SÉANCE DU 17 VENDÉMIAIRE AN III (8 OCTOBRE 1794) - N° 60 411 pêchent de pouvoir se livrer à aucune espèce de travail, décrète ce qui suit : La Trésorerie nationale fera passer sans délai, à l’agent national provisoire du district d’Angers, la somme de 300 L, pour être remise, à titre de secours provisoire, au citoyen Charles Boulay. Le présent décret ne sera inséré qu’au bulletin de correspondance (100). e Monnel au nom du comité des Décrets, observe à la Convention qu’il n’a encore rien été statué sur le sort des Corses réfugiés, que cet oubli occasionne des réclamations auxquelles la Convention ne peut être indifférente. Barère fait remarquer à la Convention que le comité des Décrets est dans l’erreur, qu’après le rapport qui fut fait par le comité de Salut public sur la prise de Calvi, la Convention nationale porta un décret, par lequel il fut pourvu au sort des Corses réfugiés, et leur accorda les mêmes secours qu’aux réfugiés des autres parties de la République (101). La Convention nationale décrète qu’il sera accordé sur-le-champ à chacun des patriotes Corses réfugiés sur le continent, des secours provisoires, à compter du jour de leur arrivée en France, et dans la même forme qui a été remplie pour les autres patriotes réfugiés. Charge le comité des Secours publics de veiller à l’exécution du présent décret (102). 60 [ Rapport sur les encouragements et récompenses à accorder aux savants, aux gens de lettres et aux artistes ] (103) GRÉGOIRE : Citoyens, il y a cent quarante-cinq ans que Descartes mourut, à quatre cents lieues de sa patrie, sans en avoir obtenu d’autre bienfait qu’une pension de 3 000 L, dont jamais il ne toucha que le brevet. Vous avez décrété la translation de ses cendres au Panthéon. Cet hommage aux sciences dans la personne du philosophe français fait augurer l’intérêt avec lequel vous écouterez une réclamation en faveur de sa famille, c’est-à-dire en faveur des savants, (100) P.V., XLVII, 41. C 321, pl. 1332, p. 12. Minute signée de Menuau, rapporteur. Bull., 17 vend, (suppl.). (101) J. Paris, n° 18. (102) P.V., XLVII, 41. C 321, pl. 1332, p. 13. Décret pris sur le rapport de Barère selon C* II 21, p. 7. Bull., 17 vend. (suppl.); Moniteur, XXII, 199. (103) Moniteur, XXII, 181-184, 191-193; M. U., XLIV, 343- 348, 362-368. Mention dans Débats, n 747, 277 ; Gazette Fr., n° 1011; J. Fr., n 743; J. Mont., n 162; J. Paris, n“18; J. Univ., n° 1779; Mess. Soir, n 781; M. U., XLIV, 267; Ré p., n” 18. gens de lettres et artistes qui gémissent dans l’infortune. On a fait nombre d’ouvrages sur les malheurs des gens de lettres : leur patriarche, Homère, chantait ses vers dans les villes de la Grèce pour obtenir quelques morceaux de pain ; Kepler, après avoir dévoilé le ciel, trouve à peine un coin de terre pour reposer sa cendre ; Le Tasse expire la veille du jour qui devait le consoler de ses maux; Le Corrège succombe sous la fatigue d’un voyage entrepris pour porter à sa famille pauvre une somme modique, mais pesante, en monnaie de cuivre; Erasme, dans ses dernières années, payait son dîner avec un volume de sa bibliothèque; Le Dante, L’Arioste, Le Camoëns, Cervantes, Malherbe, Jean-Baptiste Rousseau périssent sous les lambeaux de l’indigence. En un mot, le génie, frappé des anathèmes de la fortune, est avec elle dans les mêmes rapports que la vertu avec la beauté, c’est-à-dire presque toujours en guerre; la même route conduit souvent à la gloire et à la misère. Après avoir sacrifié leur patrimoine à leur éducation, au perfectionnement de leurs connaissances, et à l’acquisition des instruments et des livres, qui sont les outils de la science, les savants sont communément d’une impéritie, d’une apathie inconcevable pour acquérir ou gérer les biens de la fortune, et leur dernier asile est souvent un grenier ou l’hôpital, à moins qu’ils ne périssent victimes de leur zèle à épier la nature, comme Empédocle et Pline l’Ancien, à moins qu’ils n’expirent au milieu des déserts, comme Chappe, Dauteroche, comme la plupart des savants voyageurs envoyés par le Danemark et la Russie. Les gens de lettres auraient une ressource dans leurs ouvrages, si d’excellents livres n’avaient souvent le sort d’une cargaison avariée ou perdue, surtout dans un temps de révolution qui dirige les esprits vers un seul point. Les écrits de Swammerdam, Le Paradis perdu de Milton, L’Histoire de l’Art, par Winkelman, les Recherches sur l’Economie politique, par Stewart, n’obtinrent d’abord que des dédains, et ce ne fut qu’après la mort des auteurs qu’on reconnut leurs productions pour des chefs-d’oeuvre. Si au contraire un ouvrage est accueilli, tous les pirates de la littérature s’empressent de le contrefaire, et l’auteur, traité par les libraires comme le sont les auteurs dramatiques par les acteurs, est d’autant plus sûrement ruiné que son livre a plus de succès. Tenez pour certain que le brigandage typographique cherchera toujours à éluder les lois qui assurent les propriétés littéraires ; et telle est l’imperfection des nôtres à cet égard, que, par la crainte des contrefaçons, le possesseur des manuscrits inédits de Mably, qui formeraient environ trois volumes, en a suspendu la publication. Ajoutez enfin que la vie d’un homme de génie est presque toujours semée d’épines. Il est en avant de son siècle, dès lors il est dépaysé. L’ignorance croit le traiter favorablement en ne lui supposant que du délire, au lieu de lui prêter des intentions perverses; il est harcelé par