[Assemble*) nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mars 1790.) 343 être la première loi de tous Ses bons citoyens. Nous avons en conséquence l’honneur de vous proposer le décret suivant : PROJET DE DÉCRET sur la contribution patriotique du quart du revenu. Art. 1er. 11 sera accordé un délai de quinze jours, à dater de la formation des corps administratifs, pour que tous les contribuables puissent faire leurs déclarations, ou ajouter à celles qu’ils auraient précédemment faites et qu’ils jugeraient insuffisantes, d’après les principes, et sur les bases établies dans le décret sur la contribution patriotique, en date du 6 octobre dernier, sanctionné par le roi. Art. 2. Ceux dont les revenus, ou partie des revenus, consistent en redevances, en grains ou autres fruits, seront tenus d’évaluer ce revenu sur le pied du terme moyen du prix d’une année sur les dix dernières. Art. 3. Tout bénéfice, traitements annuels, pensions ou appointements, excepté la solde des troupes; tous gages et revenus d’office, qui, avec les autres biens d’un particulier, excéderont quatre cents livres de revenu net, seront sujets à déclaration, comme les produits territoriaux ou industriels, sous la réserve de diminuer, sur les paiements à faire, la contribution sur ces objets, dans la proportion de la perte ou diminution des traitements, pensions, appointements ou revenus quelconques, qui pourrait avoir lieu par les économies que l’Assemblée nationale se propose, ou par suite de ces décrets. Art. 4. Tout individu qui aura perdu une pension, un emploi ou une partie quelconque de son aisance, ne pourra pour cette raison se croire dispensé de déclarer le quart du revenu qui lui restera, et de contribuer, dans cette proportion, conformément au décret du b octobre. Art. 5. Tout fermier, ou colon partiaire, sera tenu à déclaration pour raison de ses produits industriels. Art. 6. Les tuteurs, curateurs, et autres administrateurs seront tenus de faire les déclarations pour les mineurs et interdits, et pour les établissements dont ils ont l’administration, et la contribution qui en résultera leur sera allouée lors de la reddition de leur compte. Art. 7. L’Assemblée supprime l’impression et la publication des listes ; mais le délai de quinze jours, fixé par l’article premier du présent décret, étant expiré, il est enjoint aux officiers municipaux de vérifier, en corps et en présence des notables, toutes les déclarations, pour approuver et signer celles qui leur paraîtront conformes à la vérité • comme aussi pour rectifier, sur l’avis de la majorité du corps municipal et des notables, les déclarations qui leur paraîtront évidemment infidèles. Art. 8. Le corps municipal taxera, suivant les mêmes principes, la contribution de tous les domiciliés qui auraient négligé de faire leur déclaration; il taxera également ceux qui, n’étant pas actuellement en France, et n’auraient pas fait leur déclaration, n’ont pas moins d’intérêt que tous les Français à la conservation de leur propriété. Art. 9. Le corps municipal fera signifier, dans le plus court délai, aux parties intéressées, la taxation à laquelle il les aura assujetties. Art. 10. Tout citoyen qui dans quinzaine n’aura pas répondu à la signification faite par les officiers municipaux, sera censé avoir accepté sans réclamation la nouvelle cotisation faite par lesdits officiers, et cette cotisation sera inscrite au rôle de la contribution patriotique de la commune, pour être mise en recouvrement dans les termes fixés par le décret du 6 octobre dernier, à l’exception que le premier terme ne sera exigible qu’au premier juillet prochain. Art. 11. Dans le cas de réclamation, le directoire du district prendra connaissance de l'affaire, et la renverra dans huitaine, avec son avis, au directoire du département qui jugera en définitif. Art.12. L’Assemblée nationale exhorte les municipalités ainsi que les districts et directoires de département, à ne suivre, dans les opérations, qu’exigent ici de leur ministère les pressants besoins de l’Etat, que les principes de justice et de modération qui doivent être la première loi de tous les bons citoyens. Plusieurs membres demandent l’impression du rapport et l’ajournement de la discussion. M. Féraud. Il ne faut point imprimer ce rapport. La nouvelle que l’on devait s’occuper de quelques changements dans les décrets relatifs à la contribution patriotique a déjà suspendu les déclarations dans ma province. M. Paul üairac. 