ggn [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1T91.] la même masse d’intérêts ; mais que, de plus, il est impossible de leur montrer dans l’avenir l’espoir d’un dédommagement. Leurs actes étaient affranchis du droit de contrôle; ils sont déjà puis plusieurs mois, et ils resteront assujettis, omme ceux de tous les autres notaires, au droit d’enregistrement. Enfin, ils étaient notaires pour tout le royaume ; et ils ne sont plus notaires que du département de Paris. Quant aux notaires des autres départements auxquels s’applique aussi une partie des réflexions générales que nous avons présentées, nous proposons un mode de remboursement à peu près pareil à celui qui a été suivi pour les officiers ministériels. Leur rembourser le prix de leur évaluation, et la moitié du surplus du prix prouvé de leur contrat, tel est le mode que nous vous proposons d’adopter. Il prend l’évaluation et le prix du contrat pour base, parce que l’évaluation se rapproche en général beaucoup davantage du prix du contrat, et que les notaires dans les départements n’ont eu aucune raison de dissimuler le vrai prix de leur acquêt. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU JEUDI 15 SEPTEMBRE 1791, AU SOIR. Opinion de M. l’abbé de Villenenve-Barge-mont, député de la ville de Marseille , sur les moyens à prendre pour intéresser les militaires au maintien de la Constitution et de la liberté et pour détruire tous les moyens de séduction capables de pervertir tout citoyen ayant à sa disposition les forces de l'Etat. Messieurs, Quelle surprise pour tout bon Français, sincèrement attaché à sa patrie, de voir que, dans le moment même où l’on parle sans cesse de la liberté, l’on propose souvent des opérations tendant à replonger la nation dans l’esclavage dont elle est à. peine sortie depuis un an. Nous devons par concéquence avoir nuit et jour les yeux ouverts, et réfléchir sérieusement sur la nature des événements qui se succèdent les uns aux autres, afin de prévoir quelles en seront les suites. Parmi les objets dignes de notre attention, un des principaux est une organisation d’armée, dont les intérêts des officiers qui la composent soient intimement liés au maintien de la Constitution et de la liberté. C’est une affaire des plus sérieuses d’où dépend le salut de l’Etat ou sa ruine. 11 est donc absolument nécessaire d’examiner cette question sous tous les rapports dont elle est susceptible, et de prendre les moyens les plus efficaces, afin que les forces de terre et de mer, destinées à la défense du royaume, ne servent Jamais à renverser le superbe édifice, dont la li->erté doit être la pierre fondamentale. Quoiqu’il soit convenable, au sujet de l’organisation de l’armée et des troupes de la marine, de prendre en considération les représentations des militaires, on ne peut cependant les adopter qu’auîant qu’elles sont justes. Une complaisance aveugle nous iuduir&it ea erreur. C’est à notre prudence et à nos sages réflexions de discerner les bonnes opérations d'avec les mauvaises. Défions-nous, Messieurs, des idées anciennement adoptées, qui nous faisaient regarder comme autant d’oracles tout ce qui émanait du pouvoir exécutif. Une fatale expérience nous a appris le contraire, surtout depuis que les ministres de la guerre ont été choisis parmi les militaires. Les uns et les autres sont cause de la dissipation des finances, ainsi que de beaucoup d'abus introduits dans le service, et ont malheureusement anéanti l’émulation parmi les militaires,. en faisant perdre toute espérance d’avancement aux officiers du plus grand mérite. Ils avaient adopté des exercices peu analogues à nos mœurs, capables d’humilier sans cesse des hommes d’un â»e mûr, pleins de sentiment et d’honneur, et plus propres, en disloquant les os des soldats, à faire danser des marionnettes, qu’à inspirer à de braves guerriers un esprit martial, et les former aux évolutions militaires. Les grâces qu’ils ont accordées