ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [27 mai 1789.] gQ [Étals généraux.] autre évêque dit : J’ai interrogé deux membres de la députation pour savoir si la réunion proposée a pour objet de consulter ou de délibérer. Us m’ont répondu qu’on entend délibérer, et que, dans cette délibération les voix seront recueillies par tête; cette déclaration, modère les premières dispositions. La proposition des communes devient l’objet d’une discussion. Après de longs débats, et l’heure étant trop avancée, il est arrêté d’envoyer aux communes une députation chargée de déclarer que les membres du clergé prennent en grande considération la proposition de MM. du tiers-état, et sont très-empressés de leur faire une réponse; qu’ils s’en occupent continuellement ; mais que la séance ayant été prolongée au delà de trois heures, ils se séparent et remettent la séance à demain pour continuer à s’en occuper. Cette députation se rend à l’instant même dans la salle des communes qui étaient restées assemblées pour attendre le résultat de leur démarche. NOBLESSE. La Chambre de la noblesse n’est occupée d’aucune délibération importante. La séance est levée. COMMUNES. A l’ouverture de la séance, on fait lecture de l’arrêté pris hier par la noblesse. Cet arrêté avait été trouvé sur le bureau. M. Camusat de Beloinbre. Puisque nous avons échoué dans le projet de conciliation, que nous avons épuisé tous les procédés, la nation ne peut se refuser sans doute à rendre justice à la sage lenteur de nos opérations; elle nous applaudira dans le choix des commissaires appelés à opérer un si grand œuvre. Il faut enfin prendre un parti, et peut-être en venir au moyen rigoureux, mais nécessaire, proposé par M. Chapelier. Mais avant de nous décider sur ce point, ne convient-il pas, Messieurs, d’envoyer des députés au clergé, pour le prier de continuer encore le rôle de conciliateur entre nous et la noblesse, ou plutôt pour tenter encore de nouveaux efforts auprès du second ordre, ou se joindre à nous, et commencer les importantes fonctions auxquelles nous sommes appelés? Je suis instruit que, et j’ose le dire, la pluralité des membres du clergé est en notre faveur ; il n’attend que le moment pour se déclarer. Un second député propose les mêmes objets, en y ajoutant : Jusqu’ici je ne vous ai proposé que des points que le préôpinant avait déjà développés; mais cependant telle est la différence qui existe entre nos deux motions : il ne faut pas en douter, la conciliation devient impossible ; la résistance de la noblesse, son opiniâtreté dans ses principes, ne nous laissent plus qu’un seul parti à prendre : c’est d’envoyer vers le clergé des commissaires pour le prier de se joindre aux communes, et commencer sur-le-champ les travaux. Le clergé doit maintenant renoncer au rôle de conciliateur; 1 est temps de le faire sortir de son inaction. Un autre député propose la même chose en des termes différents. M. de Courte!!. J’expose que j’ai à déclarer à l’Assemblée un fait qu’elle doit peser dans sa sagesse, et qui peut influer dans la délibération. Je sais particulièrement qu’un des membres de la noblesse s’étant écrié, après que l’arrêté fut pris : qu’on ne pouvait plus en faire un autre; que celui-là décidait de tout... toute la Chambre a rejeté avec empressement une adhésion qui les attachait pour toujours à leur arrêté. De là on peut espérer que la noblesse n’est pas tout à fait aliénée, qu’elle peut encore revenir, et que dès lors il n’est peut-être pas nécessaire de forcer la noblesse à se joindre tout à l’heure aux communes. M. Populus. Toutes les motions que vous venez d’entendre ne portent que sur une base fausse, la fin des conférences et l’arrêté de la noblesse. Quant aux conférences, elles ne sont pas achevées ; hier encore nous avons prié nos commissaires de continuer. Relativement à l’ab-rêté, nous pouvons croire individuellement qu’il existe ; mais positivement nous devons l’ignorer : tant que la noblesse ne nous en aura pas donné connaissance, nous devons penser que les conférences sont toujours en activité. A quel moyen devons-nous donc recourir? Jè crois que nous devons faire demander par nos commissaires, aux deux autres ordres, quel est le résultat des conférences, et c’est alors que nous verrons quel parti il nous reste à prendre. M. le comte de Mirabeau (1). Je ne vois rien que de sage et de mesuré dans la motion qui vous est soumise, et je conviens que l’on peut, sans inconvénient, se donner encore le mérite de cet inutile essai ; mais je vous prie d’examiner s’il ne serait pas bon d’y joindre une autre démarche plus efficace, et qui ait un but plus déterminé. 