11 y a un moyen bien simple d’assurer les déclarations et les paiements. Nous approchons du moment des élections pour les corps administratifs. Il faut décréter : 1° que nul ne sera citoyen actif qu’il n’ait fait sa déclaration ; 2° que nul ne sera électeur ou éligible qu’il n’ait payé, pour sa contribution patriotique, une somme qui réponde au moins à son imposition directe. M. le chevalier d’Anbergeon de Marinais pense que les articles proposés sont eu partie superflus, en partie insuffisants. Il propose, pour remplacer ces dispositions, d’exiger de chaque citoyen une déclaration détaillée des fonds de terre ou des contrats qu’il possède, et l’affirmation par serment de la quotité de ses dettes. M. Pison du Galand appuie la proposition de M. Nairac et y ajoute, pour amendement, que la clause coactive ne s’étende point aux citoyens qui déclareront ne pas posséder un revenu supérieur à 400 livres. M. le Président rappelle qu’on a demandé l’impression et l’ajournement. L’impression est ordonnée, et l’ajournement fixé à vendredi. M. de I abl Rochefoucauld, évêque de Beauvais, demande à s’absenter pour quelques jours. M. Papin, député de Paris hors les murs , demande aussi à faire une courte absence pour affaires urgentes. M l’abbé Perrier, député d’Etampes , sollicite un congé qu’il s’efforcera de rendre très court. Ces congés sont accordés sans opposition. M. le Président. L’ordre du jour appelle la discussion sur la nouvelle organisation du pouvoir judiciaire. (Voy. Tome X des Archives parlementaires , pages 725 à 741, les deux projets de décrets présentés successivement par le comité de consti*? 344 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mars 1790.] tution sur la nouvelle organisation du poüvoir judiciaire.) M. Thouret monte à la tribune et prononce le discours suivant : Messieurs, la matière dont vous venez d’ouvrir la discussion offre un grand intérêt à vos délibérations. Le pouvoir judiciaire est celui des pouvoirs publics dont l’exercice habituel aura le plus d’influence sur le bonheur des particuliers, sur Je progrès de l'esprit public, sur le maintien de l’ordre politique et sur la stabilité de la constitution. Après ce que vous avez fait, votre devoir est devenu plus impérieux sur ce qui vous reste à faire : c’est lorsqu’on est parvenu au milieu d’une longue et difticile carrière que le courage et la vigilance doivent se ranimer pour atteindre le but. Le vœu de la France s’est fait entendre; la réforme de la justice et des tribunaux est un de ses premiers besoins, et la confiance publique dans le succès de la régénération, va s’accroître ou s’affaiblir, selon que le pouvoir judiciaire sera bien ou mal organisé. Cette matière qui, au premier coup d’œil, présente un champ si vaste, se réduit cependant par l’analyse à quelques points principaux, dont la décision abrégerait beaucoup le travail. Le comité vous a proposé, par le premier titre de son projet, de décréter les maximes constitutionnelles par lesquelles le pouvoir jucidiaire doit être défini, organisé et exercé. Le motif qui l’y a porté est le même qui vous a déterminés à placer à la lête de la constitution le titre des Droits de V homme et du citoyen. L’exercice du pouvoir judiciaire a été si étrangement dénaturé, en France, qu’il est devenu nécessaire, non seulement d’en rechercher les vrais principes, mais de les tenir sans cesse présents à tous les esprits, et de préserver à l’avenir les juges, les administrateurs et la nation elle-même des fausses opinions dont elle a été victime jusqu’ici. En décrétant d’abord les maximes consli’utionnelles, vous remplirez ce grand objet d’utilité publique, et vous acquerrez pour vous-mêmes un moyen sûr de reconnaître, dans la suite de la discussion, les propositions que vous devez admettre ou que vous pourrez examiner, de celles qui ne mériteraient pas même votre examen. Le plus bizarre et le plus malfaisant de tous les abus qui ont corrompu l’exercice du pouvoir judiciaire, était que des corps et de simples particuliers possédassent patrimonialement, comme on le disait, le droit de faire rendre la justice en leur nom, que d’autres particuliers pussent acquérir à titre d'hérédité ou d’achat , le droit de juger leurs concitoyens, et