sans raison, sans discernement et avec profusion, ont répandu, parmi les officiers mêmes des grades les plus distingués, l’esprit de cupidité. Quelle confiance peut-on prendre dans de tels ministres? Quant à ce qui regarde ceux de la marine, pris dans la profession des armes, les choix n’ont pas été plus heureux. Cependant on ne saurait avoir trop de talents pour surveiller un corps aussi nécessaire à ta prospérité de l’Etat, afin d’en tirer tous les avantages dont il est capable. Il est bon de savoir que les officiers de la marine ont eu le malheur d’envier, aux intendants et commissaires employés dans cette partie, des détails qu’on prétend être fort lucratifs; et, par cette raison, ils se sont souvent permis de suspecter la probité de ceux qui en étaient chargés. À force d’imputations injurieuses, ou vraies, ou fausses, ils sont parvenus au point de se procurer une partie des mêmes détails. Cependant ils n’ont pas été plus à l’abri des traits de la satire, de la jalousie et de la méchanceté que ceux dont rte avaient impitoyablement déchiré la réputation. Supposé qu’il soit impossible d’empêcher que l’Etat soit pillé, ou par les uns ou par les autres, les ministres auraient dû au moins choisir le régime où la rapine peut plus facilement être réprimée. C’est ce qui avait lieu sous l’ancien régime, dont on n’aurait jamais dù s’écarter , surtout à l’égard d’un objet très intéressant. Les officiers de marine, pour lors surveillés par les intendants, ne pouvaient point facilement se • servir des vaisseaux de guerre ;pour des spéculations de commerce. Cette observation est d’autant plus importante, qu’elle tend à empêcher qu’il ne s’introduise des abus nuisibles à l’Etat. En effet, les commandants de vaissean qui voudraient s’enrichir par la voie du commerce feraient fort souvent échouer, dans nos guerres de mer, les entreprises les plus importantes, en évitant de rencontrer l’ennemi, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [la septembre 1791.] Que de réflexions à faire sur les différentes parties de l’administration ! Le régime des troupes de terre est un des principaux objets dont il faut s’occuper au plus tôt. Donnons nos soins et toute notre attention, afin que les services, que rendent ces mêmes troupes, contribuent au bonheur général. On y réussira infailliblement en faisant dépendre l’Etat, la fortune et l’avancement des militaires, du succès de la Révolution, et en liant de la manière la plus intime les intérêts de tous ces braves guerriers, au maintien de la Constitution et de la liberté. C’est en agissant de la sorte, que le despotisme sera entièrement détruit sans espérance de retour, et que le grand œuvre de la régénération de l’Etat parviendra au plus haut degré de perfection. Les moyens à prendre qui vont être rapportés sont on ne peut pas plus conformes à la raison. Ils ont pour objet d’attribuer aux soldats des régiments d’infanterie et de cavalerie, et de tous les autres corps destinés à la défense du royaume, le droit de concourir au choix des officiers qui doivent les commander, et de parvenir eux-mêmes à tous les emplois. Peut-on, Messieurs, refuser une pareille satisfaction, que dis-je, une pareille justice, à quiconque est toujours prêt à exposer sa vie pour le salut de la patrie? Les moyens dont il s’agit, qu’on peut regarder comme très efficaces, sont fondés sur des principes profondément gravés dans nos cœurs; principes que vous avez solennellement reconnus, lorsque vous avez établi, au grand contentement de tout le monde, d’une manière solide et invariable les droits sacrés et imprescriptibles de l’homme. Vous ne pourrez plus vous écarter aujourd’hui de ces mêmes principes, sans donner lieu à de grands sujets de plaintes et de murmures, sans commettre l’injustice la plus révoltante envers les généreux défenseurs de l’Etat, et qui plus est, sans tomber en contradiction avec vous-mêmes. Il importe beaucoup pour la sûreté et la