[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mars 1791.] 295 sons, corps et communautés, après le payement des dettes mobilières et exigibles. « Art. 2. Les rentes viagères seront acquittées jusqu’au jour du décès des personnes sur les têtes desquelles elles ont été créées. « Art. 3. Les payeurs des rentes dues par l’Etat acquitteront les arrérages desdites rentes, tant perpétuelles que viagères, et les intérêts desdites dettes non exigibles, à compter du 1er janvier 1791. « Art. 4. Les propriétaires desdites rentes ou créances, qui étaient payés de leurs arrérages ou intérêts dans les ci-devant provinces, pourront s’ils le préfèrent, après leur liquidation, être payés dans les districts où ils sont domiciliés ou autres qu’ils voudront choisir, en se conformant à ce qui est prescrit par les articles 8, 9 et 10 du décret du 15 août dernier, relatif au payement des rentes dues par le ci-devant clergé et les ci-devant pays d’Etats. « Art. 5. La légitimité des rentes perpétuelles ou viagères, et des créances produisant intérêt, sera constatée dans les formes prescrites par le titre II du présent décret, pour les créances mobilières et exigibles. « Art. 6. Après le décret de liquidation des-diîes rentes ou créances, les propriétaires d’icelles donneront quittance de liquidation et de remboursement, devant notaires à Paris, du montant de leurs capitaux, avec stipulation de cessation des arrérages et des intérêts à compter du premier jour du semestre de janvier ou de juillet, dans lequel ils donneront leurs quittances; ils remettront avec ces quittances les originaux de leurs titres et les certificats nécessaires pour constater qu’il y aura ou qu’il n’y aura pas d’opposition sur lesdits propriétaires, les créanciers de rentes viagères joindront leurs actes baptistaires et ceriiticats de vie en bonne forme. « Art. 7. Les créanciers en sous-ordre seront tenus de renouveler leurs oppositions dans la forme prescrite par l’article 6 du titre II du présent decret; et pendant deux mois, à compter de la publication du présent décret, il ne sera délivré aucune reconnaissance de liquidation définitive, sans un certificat d’opposition ou non-opposition du receveur du district, dans lequel était l’établissement ecclésiastique débiteur. « Art. 8. En échange de leur quittance de remboursement, il sera délivré aux propriétaires desdites rentes perpétuelles ou viagères, ou créances produisant intérêts, une reconnaissance de liquidation valant contrat, qui portera les mêmes capitaux et intérêts que la rente liquidée; ces intérêts commenceront du jour auquel la cessation en aura été stipulée par lesdites quittances, conformément à l’article 6 du présent décret. « Art. 9. S’il y a opposition sur aucuns desdits propriétaires, lesdiies oppositions ne pourront empêcher lesdites liquidations et conversions de titres ; mais elles subsisteront dans leur valeur, quant au payement des arrérages, et à cet effet les reconnaissances et liquidations seront expédiées à la charge desdites oppositions. « Art. 10. Les capitaux des rentes perpétuelles et des créances, produisant intérêts liquidés et déclarés légitimes, suivant les articles ci-dessus, pourront être donnés en payement des domaines nationaux ; mais ils ne seront reçus que sur le pied du denier vingt, de leurs intérêts, et ces intérêts cesseront du jour de la quittance de remboursement, en se conformant, pour obtenir leur reconnaissance de finance, admissible en entier en payement de domaines nationaux, à ce qui est rescrit par les décrets des 16 décembre 1790 et 0 janvier 1791. TITRE 1Y. Des dettes et dépenses actuellement acquittées par les receveurs des districts en vertu des précédents décrets. « Art. 1er. Les receveurs des districts enverront au commissaire du roi, directeur général de la liquidation, dans un mois à compter de la publication du présent décret, l’état de tous les payements qu’ils auront faits. Ils rappelleront et donneront dans cet état, la date des vérifications et arrêtés, en vertu desquels ils auront payé, ainsi que la nature des dettes acquittées. « Art. 2. Les dépenses et dettes acquittées par les receveurs des districts, en vertu des précédents décrets, serom, aorès la liquidation faite par ledit commissaire du roi, directeur général de la liquidation, et les décrets de l’Assemblée nationale à intervenir, portées en dépenses sur les livres auxiliaires tenus à cet effet par le trésorier de la caisse de l’extraordinaire qui se chargera en recette de sommes pareilles, à la décharge desdits receveurs de districts. « Art. 3. L’Assemblée nationale attribue aux département de Paris, exclusivement à tous autres, la vérification et l’arrêté de ce qui reste à acquitter des dettes des ci-devant jésuites. « Art. 4. Si aucunes des créances mentionnées ci-dessus, en capital on intérêts, prétendues fondées on titres authentiques, sous seing privé ou autrement, exigibles ou non, avaient été acceptées, avant la publication du présent décret, par les receveurs des districts, en payement a compte ou pour solde de domaines nationaux, tant qu’elles eussent été reconnues et visées par le commissaire liquidateur, encore qu’elles l’eussent été par les administrateurs de district et de département, et que les payements eussent par eux été autorisés, lesdits payements ne seront valables qu’après qu’ils auront été déclarés tels par un décret du Corps législatif, en suite du rapport du commissaire liquidateur dans les formes ci-devant prescrites. Dans le cas où lesdits payements ne seraient pas déclarés valables, les receveurs qui les auraient acceptés, tes administrateurs qui les auraient ordonnés ou permis, seront solidairement garants et responsables des sommes pour lesquelles lesdites créances auraient été admises en payement. » Un membre demande le renvoi de ce projet de décret au comité central de liquidation, pour être concerté avec lui. (Ce renvoi est décrété.) L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret du comité de Constitution sur la régence du royaume (1). La discussion est ouverte sur la question de savoir si la régence sera élective ou si elle sera référée par la loi au parent majeur, le plus proche suivant l’ordre d’hérédité au trône. M. Pétson de 'Villeneuve. Messieurs, il faut (1) Voyez ci-dessus, séance du 22 mars 1791, pages 260 etsûiv.,lc rapport de M. Thouret et le commencement de la discussion sur cet objet, 296 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* avant tout se faire des idées claires et distinctes de ce qu’est la régence. La régence n’est point la royauté. D’après les principes que vous avez adoptés, le roi ne meurt jamais ; les rois se succèdent sans interruption dans l’ordre