SÉANCE DU 27 THERMIDOR AN II (14 AOÛT 1794) - Nos 6-8 59 Nîmes, le 10 thermidor, l’an 2 e de la République française, une et indivisible. Vive la Convention! Le département du Gard est rendu à la liberté, à la vertu et au bonheur. La séance de la société populaire s’est prolongée depuis 7 heures jusqu’aujourd’hui 10 heures du matin. Les vrais patriotes ont arraché le masque qui couvrait les triumvirs subalternes, les exécrables Catilina, les Robespierre. L’on ne peut imaginer jusqu’à quel point ces ultra-cannibales étaient insatiables de crimes, de meurtres et d’horreurs. Après s’en être gorgés à loisir pendant près de 5 mois, après avoir épuisé le code de la scélératesse ancienne et moderne, après avoir réduit en principes raisonnés et en politique journalière le brigandage et l’assassinat, ils organisaient une conspiration contre la souveraineté nationale, contre l’unité et l’indivisibilité de la République. Déjà un nommé Bourdon, membre du tribunal révolutionnaire, donnait le signal et accusait la Convention de n’avoir terrassé Robespierre qu’afin de se débarrasser d’un surveillant intègre et d’opérer sans peine la contre-révolution. Ces blasphèmes liberticides ont été étouffés par les cris de vive la Convention! et par les élans d’une indignation simultanée; aussi cet homme, dont la raison était égarée par le remords et le désespoir, s’est-il brûlé la cervelle dans le lieu même des séances. Enhardis et éclairés par cet événement, plusieurs membres ont accusé et dénoncé avec une énergie foudroyante les complices de Robespierre, qui, frappés de terreur, dans le plus affreux abandon, hors d’état d’articuler une parole, ont dévoré pendant 4 heures tous les genres d’opprobre et d’humiliation que leur attirait l’énumération infinie des griefs dont on les a successivement chargés. Enfin Courbis, Giret et Moulin, un des sous-triumvirats départementales; Riffard-Colomb, agent national; Nogaret, secrétaire de la société; Bertrand, accusateur près le tribunal révolutionnaire, ont été mis en arrestation d’après un mandat dressé séance tenante par le comité révolutionnaire. Il a fallu doubler l’escorte qui les conduisait aux prisons, de crainte que le peuple n’en fît justice. Riffard a néanmoins reçu plusieurs coups à la figure, Giret s’est empoisonné ce matin; on lui a administré des contre-poisons, on l’a sauvé malgré lui, expression qui lui était familière en parlant du peuple. Bertrand s’est échappé en prenant la route d’Alais. La joie est générale; les cris de vive la République! ne discontinuent pas. Les citoyens courent en foule au temple de la raison, se félicitent fraternellement et semblent sortir de la nuit des tombeaux pour renaître à l’existence de la liberté. Clareton. [Applaudissements] (1). (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 495; Bm, 28 therm. (1er supplt) et 1er fruct.; Débats, n°693, 475-476; C.Eg., n° 726; Ann. patr., n° DXCI; Audit, nat., n° 690; J. Perlet, n°691; J.Fr. , n°689; J.S. -Culottes , n° 546; J. Sablier, n° 1499; M.U., XLII, 444; F.S.P., n° 406; J. Mont., n° 107; J. Univ., n° 1726; J. Paris, n° 593; Rép., n° 238. 8 La société populaire de la petite commune de Requista, département de l’Aveyron, remercie la Convention d’avoir fait justice des conspirateurs et des traîtres. Elle l’informe qu’elle vient d’arrêter de ne plus parler que français; que la commune a fourni près de quatre cents défenseurs à la patrie; qu’elle lui a fait don de 50 chemises, 67 paires de bas, 8 quintaux 60 livres de vieux linge, de plusieurs paires de souliers et de bottes, de plusieurs selles, de 27 livres d’argenterie, de tout le cuivre, et autres métaux, servant au culte; et qu’elle a fourni 450 quintaux de blé à ses frères d’un district voisin, qui étoient dans une plus grande indigence qu’elle. Elle finit par demander que les bulletins de la Convention nationale lui soient envoyés (1). [La sté régénérée des montagnards de Requista, à la Conv.; s.d. ] (2) Grâces vous soient rendues, citoyens représentants, d’avoir fait justice de ces êtres immoraux qui vouloient priver l’homme de la consolation d’un heureux avenir. Vous avés mis le beaume dans le coeur de tout homme vertueux par votre immortel décret du 18 floréal. Qu’ils tremblent, les traîtres, et les matérialistes, et tous ces amphibies de la révolution! Car les yeux de la surveillence sont immenses. Supprimés toute cette armée de comités de surveillence, qui n’ont, pour la pluspart, de révolutionnaire que le nom. Qu’il n’y en ayt qu’un par canton. Qu’il passent par le cruzet des sociétés populaires, et ils seront dignes de la montagne. Décrétés que la langue françoise est la langue nationnalle, et tous les préjugés disparoî-tront de toutes les parties de la République. Nous venons d’arrêtter de ne parler que français dans notre société. Nous le parlerons mal, mais nos descendants n’apprendront nos fautes que pour ne pas en faire. Nous devons tous les sacrifices à la patrie. Ils ne sont pas aussy grands que nos dézirs, mais nos moyens sont aussy fort petits. La commune de Requista a fourni à la République près de 400 deffenseurs de la levée en masse; elle luy a fait don de 50 chemises, 67 paires de bas, 8 quintaux 60 livres de vieux linge, plusieurs paires de souliers, de bottes, de selles et de brides, 27 livres d’argenterie, tout le cuivre, métal et fer provenant de la destruction de toutes les bizarreries du cy-devant culte puplic, auquel elle a renoncé il y a 4 mois. Nous avons aussy fourni 450 quintaux de bled à nos frères d’un district voisin qui étoient dans une plus grande indigence que nous. Enfin la bonne volonté et l’amour de la République ont suppléé à la science et à l’ingratitude du sol pour le salpêtre. Et notre coup d’essay en a produit 15 livres. (1) P.V., XLIII, 215-216. (2) C 316, pl. 1266, p. 85. 