liberté de la nation, que le soldat soit dans le cœur très bon citoyen, et que sa profession devienne honorable, afin qu’elle soit continuellement recherchée pour les Français. La fermentation qu’il y a actuellement dans les troupes, les suites malheureuses et funestes qu’elle peut avoir, la satisfaction qu’il faudra probablement donner dans les circonstances critiques où nous nous trouvons aux généreux défenseurs de la nation, doivent nous mettre en considération. Toutes ces raisons font en même temps connaître l’importance des moyens dont il s’agit, et la nécessité indispensable de les employer au plus tôt. Dès qu’on a voulu faire connaître au peuple sa force, a-t-on pu croire qu'on laisserait absolument ignorer aux militaires celle dont ils peuvent faire usage ? On se serait grossièrement trompé lorsqu’on a favorisé des attroupements, en vue d’insulter, de menacer et de maltraiter certains députés ; supposé qu’on ait cru que ces attroupements ne produiraient d’autres effets que ceux dont il vient d’être fait mention. Les auteurs de pareilles commotions n’ont pas apparemment prévu qu’ils ne pourraient éteindre les incendies qu’ils allaient occasionner. Quant an projet proposé à dessein de nous garantir des maux auxquels la fatalité des temps nous expose actuellement, il faut espérer que la lumière, généralement répandue, en facilitera l’exécution. Inutilement, pour y mettre obstacle, se servirait-on de ces grands mots : La crainte d'intrigues et de cabale , la nécessité d'une discipline exacte , etc. Dès qu’on n'a pas craint de mettre le désordre en France, en procédant partout en même temps aux élections des officiers municipaux et des membres de directoire, de district et de département ; Dès qu’on procède aujourd’hui de la même manière, et avec beaucoup de tranquillité dans les provinces, aux élections des juges, pourquoi y aurait-il des inconvénients aux élections de quelques emplois militaires, dont la sensation qu’ils font, quand ils viennent à vaquer, n’est certainement point comparable à celle qu’occasionnent les opérations actuelles, dont le royaume est occupé, et qui sont bien d’une plus grande importance ? On peut ajouter que, les soldats connaissant le mérite de tous les individus des corps dont ils sont les membres, on peut bien s’en rapporter à eux sur les choix qu’ils feront. Gomme ils portent le fardeau du service, et en ont toutes les peines, il est juste aussi qu’ils puissent espérer des avancements quand ils auront autant de mérite que de courage. En effet, un simple citoyen peut devenir ou représentant de la nation, ou magistrat de quel-ue tribunal de justice, ou membre de directoire, e district et de département, pourquoi un soldat, qui est également citoyen, ne serait-il pas pourvu d’un emploi d’officier dans un régiment? Ainsi, pour maintenir la paix et la tranquillité parmi les troupes, il faut ordonner : Premièrement, qu’en cas de vacance d’emploi dans les régiments d'infanterie et de cavalerie, les bas-officiers seront choisis parmi les soldats, et que la nomination eu sera faite au scrutin par les officiers et soldats qui auront tous droit de suffrage. Secondement, que les sous-lieutenants seront choisis de la même manière parmi les bas-officiers. Troisièmement, que le pins ancien sous-iieu-tenant deviendra de plein droit lieutenant. Quatrièmement, que le plus ancien lieutenant deviendra de plein droit capitaine. Cinquièmement, que le plus ancien capitaine deviendra de plein droit lieutenant-colonel. Mais, comme les places de colonel et de major exigent des talents particuliers, en cas de vacance de ces emplois, les officiers et soldats du régiment, étant tous assemblés, choisiront an scrutin 3 officiers, ayant au moins le garde de capitaine, dont la roi sera obligé d'en nommer un. Nous avons vu, jusqu’à nos jours, que les places de colonels ont presque toujours été données à prix d'argent, ou ont servi ae payement à des objets de galanterie, et de dot à des filles de domestiques de citoyens et citoyennes de l’ancienne et auguste famille Capet. Il convient d’être ferme et inébranlable sur l’élection de ces sortes d’emplois, quelques efforts qu’on fasse pour s’y opposer. Sous un pareil régime, les choix seront presque toujours excellents, le mérite et la valeur seront certainement récompensés, et tous les militaires tendront continuellement au bonheur de la patrie. 