héréditaire, un roi mineur n’en est pas moins roi; mais cornue la faiblesse de son âge ne lui permet pas de gouverner, un autre agit, administre en son nom; c’est un véritable tuteur en administration, mais à qui la royauté n’appartient pas. Ne confondons point la régence avec la royauté. Sous l’ancien régime jamais on n’a fait cette confusion; la royauté était héréditaire, la régence ne l’était pas. La régence se conférait tantôt par les assemblées des Etats, tantôt par les rois ; les parlements même en ont disposé. Personne n’y était appelé de droit par son rang. On accordait au régent des pouvoirs plus ou moins étendus. La régence et la garde du roi ont été tour à tour réunis et séparés. L’abbé Surger fut établi régent du royaume dans les assemblées des Etats tenus à Etunpes l’an 1347, et cependant il existait alors deux reines, l’une mère, l’autre épouse, et des frères du roi ; la nation, par ses représentants, usa néanmoins du droit précieux d’élection. Lorsqu’un roi est mineur, je compare la nation à une famille qui a une pupille. Elle s'assemble, elle choisit dans son sein celui qu’elle croit le plus capable de bien diriger, de bien gouverner jusqu’à ce que l’enfant ait acquis l’âge nécessaire pour agir avec sagesse par lui-même. Quelle que soit la force du gouvernement, la nation a le droit et le devoir d’avoir quelqu’un sur qui repose sa confiance. Au premier coup d’œil on est tenté de penser que la royauté ayant été déclarée héréditaire, la régence doit l’être également ; mais la réflexion dit qu’il n’y a point de similitude, qu’il n’y a pas d’identité entre l’un et l’autre, de sorte qu’il ne reste en définitive à examiner qu’un seul point : c’est s’il est avantageux que la régence soif ou ne soit pas héréditaire, ce qui en d’autres termes est demander si une place de cette importance doit être confiée au choix plutôt qu’au hasard ? Les arguments qu’on peut faire contre les élections se réduisent à deux principaux: l°Les éh étions donneront lieu à des intrigues, à des cabales; 2° les élections dans ces moments occasionneront de grandes crises, des convulsions dangereuses. On peut répéter sans cesse, en parlant des élections, de quelque nature qu’elles soient, cet éternel argument d’intrigues et de cabales : il est d’autant plus sûr de produire quelque effet sur les esprits, que c’est un vice dont les élections ne sont pas toujours exemptes ; mais quVn doit-on conclure ? Que c’est un défaut attaché à une bonne institution, parce que nulle institution n’est parfaite; mais avec ce défaut elle est néanmoins préférable, il faut en convenir, à la nomination abandonnée à des manœuvres bien autrement perfides , ou à des hasards toujours aveugles. Lorsque vous avez rendu tons les emplois électifs, vous ne vous êtes pas dissimulés sans doute que l’élection avait ses dangers, mais le mode vous a paru réunir plus d’avantages que d’inconvénients, dès lors vous l’avez jugé bon, vous l’avez jugé utile. Vous avez jugé que le gouvernement représentatif repose entièrement, d’ailleurs, sur les élections; pourquoi, lorsqu’il s’agit de fonction aussi auguste et aussi intéressante pour ia liberté que celle de la régence, auriez-vous une autre opinion ? Quant à ces mouvements orageux dont les ]23 mars 1791.] élections, dit-on, agiteraient l’Empire ; je ne m'en laisse pas facilement effrayer ; il serait inutile de dire qu’il ne faut pas s’en laisser imposer par l’exemple des régences qui ont eu lieu dans les temps de despotisme, où le sort de l’Empire était entre les mains d’un seul, où l’Etat tout entier était concentré dans la cour, où le peuple était sans représentations et languissait dans l’ignorance et dans un honteux esclavage; mais ce que je dois remarquer, c’est que nous sommes, je pense, dans une position où nous jugeons mal les élections, nous sommes dans un moment d’effervescence, dans un moment où toutes les passions sont exaltées, dans un moment detrouble; mais ces temps s’écouleront et le calme renaîtra. L’état habituel des nations est un état tranquille : quelques années encore, eh! savez-vous ce que nous aurons à craindre? Que la nation ne tombe insensiblement dans une trompeuse léthargie. N’avons-nous pas sommeillé pendant des siècles dans le despotisme? Les nations sont naturellement paresseuses; elles se livrent naturellement à la confiance, et la ooufiance les a toujours perdues. Rien n’est plus désirable sans eoute que la paix, mais non pas cette paix de la mort, il est une agitation dans les corps politiques comme dans les autres; c’est elle qui leur donne le mouvement et la vie; et croyez que cette agitation tend, sans cesse, et par la nature des choses, à s’affaiblir. Ainsi, ne vous laissez pas aller à de vaines erreurs; portez vo3 regards dans i’avenir, et vous apercevrez dans l’élection d’un homme les grandes catastrophes qui ébranlent et renversent les Empires. L’édifice que nous avons élevé, sera-t-il donc si fragile, qu’un souffle puisse le détruire? Le Corps législatif ne veillera-t-il pas sans cesse à sa conservation? La nation ne prendra-t-elle pas enfin un esprit public, un caractère imposant qui la garantira de l’anarchie et surtout du despotisme? La Constitution de l’Angleterre a-t-elle été ébranlée parce que les régents n’y sont pas héréditaires? Non, sans doute. Que voulez-vous qu’un régent électif fasse que ne puisse faire également un régent héréditaire? Imaginez toutes les hypothèses possibles, calculez toutes les perfidies, les chances sont égales; et pour mieux dire, et c’est là une vérité consolante, c’est que nul homme ne peut asservir un peuple qui veut être libre, ni violer les lois qui assurent son bonheur. J’avouerai même que, si j’avais à redouter un de ces deux hommes, le régent héréditaire serait celui qui exciterait ma défiance; il serait à mes yeux plus formidable pour la liberté publique, parce que, touchant de plus près au trône, habitué à le regarder comme un patrimoine, il a souvent une espérance plus ou moins vive, plus ou moins prochaine de la posséder, et qu’il serait naturellement enclin à usurper, à envahir, à agrandir un pouvoir avec lequel il s’identifierait et qu’il regarderait comme le sien propre. Je ne dirai pas qu’il irait jusqu’à hâter, par des moyens coupables, le moment d’une telle puissance; mais, enfin, on conviendra avec moi qu’un régent électif a au moins plus de droit à la confiance de la nation qu’un régent héréditaire. Voici maintenant d’autres avantages de l’élection ; ils ne sont pas à dédaigner. Par l’élection, vous maintenez les plus immédiatement appelés à la régence, c’est-à-dire les plus près de la Couronne, dans des dispositions favorables pour la liberté; vous les forcez à respecter les droits de citoyen, les principes de la Constitution. Ils {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (23 mars 1791.] 