ue son | prince, il faut qu’il rachète sa liberté par uue j somme d’argent; 4° celui où il a un voyaged’ontre-mer à faire; et c’est delà qu’est venu l’expression de taille ou aide aux quatre cas. D’Olive, livre 2, quest. H, indique trois autres cas dans lesquels ces sortes d’exactions ont été encore autorisées par un arrêt rendu à son rapport au parlement de Toulouse, le 22 mai 1631. Ce sont : 1° les noces du seigneur; 2° les couches de sa femme; 3° l’acquisition qu’il lui plaît de faire d’une nouvelle terre. Rien de plus odieux sans doute que ces droits; mais ce n’est pas à la défaveur qu’ils provoquent, c’est à leur nature que nous devons nous atta;her. Tout odieux qu’ils sont, s’ils avaient été imposés aux vassaux ou aux censitaires, par les actes mêmes de concession de leurs tiefs ou cpnsives, nous serions obligés de les maintenir; et les infortunés sur lesquels ils pèsent, n’auraient d’autre moyen pour s’en affranchir, que de les racheter. Ainsi, quelle a été l’origine de ces droits, et quelle en e�t la nature ? Voilà tout ce que nous avons à examiner. Distinguons d’abord deux sortes détaillés ou aides seigneuriales ; les unes qui jusqu’à présent ontétédues en quelques coutumes, par les vassaux, en leur seule qualité de vassaux, c’est-à-dire de possesseurs de fiefs; les antres qui jusqu’à présent ont été dues par les habitants des seigneuries, indépendamment de toute possession de biens quelconqi.es. Les premières sont de véritables impositions, dont on ne peut attribuer 1 origine qu'aux abus d’autorité, que s’est permis la puissance seigneuriale, lorsquelle n’était ni éclairée ni contenue par les lois; et la seule destruction du régime féodal suffit pour la faire cesser. Les secondes ont donné lieu, par rapport à leur origine, à d«ux opinions différentes, mais dont le résultat, pour notre objet actuel, est absolument le même. L’un des jurisconsultes modernes qui a le mieux saisi l'ensemble et le plusapprofondi les détails de tout le système de la féodalité, M. Hervé(î), n’hésite pas de placer la taille seigneuriale au rang des uroilsauxquels la servitude personnelle et la mainmorte ont donné naissance. — Voici ses termes : « De la servitude, de la mainmorte, de l'abolition de l’une et de l’autre dans plusieurs Provinces...., sont nés nombre de droits, de redevances et de charges dont nous n’entreprendrons pas de faire l'énumération exacte; nous nous bornerons à une analyse succincte qui em-brasseia: 1° le droit de... ; 2* la taille à volonté, laquelle a été abandonnée dans plusieurs endroits....; 3° les aides qu’on appelle aussi taille aux quatre cas, parce qu’elles avaient ordinairement lieu en quatre cas principaux. » Collet, dans son commentaire sur les statuts de Bresse et Bugey, partie 1, page 355, indique une autre origine à la taille seigneuriale : suivant lui, elle ne dérive ni de la féodalité proprement dite, ni de la servitude, mais de la justice, et elle n’est que le prix de la faculté que le seigneur à qui elle est due, veut bien laisser aux villageois, d’habiter sa terre et d’y vivre sous sa protection. Mais cette opinion est contredite par le président Bouhier, dans ses observations sur la coutume d* Bourgogne chapitre 59, numéro 9. Si Collet, dit-il, « avait pi is la peine d’examiner les coutumes qui ont parlé de cet!e imposition, et (P Théorie des matières féodales, tom. I, page» 176, 177, 178 et 180. [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 février 1790.] 505 ceux qui les ont interprétées, il aurait remarqué que c’était une des charges ordinaires auxquelles étaient sujets les gens de condition servile et de mainmorte; ce qui faisait que les termes de taillaide et de mainmortable étaient, en quelque façon, synonymes. » — M. Bouhier regarde donc la taille " comme un droit de mainmorte : il ne parle, à la vérité, dans cet endroit que de la taille à volonté; mais plus bas, numéro 59 et suivants, il répète la même chose relativement à la taille aux quatre cas. Au surplus, quelques victorieuses que paraissent les preuves sur lesquelles ce savant magistral fonde son avis, il est inutile de nous y arrêter, parce que dans l’une comme dans l’autre opinion, la taille seigneuriale doit toujours êi re regardée comme proscrite par les décrets du 4 août. — En effet, si c’est de la justice qu’elle dérive (il faut convenir qu’elle pourrait bien en beaucoup d’endroits n'avoir pas d’autre source), - lie est certainement comprise dans l’abolition de la justice elle-même sans indemnité, puisque l accessoire ne peut plus subsister quand le principal est détruit. — Si, au contraire, c’est à la mainmorte quelle doit son origine, le texte même de l’article premier des décrets dont il s’agit la pulvérise; ainsi, nulle difficulté à cet égard. Ce qui rend la chose encore plus évidente, s’il est possible, c’e3t que nulle part on n’a considéré la taille seigneuriale comme une charge réelle et repré té. Il chercha, à la vérité, à la réprimer dans l’Assemb ée d'Attigny en 823; mais il y a grande apparence qu’il ne fut guère écouté, puisqu’en 854, Charles-le-Lliauve fut obligé, par son élit de Pistes, de renouveler les défenses déjà faites à ce sujet. Les successeurs de Charle-L -Ghauve ne firent que compromettre et affaihlirde plus en plus l’autorité royale. Ce qui avait été regardé comme une usurpation sous les règnes précédents, devint un droit incontestable. Charles-le-G;os, dans l’ordonnance qu’on lui attribue, et que les conjectures de Prêcher obligent effectivement de rapporter à ce prince, suppose cl drement qu’il y avaii à cette époque plusieurs grands vassaux à qui fou ne contestait pas le droit de battre monnaie. Hugues-Gapet De fit à cet égard qu’augmenter le désordre, Seiemeur puissant, mais roi faible, il accorda à differents corps ecclésiastiques, notamment au chapitre de S tim-M irtin de Tours, le droit de battre monnaie, que les seigneurs laïcs excerçaient de leur propre autorité. Ces seigneurs avaient même leurs cours des monnaies; nous en trouvons la preuve dans la collection de Martenne, page 340 : et l’usurpation fut portée si loin de leur part, qu'ils ne souffrirent plus que uuns leurs terres ou fît circuler d’air re monnaie que la leur. De là, ce trait remarquable dont il est parlé dans l histoire de Frunce par l abbé Vél v, tome 8, édition i n-12, qu’eu 1 185, Philip e-Augusiefut oblige, pour donner cours a sa monnaie parisis dans les seigneuries dépendantes de l’abbave de Corbeil, d’en de- 506 [Assemblée-nationale.] AKGHÏV'ES3 PARLEMENTAIRES. [8 févrièr 1790.] manden la permission au supérieurdë ce monastère. Les peuples ne pouvaient pas manquer d’être victimes de cette usurpation des prérogatives du trône. Après avoir dépouillé le monarque, les sei-gneuFS se tournèrent contre les sujets: et) par des changements très fréquents dans les monnaies, ils alarmèrent le commerce, ils firent trembler tous les citoyens sur leur fortune. Pour faire cesser ce genre de spéculation aussi effrayant' par ses suites que coupable en lui-même, les habitants* dont lès seigneurs avaient été assez forts ou assez audacieux* pour s’emparer du droit de battre monnaie, composèrent avec eux » et il fut convenu que moyennant une imposition qui serait levée sur chaque feu. ici tous les ans, là tous b >s trois ans, ailleurs* à des-époques plus ou moins éloignées, les seigneurs s’abstiendront de tout changement dans les monnaies. Telle est l’origine du droit de fouage, si l’on en croit Hrussel dans son livre de F usage* général des fiefs , et ce qui le prouve imconteelabiemenL c’est que tous: les auteurs qui en parlenit présentent ce mut fouage co m m e : s y u o ny 1 1 1 ed e moné âge . Une autre preuve non moins; convaincante� cest que dans le chapitre 15.- de Fanrierme coutume de Normandie, qu’on peut: sûrement regarder! comme un témoin Fidèle des anciens usages, il est dit expressément que « le moi se âge est une aide de deniers qui est due au' due de Normandie, do trois en trois ans, afiu. qu’il ne fasse changer la monnaie, et pour ce, souloir être appelée fouage, parce que. ceux qqi le paient lienueotTeu et lieu ». D’après ces détails, il ne peut, ce semble,, y avoir la moindre difficulté à déclarer que les droits de fouage sont éteints sans indemnité ; mais je, dois observer que les louages de Bretar gne ne seront pas compris dans cette décision, et voici pourquoi. En Bretagne, le droit de fouage n'est point seigneurial ni même domanial ; c’est une imposition ordinaire qui affecte, non les seules habitations ou feux, mais les terres roturières en général, et qui, tous lesdeux ans, était ci-devant consentie par les états provinciaux. On conçoit, d’après cela, que les fouages de Bretagne n’ont rien de commun avec notre objet actuel, et qu’ils appartiennent entièrement au système des finances. IV. Que déciderez-vous, Messieurs, à l’égard dû droit de guet et degardc, appelé en quelqueslieux, stage ou estage? Rien, ce semble, de plus simple. Ce droit consiste dans une prestation personnelle, il tient véritablement à la servitude ; il tombe donc de luêmême dans laclassedes droits supprimés sans indemnité par les décrets du 4 août. — Et il n'importe qu’il soit, en plusieurs .seigneuries, remplacé par desrentes en argent ou en denrées (I); car les* rentes représentatives des droits de servitude sont abolies sans indemnité, comme ces droits eux-mêmes. Nous ne devons pas môme' excepter de cette abolition, le cas1 où ces rentes seraient affectées sur des fonds. À la vérité, l auteur de [& pratique des droits seigneuriaux prétend que par une affectation de cette nature, le droit» de* gurt est devenu réeb; mais il est clair que cet écrivain confond (1) Ces rentes ont été, con-aituées d’après la permission qu’ont accordée Louis XI et Louis Xlt, .par leurs ordonnances de 1479 et 1504, de racheter par des redevances l’obligation imposée à tout habitant non noble ort ecclésiastique, de garder le château de son seigneur. mal à-propos les obligations hypothécaires avec les droits fonciers, qui ne peuvent être imposés que dans la tradition dea fondA ; il ne faut pas être grand jurisconsulte pour savoir qu’aucun laps de temps ne peut donner le caracière de droits fonciers à des obligations hypothécaires — La Taloubre s’èst expliqué sur cette matière avec plus de justesse : le droit dé guet, dit-il