692 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1791.] Depuis que la suppression de la noblesse a établi une parfaite égalité parmi les citoyens, la France doit être regardée comme une grande famille dont le roi est le chef, et l’on peut être persuadé que les colonels n’auront plus autant de hauteur que précédemment. Quant ils seront en garnison dans une ville, ils ne témoigneront aucune répugnance d’obéir aux officiers municipaux. Comme il y aura désormais une conformité d’état entre les troupes de ligne et les troupes nationales, il existera à l’avenir entre elles une parfaite harmonie. Par une suite nécessaire de ces nouveaux arrangements, les ministres et les colonels, étant privés du droit d’accorder des emplois militaires et des moyens de se faire des créatures, ne pourront plus disposer des régiments pour le rétablissement du despotisme. Ce régime doit être également adopté pour tout ce qei a rapport aux troupes patriotiques. Il empêchera, dans le temps de troubles, que les commandants des troupes nationales profitent des nominations d’emplois pour se procurer des partisans, et s’arroger une autorité trop considérable dans les districts et les départements. Ces objets, quelque important qu’on puisse les imaginer, Qe sont cependant pas les seuls dignes de nos réflexions. Il en est d’autres encore, qui probablement nous détermineront, lot ou tard, à de nouvelles opérations à l’égard du militaire. Il ri’y a pas de doute que l’Assemblée nationale ne se sera pas plus tôt aperçue que, les colonels d’infanterie étant en trop petit nombre, il y a peu de sûreté pour la Constitution et la liberté, qu’elle se déterminera tout de suite à ordonner que chaque bataillon formera à l’avenir un régiment, ayant son colonel. Il y aura, pour lors, beaucoup moins à craindre, soit pour une contre-révolution, soit pour le démembrement du royaume. Il est indubitable que le ministère, dont on doit se métier et éclairer sans cesse les démarches, aura beaucoup plus de peine à séduire les colonels d’infanterie quand il y en aura 166, que s’ils n’étaient que 83, nombre auquel ils sont actuellement fixés. Dans le cas de conspiration, le secret, confié à plusieurs, est ordinairement découvert, et le mal, auquel des intrigues criminelles peuvent donner lieu, n’es tpas plus tôt connu qu’il est facile d’y porter le plus prompt remède. Il serait en effet bien plus facile à un petit nombre de personnes de se réunir, pour l’exécution de projets funestes à un état, qu’à un grand nombre, presque toujours divisé par la différence de caractère et d’intérêts. Il sera nécessaire d’établir aussi un nouveau régime concernant la marine, afin que les citoyens trouvent les mêmes avantages au service des armées navales, qu’à celui des armées de terre. Quant à nous, Messieurs, à qui les événements extraordinaires et madieureux dont nous sommes continuellement témoins, servent à indiquer les moyens les plus propres à sauver l’Etat, montrons-nous amis du peuple, non par de simples paroles auxquelles on commence à n’ajouter aucune foi, encore moins par des relations intimes avec les voleurs, les incendiaires et les assassins, mais par des actions généreuses, tendant au bien public, et par notre union avec tous les citoyens attachés à la Constitution et à la liberté. Il ne suffit pas pour la sûreté de l’Etat d’avoir pourvu à une organisation d’armée qui soit avantageuse à la nation, il y a encore d’autres objets qui méritent bien notre attention. La connaissance des moyens