11 est clair, d’après le rapport de nos commissaires, que la proposition qu’on leur a faite est entièrement inacceptable. Elle choque tous nos principes ; elle excède nos pouvoirs. 11 est et il sera à jamais impossible de suppléer, dans une vérification par commissaires, à la sand-tion des Etats généraux réunis ; il ne l’est pas moins que des conventions qui intéressent les ordres respectifs ne soient pas débattues par les trois ordres, en présence les uns des autres. Il l’est encore davantage qu’un ordre en particulier devienne le juge des questions qui intéressent les deux autres. Chaque ordre n’est que partie; les Etats généraux sont seuls juges. Admettre une vérification des pouvoirs séparée et partielle, ce serait d’ailleurs vouloir être agité d’un éternel conflit de juridiction, susciter une foule de procès interminables. La vérification par commissaires excède nos pouvoirs. Investis de la puissance nationale, autant du moins qu’une espèce de législature provisoire peut l’être, nous ne le sommes pas du droit de la déléguer. Nous ne pouvons pas subroger dés juges à notre place ; la conséquence du principe contraire serait que nous pourrions limiter les Etats généraux, les circonscrire, les dénaturer, les réduire, enfin nommer des dictateurs. Une telle prétention serait criminelle autant qu’absurde. Ce serait une usurpation delà souveraineté, qui ferait sortir de cette Assemblée une véritable (t) Le discours de Mirabeau est incomplet au Moniteur. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 mai 1789.] [États généraux.] 51 tyrannie, et qui frapperait de la plus détestable, gi ce n’était en même temps de la plus pitoyable hullité, toutes nos opérations. I Voilà, Messieurs, où conduit le système que proposent les deux ordres, et dont sans doute ils jn’ont pas senti toutes les conséquences 1 Je ne parlerai point de la proposition d’un des bommissaires du clergé ; elle est probablement celle d’un ami de la paix : mais outre qu’en reconnaissant qu’il y a dans la véritication des pouvoirs, procès et nécessité à un jugement, elle nous renvoie à la sévérité du principe sur le choix des juges ; outre qu’elle ne saurait jamais échapper à cette observation simple, que s’il est possible, s’il lest nécessaire, s’il est inévitable de se réunir pour la solution de certaines difficultés, il n’existe point üne raison de ne pas se réunir pour la solution de toutes les difficultés. La proposition d’un seul (homme ne peut point, en pareil cas, être matière à délibération, et nous savons que la noblesse a déjà repoussé les expédients. ( Sans doute, Messieurs, le système des ordres privilégiés est très-conséquent. L’un s’est déclaré légalement constitué, il s'est lui seul investi de tous les pouvoirs qu’il a trouvés à sa convenance, il a fait des actes de véritable souveraineté, et l’un de ses membres, tout en parlant des principes constitutifs de la monarchie, ridicule cri de irai bernent de tous ceux qui voudraient bien que la monarchie ne fût jamais constituée, n’a pas craint d’appeler l’Assemblée des députés présumés |de la noblesse, cette Chambre législative et souveraine. i L’autre, plus temporiseur, plus circonspect et Surtout plus menacé de divisions intérieures, sous je titre modeste d’Etats provisoires, fait à peu près les mêmes choses, et tend évidemment au même put, avec cette circonstance très-remarquable, qu’il augmente tous les jours par sa modération même le nombre de ses auxiliaires; tandis que la démarche violente de la noblesse attiédit les préjugés des hommes de bonne foi qu’elle renferme, et augmente les forces des amis de la liberté et de la paix. Que devons-nous à nous-mêmes, dans ces circonstances, pour être fidèles tout à la fois à notre Système de pacification, à nos devoirs, et aux intérêts de nos commettants? I J’ai déjà eu l’honneur de le dire dans cette As-(emblée, Messieurs, je ne conçois pas qu’il puisse ître ni convenable ni prudent de