297 ont sans cesse devant les yeux le choix que la nation pourra faire un jour de leur personne*, ils ambitionnent cetimportant et honorable suffrage ; ils redouteutdene pas l’obtenir, ils s’étudient à le mériter, et vous entretenez ainsi dans tous les membres de la dynastie un principe salutaire d’émulation. De tous ces hommes, vous en faites des citoyens; car, pour parler le langage de l’expérience, les régences ont presque toujours été des intervalles où le peuple a respiré un instant l’air de liberté. Celui qui ne gouverne que passagèrement a intérêt de rendre son joug léger, et ne sent que faiblement la force du pouvoir; sans doute, nus rois ne seront pas à l’avenir des despotes, nous leur avons ôté de grands moyens d’oppression; mais, ne nous le dissimulons pas, il est de la nature du pouvoir exécutif, de ce pouvoir toujours agissant, d’envahir sans cesse. Ses tentatives sont de tous les moments, elles se reproduisent sous mille formes diverses, et elles minent avec les siècles les ouvrages qui paraissent devoir être éternels. Ainsi les régences, si elles sont électives, viendront intercepter la cour de ces usurpations habituelles, de ces projets ambitieux toujours si funestes au repos public ; eh! il faut quelquefois un siècle pour renouer le fil des opérations qu’un jour seul a rompu. On peut dire que les régences sont, dans le système de la nature, les commotions rares et bienfaisantes qui dissipent les nuages et purifient l’air et la terre des vapeurs dont ils étaient infectés. (Murmures.) L’élection d’une place si éminente rappellera de distance en distance, au peuple, quelle est l’étendue de sa puissance, et il est bon que cette idée ne s’échappe jamais de sa mémoire. Elle n’est que trop prompte à s’effacer, lorsque la souveraineté n’est qu’une vaine théorie, lorsque des actes malfaisants ne frappent pas les sens et ne lui laissent pas une impression profonde. Rousseau disait que le peuple anglais n’était libre qu’au moment de ses élections. Cette vérité fâcheuse s’applique plus ou moins à tous les gouvernements représentatifs; gardons-nous donc bien de priver la nation du droit de nommer à la régence. Je me résume et je dis : Nommer à la régence n’est pas un droit nouveau, mais celui de tous les siècles. La régence n’est pas la royauté; l’une est héréditaire, à vie; l’autre est temporaire. Le régent doit être donné par la confiance nationale, et non par le hasard ; les élections sont l’essence du gouvernement représentatif; si elles ont des inconvénients, elles ont des avantages inappréciables; les mouvements qu’elles occasionnent dans des temps ordinaires sont bien plus salutaires que nuisibles : ce sont des mouvements conservateurs de la liberté. Les régences électives favoriseront cette liberté, maintiendront les membres de la dynastie dans une crainte utile, dans le respect pour la loi; elles donneront au peuple le sentiment de ses droits, de ses principes, et j’ose dire que l’éligibilité à la régence sera un des actes qui honorera le plus l’Assemblée nationale. Je demande donc que les régents soient électifs. M. Stanislas de Clermont-Tonnerre. Messieurs, vous avez cru devoir discuter isolément la question de l’election et de l’hérédité de la régence. — J’avoue qu’après avoir attentivement considéré cet objet sous les points de vue divers, je me suis décidé pour l’hérédité. Mais je n’en éprouve pas moins le désir et le besoin d’être affermi dans mon opinion par une discussion approfondie, et depuis que, dans cette tribune, je vous dis ce que je crois être la vérité, ii ne s’est pas encore présenté une discussion que j’aie abordée avec plus de méfiance de moi-même et de crainte de m’égarer. — Plusieurs idées séduisantes environnent celle de l’élection, au premier coup d’œil. — Le premier vœu de la raison, le sentiment de sa propre dignité, tout semble dire à l’homme qu’il n’appartient à son semblable de lui commander, que lorsqu’il a reçu cette mission de son choix, et que, par ce moyen, la puissance de celui qui peut ordonner s’attache immédiatement à la liberté même de celai qui veut obéir. Il a fallu plusieurs siècles pour détacher l’homme de ces idées simples, mais inapplicables à de grands empires ; il a souvent payé bien cher cette leçon de l’expérience. Il semble que si, d’une part, la puissance des corps politiques, le magnifique développement de leurs moyens, les résultats immenses et magiques, pour ainsi dire, d’une grande organisation sociale peuvent inspirer à l’homme un orgueil que la raison justifie, la nature, d’un autre côté, ait voulu Je ramener à des sentiments plus vrais et plus modestes, en lui apprenant, à chaque pas, que l’exercice de ses droits reçoit de fortes entraves dans ce brillant état de choses, que la politique se paye trop souvent par la liberté civile, comme les prospérités publiques par les sacrifices particuliers. Quoi qu’il en soit, il est aujourd’hui démontré que l’application des principes vrais souffre un déchet considérable dans l’organisation d’une société nombreuse. C’est ainsi que ce droit de citoyen, qui, en principe, appartient évidemment à tous les hommes, a été restreint par vous-mêmes au petit nombre de ceux dont la propriété vous a paru présenter au corps social une sorte de garantie. C’est ainsi que, du moment où vous avez voulu, et vous avez eu raison de le vouloir, où vous avez voulu, dis-je, concentrer dans un individu tout le pouvoir exécutif, vous avez dû, par une heureuse fusion, supposer entre sa volonté et la volonté nationale une conformité constante, environner sa personne de l’inviolabilité, et écarter toute concurrence du trône, en déclarant l’éternelle hérédité. Si la raison, bien consultée, vous conduit à ces résultats, il n’est pas moins vrai que, la question de la régence présentant une nouvelle hypothèse, une sorte de royauté intermédiaire et momenianée, on éprouve Je besoin d’examiner de nouveau si la nécessité commande des sacrifices ou s’ii ne serait pas possible que le peuple, dans cette circonstance, ressaisît sans inconvénient le droit qui lui appartient ? Pour résoudre cette question, il faut sans doute examiner ce que la liberté publique et la loi constitutive peuvent craindre d’un régent élu. On peut penser, peut-être, que ce n’est pas dans la circonstance du jour et dans les annales d’un peuple non encore constitué, qu’il faut chercher la nase des calculs applicables à un peuple jouissant d’une Constitution attaché à sa Constitution, né dans sa Constitution, et défendu par elle contre lus usurpations de tous les genres. C’est peut-être dire anathème à une nation, c’est