d'après divt rs auteurs (1), est personnel ou réel ; personnel, si là personne est obligée, et réel, s’ii a été stipulé dans la tradition du fonds. Il observe encore (2 jqpe le droit de guet, constitué personnel par le litre, ne peut pas être placé sur un fonds par des reconnaissances, et que ce serait une surcharge. En fin Graverai surlàRocheflavin (3) prouve fort nettement qne ce droit est presque toujours personnel,, et qu’on . doit le présumer tel dans le doute., V. VoicT encore un droit sur ïë sort duquel vous n’àurez pas de peine à vous déterminer : c’est celui de pulvérage ,. c’est-à-dire, celui que les seigneurs sont, dans certains endroits, en. possession dé lever sur les troupeaux de moutons passant dans leurs terres, à cause de la poussière qu'ils y escatenLCertaineraent ce droit ne dérive ni d’inféodation ni d’ accensement.; il ne peut avoir été introduit que par un abus monstrueux de la puissance féodalè, et il y. a d’autant moins de difficulté à le supprimer sans rachat, que le déclarer rachetable, ce serait non seulement en consacrer l’existence et en légitimer là. perception, mais encore le. rendre.perpétuel par le fait, puisque, n’alfectant aucun individu, déterminé, et ne pesant que momentanément sur ceux qui font passer des moutons dans une seigneurie qu'ils n’ha-bitent pas, il ne setronverait jamais personne qui voulût le racheter. VI, Il est un grand nombre de terres où le seigneur s’est attribué' le droit .d’empêcher, ses vassaux, pendant un certain têmps l’année, dé vendre le vin, le cidre, et les autr.es boissons provenantes de leur cru, afin q\ie lés siennes se débitent à plus haut prix et plus facilement. Cè droit qu’on appelle ici banvin, là étanche, aiLleurs vel-du-vin, dans un autre endroit maiade ou muïes-que, porte certainement avec lui tous les caractères d’une servitude personnelle; car c’est bien asservir la personne, que dë la priver delà faculté de disposer dë ses denrées pendant un temps quelconque. Ce qui le prouve encore d’une ma-* niêre sensible, c’ést que là plupart des: coutumes dans lesquelles il est parlé dë ce droit,, en font: l’attribut particulier dm certain degré de puissance seigneuriale. Ansi, la coutume tUÀ'nj ou,, article 180, et celle du Maine, articlé 202,' reservent. le droit de banvin aux seigneurs châtelains et aux seigneurs supérieurs exclusivement. AinsLcomme le remarque Hévin {Questions* féodales, png. 201 et 202), dans la province de Bretagne, dont la coutume n’a cependant aucuue disposition à ce sujet, le droit de banvin, qu’on y appelle étanche, n 'appartient qu’aux seigneurs hauts justiciers d’une qualité supérieure. C’est assez dire, sans doute, que le droit de banvin n’est que l’effet de la violence des seigneurs, et de la faiblesse des vassaux ; et que dans les lieux où il est établi, il n’est parvenu à triompher de-la-liberté naturelle des hommes, qu’en raison de ce que les seigneurs (î) Jurisprudence féodale de Provence, I, tit. 15, n° £9. (2) N» 6. (3) Chap. 27, art. 9. 50T [Assemblé®: natiosalfc. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES! [8 -février 1790.F y-étant plus poissants, les vassaux s’y trouvaient moins en état de leur résister. VII. Il s’est jusqu’à présent perçu; dans plusieurs provinces, notamment em Auvergne, sous le nom dece�s en. commende, un droit qu’il faut bien1 se garder de confondre avec le cens, foncier, et qui par cette raison, mérite un© attention particulière: Ce droit se. paie à certains seigneurs, ou pardes villages; entiers-, et c’est le plus* ordinaire, ou par quelques particuliers; seuuLenieut, à cause de la sûreté et de la protection que ees.'seigneurs; ont promise à ceux qui s’y sont recommandés. Press-iatio pro tutelâ et protections ; c’est e® ces: 1er m'es mêmes que le définit Dueange. — Les incursions d» Siennemis ou des brigands, dit encore cet au* teun, ont forcé les faibles qu'elles-menaçaient de se mettre, eux et leurs biens, sous la sauvegarde des seigneurs les. plus-puissants ;et ceux-ci leur-ont accordé leur protection, au moyen, d’un* ccd s: annuel, In commonêationem potentior secmm et1 res suas ponebtmt inferioris couditionis ; Jvomines, ut’ essent.quiise et sua. tu erentur-et protégèrent contra inmacos-aut\ bonorum inrasores;itsque in tmü&ms mercedemalicujus censûs prestation < sese adstringe-bant. Ducange’ en rapporte différents exem�- ples (I). Il se perçoit des droits seirablables’dana d'autres provinces, quoique sous des noms différents; car il ne peut être douteux qu’on ne doive attribuer à la même cause les redevances1 qu’ow appelle; en Lorraine, droits; d &' sauvement ow sauvegarde ;• en Alsace, droits d avmterie ; - en Hainmt , droits de poursoin; en;Flanores-,en Artois ei Gambresis, droits1 de gave, de g aven ne ou de gaule. La chose au moins' est évidente pour les droits1 de sauvement ou sauvegarde p la seule-dénomination soit à les désigner, en indique l'Origine, et prouve qu’ilsme sont que Je< prix' de la» protection1 des seigneurs, Il ne-peut pas y-avoir plus dè’difficultéparrap1- portaux droits de* poursow; car ce qui se1 paie à un seigneur pour le soin', proeurë, qu’il est censé prendre des personnes-établies dans sa' terre; est1 évidemment un droit1 de protection. Il en-est de même�du droit d’avouerie en latin; jus advocatiæ; car on sait qu’awué cet! synonyme de protecteur, et que le mot latin mdvocatia signifie protection : ainsi, un droit (Vuvouerie ne peut également1 être mie reconnaissance, une compensât ion;) es soins et des1 secours-de Pavoué, du pro-teotcur (2). Quant aux droits1 de gave1, gavenne ou gaulé; termes dérivés d’un mot flamand qui signifie pré-(1) Il y a une autre espèce de cens, en commende, qui a pour cause l'affranchissement des serfè. Il en est parlé dans la Thauwassiere sur la coutume de’ Berry; et dans de Laurier e sor Ragueau. Uh conçoit' aisément que ce Croit est abraii sans, indemnité ; mais il appartient plus à la classe de> redevances dont il a , été parlé ci-devant,, nf 1, qu’à, celles dont il est question, en, ce moment. (2) Ce sont principalement les églises, les monastères et les chapitres qui se sont mis anciennement sous l’a-vou-erie des' seigneurs assez puissants pour les défendre. Mornac, sur la loi jubemus et sur l’authentique hoc jus porrecturn, au coae, d& sncrosanctis ecclesiis, entre-là-dessus dans de grands; détails, Cùm ecclesiæ ; dit-il entre autres choses, maxime v er b mvvmteria opprime-rentui à tyrannis plummis, advacabant in.suam optm et auxüium potentiorem aliquem sub cujus tutelà. et manu quiescebant, præslitis quibusdam juribus' et prærogativis in recognilionem protectionis, atqueideô in modum feudi. Sic dicebatur l’ avoué de Thérouanne, •sent; plusieurs monuments attestent qu’ils ont la même origine que ceux dbnf on vient dé parler: D’abord, il est prouvé-par un arrêt du conseil du 18 février-1687, qui sera analysé dans un instant; qu’ils consistent en redevances dont l’objet1 est de reconnaître1, d'e récompenser, dé stipendier; en quel q ue sorte; lés soins et là protection de1 celui1 à qui elles se paient., C’est aussi ce qui’âssure Mon strelét, tome pre1- mier, chap. 43. « Lé düc dè Bourgogne, dit-il, à cause de sa comté' dé Flandres, est gardien de toutes les églises du Càmbresis, héréditairement età< toujours ; et pour ladite garde, prend, chacun an,peFdurablement; certaine quantité de-grains sur les-terres et seigneuries desdii es églises au: pays de Gambresis;et se nomme icelle seigneurie, appartenante aucomte de Flandres; la gavenne de Ccembresis ». Enfin, il est si vrai qjuetel est l’objet des dioits dont il s’agit, qufil n’est pas sans exem ple que ces droits aient été refusés, ni:même que ceux à qui ils étaient dus, ai en t'été soumis1 à des dommages intérêts , fàute d’avoir protégé et défendu, comme ils-le devaient, léspersonnes' qui en étaient tenues envers eux. C’est1 ce que nous remai qnons singulièrement par deux transactions dé 1231 et 1290; qui sont visées dans l’arrêt du conseil déjà cité. Pàr là première, le comte de Flan 1res donne à l’église de saint Gëry de Cambray une somme de 30fi livres, pour réparer les dommages qu’elle avait essuyés, et dont lè droit dé gave qu’elle lui payait l’avait mis dans la-nécessité de la garantir. Par la seconde, le comte dë Flàndres consent de ne point recevoir le droit de gave des chapitres de Notre-Dame de Saint Géry et! dè 8:,i il te-Croix de Cambray, en cas que le tort qu’ils recevraient faute de protection, ne fût pas reparé1 dans les six mois, ou qu’il ne rapportât pas une cause légitime pour s’èn excuser. On ne peut’ donc pas douter que les droits de gave ne soient comme lé cens en commende, les1 dboitsde pour soin, d'avouerie et de sauvegarde, le prix delà protection accordée par ceux à qui ils sont' dus, à ceux qui les paient. — Reste à savoir si, dans l’état actuel des choses, ces droits sont encore exigibles, ou s’ils doivent être supprimés sans indemnité; C’est un principe constant en droit , qu’il ne peut pas yavoir de contrat sans cause juste et licite; et qu’un contrat qui était obligatoire dans son principe, parce qu’il avait une cause, cesse dè l’être dès que sa cause vient à cesser. Cë principe reçoit ici une application directe et entière. Les droits de gave, de poursom, d'avouerie, etc., ont été établis par-un contrat qui avait pour cause la protection dû' seigneur, et dont ces droits eux*mêmes formaient lè. prix. N6us t'’ex-iminons pas si, lors de la formation de ce contrat, il dépendait dû seigneur de vendre ainsi sa protection, et si en conséquence, le contrat a été valable dans son origine; mais nous disons q,u 'aujourd’hui tous les citoyens sont indistinctement sous la proiec-de Tournay, de Béthune, etc., feudaque ipsa diceban-tur avoueries. On trouve cependant aussi dés avoués de villes, de pays, de provinces. Dans une -charte de 1187, et dansi une autre de; 1210, Berthold, duc, de Zeringhen, est appelé avoué de Thurgie, advocatus, Tutgici loci. ftaras-le notifia ecclesiarum belgicarum deMirœus,yhap. lo9, Henri, comte de Louvain, est qualifié d’avoué de Bra� bant. Enfin, il est prouvé, parune fouie de monuments, qu’il existait, au douzième et au treizième siècle, des avoués d’Alsace et de Souabe. 