60 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Nous finissons, fidelles représentants, par vous prier de nous envoyer vos bulletins qui nous apprendront la vérité. Il y a quelque temps qu’on nous les a envoyés une fois, et ils nous firent un grand plaisir. Nous sommes, avec les sentiments du plus parfait attachement et de la plus vive recon-noissence, les sans-culottes composant la société régénérée des montagnards de Requista, district de Sauveterre, département de l’Avei-ron. Martin {secret.), Alexandre Pougenq ( présid .), Prouvé {secret.). [LOUCHET : Je demande la mention honorable de l’adresse et des dons patriotiques, et l’insertion au bulletin. Cette proposition est adoptée (1)]. Mention honorable, insertion au bulletin et renvoi aux comités des finances et des dépêches. (2) 9 La société populaire d’Auxerre (3) dénonce à la Convention un tableau, ayant pour titre Police générale, qui paroît être l’ouvrage de Robespierre et de ses complices, par lequel on charge les agens nationaux de district de décider quels sont les citoyens qui, dans les autorités constituées, et même dans les sociétés populaires, sont les plus remarqués, et soumet en quelque sorte les autorités constituées et les sociétés populaires à la surveillance immédiate de ces agens (4). [Au nom de la société populaire d’Auxerre, VILLETARD prend la parole pour exposer les faits (5)]. [La sté popul. d’Auxerre, à la Conv.; Auxerre, 21 mess. II {sic)] (6) Mandataires du peuple, Nous vous dénonçons un arrêté qui paroît être l’ouvrage des conjurés que vous venez de détruire. L’explosion des complots n’est que le résultat de crimes longtemps combinés. Les conspirateurs tombent, mais il reste après eux à réparer le mal qu’ils ont fait. Dans un tableau ayant pour titre Police générale, on charge les agens nationaux de district de décider souverainement quels sont les citoyens qui, dans les autorités constituées, même dans les sociétés populaires, sont les plus remarqués. Qui nous assure que l’influence des vertus, l’exaltation républicaine ne seront pas (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 494; Débats, n° 693, 476-477. (2) P.V., XLIII, 216. (3) Yonne. (4) P.V., XLIII, 216. (5) J.Fr. , n° 690; Audit, nat. , n° 690; Rép. , n° 238. (6) C 316, pl. 1266, p. 84; Moniteur (réimpr.), XXI, 497; M.U., XLII, 461-462; J. S. -Culottes, n°547; J. Perlet, n°692. confondues, dans ce tableau, avec l’influence criminelle de l’intrigue ? Nous ne croyons pas à l’infaillibilité des hommes, et un agent national est un homme. Notre inquiétude est grande, parce que notre patriotisme est grand. Nous pensons que donner à un seul individu l’initiative sur les consciences de 60 000 autres, c’est ressusciter le despotisme. Il nous paroît également étrange de voir les sociétés populaires surveillées par un seul homme, elles dont le principal caractère est de surveiller toute la République. Si l’on se rappelle qu’en même temps qu’arrivait ce tableau, des citoyens de la faction se répandaient partout, et signalant sous le nom général d’Hébertistes les plus chauds amis du peuple, disaient hautement : ce sont des instruments dont on se sert en révolution, mais qu’il est temps de jetter au feu : ils notaient les victimes dont leurs maîtres devaient boire le sang; si on considère enfin que la plus grande attention est appellée, dans ce tableau sur les nobles, et que les prêtres sont oubliés, on reconnaîtra facilement l’ouvrage de Robespierre, et tout se réunira pour légitimer l’inquiétude que nous manifestons. Elle peut être mal fondée, mais notre caractère nous fait un devoir de déposer dans le sein de la Convention tout ce qui paroît tenir au complot dont elle vient si glorieusement de triompher. Continuez, citoyens législateurs, de poursuivre inexorablement l’aristocratie et de défendre les patriotes opprimés. S’il existoit encore parmi vous des hommes à double emploi, purgez-en la République : elle doit être aussi épurée que le coeur des patriotes. Les membres de la société populaire d’Auxerre : Mouttet {présid.), Couturo {secrét.) [et environ 110 autres signatures]. [On applaudit ] VILLETARD. Ajoute que les suppôts des tyrans se répandoient dans les départements pour vexer les patriotes énergiques. Je demande, [dit-il], le renvoi de cette dénonciation aux deux comités (1). TURREAU : La dénonciation portée au sein de la Convention par la société populaire d’Auxerre mérite toute son attention. L’arrêté qui lui est dénoncé est un acte positif du despotisme où voulait arriver Caligula-Robes-pierre; c’est sur son rapport qu’il a été pris par le comité de salut public. Il investit, dans cet arrêté, les agents nationaux d’une surveillance immédiate sur les institutions publiques, sur les sociétés populaires, premières surveillantes de toutes les autorités; sur les hommes, sur les choses, sur la pensée, aussi chère à l’homme que la liberté. En un mot, dans cet arrêté dictatorial, les agents nationaux deviennent les premiers ministres de Capet-Robespierre. On y remarque particulièrement sa tendre complaisance pour les prêtres : il n’appelle sur eux aucune surveillance, il la reporte tout entière sur les (1) J.Fr., n° 690.