peut-être la déclarer indigne de la liberté, que de supposer un instant qu’il suffira d’être dépositaire de la force publique, pour pouvoir renverser les lois. On peut encore regarder le Corps législatif comme une barrière suffisante. On pourrait peut-être dire, avec quelque apparence de raison : Si votre 298 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mars 1791.] [Assemblée nationale.] Constitution est telle que la liberté y soit défendue contre le trône, elle sera certainement telle que le trône sera défendu contre la puissance d’un régent; et si vous reconnaissez l’impuissance de votre Constitution, contre l’usurpation d’un régent élu, on pourrrait dire encore : Ce n’est pas celte élection qu’il faut éviter, c’est votre Constitution qu’il faut refaire, car elle est évidemment mauvaise. Mais, Messieurs, si le régent élu peut ne pas paraître dangereux pour le trône, comment nous rassurera-t-on contre l’effet des secousses politiques qui précéderaient ou accompagneraient son élection? Il m’est impossible de ne pas considérer avec effroi l’abîme de maux qui naîtront tous de cette institution imprudente. Je n’y vois aucun avantage qui puisse jamais en compenser le danger. Je considère que, d’après votre Constitution, les devoirs du monarque sont tellement tracés, ses droits tellement circonscrits, la responsabilité de ses ministres tellement établie, que la faible différence en bien que l’on peut attendre raisonnab'ement des qualités personnelles d’un homme élu pour exercer ces pouvoirs pendant un temps borné, ne dédommagera jamais une nation des maux inséparables d’une grande secousse politique. Uneauire considération, tirée du caractère français, vient encore fortifier mes craintes : la Couronne étant constitutivement héréditaire parmi nous, j’avoue que je ne verrais pas sans inquiétude attacher la forme élective à la dignité qui la représente immédiatement, et je craindrais qu’une ou deux expériences heureuses n’égarassent successivement l’opinion publique et n’amenassent une Convention nationale à vouloir dénaturer la monarchie. Cette crainte peut n’être que chimérique; mais ce qui est réel, mais ce qui ne peut être évité par aucun moyeu, c’est la grande calamité d’une convulsion à chaque élection de régent; et conduit par cette seule idée, par la terreur qu’il inspire à tout bon citoyen, par l’impossibilité d’opposer aucune barrière à cette crise, je me reporte donc vers l’hérédité; mais avant de 1 a-dopter absolument, je regarde les difficultés qui l’accompagnent. Si je pense, comme votre comité, que la régence doive appartenir à l’héritier présomptif, je sens, d’une part, la nécessité absolue de ne pas confier à sa garde la personne du roi, dont la vie seule le sépare de la Couronne; et de l’autre, j’aperçois un double écueil : celui de rendre cette garde vraiment illusoire en n’environnant pas celui qui en sera chargé d’une force suffisante pour résister à l’influence du régent; on bien d’atténuer le pouvoir exécutif, de l’annuler pour ainsi dire, en plaçant à côté de lui une autre puissance indépendante, souvent rivale, et presque toujours fortifiée de toutes les espérances que la majorité doit réaliser. * Ces inconvénients sont graves; ils demandent que vous les pesiez dans votre sagesse. Si vous donnez au régent la personne du roi, vous n’avez plus que sa moralité individuelle pour barrière à son ambition. Si vous donnez à un autre la garde de la personne du roi, cet autre sera ou trop faible pour résister au régent, ou trop fort pour ne pas embarrasser la marche du gouvernement. Ces dangers inévitables dans le système qui donne la régence à l’héritier présomptif ne nous ramènera-t-il pas à poser ainsi la question : trouver un mode d’hérédité dans lequel le régent indiqué par la loi n’ait évidemment, ne puisse évidemment avoir d’autres vues, d’autres intérêts, que la conservation du roi et la propriété du royaume. Au premier coup d’œil, le problème ainsi posé ne paraît pouvoir être complètement résolu qu’en écoutant exclusivement la voix de la nature, et en accordant la régence à la !reinu-mère; mais je sais qu’il s’élève contre cette idée des objections très pressantes. La loi salique qui exclue les femmes du trône paraît aussi leur défendre, en quelque sorte, de s’y asseoir momentanément. De plus, de longues expériences nous ont appris combien de maux, combien d'injustices, combien de faiblesses accompagnent ordinairement cette espèce de domination. Peut-être ausff li loi salique elle-même, en rendant à la reine l’usurpation du trône impossible, est-elle un nouveau garant contre l’ambition la plus hardie; peut-être aussi les maux qu’ont fait éprouver à nos pères les faibles dépositaires d’une autorité absolue, et qu’aucune responsabilité n’environnait, seraient-ils beaucoup moins sensibles dans un ordre de choses où le pouvoir exécutif ne parcourt qu’un cercle donné, agit par des agents responsables et rencontrerait à chaque tentative contre la liberté, les barrières constitutionnelles qui la défendent. Quoi qu’il en soit, frappé de ces inconvénients et de ceux qui environnent le système de votre comité, j’ai pensé qu’il existerait un troisième mode sur lequel j’ai cru devoir porter un instant votre attention; j’ai pensé que vous éviteriez plusieurs écueils, en cherchant parmi fi s princes plus éloignés du trône que l’héritier présomptif celui auquel vous déférerez la régence, si la nature ne lui commande pas aussi impérieusement qu’à la reine-mère de veiller à la �conservation du roi, du moins aucun intérêt ne paraît le lui défendre. Eloigné du trône par plus d’un degré, toutes ses vues se tourneront vers l’estime publique, etil ne pourrait avoird’ambition que celle d’honorer sa régence par un bon gouvernement. Il aurait en même temps à acquérir l’amour du peuple et la reconnaissance du roi ; son ambition serait contenue par cet héritier présomptif même auquel votre loi l’aurait préféré ; il n’aurait contre lui d’autre refuge que cet amour du peuple et cette reconnaissance du roi; ces liens pourraient seuls raccompagner dans la vie privée qui devrait suivre la régence : toutes ses idées se porteraient, nécessairement, par la natur ■ même des choses, vers la gloire et la vertu ; l’Etat n’aurait rien à craindre, et tout à espérer d’une pareille régence. Je crois donc qu’il est important de réfléchir à ce mode d’hérédité. Il est vrai qu'au premier coup d’œil ce système paraît intervertir l’ordre d’hérédité naturelle, mais je ne sais pas si, relativement à la régence, un respect superstitieux pour cet ordre doit nous faire perdre de vue que cet ordre lui-même ne fut établi que pour l’intérêt du peuple; que ce nAst point pour le régent que la régence