508 [Assemblée nationale.] tion de la loi et du roi, qui en est le gardien et l’exécuteur suprême; qu’ainsi les personnes soumises au droit d'avouerie, de gave ou de pour-soin, ne ressentent plus les effetsdela protection de leur seigneur; que cette 'protection est même devenue impossible de la part de celui-ci, puisqu’il n’a plus aucune force en main; que dès là il n’y a plus de raison pour qu’il puisse encore exiger le salaire de cette même protection; et que, par une conséquence ultérieure, le contrat par lequel ce. salaire lui a été accordé se trouve résolu par la cessation de sa cause. C’est même ce qui a déjà été jugé par un arrêt du conseil du 18 février 1687, rendu en faveur des communautés ecclésiastiques du Cambresis. Voici dans quelles circonstances il est intervenu. Lorsque le Cambresis eut été uni à la couronne par la conquête qu’en fit Louis XIV, il fut question de savoir s’il devaitdemeurer sujet au droit de gave. Les pariiculiers n’osèrent pas entrer en lice sur cette question avec le fermier des domaines; mais les ecclésiastiques, plus riches, plus accrédités, et par conséquent plus en état de se défendre, sout' tirent que ce droit devait entièrement cesser; que jamais il n’avait été réputé domanial; qu'il n’avait été payé qu’en reconnaissance de la protection que les comtes de Flandres et les ducs de Bourgogne accordaient au Cambresis; que le roi étant devenu souverain du Cambresis, il ne pouvait plus en être regardé comme le simple protecteur, ni par conséquent exiger le droit de gave, puisque son titre de souverain lui imposait la nécessité de protéger également tous ses sujets; que d’ailleurs les villes de Metz, de Toul ét de Verdun, qui étaient précédemment soumises à un pareil droit, en avaient été déchargées depuis qu’elles étaient sous la domination de la France. Le fermier des domaines répondait que la possession successive du droit de gave par les comtes de Flandres, les ducs de Bourgogne et les rois d’Espagne, était justifiée par les extraits des comptes qui en avaient été rendus de temps en temps à la chambre des comptes de Lille; que ce droit avant été employé depuis longtemps dans les comptés du domaine, il était devenu de nature domaniale, quand il ne l’aurait pas été par son origine, suivant la maxime qui réputé domaine de la couronne, toutee qui a été possédé par le roi pendant dix ans; que d’ailleurs ce droit étant la marque de la sauvegarde et de la protection continuelle que recevaient les églises du Cambresis, elles ne pouvaient le contester à Sa Majesté sous la protection et sauvegarde de laquelle elles devaient toujours demeurer. Les moyens du fermier furent d’abord adoptés par des ordonnances d’intendant; mais les communautés ecclesiastiques du Cambresis, ainsi que des lieux circonvoisins, s’étant pourvues au conseil, il y intervint contradictoirement, le 18 février 1687, un arrêt qui, sans s’arrêter aux ordonnances dont était appel, déchargea « les prévôt, doyen et chapitre de l’église métropolitaine de Cambrai, et autres bénéficiers et communautés ecclésiastiques tant du Cambresis, que des autres lieux circonvoisins, du payement du droit de gave ou gavenne prétendu par te fermier des domaines, auquel Sa Majesté fit défenses d’en faire aucune levée; et en cas qu’il eût reçu aucune chose dudit droit desdits ecclésiastiques, Sa M qesté ordonna qu’il en ferait la restitution ». Deux choses à remarquer dans ce dispositif. — D’abord il ne parle, à la vérité, que des possesseurs ecclésiastiques qui étaient poursuivis pour le droit de gave ; mais il ne peut exister à cet [8 février 1790.] égard aucune différence entre les ecclésiastiques et les laïques; et l’affrabehissment prononcé par l’arrêt en faveur des premiers, s’étend nécessairement et par lois aux seconds. Ensuite, ce n’est pas seulement en faveur du Cambresis que l’arrêt est rendu; il l'est également en faveur des lieux circonvoisins, c’est-à-dire des lieux de la Flandre, de l’Artois et du Haiuaut qu’habitaient les ecclésiastiques qui, dans c tte affaire, s étaient joints an clergé de Cambrai. On ne peut donc pus dire que l’arrêt ait eu pour motif quoique circonstance pariieulière à la province de Cambresis; et dès lors, rien ne p ut s’opposer à ce qu’on en éiende la décision à tocs les droits de gave qui se perçoivent encore dans plusieurs cantons de la Flandre, de l’Artois et du Haiuaut. Mais, au surplus, ce n’est pas sur cet arrêt que l’Assemblée nationale doit se fonder pour abolir et le droit de gave, et celui d’avoueri ■, et celui de sauvegarde, et généralement toute espèce de droit établi en reconnaissance de la protection desseigneurs; c’est sur les principes auxquels cet arrêt même a servi de base, et ces principes, que nous avons exposés plus haut, ne sont restreints ni au Cambresis, ni aux lieux circonvoisins, quels qu’ils soient; ils étendent leur infl >ence sur tous les pays qui participent aux bienfaits de la constitution que vous avez donnée à la France. Nous ne croyons pas devoir nous étendre beaucoup sur les droits, heureusement peu communs, auxquels un excès de despotis me seigneurial a fait soumettre les biens meubles, les denrées, les marchandises; tels que sont : 1° en Alsace, le cinquantième denier des ventes d’effets mobiliers, les droits d’umgeld sur les vins et autres boissons, les droits d’acci-e sur le pain, la viande, etc.; 2° à Brest, les droits de lods et ventes sur les navires; 3U en Bretagne, les impôts et billots seigneuriaux, etc.— Il est évident que ces droits ne dérivent ni d’inféodation ni d’aceense-ment de biens-fonds, qu’ainsi ils ne sont, à proprement parler, ni féodaux ni censuels; et que s’il est des droits auxquels puisse s’appliquer, avec une justesse incooiestable, le terme d’exactions seigneuriales que nous avons précédemment employé (1), c’est principalement à ceux-ci. VIII.’ Il faut eu dire autant des droits que les seigneurs, en quelques provinces, et notamment en Alsace, se font payer pour les . permissions qu’ils accordent de faire des choses qu'il n’est pas en leur pouvoir d’empêcher. Par exemple, vendre du fer, des sabots, des planches, des latLes, des cercles , des bois de charpente et de menuiserie, ramener les cheminées, tenir des bains, aiguiser les couteaux et ciseaux, acheter et ramasser les chiffons propres à la papeterie, priver un animal de la faculté de se reproduire, sortir d’un pays pour aller s établir da is un autre, etc. etc. etc. etc., sont des choses qui, par le droit sacré et imprescriptible de la nature, sont libres à tous les hommes. Aucune charte, aucune possession, n’a pu autoriser un seigneur à les interdire à ses vassaux; et la permission qu’il leur donne d’user à cet égard de la liberté naturelle, n’est de sa part qu’une vaine et absurde promesse de ne pas exercer contre eux une oppression souverainement inique. — Gomment donc ose t-il se faire payer cette permission ? Et n’est-ce pas une sorte de honte, pour l’humanité, qu'à la lia du dix-huitième siècle, il ait fallu un decret de l’Assemblée nationale de France pour délivierles peuples d’une aussi horrible vexati ni? ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (i) Voyez ci-dessus. [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 février 1790.] IX. La plupart des droits que nous venons de discuter sont particuliers à certaines provinces. Importants par eux-mêmes pour les pays qui y sont sujets, ils le sont peu pour les pays qui ne les connaissent pas. Mais les droits dont il nous reste à vous parler, intéressent la presque totalité du royaume, et à ce titre, ils sollicitent de votre part une nouvelle attention. Le premier qui se présente, et le plus onéreux peut-être, est celui de banalité, c’est-à-dire, comme le délinit M. le président Bouhier (l), « le droit d’interdire, à ceux qui y sont sujets, la faculté de faire certaines choses autrement que de la manière qui leur est prescrite, sous les peines portées par les lois, les conventions ou la coutume». Vous savez, Messieurs, quels sont les effets de la banalité ; ils consistent principalement en deux points : le premier, de venir au moulin, au four, au pressoir banier (2); le second, d’empêcher toute con>truction de moulins, de fours ou de pressoirs dans le lieu soumis à ce droit. Ces effets peuvent-ils encore subsister depuis que vous avez aboli tous les droits dépendant ou représentatifs de la servitude personnelle? C’est ce que vous avez à décider. Cette question paraît à quelques esprits, peu attentifs sans doute, se résoudre en un seul mot. « La banalité, disent-ils, affecte la personne ; c’est donc un droit personnel ; et puisque ce droit est une servitude, il est clair qu’on doit le regarder comme aboli sans distinction et sans indemnité. » Ce raisonnement, nous osons le dire, est essentiellement vicieux. D'abord il y a des banalités qui, ayant été réservées in traditione fwndi, forment le prix des fonds concédés par les seigneurs auxquels elles sont dues, et certainement ces banalités ne sont pas dt s droits personnels. En effet, pour distinguer les droits personnels d’avec les droits réels, ce n’est ni à la substance de la chose qu’on paie ou de la charge qu’on supporte, ni à la personne qui fait le paiement ou sur laquelle pèse la charge, qu’il faut s’attacher, mais uniquement à la cause pour laque le est établie la charge ou la prestation. — 11 n’importe que vous payiez de l’argent, du grain, des volailles, ou que vous fassiez même des ouvrages manuels; dès que vous faites, soit ces ouvrages, soit ces payements, pour une concession d’immeubles, ce sont des charges réelles, parce qu’elles sortent, pour ainsi dire, du sein des immeubles concédés, et qu’elles sont encore censées en faire partie. C’est ainsi que les corvées, de l’aveu de tous les jurisconsultes, sont réelles lorsqu’elles ont pour cause une concession de biens-fmds. — Mais, si ces droits, dont vous êtes grevé, ne sont pas le prix d’un immeuble, s’ils ne vous ont pas été imposés comme une condition de la concession qui vous a été faite de l’imineuble même ; en un mot, s’ils ne doivent l’être qu’a l’oppression seigneuriale ou à une convention libre et synallagmatique, très sûrement alors ce sont des droits personnels, parce qu’ils sont dus indépendamment de toute possession de fonds, et que conséquemment c’est la personne elle-même qui les doit. D’après cela, il est clair que toutes les banalités ne sont pas des servi-(1) Observations sur la coutume de Bourgogne, chapitre 61, n° 5. (2) Il existe d’autres banalités que celles de four, de pressoir et de moulin; mais ou cite particulièrement ces dernières, parce que ce sont les plus communes. 