que les justiciables fussent obligés de payer les juges pour obtenir un acte de justice. Le comité vous propose, par les cinq premiers articles du titre Ier de son projet, de consacrer, comme maximes inaltérables, que la justice ne peut être rendue qu’au nom du roi, que les juges doivent être élus par les justiciables, et institués par le roi, qu’aucun office de judicature ne pourra être vénal, et que la justice sera rendue gratuitement. Le second abus qui a dénaturé le pouvoir judiciaire en France était la confusion, établie dans les maius de ses dépositaires, des fonctions qui lui sont propres, avec les fonctions incompatibles et incommunicables des autres pouvoirs publics. (1) Le discours de M. Thouret est incomplet au Moniteur. Emule de la puissance législative, il révisait, modifiait ou rejetait les lois ; rival du pouvoir administratif, il en troublait les opérations, en arrêtait le mouvement, et »n inquiétait les agents. -N’examinons pas quelles furent, à la naissance de ce désordre politique, les circonstances qui en firent tolérer l’introduction, ni s’il fut sage de ne donner aux droits de la nation d’autre sauvegarde contre l’autorité arbitraire de gouvernement, que l’autorité aristocratique des corporations judiciaires dont l’intérêt devait être, alternativement, tantôt de s’élever, au nom du peuple, au-dessus du gouvernement, et tantôt de s’unir au gouvernement contre la liberté du peuple : ne cherchons pas encore à vérifier, par la balance des biens et des maux publics que cette fausse spéculation a produits, si la violation des vrais principes a été rachetée par une suffisante compensation d’avantages réels. Disons qu’un tel désordre est intolérable dans une bonne constitution, et que la noire fait disparaître, pour l’avenir, les motifs qui ont pu le faire supporter précédemment: disons qu’une nation qui exerce la puissance législative par un corps permanent de représentants, ne peut p is laisser aux tribunaux exécuteurs de ses lois, et soumis à leur autorité, la faculté de reviser ces lois; disons enfin que, quand cette nation élit ses administrateurs, les ministres de la justice distributive ne doivent point se mêler de l’administration dont le soin ne leur est pas confié. Le comité a consigné ces principes dans les articles 6, 7, 8 et 9 du titre 1er de son projet ; ils établissent l’entière subordination des cours de justice à la puissance législative, et séparent très explicitement le pouvoir judiciaire du pouvoir d’administrer. Le troisième abus qui déshonorait la justice en France éta t la souillure des privilèges dont l’invasion s’était étendue jusques dans son sanctuaire. 11 y avait des tribunaux privilégiés et des formes de procédure privilégiées, pour de certaines classps de plaideurs privilégiés. On distinguait en matière criminelle un délit privilégié d’un délit commun. Des défenseurs privilégiés des causes d’autrui possédaient le droit exclusif de plaider pour ceux mêmes qui pouvaient se passer de leur secours ; car il est bien remarquable qu’aucune loi en France n’a consacré le droit naturel de chaque citoyen, de se défendre lui-même en matière civile, lorsque la loi criminelle le privait d’un défenseur pour la protection de sa vie. Enfin, le droit égal de tous tes justiciables, d’être jugés à leur tour, sans préférences personnelles, était violé par l’arbitraire le plus désolant : un président qui ne pouvait pas être forcé d’accorder l’audience, un rapporteur qu’on ne pouvait pas contraindre de rapporter, étaient les maîtres de faire que vous ne fussiez pas jugé, ou que vous ne le fussiez que lorsque l’intérêt d’obtenir le jugement avait péri par un trop long retardement. Une sage organisation du pouvoir judiciaire doit rendre impo-sibles à l’avenir toutes ces injustices qui détruisent l’égalité civile des citoyens dans la partie de l’administration publique où cetle égalité doit être la plus inviolable. Il ne s’agit pas là de simples réformes en législation, mais de points vraiment constitutionnels. Le comité a réuni dans les articles 12, 13, 14, 15 et 16 du titre Ier de son projet, les dispositions qui lui ont paru nécessaires pour anéantir les privilèges en matière de juridiction, les distractions de ressort, les entraves à la liberté de la défense personnelle, et toute préférence arbitraire dans la distribution de la justice.