est établie et qu’il faut préférer, dans la confection de la loi, le mode par lequel le régent désigné ne sera véritablement dangereux, ni pour la liberté publique, ni pour la stabilité de m forme du gouvernement. Mais, Messieurs, quelle que soit votre décision, à quelque ordre d’hérédité que vous vous arrêtiez, si j’aperçois du danger, si je crains des inconvénients, aucun d’eux ne me paraît comparable aux maux attachés à la convulsion politique qui ne peut pas ne point accompagner l’élection absolue d’un régent ; et ce ne serait pas seulement [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mars 1191.) à l’époque de la mort du roi, gue l’orage prendrait naissance, ce serait à chacune des circonstances qui rendraient une régence probable; ce serait même dans les circonstances qui paraîtraient les moins certaines. A-t-on besoin de vous rappeler à quel point les probabilités se multiplient aux yeux de l’homme ambitieux? Une maladie, un voyage, la chance la plus éloignée, soulèveraient les passions des hommes qui aspireraient à l’élection ; ces passions, fortifiées de celles de tous les ambitieux subalternes qui s’attacheraient à chaque prétendant, couvriraient encore toute la surface de l’Empire, et cette crise renaîtrait à chaque époque, à chaque apparence de changement, et le règne d’un roi valétudinaire serait une longue et uévorante anarchie. Cette perspective fait horreur, elle nous commande impérieusement le sacrifice du droit d’élection, et il n’est parmi vous personne qui ne doive dire et ne dise : fainie la liberté, mais j’aime encore mieux ma patrie. Je conclus à ce que la loi détermine le mode d’hérédité selon lequel sera donnée la régence. M. de Mirabeau. Messieurs, avant de prendre la parole dans la question actuellement en discussion, je demande la permission de vous communiquer uue lettre que j’ai reçue de M. Duporlad, parce qu’elle est relative au compte rendu hier par vos commissaires, et que le ministre me prie lui-même d’en donner lecture à l'Assemblée. Voici cette lettre : « Monsieur, si j’en crois les feuilles publiques de ce soir, vous avez dit à l’Assemblée nationale que j’étais convenu qu’il n’y avait en Alsace que 9 à 10,000 hommes. Je me suis sans doute mal expliqué : j’ai voulu dire qu’il y en avait 8 à 9,000 dans le seul département du Bas-Rhin. <1 Voici, Monsieur, le véritable état des choses, d’après b s états de situation qui m’ont été envoyés et que j’ai sous les yeux: « 11 y avait au 1er mars 12,800 hommes dans les deux départements du Haut et du Bas-Rhin, tant en infanterie qu’en cavalerie. Il faut y ajouter ce que donne le régiment de Bourbonnais qui, comme ie sait M. de Broglie qui le commande, doit passer sur cette frontière dès que sa formation sera achevée, ainsi que deux escadrons de cavalerie qui y sont destinés depuis longtemps, ce qui formera environ 14,000 hommes. « Les semestriers qui sont dans ces deux départements font à peu près 3,000 hommes; s’ils rejoignent, comme ils le doivent, le 15 avril, vous voyez, Monsieur, qu’il y aura dans l’ancienne Alsace 17,000 hommes. Lès corps qui y sont placés ont reçu depuis très longtemps des ordres pour se porter au complet de guerre, ce qui donne encore près de 3,000 hommes. « Il s’en suit, en supposant que cette opération exige encore deux mois, que dans deux mois, sans aucune nouvelle mesure, il y aura dans l’ancienne Alsace plus de 20,000 hommes de troupes de ligne. « J’ose donc vous prier instamment, Monsieur, non pas pour mon intérêt personnel, mais pour l’intéiêt public, de vouloir bien rétablir les choses devant l’As emhlé ■ .nationale comme elles sont. Vous en sentez ainsi que moi toute l’importance. « Je suis, etc. « Signé : Duportail, ministre de la guerre. » Messieurs, je résumai hier à cette tribune ce que nous avait dit M. Duportail. Avant d’entrer Wè dans la salle, je dis à mes collègues : Voici les mots que je dirai. Ils convinrent que c’étaient les propres expressions du ministre. J’entrai dans l’Assemblée nationale et je lus répétai avec la plus superstitieuse attention. Je n’ai rien à ajouter. Je reviens maintenant, Messieurs, à la question de la régence. J’ai dit hier, dans cette Assemblée, que mon avis n’était pas formé sur la question qui nous occupe ; cependant les feuilles du soir ont répété à l’en vi que j’avais prêché la régence élective: mais qu’importent les feuilles du soir, marchons à la question. La régence sera-t-elle héréditaire ou elective, ou plutôt (car un régent ne succède à rien, ainsi l’expression régence héréditaire est impropre), la régence sera-t-elle fixée d’une manière invariable, ou déterm nera-t-on seulement le mode qui doit former la régence lorsqu’on aura besoin d’un régent? Telle est la véritable question dans laquelle je me suis aperçu, ainsi qu’en maintes occasions, que beaucoup d’hommes prenaient leur horizon pour les bornes du monde (Rires et murmures ) ; ensuite, que l’on avait revêtu cette question d’une importance factice, véritablement puérile et, comme j’espère le prouver dans la suite de ce discours, tout à fait inconstitutionnelle. Je vais maintenant chercher si d’abord, au premier aperçu mê ne, il n’est pas quelques aspects nouveaux sous lesquels ou puis e considérer la quesdon et qui aient échappé jusqu’ici; je verrai ensuite s’il est vrai que dans toutes les hypothèses, dans tous les systèmes, la question de l’élection ou de la non élection intéresse Ja sûreté de la monarchie et de la régularité du gouvernement; je verrai enfin si un véritable conslitutionnaire ne doit pas voir que l’excellence de la Constitution est parfaite ment indépendante de la bonté de cette loi et qu’il est ass z indifférent qu’un régent soit bon ou mauvais, ce qui simplifierait prodigieusement la question. ( Mouvement .) Il y a d’abord un grand aspect dans la question, que l’on n’a ni vu ni présenté dans les diverses opinions qui se sont ouvertes ici. Plusieurs philosophes, méditant sur la royauté, ont considéré la monarchie héréditaire comme l’oblation, si je puis parler ainsi, d’une famille à la liberté publique; ils ont considéré que, dans une monarchie vraiment libre, tout était libre, excepté la famille royale, dépositaire et e 1 ce sens propriétaire de la royauté, iis se sont peint la royauté sous cet emblème: Le gouffre de l’anarchie s’ouvre, il est creusé par l« s factieux, par l’ambition; Décius s’y précipite, le gouffre se referme, et la liberté publique est assurée. Voilà l’emblème de la royauté dans ce sens, qui serait un point de vue peut-être très moral peut-être très politique; et certainement dans ce sens, on pourrait soutenir que cette famille seule aurait intérêt et droit à nommer un régent sous le mode qui lui serait d’aill urs constitution nellement déterminé. Je dis qu’on pourrait le soutenir, car cela tient au système d’indivisibilité du privilège qui sépare une famille entière de la nation. Le droit du plus proche parent n’a lieu qu’à la mort du roi, car alors il s’agit de remplacer le roi; au lieu que, dans le cas de la régence, il ne s’agit pas de remplacer le roi qui existe quoiqu’enfant, mais de remplacer la royauté, et ce cas et très différent de l’autre. La royauté, dans la première hypothèse, est à la famille: c’est à la famille à la faire exercer. 