509 tudes personnelles, puisqu’il en est qui ont pour cause des concessions de fonds, et qui par conséquent doivent être placées dans la classe des droits réels. Il est également certain qu’on ne peut pas regarder toutes les banalités comme abolies sans indemnité, puisque celles qui appartiennent à la classe des droits réels n’ont rien de commun avec la servitude personnelle. Mais que devez-vous décider par rapport aux banalités vraiment personnelles? Gest-là le point de la difficulté. Ges banalités, nous l’avons déjà dit, peuvent avoir deux causes très différentes. Elles peuvent avoir été établies par la force, et u’ètre que les effets de la puissance seigneuriale; mais elles peuvent aussi avoir été stipulées librement par des contrats faits pour l’avantage des communautés d’habitants. Dans le premier cas, nul doute que les banalités ne soient des servitudes personnelles, et qu’elles ne soient, par une conséqueuce nécessaire, abolies sans indemnité. 11 en doit être de même, dans le second cas, à l’égard des banalités fondées sur des contrats par lesquels les seigneurs n’ont fait, pour les acquérir, que mettre en liberté des habitants précédemment serfs, ou renoncer à des droits dépendants de la servitude personnelle La raison en est qu’alora la banalité représente véritablement l’ancienne condition servile des habitants; et il n’est pas besoin de répéter qu’à ce titre, elle trouve sa proscription directe et formelle dans l’article premier des décrets du 4 août. Mais quel est le sort des banalités purement conventionnelles, et dont rétablissement n’est pas le prix de la liberté dounée à d anciens serfs? Sont-elles comprises dans l’abolition que vous avez faite de la servitude personnelle, ainsi que des droits qui y tiennent ou la représentent? Non. Elles ne peuvent pas l’être, et elles ne le sont pas. Elles ne peuvent pas l’être, parce que les contrats faits légitimement entre les particuliers, sont sacrés pour les législateurs comme pour les juges; et que dépouiller un citoyen du droit qui lui est acquis par une convention passée avec des parties capables de le lui transmettre, serait, de la part du Corps législatif, un attentat contre le droit uaturel. EUes ne le sont pas , parce que le décret d’abolition ne frappe que sur la servitude et les droits qui la représentent. En effet une banalité conventionnelle n’est pas une servitude ; il n’importe que quelques docteurs lui en aient donné la dénomination, leurs erreurs n’ont pu en changer le caractère, et elle n’en a point d’autre que celui d’une obligation personnelle. Du Moulin l’a dit il y a longtemps ; Non est servitus...., sed obliga-tio personalis ..... quamvis doctores vocent servi-tutem, amo abusive loquunlur (1). Dans le fait, en quoi cette convention ressemble-t-elle à un acte d’asservissement: « Donnez-moiceci,obligez-vous envers moi à cela, et je me soumets à ne pas moudre mon ble ailleurs qu’à votre moulin ?» il n’y a évidemment là qu’un de ces contrats qu’on appelle en droit, do ou facio ut facias; et assurément ces contrats n’ont rien d’opposé à la liberté naturelle (2). • 1) Trait, de dividuo et individuo, part. 3, n» 269. (2) Il semble, au premier aspect, que celui qui contracte un engagement, perd une partie de la liber- /PARLEMENTAIRES. .{Sié�rierllDO.] ticulière, est contraire à la liberté que tout i homme tient de la nature, et forme par conséquent une servitude personnelle. — Ce principe 1 une .fois reconnu (et vraisemblablement il ne : trouvera point de contradicteurs), il nous semble 1 que üartide premier de vos décrets du 4 août s nous force impérieusement .de regarder le droit ! de banalité comme aboli .sans indemnité. — i Voilà la .règle générale. Sans doute, il y a des esceptionsà cette règle, ! puisqu’il est des cas cù, comme nous l’avons | prouvé, la banalité ne (peu.t être envisagée comme ; une servitude ; mais ce ne .sont que des excep-1 lions, et dès lors, c’est àicelui qui les allègue ou ' qui veut s’on. prévaloir, à les vérifier : car l’homme qui a en sa faveur la règle .générale, n’a . rien à prouver; elle milite pour lui tant que l’excepiuon par laquelle on prétend en atténuer la force, ou i en écarter l’application, m’est \pas établie par des ; preuves mon suspectes. i Ainsi, toute banalité qui ne .sera pas prouvée ! avoir qxmr cause, soit une concession de fonds nu de droit réel, soit une .convention réciproque j et souscrite librement, devra cesser à l’aveuir, ; comme comprise dans l’abolition de la servitude personnelle. ' Cette conséquence paraîtra peut-être sévère, ; mais il suffit , qu’elle soit juste, pour que nous ne | puissions nous dispenser de l’adopter; et d’ailleurs sa sévérité même s’adoucirait bien aux yeux des partisans du régime què vous avez détruit, s’ils prenaient la peine de remonter à d’ancien , état des choses, seul , moyen de connaître au juste j l’origine des banalités et d’en apprécier la .na-; ture. C’est .une vérité malheureusement trop .conté. 'Il «St. plus exact de dire qu’au moment où il con-; tracte, loin d'être gêné dans sa liberté, il l'exerce ainsi qu’il lui convient; car tout engagement est un échange ! où chacun aime .mieux ce qu’il .reçoit/ que* ce qu’il donne. — Tant .qqe .dure l’engagement, sans doute il doit 1 en remplir les obligations. La chose engagée m’est, plus ; à lui et la liberté ne s’étend jamais jusqu’à nuire à autrui. Lorsqu’un changement de rapports a déplacé les limites dans lesquelles la liberté pouvait s’exercer, la liberté ri’en est pas moins entière, si la nouvelle ■ position n’est que le résultat du choix que l’on a fait. » Préliminaire de la constitution, par M. l’abbé Sieyès, pg.g. 8. stante.que tpenrlanll’aBarchte féodatle tous les habitants des campagnes, «t ceux de presque lotîtes les villes,, étaient-serfs. — Pane oette itrwte condition, ils ne connaissaient de lois epe les «volontés de ietitrs >seigweuns. S’ils y résistaient, de seignear luHimème les jugeait dans; sa Gourr, et ils n’avaient contre des injustices d’autre ressource cpieïappel de faux jugement, c’est-à-dire le combat Judiciaire (1) : c'est ce qu'exprimait cet axiome de notre ancien droit : il n'y u entre toi el ition homme d’autre juge, > for Dieu. On juge bien qu'avec tant de moyens d’opprimer leurs serfs, les seigneurs ne manquèrent pas de leur imposer l’obligation d’aller aux moulins, taux fours, aux pressoirs établis dans leurs terres, et qui étaient pour cu-x des objets de revenu. •Et il .ne faut pas croire qu’en affranchissant leurs serfs, les seigneurs les aient déchargés de cette obligation; il est, au contraire, prouvé par un grand nombre de chartes td’affranchissement, que les serfs n’obtinrent - lia liberté, que sous la condition ex presse! de demeurer soumis à ce reste de servitude (î). Ainsi, tout ce qui, alors, m’étaitui ecclésiastique ni noble, devait être soumistaux banalités, puisqu’il n’y avait personne laters dans la roture qui me fût ou serf, oit affranchi, ou descendant d affranchi. Et effectivement, dn chapitre 108 des Etablissements de saint Louis prouve .que sous 4e règne ule ce prince, tes coutumiers, ■c’est-à-dire, tous les habitants des seigneuries qsime fenaient niau clergé ni à ht noblesse, ne ‘pouvaient taire moudre leurs grains ailleurs qu’au moulin de leurs seigneurs, quand 41 leür'plaisait d’en bâtir un dans la baailiene �de leur résidence (3). La somme rurale de Bouteiller atteste que telle était eneore la jurisprudence du temps où elle futéerite (4) ; etnout ie monde sait epue Bouteilfer était contemporain de Gharles'Vl. (1)« Sous les premiers rois de la troisième race, les seigneurs jugeaient encore souverainement, el l’on ne .connaissant que. les. appels au ciel, elles appels de faux jugements. » M .Hervé, Théorie des matières féodales, tou». i, ..page £75. (2) Hanc remissionem fecimus, salais nobis et eccle-sice ’noStrte omnimodâ justitiâ ét dominio in dicta villa SanctiGrermarii, et omnibus ‘r edditibus, comnet u-oi'dbm et co sium is ; quæ costuma tares sunt: On nés homines de dicto buryo Sancti Germani banarii ad lurnum mioslrum seu fuma nastm ______ / per bemum cqgueite et jurnagia, prdut hactexus consuevf,bu.yt, nobis soloere tenebuntur. (Charte d’aflraucbissement du fàubonrg Saint-Germain, de 1250, rapportée à la page 9 de la .première partie des pièces justificatives de l'hiStoire'de'fhrinl-Germain-des-PréS.) flanc aUtem m anum issionem ‘ tali condilione fecimus. . . . qwoddpsi mannmissi i et herdd-es sui mohre tenenntur ad molendina nostra, prout covs.uever.axt tempore retroacto. (Charire d'affranchissement de Gournay et de Bussiere d’Aillac, rapportée dans le l. 2 des ordonnances du Louvre, pyg. 361. (31 « Se aucun bers est qui ait son Vavassor en sa rlmtelerie, et le Vavassor n’ait point de moulin, et tuit si hommes eoustumiers moudront au moulin au baron, pourquoi il soit. dedans > la 'bamiieu. .. . Eli se aucun des Va/vassor faisait moulin en sa chasstelerie, n'en eust-il oneques point eu, luit si hommes moudnoient à. son moulin; mes se eus estoient hors de la chastelerie, ils n’i moudraient. .pas, tout luàs&ut-ils dans ia Jaaidieu, ne li bers n’en perdroit pas sa droiture. » (4) «Sachez que selon, Posage de .cour la*ye et «les coutumiers, soit en justice moyenne ou basse, bi mpeut et doit avoir droit de. bannière; c’est-à-dire qu’il y ja en icelle terre el justice, droit seigneurial, que nul des rsu-jets ne peut, ne doit aller cuire paru foi/s au four du [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 février, 1780.] Cette jurisprudence s’.est .conservée dans onze de nos coutumes, qui sont : Angoumois, .art. 29 ; | Anjou, article 15.; Bretagne, art. 370,; Perche, j art. 25; la'Marche, art. 301,; Louduriobvchap. 