les plus propres à garantir le royaume de toute espèce de désastre peut nous parvenir, en comparant les malheureuses positions où se sont trouvés les différents pays de l’Europe avec le nôtre, et en examinant les suites des événements funestes et tragiques dont ils ont été affligés. Pour n’avoir rien à désirer à ce sujet, et pourvoir avec sagesse à tout ce qui peut arriver, consultons les histoires. Dans celle de la Révolution d’Angleterre de 1640, nous voyons que le chevalier Otten, qui défendait courageusement la ville de Huscontre Charles Ier, et le chevalier de Wentvort, connu dans la suite souslenomde lord Strafford, et plusieurs autres seigneurs anglais, qui s’étaient distingués par des actions de valeur et par un grand attachement pour le peuple, en abandonnèrent ensuite les intérêts par des motifs d’ambition. Qui peut répondre que les preuves de grand zèle pour le peuple français, si souvent données dans cette tribune et exprimées dans les termes les plus énergiques, sont plus sincères que celles données autrefois à Londres par les personnages dont on vient de parler? Nous avons cet avantage sur l’Angleterre, que le génie sublime et les exploits des grands hommes, qui donnèrent le mouvement à la fameuse Révolution dont le royaume fut agité, aboutirent enfin à soumettre l’Angleterre à un terrible joug; au lieuque la Révolution actuelle s’est opérée d’elle-même, et qu’il n’y a en aucune action assez éclatante, dont les partisans de la liberté puissent se prévaloir, pour inspirer aujourd’hui des craintes à la nation française. Il est bien clairement prouvé que pour la tranquillité de l’Etat, à l’égard de la fidélité des militaires, il ne faut pas toujours s’en rapporter aux seules assurances qu’ils en donnent, mais qu’il faut recourir encore à beaucoup d’autres précautions. En considérant, Messieurs, ce qui vient d’être rapporté, il est de notre devoir de détruire tout moyen de séduction, d’écarter bien loin ce qui peut troubler l’esprit des citoyens, et diminuer l’attachement qu’ils doivent avoir pour le maintient de la Constitution et de la liberté. Un objet d’aussi grande importance exige de recourir aux réflexions suivantes : Notre monarque ayant consenti que sa famille devint roturière, aucun prince ne voudra épouser ses filles, dans la crainte de fermer à sa postérité l’entrée des chapitres d’Allemagne et de l’Ordre Teutonique. Les successeurs de nos rois, et leurs enfants, étant enveloppés dans la roture, aucune princesse ne voudra peut-être jamais plus les épouser. De là suivra le bonheur de la France. L'on prendra pour lors les mesures les plus sages, afin que la clef d’or, qui ouvre partout, tienne néanmoins toujours étroitement renfermé l’esprit d’intrigue, d’avarice et d’ambition, pour qu’il ne transforme pas les militaires valeureux, et les citoyens bons patriotes, en des personnages traîtres et perfides. Nous ne serons plus désormais le jouet des passions de nos souverains, ni exposés aux. guerres occasionnées par les alliances. 693 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1791.] Nous ne deviendrons plus victimes de la méchanceté des reiDes, de même caractère qu’Isa-beau de Bavière et Catherine de Médieis; il faut s’attendre que dans 100 ans d’ici, les citoyens qui auraient péri dans de pareilles guerres, se seront mariés et auront augmenté le nombre des habitants de plus d’un million. Les marais seront pour lors desséchés, les terres incultes défrichées, et l’on aura construit des canaux favorables au commerce, pour communiquer par les rivières d’un bout du royaume à l’autre, ce qui procurera partout l’abondance, et rendra la France un pays délicieux, où de toutes parts les étrangers viendront se retirer. Un aussi grand bonheur ne sera assuré que par l’anéantissement du faste de la cour, et des emplois capables d’exciter l’ambition, et de corrompre le cœur des citoyens, ayant en main les forces de l’Etat, ou qui sont dépositaires