300 [Assemblée nationale.l ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mars 1791.] Les grands noms ne changent rien à la nature des choses; et la régence après tout n’est qu’une tutelle. Voilà un système, Messieurs, qui n’a jamais été effleuré. M. Pétion de Villeneuve. La régence est une tutelle! {Murmures.) M. de Mirabeau. Monsieur le Président, je n’ai point interrompu les premiers opinants, parce que j’ai trouvé qu’ils disaient de très bonnes choses: je supplie de ne pas m’interrom-pre, quand même j’en dirais de mauvaises. On n’a examiné, même dans les modes connus, aucun des aspects de la question; et, par exemple, ne pourrait-on pas obliger chaque roi à nommer, même pendant sa vie, aussitôt qu’il aurait un enfant mâle, aussitôt que la reine serait enceinte, le régent? Et ne serait-ce pas un moyen de prévenir les inconvénients du hasard et ceux de l’élection? Notre histoire offre plusieurs exemples de régents choisis par nos rois. Mais les rois ne disposaient de la régence que par testament ; et voilà ce qui était mauvais, tandis que c’était de leur vivant qu’ils pouvaient fixer la régence, qu’ils auraient pu désigner le régent. Voilà un second système que l’on pouvait aussi effleurer parmi les modes connus d’élection. Ne prévien-drait-on pas la foule d’inconvénients en admet-tantque le régent élu pourra être périodiquement remplacé? car, prenez-y garde, la confirmation ou la réélection sont une suite inévitable de l’élection, car on n’élit que pour bien choisir. Enfin, un point de vue vaste peut-être, c’est que l’on crie sans cesse contre les inconvénients inévitables des élections. On a bientôt dit: inévitables des élections. Je demande si l’on croit avoir épuisé tous les modes ; jedemande si l’on a même noté une différence très remarquable à cet égard, lorsqu’on cite en fieux communs les pays si connus par les troubles terribles des élections. Pense-t-on qu’il n’est jamais question là d’une véritable élection du peuple? Pense-t-on qu’on puisse comparer les élections de la Pologne, qui est une république de 100,000 gentilshommes également électeurs et éligibles, une république de 100,000 gentilshommes, dis-je, avec 7 ou 8 millions d’esclaves, avec une électionqui serait véritablement faite parle peuple, et pour laquelle on aurait trouvé un mode sage? Certainement, Messieurs, il n’y a là aucune espèce de comparaison. Ainsi l’on ne doit pas conclure de ce que les élecfions ont presque toujours de très fâcheuses suites, que le problème n’est pas soluble. De ce qu’on n’a pas sa solution, il n’est pas prouvé qu’il soit insoluble : de ce qu’on n’a pas sa solution pour la royauté, il n’est pas prouvé qu’on ne pourrait pas avoir sa solution pour la régence; mais tout ceci n’est pas la question. Considérons-la en soi, considé-rons-la relativement à la nation, relativement au roi et relativement même à notre Constitution. Le hasard donne des roisdont la monarchie est héiéditaire; et certes, si on avait l’habitude des lieux communs, il y aurait bien ici des lieux communs à dire, comme sur toute autre thèse, mais ce n’est pas la peine. Voici ce qui n’est peut-être pas un lieu commun : ce hasard sera souvent tellement aveugle . qu’on regrettera de ne pouvoir le corriger par l’élection. Nous devons sentir, dans les circonstances où nous sommes, par exemple, la force d’uu pareil argument. Je n’aurais qu’à supposer deux malheurs pour me faire entendre : voudrions-nous avoir pour régent, je le demande à ceux qui m’ont le plus gourmaudé, voudraient-ils avoir pour régent l’homme faible, ou coupable, ou trompé, qui, dans le cas de deux malheurs que je pourrais énoncer, serait alors appelé par la loi? (Murmures.) Ce n’est pas tout, prenons garde que la régence peut être un règne de 19 années, c’est-à-dire un assez long règne; que lorsqu’un roi viendra à peine de naître, le parent le plus proche sera peut-être dans la vieillesse et dans une enfance non moins inactive que celle du roi, et qu’il est ridicule, en vérité, de ne pouvoir choisir un régent qu’entre l’enfance et la vieillesse. La providence donne des rois faibles, ignorants, ou même méchants; mais si nous avons un mauvais régent, c’est nous qui l’aurons voulu . Voilà pour la nation. Voyons pour le roi, qui est l’homme de la nation, et qu’ainsi elle doit doublement protéger. Veut-on consulter le passé, notre histoire future sera certainement moins orageuse que celle de notre ancienne monarchie où tous les pouvoirs étaient confondus. Cependant plusieurs circonstances semblables peuvent encore se reproduire. Or, dans combien ae cas n’aurait-il pas été dangereux que le parent le plus proche de la couronne eût été régent? Quand on n’examine pas cette question de si près, on est d’abord frappé de cette idée : puisque le parent le plus proche pourrait être roi, pourquoi ne serait-il pas régent? Mais voici entre ces dmxcas unedifférencc très sensible; un roi n’a d’autres rapports qu’avec le peuple, et c’est par ces rapports seulement qu’il doit être jugé. Un régent, au contraire, quoiqu’il ne soit pas chargé de la garde du roi mineur, a mille rapports avec lui et il peut être son ennemi, il peut avoir été celui de son père. On a dit qu’un régent, soutenu de la faveur populaire, qui l’aurait choisi, pourrait détrôner le roi. Prenez garde que cette objection ne soit encore plus forte contre le parent le plus proche. Le premier ne pourrait réussir qu’en changeant la forme du gouvernement; il aurait contre lui la saine partie de la nation et tous les autres membres de la famille royale. Le second, au contraire, pour régner même en vertu de la loi, n’aurait qu’un crime obscur à faire commettre, et n’aurait plus à craindre des concurrents. Qu’importe que la garde du roi ne lui soit pas confiée, a-t-il plus d’un pas à franchir, et l’ambition n’a-t-elle pas vite franchi un tel pas ? Mais voici d’autres objections tirées de la nature même de notre Constitution. La véritable théorie du gouvernement ne conduit-elle pas à l’élection de la régence? Quand un roi est mineur, la royauté ne cesse pas; elle devient inactive ; elle s’arrête comme une montre qui a perdu son mouvement. C'est à celui qui possède