1, i art, 4 ; Maine, art. 18 ; Poitou, art. 34 ; Saiutonge, . titre 2, art. 7; Sole, titre 12, art. 2 ; Touraine, i art. 17. A l’égard des autres coutumes et des pays de f droit écrit, on s’y est insensiblement accoutumé i à regarder la banalité comme un droit extraordinaire; elle y a cessé d’être mise au rang des attributs naturels du fief ou de la justice; et tout seigneur, qui a voulu en jouir, a été obligé de prouver qu’il était fondé à la réclamer. Mais, dans ce nouvel ordre de choses, le sei-: gneor qui avait exercé sans interruption le droit ' que lui donnait l’ancienne, jurisprudence, dé cou-! Irai ndre ses sujets à user exclusivement de ses moulins, fours et pressoirs, n’a perdu aucun de ses avantages ; la possession seule, prouvée par d’anciens aveux et dénombrements, a suffi pour ; l’v faire maintenir : les coutumes, .même les plus i Sévères en fait de banalité, l’ont ainsi réglé fl), j On sent combien il a dû, par là, se conserver de ces banalités qui avaient été établies pendant la servitude, que les affranchissements avaient | expressément confirmées, et qui, dans le trei-' zième et le quatorzième siècles, assqjettissaient encore indistinctement tous les habitants des sei-j gneuries. j Mais, dès lors, de quel œil devons-nous regarder ; une banalité qui n’a pour base qu’une possession i dont l’ongine se perd dans la nuit des temps, nu, ce qui est la même chose, qui n’a d’autres litres que des actes possessoires? Sans doute il nous ' paraîtra qu’elle doit être considérée comme déri-j vaut de la source commune à toutes les anciennes i banalités, et elle nesera, à nos yeux, qu’un reste | de ce droit absurde et barbare, mais primitif et ! universel, qui vit encore dans les onze coutumes j où la banalité suit de plein droit le fief où la ! justice. i La présomption générale est donc que les ba-; nalités n’ont pour cause que l’oppression, qu’elles ne sont que des émanations de la servitude .personnelle, qu’elles ont par conséquent élé abolies, sans indemnité, par les décrets du 4; août; et s’il en est qui sortent du cercle de cette présomption, s’il «en «est qui ont été établies légitimement, c’est à celui qui les réclame à en justifier. Mais ne doit-on pas excepter de cette règle gé-, nérale les banalités de pressoir ? La question > paraît singulière du premier abord.; cependant elle mérite d’être examinée. Ce qui la motive, c’est que, d’une part, nous me pouvons nous dispenser de maintenir les banalités réelles, et que, de l’autre, presque tous les auteurs s’accordent à regarder comme réelles les banalités , de pressoir : , d’où il suit nécessairement que, si l’opinionderes' auteurs est fondée, les banalités de pressoir doivent, sans titre spécial, sans preuve particulière, et ipso jure, être rangées dans là classe des droits conservés jusqu’au rachat. Mais ces au tours ne se sont-ils pas tro mpés ? Ecoutons un I savant magistrat, qui, là-dessus, ne peut pas être ; seigneur, dessous lequel ce droit de bannière est 'jet appartient;; no, aussi ne peut, ne doit aller moudre son bled, sinon ,au «moulin d’icelui seigneur. » Pag, 803 et 904, édition de .1003. (1) k Un seigneur, ne peut contraindre ises sujets d’aller aufour .ou moulin qu’il prétend banal, ou faire corvée, s’il n’en a titre valable ou. aveu et dénombrement ancien. » Coutume de Paris, art. 71. m suspect aux seigneurs, dont il a défendu les droits avec beaucoup de force, M. le président Bouliier (i). « J’avpue, dit-il, que je ne comprends pas la raison de la, distinction que l’on veut fairei eütffie cette banalité (celle de pressoir): et les autres. < En effet, on me saurait douter que, quelle qu’ait été originairement la cause de l 'établissement, des différentes banalités dans mne même communauté, elle n’ait été vraisemblablement la même pour toutes, soit qu’elles aient été établies dans les anciens affranchissements, fgoit par quelques conventions. ou autrement; la nature enduit donc être la même. On peut dire, de plus, qu’on n’a jamais pu les rendre réelles qu’en chargeant précisément les fonds de la sujétion dont ils’agifc; car c’est cela seul qui produit la réalité. Si idomc il était prouvé que des vignes eussent étédoenéBs sous la condition de la banalité, il n’y aurait nul doute que ce droit ne fût réel; c’« st même le seul cas où il puisse l’être, comme; l’a remarqué un des plus judicieux unterp cèles desi coutumes. ; mais, comine un tel fait ne se présume point, ou doit croire que la hannalité du pressoir, a été instituée comme tou tes les autres ; et c’est sans «toute pour cela que la coutume d’Anjou, en l’article .31, n’en fait aucune différence par rapport à la personnalité. « Une chose assez singulière, est que l’arrêt du parlement de Paris, du 24 avril 1600 (qui fait le principal fondement de l’avis contraire, soutenu par Chopin, lequel a été aveuglément -suivi par tous les autres), fut rendu dans une hypothèse dont le fait devait conduire à une déci-ion toute opposée ; car il s’y agissait dlune banalité de pressoir, qui Avait” été établie par un acte d’af-franehissement de la mainmorte; d’où. il résultait que ce droit étant subrogé à une servitude qui était incontestablement personnelle, il devait être considéré comme étant de la même qualité, suivant la maxime subrogatum sapit naturam su-brognti. Aussi cet arrêt n’a-t-il pas empêché qü’ou n’en ait rendu dans .la suite plus d’un co,a-traire. » On voit que M. Bouhier écarte toute espèce de différence entre la banalité de pressoir et celle de moulin; et, effectivement, il est impossible d’assigner un ‘motif même plausible à la distinction qui réputé da première réelle, plutôt que la seconde.. Quelles sont donc, s’écrie un célèbre jurisconsulte que .choque, également cette dis tin c-tioa (2;, « quelles sont' donc les raisons que donnent de leur opinion tes auteurs qui se sont rangés du parti contraire ? aucune (répond-il) : oèla paraît incroyable, cependant cela est vrai. ’Un‘ ancien jurisconsulte (Chopin), sur la foi d’un arfêt encore plus ancien, a dit : lés banalités de pressoir sont réelles ; et les auteurs qui ont écrit depuis , ont répété : les banalités de pressoir sont réelles ; et cela sans peser les motifs de cette opinion, sans examiner si elle avait *un fondement quelconque. C'est ainsi que les livres se multiplient et que la science reste au même point. » C’est trop de détails pour réfuter une erreur qui tombe d’elle-même; il est clair que la banalité de pressoir est de la même nature que celle de moulin; et d’après cela, il ne peut ya voir aucune (1) Observations sur la coutume de Bourgogne, chap. 41. (2) Dissertations féodales , paT M. ilenrion de Bausey, tome LpaitfSl- 512 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (8 février 1790.1 difficulté à les comprendre dans une disposition commune. X. Quant aux corvées, on les distingue, comme les banalités, en réelleset en personnelles, c’est-à-dire, en corvées qui ont été imposées sur les fonds lors de la concession primitive qu’en a faite le seigneur, et en corvées qui s«ni établies sur les personnes, sur les habitants d’une seigneurie, sans considérer s’ils sont détenteurs d’héritages, ou s’ils n’en possèdent pas. Les corvées réelles ne peuvent donner lieu à aucune discussion sérieuse, et vous penserez fû rement, Messieurs, comme votre comité, qu’elles n’ont reçu aucune atteinte par vos décrets du 4 août; que, seulement, elles sont, depuis cette époque, soumises au rachat, et que tant que ce rachat ne sera pas effectué, il n’y aura pour s’en libérer qu’un seul moyen, celui de déguerpir les fonds qui en sont chargés. Les corvées personnelles n’occasionneront sans doute pas plus de difficultés; car il est généralement reconnu, et les délenseurs les plus zélés des droits seigneuriaux avouent eux-mêmes (I), que si elles n’ont pas été établies par une violence ou-vei te, elles sont du moins des restes de l’ancienne servitude; qu’elles lui ont été subrogée?, et que par conséquent elles la représentent. ; ce qui entraîne nécessairement cette conséquence u lté rieure, qu’elles sont au nombre des droits abolis sans indemnité parles décrets du 4 août 1879. (1) Tels sont principalement M. le président Bouhier, dans ses Observations sur la couiume de Bourgogne, cliap. 50, et M. Henrion de Pansey, dans ses Dissertations féodales, tome 1, page 477, voici comment s’exprime le premier, n° 8 : « A l’égard des corvées personnelles, nos auteurs ne sont pas d’accord sur leur oàgine. Quelques-uns (Bro-deau sur Paris, g. 71; le Grand, sur Troyes, §. 64, et plusieurs autres) se >ont persuades qu’elles devaient leur introduction à la licence et à la violence dont les nobles et les personnes puissantes ont usé de tout temps en France pour opprimer le pauvre villageois ; sur quoi ils cilent quelques témoignages d’anciens écrivains qui se Sbnt plaints des vexations des seigneurs, et qui en ont déploré l’abus. « Mais , quoique celte licence, à la supposer telle qu’on la dépeint, puisse avoir donné lieu à quelques exactions de droits nouveaux et insolites, il me paraît comme impossible qu’elle ait introduit une servitude aussi uni vei selle que celle des corvées : car il n’y a resque point de seigneuries. je ne dis pas seulement en rance, paais même en Allemagne, en Pologne, aux Pays-Bas, en Angleterre, en Italie, et même en Espagne, où les villageois ne soient tenus à cette espèce de devoir, quoiqu’avec plus ou moins d’étendue. C’est un fait qui est attesté par de bons auteurs. Comment se serait-il pu faire qne les seigneurs de tant de pays différents se fussent accordés à introduire une telle vexation. et, qui plus est, sans qu’aucun souverain s’y lût opposé?.,. « Il est évident, suivant que l’a observé Eusèbe de Laurière après Cujas et d’autres, que le droit de corvée tire son origine de l’usage des Romains, de se réserver le même droit sur leurs esclaves lorsqu’ils les affranchissaient. Il est parlé de cet usage en une infinité d’endroits de leu s lois, et particulièrement sous le titre de operis liber forum. On no saurait donc douter que ceux d’entre eux qui habitaient lesGaules, ainsique les Français qui leur succédèrent, et qui, à leur exemple, avaient une infinité de serfs pour cnl iver leurs terres, n’aieut conservé la même couiume en leur donnant la liberté. « Pour peu qu’on soit versé dans nos antiquités, on sait que les seigneuries du royaume étaient anciennement | euplées de ces sortes de serfs, dont la condition a été adoucie dans la suite par cette espèce de demi-affranchissement que nous appelons mainmorte. Il est notoire, de plus, que presque tous les villages du A l'égard de la distinction à faire dans la pratique, entre les corvées personnelles et les corvées réelles, rien n’est, ce me semble, plus simple. M. le président Bouhier a tracé en deux mots la règle qui doit sur ce point guider les juges; et elle est si lumineuse, que nous ne craindrons pas de la proposer aux législateurs. Voici les termes de ce magistrat ( Observations sur la Coût, de Bourgogne. , chap. 60, n°. 