traiter de même ivec celui qui ordonne sans titre, et celui qui îégocie de notre gré. Est-il bien certain, d’ail-eurs, que dans ce système il y ait compensation (entre nos acquisitions et nos pertes? L’est-il que le contraste de la conduite des communes et des ordres privilégiés nous acquiert autant d’amis dans la noblesse, que l’intrigue favorisée par nôtre inaction nous en fait perdre dans le clergé ? L’est-S'1 qu’une plus longue persévérance dans notre mmobilité, et surtout dans l’uniformité de notre olérance, ne compromette pas les droits nationaux, en propageant l’idée que le monarque doit prononcer, si les ordres ne peuvent s’accorder; qu’au lieu de n’être que l’organe du jugement national, il peut en être l’auteur. Ces maximes très-odieuses, mais autorisées par des exemples, si la déraison et l’injustice pouvaient l’être, et que la mauvaise foi parvînt à confondre les temps et les circonstances, ces maximes acquerront tous les jours beaucoup de partisans, parce qu’elles ont beaucoup de prôneurs intéressés, et que le besoin de faire et d’agir qui nous tourmente leur conquiert un grand nombre de suffrages. Il me semble qu’il est temps, sinon d’entrer en pleine activité, du moins de nous préparer de manière à ne pas laisser le plus léger doute sur notre résolution, sur nos principes, sur la nécessité où nous sommes de les mettre incessamment en pratique. Craignons qu’une plus longue persévérance dans notre immobilité ne compromette les droits nationaux en propageant l’idée que le monarque doit prononcer; qu’au lieu de n’être que l’organe du jugement national, il peut en être l’auteur. Les arguments de la noblesse se réduisent à ce peu de mots: nous ne voulons pas nous réunir pour juger des pouvoirs communs. Notre réponse est très-simple. Nous voulons vérifier les pouvoirs en commun. Je ne vois pas pourquoi le noble exemple de l’obstination, étayé de la déraison et de l’injustice, ne serait point à l’usage de la fermeté qui plaide pour la raison et pour la justice. Le clergé persévère dans le rôle de conciliateur qu’il a choisi, et que nous lui avons confirmé. Adressons-nous à lui, mais d’une manière qui ne laisse pas le plus léger prétexte à une évasion. Et pour y parvenir, j’ai l’honneur de vous demander d’abord de fixer un terme, et un terme très-court, à la nouvelle conférence que l’on vous propose d’ordonner à vos commissaires. Je vous demande ensuite de décréter une députation vers le clergé, députation très-solennelle et très-nombreuse, qui, résumant tout ce que nos adversaires ont si subtilement allégué, tout ce que nos commissaires conciliateurs ont si bien dit, abjurera les ministres du Dieu de paix de se ranger du côté de la raison, de la justice, de la vérité, et de se réunir à nous pour tenter un nouvel effort auprès de la noblesse. Si les espérances que nous avons conçues d’une grande partie du clergé sont fondées, elles se réaliseront à l’instant même; et quelle différence pour nous d’inviter la noblesse, de la sommer au besoin, de réclamer contre elle, s’il est malheureusement nécessaire, réunis avec le clergé ou isolés de lui ! Mais quel que soit le succès d’une telle démarche, elle vous donnera l’honneur de tous les procédés, elle conquerra l’opinion universelle à votre modération et à votre fermeté. Si par impossible les privilégiés s’obstinent dans leur conduite impérieuse et ambiguë, nous recourrons au commissaire du Roi, et nous lui demanderons de faire respecter son ajournement. M. le garde des sceaux, par ordre du Roi, a ajourné cette Assemblée. Toute Assemblée ajournée doit incontestablement se retrouver la môme qu’elle était au moment où on Ta ajournée. M. le garde de des sceaux doit donc faire respecter et exécuter l’ordre du législateur provisoire dont il a été l’organe ; et ce n’est qu’alors que la conduite des privilégiés aura montré tout à la fois leur indiscipline et l’impuissance du ministre, que, forcés d’établir et d’exercer vous mêmes les droits nationaux, vous aviserez dans votre sagesse aux moyens les plus paisibles, mais les plus surs, d’en développer l’étendue. La motion de M. de Mirabeau est accueillie par acclamation et exécutée au même instant. Les commissaires conciliateurs et les membres-du bureau se rendent ensuite dans la salle où le clergé est assemblé.