de la confiance des peuples. Pour couper la racine des maux dont la France est menacée, il faut que par un acte constitutionnel, nos monarques soient obligés de prendre des épouses dans la grande famille, dont le roi est le chef. De bonne foi, les plus puissants souverains d’Asie, et peut-être du monde entier, sont fils d’esclaves géorgiennes, ou d’autres contrées, presque toutes nées dans un état obscur, et vendues dans des marchés publics. Pourquoi les mères de nos rois ne seraient-elles pas filles d’un tailleur, d’un fabricant d’étoffes ou d’un boulanger? Une loi qui tiendrait à bannir à jamais cette engeance monstrueuse de harpies, qui obsèdent la personne de nos rois, toujours prêtes à sacrifier le salut de la patrie au moindre objet de fortune, doit être nécessairement adoptée. Elle est absolument conforme à la position actuelle où se trouve le royaume. Notre monarque a remis volontairement à la nation le pouvoir législatif, il ne s’est réservé que le pourvoir exécutif; il a consenti de n’être nommé dans les actes de serment, et autres, qu’après la nation, tandis que le roi de Pologne, dont l’autorité est très bornée, est toujours mentionné avant la République de Pologne; de plus, les citoyens sont presque tous ruinés, ce prince ne doit plus par conséquent avoir à l’avenir une cour aussi brillante qu’anciennement. Les grandes charges attachées à la personne du roi, ainsi que plusieurs autres moins considérables, ne doivent plus exister avec le nouvel ordre de choses. Elles seraient même nuisibles au maintien de la Constitution et de la liberté, dès qu’on pourrait les promettre à quiconque montrerait du désir et de l’empressement pour une contre-révolution. L’exercicede ces charges supposerait aussi entre le roi et ses sujets une disproportion qui paraîtrait aujourd’hui on ne peut pas plus ridicule, le souverain n’est plus en France que le premier citoyen et le délégué de la nation. L’on peut dire également que la suppression de ces charges procurera la tranquillité et la sûreté publique. Elle fera perdre toute espérance de les obtenir, aux mauvais patriotes, dont les démarches ne sont inspirées que par des motifs d’intérêt. D’ailleurs, tout homme pourvu de quelqu’une de ces charges, ou dans la maison du roi ou dans celles des différents membres de la famille Capet, ne pourra plus décemment en remplir les fonctions, parce qu’étant domestique, il cesse dès lors d’être citoyen actif. L'on ne peut imaginer aujourd’hui rien de plus inutile que ces sortes de charges. 11 convient d’observer qu’un président de l’Assemblée nationale, pendant le temps de sa présidence, est bien au-dessus de la famille de notre monarque. Il prononce les décrets de cette auguste Assemblée, de l’exécution desquels le roi est chargé; il vit néanmoins fort décemment, n’ayant souvent à son service qu’un seul laquais ou une simple servante. Quel inconvénient y aurait-il, quand nos rois vivraient avec un faste modéré, comme les anciens rois de Suède, dont plusieurs ont été des héros, et ne disposeraient pas de certaines grâces, capables d’exposer de braves guerriers et d’excellents citoyens à devenir un jour persécuteurs de la mère patrie? Parmi les autres moyens de séduction, dont l’énumération serait trop longue, on ne peut passer sous silence les pensions non méritées, et une trop riche dotation des membres de la famille royale. Ces abus doivent être supprimés avec d’autant plus de raison, qu’après que cette opération aura été consommée, faute de moyens pour des traîtres et des séditieux, et faute de crédit pour promettre l’impunité, l’on n’aura plus à craindre ni attroupements, ni incendies, ni insurrections. Il en résultera encore qu’en cas de démène >, ou de toute autre incapacité prouvée d’un héritier présomptif de la couronne, qui se trouvera pour lors sans crédit, sans richesse et sans appui, l’Assemblée nationale pourvoira, sans éprouver aucune contradiction, à ce qui conviendra