38): « S’il y avait du doute, je croirais que les corvées doivent être plutôt présumées personnelles que réelles. La raison est que la réalité n’en peut être constate qu’en prouvant que cette charge est affectée sur un fonds. On n’en peut donc juger par présomption. » XI. Nous avons encore à vous présenter, Messieurs, une question fort importante par son objet, et d’un intérêt très général: c’est de savoir quelle doit être l’influence de l’article premier de vos décroîs du 4 août, sur le triage des biens communaux. — Avant de vous exposer nos vues sur cette question, permettez que nous déterminions, d’une manière exacte et précise, la nature du triage On appelle triage une opération qui consiste à distraire le tiers des biens communaux d’une paroisse, au profit du seigneur de la concession gratuite duquel ils proviennent. Je dis biens communaux , et par cette expression j’entends, non les biens dont une communauté d’habitants n’est qu’usagère, mais les biens qui lui appartiennent, et dont elle est réellement propriétaire. Je fais cette observation d’après Coquille et le président Bouhier, qui ont censuré, avec raison, l’emploi des termes biens communaux pour désigner de simples usages; et je la fai.- parce que le titre 25 de l’ordonnance de 1669, c’est-à-dire le litre sous lequel sont rangées toutes les dispositions relatives au tirage, a pour inscription ces mots : des bois , prés, marais , etc., appartenant aux communautés d'habitants; ce qui prouve clairement, comme je l’ai annoncé, que le triage royaume étaient autrefois de cette condition, et par conséquent taillables et corvéables à volonté..., et à l’égard de ceux qui ont été affranchis de cette servitude, il était tout naturel que les seigneurs, en leur accordant la franchise, se retinssent le droit de corvée à volonté, ou qu’ils en fixassent du moins la qualité et la quantiié. C’est aussi ce qu’ils ont fait, comme il parait par la plupart de ces actes que le temps nous a conservés . . « Voilà au vrai l’origine du droit de corvée, auquel on ne saurait sans injustice donner les noms odieux d’usurpation et d’extorsion : c’est ce qu’on se gardera bien de faire, si on veut bien se souvenir qu’à l’égard des main-monables, c’est une suite naturelle de leur condition, dont la dureté a été fort mitigée, même en ce qui regarde les corvées... ; à l'égard des affranchis, que c’est le prix de leur liberté, et par conséquent d’une faveur dont l’avantage est inestimable, et dont ils ne doivent jamais perdre le souvenir. » Sans doute en lisant ces lignes étranges, on n’a pas oublié que M. Bouhier était seigneur, et qu’il a porté l’abus de l’érudition et de la logique jusqu'à s’ériger en défenseur outié de la mainmorte. Assurément personne ne croira, avec lui, que des droits introduits par la servitude personnelle, ne soient pas dignes des noms odieux d’usurpation et d’extorsion ; que les corvées soient favorables, parce qu’elles sont lo prix de la liberté des affranchis ; et que les affranchis eux-mêmes soient coupables d’ingratitude, lorsqu’ils soutiennent qu’on n’a jamais pu les priver de leur liberté, ni par conséquent la leur faire racheter par des corvées personnelles. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 février 1790.] : SI 3 a lieu dans le cas même où les communautés sont propriétaires, conséquemment qu’il dépouille celles-ci d’un tiers de leurs propriétés, pour en investir les seigneurs. Il y a plus: non seulement le triage a lieu dans le cas dont je viens de parler, mais il n’a lieu que dans ce cas précis. Lorsqu’une communauté n’est pas propriétaire , mais simplement usagère , ce n’est plus au titre 25 de l’ordonnance de 1669 qu’il faut recourir pour déterminer les droits respectifs du seigneur et des habitants ; c’est à un autre genre de législation, ou plutôt de jurisprudence, qui a sa source'dans le droit romain, et dont le résultat s’appelle cantonnement. Le cantonnement est une opération qui consiste à resserrer, à circonscrire le droit indéfini et illimité des habitants usagés sur une partie déterminée des fonds soumis à leur droit d’usage, afin de laisser le reste libre au seigneur propriétaire. Nous venons de dire que le cantonnement a sa source dans le droit romain ; et, en effet, il n’est, pour ainsi dire, que la combinaison de deux lois des Pandectes, dont l’une porte que personne n’est tenu de demeurer dans l’indivision, et l’autre décide que le droit de tirer des pierres de la carrière d’autrui, même moyennant une redevance, ne doit pas empêcher le propriétaire de jouir de son fonds (1) . G’est de la réunion de ces deux lois, que tous nos jurisconsultes ont conclu que l’usage d’un bois ou d’un marais accordé par un seigneur' à une communauté d’habitants, pouvait être restreint à une certaine partie du marais ou du bois, quand le seigneur le requérait; et leur doctrine, consacrée par une chaîne d’arrêts qui embrasse près de trois siècles, est devenue une des maximes les plus constantes de la jurisprudence française. 11 faut donc bien distinguer le cas où les communautés ne sont qu’usagères d’avec celui où elles sont propriétaires. Dans le premier cas, le seigneur peut exercer contre elles l’action en cantonnement, et cette faculté, qu’il titre de son droit de propriété, n’a ni été, ni pu être altérée par les décrets de l’Assemblée nationale. Dans le second cas, l’ordonnance de 1669 a accordé au seigneur l’action en triage, non pas à la vérité dans toutes les circonstances indistinctement, mais du moins lorsqu’il réunit en sa faveur le concoursde plusieurs conditions; et la question que nous avons maintenant à résoudre, est de savoir si cette action peut encore avoir lieu depuis l’abolition que l’Assemblée nationale a faite, non seulement du régime féodal, mais encore de tout ce qui tient à la servitude, et conséquemment des droits uniquement fondés sur les abus de l’ancienne puissance seigneurale. On pourrait, ce semble, réduire la question à des termes plus simples, et dire; « Le droit de triage est-il ou n’est-il pas un droit véritablement féodal ou censuel? dérive-t-il ou ne dérive-t-il pas, soit de contrats d’inféodation, soit de contrats d’accensement? enfin tient-t-il réellement et par sa nature, au système féodal, ou n’est-il que le fruit d’une extension abusive de la féodalité? » Si le droit de triage découle de la féodalité véritable et proprement dite, s’il a été établi par les contrats mêmes d’inféodation ou d’accensement en un mot, si c’est un droit féodal dans le sens naturel de ce mot, nul doute qu’il ne doive être conservé, ou du moins soumis au rachat. Mais s’il n’est droit féodal que de nom, s’il est (1) Loi 13, § 1, D. Communia prœdiorum. lre Série. T. XI. impossible d’en trouver la source dans les anciennes inféodations, dans les anciens accensements ; mais s’il ne doit son introduction qu’aux ordres arbitraires d’un gouvernement despotique, n’en doutons point, le droit de triage ne peut pas échapper à la réforme que l’Assemblée nationale doit faire de tous les abus d’autorité et de puissance qu on s’est permis pour opprimer les peuples. Ainsi, en dernière analyse c’est par la nature et l’origine du droit de triage qu’on doit se déterminer à l’anéantir ou à Je conserver. A cet égard, il faut convenir que parmi les droits réputés féodaux et vulgairement qualifiés tels, il en est peu qui se présentent avec un caractère aussi singulier que le triage. Le triage, nous l’avons déjà dit, est pour un seigneur, le droit de distraire à son profit le tiers des bois ou marais qu’il a concédés gratuitement et en toute propriété, à la commune de son territoire, ou, pour parler plus clairement encore, le droit de reprendre le tiers de ce qu’il a donné. En général, ce que nous avons donné purement et simplement n’est plus à nous, et il ne nous est permis d’en reprendre ni le tiers, ni le quart , ni une partie quelconque. — Les donations que les seigneurs ont faites aux communautés d’habitants, seraient-elles exceptées de la règle générale? Mais si cette exception existait, quel en serait le motif? La qualité du donateur? mais un seigneur qui donne à un particulier, donne irrévocablement. — La qualité des donataires? mais une communauté d’habitants est aussi habile qu’un particulier à recevoir une donation irrévocable dans ses parties comme dans son tout. — Il resterait donc à dire que le triage a été réservé par les actes mêmes de concession, et c’est ce que personne n’oserait avancer. Quels sont donc les prétextes dont on s’est servi pour introduire le triage? Je l’ignore; je connais seulement ceux dont se servent actuellement les feudiste, qui prétendent le justifier, et les voici. Une propriété, dit-on, peut être transférée par un seigneur à une communauté d’habitants, de deux manières, moyennant un prix, soit payé comptant, soit distribué et reparti en redevances annuelles, ou gratuitement par la voie de la donation. Lorsque les communautés propriétaires se trouvent dans le premier cas, c’est-à-dire lorsqu’elles ont acheté leurs biens communaux, ou qu’elles en paient des redevances, elles les possèdent d’une manière indépendante et absolue; et le seigneur, totalement exproprié, n’a rien à y réclamer. — Si, au contraire, la concession a été gratuite, le seigneur conserve la faculté d’user de la chose comme le reste de la communauté. Ainsi une forêt, un marais gratuitement concédés par le seigneur à des habitants, forment entr’eux et lui une propriété commune et indivise. — Mais personne n’est tenu de demeurer dans l’indivision; le seigneur peut donc en sortir, lorsqu’il le juge à propos ; et comme son droit dans la chose commune est le plus éminent, sa portion doit être la plus forte : c’est ce qui l’a fait porter au tiers par l’ordonnance de 1669. Ainsi raisonnent les apologistes du triage (1) ’• mais j’oserai leur demander d’abord si le seigneur n’est pas aussi totalement exproprié dans le cas d’une concession gratuite, qu’il l’est dans le cas d’une concession à titre onéreux. Ce que je donne (1) Dissertations féodales , par M. Henrion de Pansey . tome 1, page 457. 