la royauté à la faire exercer, comme c’e-t à l’auteur de la montre à lui redonner son mouvement. Plus on creuse le système d’élection et plus on le trouve conforme aux véritables principes. En régent n’est qu’un fonctionnaire public. Est-il dans l’esprit de notre nouvelle Constitution que toutes les fonctions publiques soient électives, hors de la royauté? Il est encore dans l’esprit de notre Constitution que l’égalité soit respectée partout où elle peut être. Or, l’élection de la régence conserverait une espèce d’inégalité entre les membres de la famille royale. D’un autre côté , un régent n’est réellement autre chose qu’un premier ministre irrévocable pendant un [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mars 1791. J 301 certain temps; car, pendant la régence, tout se fait au nom du roi : or, quand un roi mineur ne peut pas choisir son ministre, à qui est-ce à le choisir, si ce n’est au Corps législatif? L’ordre des idées conduit donc à ce résultat, et par conséquent au système d’élection. Voila les inconvénients du système adverse. Voici les avantages de la théorie des élections pour la nation. Montesquieu a très bien remarqué que, dans cette époque de notre histoire où l’on élisait nos rois, dans la famille royale, la royauté n’avait pas cessé pour cela d’être héréditaire: une pareille élection était plutôt un droit d’exclure qu’un droit d’élire. Ceux qui ont prétendu que l’on attaquait et le système de la monarchie et le système de la liberté publique fondée sur l’esprit monarchique, ont-ils bien réfléchi s’il n’est pas avantageux pour la nation qu’en certains cas, Je Corps législatif puisse élire ? Prenez garde qu’il faut plus de talent à un régent qu’à un roi. Le premier imprime naturellement moins de respect, et c’est peut-être pour cela que presque toutes les régences ont été orageuses. Or, par l’élection, on aurait le moyen de confier provisoirement l’exercice de la royauté au membre de la même famille qui en serait le plus digne pour le rot : on parviendrait par là à donner une grande leçon au roi mineur, en lui présentant, sous le nom d’un régent, l’exemple d’un bon roi ; mais ceci devient encore un avantage. immense pour la nation. Eh ! puisque quelques règnes de bons princes, clair-semés dans l’espace des siècles, ont préservé la terre des derniers ravages du despotisme, que ne feraient pas pour l’amélioration de l’espèce humaine quelques bonnes administrations rapprochées les unes des autres ? Ne serait-il pas aussi très utile, je le demande à ceux qui parlent toujours au nom de la liberté, de montrer à cette famille, placée en quelque sorte en dehors de la société, que son privilège n’est pas tellement immuable, que son application ne dépende quelquefois de la volonté nationale ? Cette famille pourrait même s’améliorer sous ce rapport, car chaque règne pouvant offrir à chacun d’eux une royauté passagère, tous chercheraient à s’y préparer à s’en rendre dignes, tous ménageraient l’opinion publique et apprendraient les devoirs des rois. Il me semble aussi que l’élec-tion pour la régence rappellerait à certaines époques la véritable source de la royauté. Et il est bon que ni les rois, ni les peuples ne l’oublient. J’ai voulu, Messieurs, jusqu’ici démontrer que sans tordre les maximes qui vous sont chères à tous, on pouvait très bien soutenir le système des élections à la régence ; qu’il avait pu non seulement plaire à de très bons esprits, mais les pénétrer très profondément. Quant à moi, je l’avoue, après y avoir pensé beaucoup, je suis toujours revenu à me dire que l’importance que, de part et d’autre, nous donnons à la question de la régence, est une émanation de l’ancien ordre de choses. Lorsqu’un pays est constitué, lorsque l’organisation sociale, lorsque la liberté publique reposent sur les lois, et les lois sur le respect qu’on leur porte, le chef-d’œuvre d’une Constitution, le chef-d’œuvre d’un gouvernement est de pouvoir échapper au malheur d’un mouvais roi, même d’un mauvais administrateur. Or, faire un régent ce n’est, après tout, que faire un roi pour un temps limité. Lorsqu'on vous a beaucoup parlé de fonctions dans ce sens, on a toujours oublié et les lieux et les temps, on a toujours transporté un ordre de choses dans un autre, et par exemple, on a toujours pensé aux Condé, aux Guise. Ce n’est pas tout cela que nous avons à craindre, soit dans un système, soit dans un autre, si la Constitution était" mauvaise, si elle donnait prise à des conspirations, un régent habile et ambitieux, soit qu’il fût élu, soit qu’il fût arrivé là par le droit du hasard, serait très redoutable, parce qu’en tout pays où l’on peut conspirer, en tout pays où les lois ne protègent pas le droit de tous, et même le droit de ceux qui doivent les faire exécuter, il est plus simple qu’il arrive des factions, qu’il arrive des conspirations , qu’il arrive des catastrophes. Il y a, et il y aura toujours des intrigues pour le choix de commis de bureau : jugez, pour des choix de régents, pour des répartitions de grandes places quelconques. La vérité, Messieurs, est toujours que nous avons inflnimeot exagéré l’importance de la question. Nous sommes assez heureux pour être arrivés à ce point, qu’il est à peu près égal d’avoir un bon ou un mauvais chef d’administration. Il vaudrait toujours mieux, sans doute, en avoir un bon ; mais il sera toujours très aisé de se consoler d’en avoir un mauvais. Il ne faut pas oublier, Messieurs, que cette question est traitée dans un terrain qui lui est favorable, à la considérer théoriquement; car nous sommes tellement incorporés à la monarchie héréditaire, nous devons eu être si imbus, que nous ne plions pas aisément à d’autres idées, et que nous nous intéressons peu à la solution d’un problème dont nous n’avons pas besoin. On a dit : 1° Que la délégation de la régence au parent le plus proche tenait davantage à nos idées : cela est vrai, elle est plus conforme à nos idées, à nos goûts, à nos habitudes; mais au fond le résultat reste toujours le même. 2° On a dit qu’il serait peut-être dangereux de placer une régence élective à côté d’une royauté héréditaire. Je ne donne pas une grande force à cet argument, parce que je crois que la royauté héréditaire gagnera tous les jours en attachement et en respect, à mesure que les délégués de son autorité seront obligés de se mieux contenir. Je suis convaincu que depuis que les ministres sont forcés, s’ils veulent être quelque chose, et même rester avec leur dénomination, de savoir administrer et de se conduire avec pudeur ; je suis persuadé, dis-je, que la royauté héréditaire gagne tous les jours en respectueux attachement: ainsi, le second argument ne me touche pas. Mais celui-ci touche