et paraîtra juste et nécessaire en pareille circonstance. Peut-on balancer un instant entre l’intérêt de l’Etat et celui de ces courtisans, esprits bas, rampants, nés pour la servitude, et qui pour le moindre profit voudraient y réduire la mère patrie? D après ces considérations, qu’importe que les membres de la famille Capet soient à l’avenir précédés par un corrégidor, un bou rgmestre ; tandis qu’autrefois, un électeur de l’Allemagne, ou tout autre souverain, aurait cédé le pas dans les pays de sa domination, à un prince du sang de France? Qu’importe que nos rois n’aient plus, dans la suite, autant d’influence personnelle auprès de tous les souverains de l’Europe, que quand ils réunissaient les deux pouvoirs ? Tous ces objets doivent être très indifférents, pourvu que notre monarque et sa famille soient parfaitement contents, que la France soit reconnue la première puissance de l’Europe ; que son pavillon soit respecté dans toutes les mers, que le peuple français soit en même temps libre et heureux, et qu’il n’existe plus aucun motif de cupidité de nature à devenir nuisible à l’Etat. Ces mêmes objets n’ont fait aucune impression sur l’auguste frère de notre monarque, qui vit au milieu de nous. Cet excellent citoyen, ainsi qu’il l’a assuré lui-même, a désiré la Révolution, a cru qu’elle était nécessaire et que le roi devait en être le chef. Il a sans doute prévu que la roture, étant une fois infusée dans le sang royal, serait un engrais qui fertiliserait la France, et augmenterait considérablement ses richesses, sa puissance et sa gloire. L’on ne doit pas moins se réjouir de l’empres- 094 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1791.] sement des autres bourgeois de la maison royale, résidant à Paris, à se ranger sous l’étendard de la roture. Ils se sont indubitablement aperçus que les princes du sang n’ont été que trop souvent entourés de domestiques fourbes, ambitieux, moteurs de troubles, ainsi que de plusieurs guerres civiles. Ils ont probablement compris que ces sortes de vipères seraient toujours intéressées au renversement de l’édifice de la liberté et au rétablissement du despotisme. Ces dignes héritiers des vertus et de l’humilité chrétienne de saint Louis ont pensé sans doute que, s’étant décorés eux-mêmes de cette admirable roture, qui les a rendus aptes à délibérer aux assemblées de section de la capitale, il paraîtrait à l’avenir très absurde qu’un citoyen pût être premier gentilhomme, premier écuyer, etc... ou chanoelier d’un autre citoyen. Ils ont probablement imaginé qu’en même temps que les moyens de séduction diminueront, le ridicule qu’entraînera un pareil genre de service devenu actuellement peu honorable pour un citoyen, fera cesser beaucoup de motifs de crainte pour le grand ouvrage de la régénération de l’Etat. Quant à ce qui regarde le roi, on ne peut avoir trop de reconnaissance pour un prince qui fait continuellement les plus grands sacrifices, lorsqu’ils peuvent contribuer au bonheur de ses sujets. Ce monarque, ayant une parfaite connaissance de tous les caractères, a appréhendé que les grâces, que lui et ses prédécesseurs ont accordées jus-ques à présent, soient employées un jour par des intrigues secrètes, à augmenter le nombre des perturbateurs du repos public qui désireraient une contre-révolution. Aussi s’est-il empressé à renoncer pour lui et ses successeurs au droit d’accorder ces sortes de faveurs. Son attachement à la Révolution est si grand qu’il conserve ses ministres, parce que, n’ayant pas des talents supérieurs, ils sont tels qu’il les faut dans les circonstances actuelles. Son affection pour eux n’a pas diminué, quoique depuis peu ils l’avaient compromis sans pudeur, en l’excitant à faire à l’Assemblée des demandes de domaines, auxquelles il a ensuite renoncé. Gomme ces agents du pouvoir exécutif ont l’esprit borné et sont en même temps ambitieux, que ne tenteraient-ils pas contre la Constitution et la