33 514 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 février 1790.] cesse-t-il moins d’être à moi que ce que je vends? Et si je n’ai plus rien à réclamer dans le bien que j’ai vendu, sur quel fondement pourrais-je, après avoir donné, dépouiller mes donataires d’une portion quelconque des biens qu’ils tiennent de ma libéralité? Ensuite, il n’est pas vrai que, dans le cas d’une concession à titre onéreux, le seigneur soit, relativement au simple usage des biens comunaux, de pire condition que s’il avait concédé gratuitement. On se prévaut de ce que le seigneur qui a concédé gratuitement, ne laisse pas de jouir en commun avec les autres habitants : mais il en est de même du seigneur qui a concédé à titre onéreux, et la preuve en est textuellement écrite dans l’ordonnance de 1669, titre 25, articles 4 et 5. Quelle en est la raison? C’est qu’en concédant à la communauté, le seigneur concède nécessairement à tous les membres qui la composent; et qu’ainsi, tout en s’expropriant comme individu, il acquiert comme membre du corps, au profit duquel il s’exproprie. Dès là, il importe peu, quant à la faculté de jouir en commun avec les autres habitants, que la concession soit gratuite ou à titre onéreux* Si elle est gratuite, le seigneur participe, comme membre de la communauté* à la donation qu’il â faite à celle-ci comme individu; si elle est à titre onéreux, il vend Comme individu, et il paie, comme membre de la communauté, sa part du prix. Ainsi, dans l’un et l’autrô cas, il â droit de jouir des biens concédés, et les autres habitants ne peuvent, à cet égard, qu’aller de pair avec lui. Mais de ce qu’on ne peut lui contester la jouissance en commun avec les autres habitants, s’ensuit-il qu’il puisse demander le partage des biens sur lesquels s'exerce cette jouissance, et en prendre le tiers pour sa portion ? — Observons d’abord que, si Cette conséquence était juste pour le seigneur qui a concédé gratuitement, elle le serait aussi, d’après ce que nous venorts de dire, pour le seigneur qui a concédé à titre onéreux ; et comme on est fbrcé de convenir qu’elle «îe peut pas s’appliquer à celui-ci, il est bien difficile de croire qu’elle puisse 8e soutenir par rapport à celui-là. En second lieu, ce n’est pas comme individu que le seigneur jouit des biens qu’il a concédés, c’est comme membre de la communauté concessionnaire; il ne peut donc pas, comme individu, demander le partage d’un bien dans lequel, comme individu, il ma aucun droit; il ne jouit que comme membre de la communauté, et à ce titre, le dernier des habitants est son égal. Ainsi, ou il ne peut exiger un partage, ou le dernier des habitants peut l’exiger comme lui ; et dès lors, il faut en revenir à ce principe conservateur des propriétés communales, que ce n’est pas aux individus qu’appartiennent les biens des corps politiques ; que quoique membre d’une communauté, je ne puis individuellement m’approprier, ni prétendre rien de ce qu’elle possède, et que, conséquemment, il ne peut jamais y avoir d’action en partage entre un membre d’une communauté d’habitants et la communauté elle-même. Il n’y a donc ni raison qui puisse justifier le triage, ni prétexte qui puisse en pallier l’odieux : aussi devons-nous dire, à la louange de nos pères, que l’origine n’en est pas fort ancienne. Consultons les monuments les plus authentiques et les ilus complets des premières sources de notre , urisprudence féodale; ouvrons les assises de . érusalem, Les établissements de Saint-Louis, les conseils de Pierre de Fontaines, la coutume du Beauvoisis par Beaumanoir, les coutumes notoires du Châtelet, les décisions de Jean des Mares. — Descendons, s’il le faut, à des temps plus modernes, et parcourons cette immense galerie de lois gothiques et bizarres, qui, dans le seizième siècle, ont été formées par le concours de plus de la moitié des habitants de la France ; qu’y trouverons-nous sur le triage ? Pas un mot ; et certainement on ne persuadera à personne qu’un silence aussi absolu ; aussi universel , perpétué aussi longtemps, sur un droit d’une telle importance, soit compatible avec l’idée qu’il ait alors existé, je ne dis pas des traces, mais une ombre de ce droit. Aussi n’est-ce qu’au commencement du dix-septième siècle qu’il a été introduit, et comment l’a-t-il été? Par une confusion d’idées et de principes, qui a fait appliquer aux bois et aux marais concédés en propriété, des règles particulières aux bois et aux marais dont il n’y avait que l’usage d’aliéné. Je m’explique. J’ai déjà observé que le cantonnement était en vigueur depuis près de trois siècles ; et en effet, on trouve un arrêt du 22 décembre 1515 (1) qui l’ordonne entre la dame dé Sainte-Palaye et les habitants de sa seigneurie; on en trouve d’autres de 1531 (2), de 1547, de 1548 (3), qui prononcent de même ; depuis, le nombre de ces arrêts est devenu presque incalculable. Mais si la jurisprudence des tribunaux a toujours été uniforme pour l’admission du cantonnement, elle ne l’a jamais été, elle n’a même jamais dû l’être sur la quotité des portions respectives du seigneur et des usages. Par les arrêts de 1531, 1547 et 1548,1e seigneur a obtenu les deux tiers, et les usagers ont été réduits au tiers. Il en été rendu d’autres qui ont adjugé aux Usagers les deux cinquièmes, d’autres le quart ; quelques-uns les ont limités au tiers ; et de ce nombre sont deux jugements de la table de Marbre et de la chambre des Eaux et Forêts de Paris, des 25 mai et 24 décembre 1607, que rapporte l’auteur des Lois forestières de France , tome II, page 281. Ces deux jugements peuvent être considérés comme l’époque occasionelle de l’introduction du triage. A l’exemple de ceux qui n’avaient concédé à leurs habitants que des droits d’usage, des seigneurs, qui avaient concédé aux leurs une véritable propriété, crurent pouvoir tirer aussi quelque parti des bois et des marais dont ils s’étaient anciennement dépouillés. Sans doute, du premier abord, on ne fit pas une attention bien exacte à la différence qui se trouvait entre les uns et les autres ; et, dahs le fait* il n’était pas toujours aisé de distinguer les concessions en propriété d’avec les concesssions de simple usage. D’ailleurs, les habitants usagers jouissent comme les habitants propriétaires ; et puisque la jouissance des premiers peut être intervertie par le cantonnement, pourquoi n’en serait-il pas de même de la jouissance des seconds?— Ainsi raisonnait l’intérêt personnel des seigneurs. Les habitants, opprimés de mille manières sous le régne désastreux de Louis XIII, pouvaient rarement opposer à ce raisonnement vicieux et absurde une défense assez vigoureuse pour conserver leurs propriétés intactes, et la plupart prévenaient ou terminaient par des transactions désavanta-(1) Voyez M. Henrion de Pansey, à l’endroit déjà cité, pag. 460. (2) Ibid. 13) Lois forestières, par M. Pecquet , tome 2, page 280. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 février 1190.] 5l5 geuSeS des procès qu’ils étaient incapables de soutenir. Aussi remarquons-nous qu’il a été rendu très peu d’arrêts sur des demandes en triage, avant l’ordonnance de 1669. Les auteurs, qui ont écrit sur cette matière, ne nous en oht conservé que deux: l’un du 24 mai 1658; l’autre du 13 novembre 1660 (1); encore déboutent-ils tous deux les seigneurs; l’un, parce que le bois dont il s’agissait ne contenait que 50 arpents ; l’autre, parce que le demandeur n’avait qu’une part indivise dans la seigneurie, et n’était ni assisté, ni avoué de ses co-seigneurs. Ce qui prouve encore que les communautés d’habitants se défendirent mal contre les novateurs qui cherchaient à leur enlever, par la voie du triage, une partie de leurs domaines, c’est qu’au mois d’avril 1667, Louis XIV se crut obligé d’annuler tous les triages faits depuis 1620, pour les soumettre à une révision dans laquelle tous les droits puissent être discutés avec attention et pesés avec impartialité. « Seront tenus (porte l’édit donné à cette époque en faveur des communautés), seront tenus tous les seigneurs prétendant droit de tiers dans les Usages communs et biens communaux des communautés, ou qui en auront fait faire des triages à leur profit, depuis l’année 1620, d’en abandonner et délaisser la libre et entière possession au profit desdites communautés, nonobstant tous contrats, transactions, arrêts, paiement et autres choses à ce contraires. » On Voit par cette disposition qu’un grand nombre de Seigneurs avaient profité des troubles dont avaient été agités le règne de Loüis XIII et la minorité de Louis XIV pour exercer le triage sur les biens de leurs communautés. Il n’est pas douteux que par là il ne se fût formé une sorte d’habitude de regarder le triage comme un droit seigneurial. Aussi la loi que nous Venons de citer ne le condamne-t-elle pas en lui-même : elle indique seulement un remède contre les abus qu’on en a faits ; et c’est à ce point que S’est également réduite l’ordonnance des Eaux et Forêts de 1669, la première de nos lois qui ait autorisé formellement la distraction du tiers dés communes au profit des seigneurs. Suivant cette ordonnance, lorsque les communes proviennent de la concession gratuite des seigneurs, et que les deux tiers en sont Suffisants pour les besoins des habitants auxquels elles ont été concédées, les seigneurs ont le droit de s’en approprier le tiers. Je ne m'arrêterai pas à faire remarquer combien peu est réfléchie cëtte loi qui fait dépendre l’exercice actuel d’un droit aussi important, de la condition si éventuelle, si versatile de la suffisance ou de l’insuffisance des deux tiers pour les besoins des communautés, comme si la population, qui est la mesure de ces besoins, était invariable dans chaque paroisse ! comme Si la concession d’une commune avait pu, dans son origine, avoir d’autre objet que de pourvoir aux besoins, non de telle ou de telle époque, mais de tous les temps ! Mais ce qui paraît mériter une attention sérieuse, c’esi le point de savoir si, d’après les détails que nous venons de parcourir, le triage peut encore avoir lieu au profit des seigneurs. Cette question peut être présentée de deux manières différentes, mais qui, en résultat, vont au même but. On peut demander d’abord si l’Assemblée na-(I) Journal des