quelques âmes timorées, quelques anciens serviteurs ae l’autorité royale : on a dit que le parent le plus proche du trône sera censé plus propre à remplir les fonctions de la royauté. Hélas ! Messieurs, je veux bien le croire, pourvu que vous vous occupiez bien vite d’un bon système d’éducation nationale, et que vous y réserviez un léger paragraphe sur l’éducation de l’héritier présomptif de la couronne. Ou a dit enfin qu’il sera plus intéressé à ne pas laisser dégrader l’autorité royale qu’aucun autre membre de la famille, attendu qu’il sera plus prêt de la recueillir. Cette raison ne me touche pas du tout encore ; car si c’est à nous à veiller sur l’autorité royale, c’est à la loi à la protéger, à l’entourer, à la défendre. Je me résume ; et comme faire un régent n’est après tout que faire un roi, et que, grâce au 302 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mars 1791.) ciel, la France sera gouvernée de manière à se réjouir beaucoup du bonheur, des bienfaits d’un bon roi, mais à ne pas redouter un roi moins bon ; je tiens que po r nous ranger aux idées reçues, aux goûts habituels, aux habitudes favo-ritt s de la natmn, il faut que la régence soit héréditaire; et, dans ce cas, je consens au projet du comité, sur lequel je me réserve de faire quelques observations. M. Brillat-Savarin. Jedemande la parolesur une question d’ordre. 11 semble que l’opinion de l’Assemblée est entièrement formée sur la question qui vous est soumise. Jedemande en conséquence que la discussion soit fermée. Plusieurs membres: Aux voix ! aux voix 1 M. de Clermont-Lodève. Croyez qu’il y a encore des observations à faire. Je demande que, vu l’importance de la question, la discussion soit continuée. M. de Cazalès. Un article d’un de vos règlements porte que toutes les questions constitutionnelles seront discutées pendant trois jours; si 50 membres seulement réclament l’exécution du règlement, vous ne pouvez pas y contrevenir. J’observe à l’Assemblée que ce règlement fait sa loi et est la sauvegarde de la minorité contre la majorité. Je demande son exécution. (L’Assemblée, consultée, ferme la discussion.) M. Thouret, rapporteur. J’ai à faire une observation simple sur la manière d’aller aux voix. Je crois que ce n’est pas changer l’état de la délibération que de proposer à l’Assemblée d’aller aux voix sur le troisième article que nous vous proposons dans ces nouveaux termes: Art. 3. « La régence du royaume appartiendra de plein droit, pendant tout le temps de la minorité du roi, à son parent majeur, le plus proche suivant l’ordre d’hérédité au trône.» Plusieurs membres: Les mâles seulement! M. de lllontlosier. Cet article préjuge ce qui n’a pas encore été discuté: je veux dire l’exclusion des femmes. (Murmures .) Cette question est assez importante pour être traitée directement et solennellement. M. Briois-Beaumetz. Compte-t-on pour rien la manière diserte dont M. l’abbé Maury a parlé sur cet objet? M. de Cazalès. La proposition de M. de Mont-losier est très juste; je demande en conséquence qu’on se borne tout simplement à décider la question discutée, à savoir si la régence sera élective ou non. M. Thouret, rapporteur. L’observation ne touche qu’à l’ordre du travail et non au fond des idées. Je m’oppose à ce que l’exclusion des femmes soit portéedans l’article 3, parce que ce serait confondre ensemble des objets distincts. L’intention du comité n’a pas été de faire rien préjuger par cet article sur ce qui a rapport au droit des femmes à la régence. Il s’est assez clairement expliqué dans l’article 5, ainsi conçu : <• Les femmes sont exclues de la régence. » (L'Assemblée, consultée, adopte l’article 3 présenté par le comité.) M. Thouret, rapporteur. Voici maintenant, Messieurs, l’article 4 que nous vous proposons; c’est le complément de l’article que vous venez de voter: Art. 4. « Aucun parent du roi, ayant les qualités ci-dessus, ne pourra être régent, s’il n’est pas Français et regnicole, ou s’il est héritier présomptif d’une autre couronne. » M. Duport. L’article 16 du projet de décret porte que le régent sera tenu de prêter léseraient; cependant cette condition n’est point déterminée dans l’article qui nous occupe actuellement. Si le serment est d’une telle nécessité, que celui qui ne l’aurait pas prêté serait exclu de la régence, je ne doute pas néanmoins que l’intention de l’Assemblée ne soit que celui qui refuserait de prêter le serment, libellé comme il le sera par la suite ne soit exclu de la régence. En conséquence, je propose que l’on ajoute à l’article 4, au nombre des conditions nécessaires pour être régent, la prestation de ce serment, et qu’ainsi on dise qu’aucun des parents du roi ne pourra être régent qu’il n’ait prêté le serment qui sera déterminé dans l’article 16. M. Thouret, rapporteur. Nous avons pensé que l’article relatif au serment ne devait pas être rédigé ainsi, par la raison qu’il ferait dépendre l’exercice des fonctions de régent et le commencement de son activité delà prestation de ce serment; et comme le Corps législatif peut n’être pas assemblé au moment où le régent appelé de droit, suivant le décret que vous venez de porter, doit pour l’intérêt public commencer ses fonctions, nous avons cru que ce serait un très grand inconvénient que de laisser subsister un pareil interrègne, c’est-à-dire une pareille interruption du pouvoir exécutif faute du serment. M. Barnave. Je crois, au contraire, qu’il est absolument indispensable que la loi statue que le régent ne pourra pas entrer en fonctions avant d’avoir prêté le serment décrété pour le roi. La difficulté d’exécution que présente le comité me paraît très facile à lever; car il suffit que la loi détermine devant quel corps, toujours subsistant, toujours permanent, le régent pourra prêter son serment, dans le cas où le Corps législatif ne serait pas assemblé. Je crois qu’il est de la plus grande importance que le régent, avant de gouverner, soit tenu d’assurer la nation par son serment, qu’il maintiendra les lois constitutionnelles et qu’il remplira les devoirs que la Constitution attache aux fonctions qui lui sont confiées; il est impossible en un mot que la loi statue que tel fonctionnaire sera tenu de prêter son serment, et que néanmoins elle ne l’exclue pas de la fonction à laquelle il est appelé, dans le cas où il refuserait la prestation de ce serment. Je demande donc que le régent ne puisse entrer en fonctions sans avoir prêté le serment et que le comité de Constitution nous présente k mode et nous indique devant quel corps constitutionnel il pourra prêter son serment dans le cas où le Corps législatif ne serait pas assemblé au moment de la mort d’un roi. J’ajoute une autre observation, c’est qu’il est