liberté, s’ils pouvaient séduire les militaires pour recouvrer l’ancienne autorité dont ils ont joui ? Ils sont tracassiers, mais, ainsi qu’il est facile d’en juger, dans un ordre subalterne. Suivant ce qui nous a été rapporté, le ministre des affaires étrangères assura, il y a quelque temps, au président de notre comité des recherches, que le roi de Sardaigne avait mis Nice en état de défense, afin que son port fût à l’abri de toute attaque de la part de la ville de Marseille. Il y a toute apparence que cet agent du pouvoir exécutif, excité par des motifs particuliers de vengeance ministérielle, voulait prévenir l’Assemblée nationale contre la ville du royaume qui a donné les preuves les plus convaincantes de son zèle patriotique. Peut-être que le ministre, pour certaines raisons, aurait désiré cet acte d’hostilité. Mais les habitants de Marseille sont trop sages, trop justes et trop attachés au bien public, pour avoir jamais eu une pareille idée. Quelque soin qu’on ait pris pour priver les ministres du droit d’accorder beaucoup de grâces, de nature à pervertir les militaires, ils ne seront pas encore totalement dépourvus de moyens pour favoriser les ennemis de la Constitution et de la liberté, tant qu’ils disposeront du Trésor de la nation. Dans la même conversation dont il a été question, le ministre des affaires dit au président du comité des recherches, que le prince de Gondé était fort à craindre pour une contre-révolution, et qu’il avait des sommes considérables, sans qu’on sache d’où elles venaient. Supposé que le fait rapporté, qui me paraît destitué de tout fondement, soit vrai ; ne serait-on pas tenté de croire que les sommes dont il s’agit, sont sorties du Trésor de l’Etat, puisque si elles produisaient les effets qu’on peut en attendre, elles ne seraient profitables qu’aux seuls ministres ? Ges sommes n’ont pu sortir de l’intérieur du royaume, où la plupart des citoyens sont ruinés; ni des pays étrangers, sous le frivole prétexte que la cause actuelle est celle des rois. Il convient d’observer qu’il y a peu de puissances en Europe, qui ne se soient ressenties des effets de l’intrigue, de la cupidité, ainsi que de l’ambition de nos rois ; et dont les pratiques et manœuvres secrètes dans plusieurs royaumes, n’aient fort souvent fait révolter, même jusqu’à nos jours, les peuples contre leurs souverains. Ainsi, en bonne politique, tous les princes doivent désirer ardemment que la nouvelle administration, dont ils n’ont rien à appréhender, subsiste en France. Cependant, Messieurs, le Trésor, étant toujours à la disposition du ministère, ne pourra-t-il pas s’en servir pour séduire nombre d’honorables et d’inviolables membres; soit pour payer chèrement les chefs de parti, qui sont à la tête de la Révolution, quand ils consentiront à rendre au gouvernement les intérêts de la nation ? C’est pour découvrir certains mystères d’iniquité, et [empêcher que la responsabilité des ministres ne devienne illusoire, qu’il vous a été si souvent demandé, mais en vain, d’ordonner au directeur général des finances de vendre ses comptes. Aussi beaucoup d’honorables membres n’ont jamais voulu consentir que cet agent du pouvoir exécutif sortît du royaume, qu’après qu’il aurait rendu ses comptes. L’on ne sera jamais à l’abri de tout danger, à l’égard des finances, que quand le Trésor de l’Etat sera sous l’inspection de l’Assemblée nationale, et qu'il n’en sortira aucune somme que sur des mandats signés du comité des finances. Quant au projet qui tend à intéresser les troupes au succès de la Révolution, et à détruire les moyens de séduction les plus propres à pervertir le cœur des militaires, l’Assemblée le pèsera dans sa sagesse, pour en faire l’usage qui lui paraîtra le plus convenable, lorsque le temps, les circonstances et le maintien de la Constitution et de liberté l’exigeront. Signé : L’abbé de Villeneuve de Bargemont, Député de la ville de Marseille à l’Assemblée nationale.