audience*. tionale petit, sans blesser les principes de justice qui seuls limitent sa puissance, abroger, par un décret spécial et direct, le droit dont il s’agit? — Et à cet égard, nulle difficulté. Ce que la loi a fait, elle peut le défaire; ce qu’elle a voulu, elle peut cesser de le vouloir, et son changement de détermination ne peut jamais donner lieu, ni à des plaintes fondées, ni par conséquent à des demandes d’indemnité de la part de ceux qui tiraient tout leur droit de Ses dispositions. Or, c’est par la loi, c’est-à-dire par l’ordonnance de 1669, qu’a été établi le triage. Il peut donc être aboli par la loi; et la loi, en l’abolissant, ne ferait que ce qui est rigoureusement en son pouvoir. Mais (et c’est ici le second point de vue sous lequel notre question peut être envisagée) faut-il une loi spéciale pour abolir directement le triage, ou ne doit-on pas plutôt le regarder Comme déjà aboli par les décrets du 4 août 1789? Ici, deux nouveaux points de vue s’ouvrent à notre examen et facilitent la solution de la difficulté qui nous occupe. OU le droit de triage est, dans l’esprit de l’ordonnance de 1669, un attribut de la seigneurie directe, et forme par conséquent, aux yeux de cette loi, un droit féodal ; Ou elle est censée, malgré son silence, le réserver aux seigneurs justiciers, et conséquemment elle le considère comme un droit de justice. Je hentends pas prononcer entre les deux membres de Cette alternative ; je sais que l’un et l’autre a ses partisans : il m’importe peu lequel est le mieüx fondé dans l’esprit de l’ordonnance de 1669 ; mais Voici comment je raisonne. Si l'ordonnance de 1669 a fait du droit de triage un droit de seigneurie directe, ou, ce qui est la même chose, un droit de fief, à coup sûr elle l’a fait dépendre du régime féodal ; mais le régime féodal est entièrement détruit ; le droit de triage ne peut donc plus subsister dans cette hypothèse. — Et qu’on né prétende pas alors se soumettre aü rachat, comme les autres droits féodaux qui ne tiennent ni à la mainmorte, ni à la servitude personnelle : ils sont sans doute rache-tables, tous ces droits qui, dérivant ou d inféodation ou d’accensement, forment de véritables émanations de la propriété foncière ; mais peut-on leur assimiler à cet égard un droit qui ne tient son existence que d’une loi arbitraire ? L’Assemblée nationale a bien soumis au rachat les droits qui sont féodaux par leur nature et qui le sont réellement, mais elle n’a sûrement pas compris dans sa disposition un droit qui tt'est féodal que de nom, et dont la féodalité fictive a sa source dans un édit encore récent. Yeut-on, au contraire, que le droit de triage ne soit, dans l’esprit de l’ordonnance de 1669, qu’un droit de justice ? La condition des seigneurs qui prétendaient le conserver n’en serait pas plus avantageuse ; car les droits de justice seigneuriale étant supprimés sans indemnité, il n’est pas possible qu’il en subisse encore des attributs ; les accessoires suivent nécessairement le sort du principal, et la destruction de l’un emporte de droit la destruction des autres. Ainsi, qüe le droit de triage soit dans l'esprit de l’ordonnance de 1669, un droit de fief ou un droit de justice, c’est la chose du monde aujourd’hui la plus indifférente ; et sous l’uu comme sous l’autre aspect, il est évidemment supprimé par les décrets du 4 août. Ce n’est pas néanmoins qu’il soit inutile de le comprendre formellement dans le nouveau décret 516 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 février 1790.] que vous allez porter. Nous pensons, au contraire, que le passer sous silence et nepas le frapper d’une suppression expresse, ce serait laisser la porte ouverte à une difficulté qu’on ne manquerait pas de faire, et à l’aide de laquelle ce droit échapperait peut-être, dans certains tribunaux, à la proscription qu’il aurait été dans votre intention implicite de lui faire subir. — Cette difficulté consisterait à dire que, dans l’exacte vérité, le triage n’est ni un droit de justice, ni un droit de fief; que c’est une simple faculté qui a été établie par l’ordonnance de 1669, et que la disposition de cette ordonnance n’étant pas révoquée, cette fa ¬ culté doit encore subsister et avoir tout son effet. — Je ne dis pas, Messieurs, que ce raisonnement serait bien victorieux ; je ne dis pas qu’il serait sans réplique ; mais je dis qu’il pourrait embarrasser les juges, et c’est un inconvénient auquel il est de notre devoir de parer, en décrétant positivement l’abolition du droit de triage. Maintenant, une nouvelle question se présente : la suppression du droit de triage aura-t-elle un effet rétroactif? Rigoureusement, j’ose le dire, elle devrait l’avoir, et l’avoir indéfiniment, parce qu’en abrogeant une loi injuste, on ne fait, strictement parlant, ou du moins on ne devrait que rétablir les choses dans l’état où elles seraient, si cette loi n’avait jamais existé. Mais il est dans la justice même, un excès qne les législateurs doivent éviter comme les magistrats ; en faisant les lois comme en les appliquant, il ne faut jamais être extrême; c’est le sens et l’objet de cette maxime, summum jus summa injuria ; et en la combinant avec une foule de considérations particulières à l’exercice qui a été ci-devant fait du triage, il est impossible de ne pas conclure que la suppression de ce droit ne pourrait, sans les plus grands inconvénients, refluer jusque sur le passé. Votre comité, Messieurs, a donc pensé que le droit de triage, tel qu’il est établi par l’ordonnance de 1669, ne devait être aboli que pour l’avenir ; mais son opinion, unanime sur ce point général, a été divisée par rapport au triage auquel, par une extension bien étrange de cette ordonnance, des lettres -patentes sur arrêt obtenues par les seigneurs de la Flandre Wallonne et de l’Artois, ont assujetti les biens possédés par les communautés à titre onéreux. On vous présentera, Messieurs, les raisons respectives de l’un et de l’autre avis, et ce sera à vous à décider si les seigneurs Flamands et Artésiens peuvent garder, ou doivent restituer à leurs communautés les portions de biens dont ils se sont ainsi fait mettre en possession depuis onze à douze ans, par des arrêts du conseil rendus sur requêtes non communiquées. Suite du projet de décret sur les droits féodaux. TITRE II. Des droits seigneuriaux qui sont supprimés sans indemnité. Art. 1er. La mainmorte personnelle, réelle ou mixte, ainsi que Ja servitude d’origine, la servitude personnelle du possesseur des héritages tenus en mainmorte réelle, celle de corps et de poursuite, les droits de taille, de corvées personnelles, d’échute, de vide-main, le droit prohibitif des aliénations et dispositions à titre de vente, de donation entre-vifs ou testamentaire, et tous les autres effets de la mainmorte réelle, personnelle oumixte, qui s’étendaient sur les personnes ou les biens, sont abolis sans indemnité. Art. 2. Néanmoins, tous les fonds ci-devant assujettis à la mainmorte réelle ou mixte, continueront d’être assujettis aux mêmes charges, redevances, tailles ou corvées réelles dont ils étaient précédemment chargés. Art. 3. Lesdits héritages demeureront pareillement assujettis aux droits dont ils pouvaient être tenus en' cas de mutation par vente, pourvu néanmoins que lesdits droits ne fussent pas des compositions à la volonté du propriétaire du fief dont iis étaient mouvants, et que lesdits droits n’excédassent point ceux qui ont accoutumé être dûs par les héritages non mainmortables, tenus en censive dans la même seigneurie, ou suivant la coutume. Art. 4. Tous les actes d’affranchissement par lesquels la mainmorte réelle ou mixte aura été convertie sur les fonds ci-devant affectés de cette servitude, en redevances foncières et en des droits de lods aux mutations, seront exécutés selon leur forme et teneur, à moins que lesdites charges et droits de mutation ne se trouvassent excéder les charges et droits usités dans. la même seigneurie, ou établis par la coutume, relativement aux fonds non mainmortables tenus en censive. Art. 5. Dans le cas où les charges réelles, stipulées par les actes d’affranchissement, se trouveraient excéder létaux indiqué par l’article précédent, elles y seront réduites, l’excédent ne devant être regardé que comme le prix des servitudes personnelles qu’emportait la mainmorte réelle, lesquelles n’étaient pas susceptibles d’indemnité; et seronteniièrementsupprimésles droits et charges qui ne seront représentatives que des servitudes purement personnelles. Art. 6. Seront néanmoins les actes d’affranchissement faits avantl’époque fixée par l’article XIX ci-après, moyennantune somme de deniers, ou pour l’abandon d’un corps d’héritage certain, soit par les communautés, soit par les particuliers, exécutés suivant leur forme et teneur. Art. 7. Toutes les dispositions ci-dessus, concernant la mainmorte, auront également lieu pour les tenues en bordelage et en quevaise. Art. 8. Les droits de meilleur cattei ou morte-main (1), de taille à volonté, de taille ou d’indier aux quatre cas de cas impériaux et d’aide seigneuriale, sont supprimés sans indemnité. Art. 9. Tous droits qui, sous la dénomination de fouage, monéage, bourgeoisie, congé ou autre quelconque, sont perçus par les seigneurs, sur les personnes, sur les bestiaux, ou à cause de la résidence, sans qu’ils soient justifiés être dus, soit par les fonds invariablement, soit pour raison de concession d’usages ou autres, sont abolis sans indemnité. Art. 10. Sont pareillement abolis sans indemnité les droits de guet et de garde, ainsi que les rentes ou redevances qui en sont représentatives, quoique affectées sur des fonds qui ne seront pas (1) On appelle ainsi, en Hainaut et dans quelques autres provinces, le droit de prendre à la mort d’un affranchi ou descendant d’affranchi, le meilleur meuble, ou (comme parlaient nos pères il y a deux ou trois cents ans le meilleur cattei qui se trouvait dans sa succession. Ce fut Marguerite, comtesse de Flandres et de Hainaut, qui, la première, en affranchissant ses serfs en 1252, donna l’exemple de l’établissement de ce droit. Margarita Flandriæ , atque Hannoniœ Comitissa (dit Burgundus ad consuetudines tlandriæ, traité 15, n. 3,) Turcarum morem execrata, tam immane jugum servitutis suis ademit, et ad Catelli unius prœstationem arctavit.