9 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier n9l.] M. JMalartïc retire son serment et raye lui-même son nom sur le procès-verbal. M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret relatif à l'organisation des jurés. L'Assemblée reprend la question de savoir si les preuves testimoniales des délits, fournies aux jurés d’accusation, seront écrites ou purement verbales. M. Rey (1). Messieurs, vous allez prononcer sur la plus importante question de l’institution des jurés : les dépositions de témoins seront-elles oui ou non rédigées par écrit? Quoique j’aie déjà donné mon avis sur cette question en vous présentant des vues générales sur le plan du comité, je vous soumettrai, si vous le permettez, des réflexions particulières sur les raisons qui ont donné lieu au système de la procédure verbale qu’il vous propose, et sur les motifs qui ont déterminé mon opinion. Le comité pense, en premier lieu, qu’il est inutile d’écrire ce qui se dit devant les jurés, soit à raison de la décision qu’ils doivent rendre, soit parce que les cas où elle sera sujette à l’appel étant infiniment rares, il ne restera rien à faire quaud ils auront prononcé, ou bien il faudra faire une nouvelle procédure devant les nouveaux juges. Je réponds sur la seconde partie de l’objection, que si les jurés sont présents à toute l’instruction, s’ils voient, s’ils entendent tout, s’ils peuvent prendre des notes, il est faux, comme on l’a avancé qu’ils puissent toujours prononcer sur-le-champ; il peut se trouver des cas où il sera nécessaire de faire entendre un grand nombre de témoins contre l’accusé, où celui-ci voudra, en usant de la faculté que vous lui avez accordée, administrer des témoins en sa faveur; le temps nécessaire pour entendre tous les témoins, la défense de l’accusé et les plaidoyers de son conseil, de l’accusateur public, du commissaire du roi, exigera presque toujours plusieurs séances; les jurés ne pourront pas prononcer dans le même instant où ils auront entendu les témoins, et peut-on raisonnablement supposer qu’après l’intervalle de plusieurs jours ils puissent se rappeler la teneur de plusieurs dépositions et toutes les circonstances qui pourront les rendre concluantes ou les atténuer? Ils auraient, il est vrai, la faculté de prendre notes sur les dépositions des témoins, mais alors ce serait sur des faits isolés qu’ils rendraient leur jugement, et iis seraient privés des lumières que l’ensemble de la procédure pourrait leur fournir. J’ajoute que cette faculté de prendre des notes, bien loin d’être avantageuse aux accusés, leur deviendrait, au contraire, funeste; l’erreur que l’un des jurés aurait pu commettre en rédigeant par écrit un fait qu’il aurait cru entendre en faisant mention d’une circonstance qu’il aurait cru remarquer, pourrait influer sur le jugement; car il est aisé de sentir que parmi les membres d’un jury, il s’en trouvera qui auront ou de plus grandes connaissances, ou une plus grande réputation de lumière que les autres, et que si la procédure n’est pas écrite, si on ne peut y avoir recours pour contredire le fait que de pareils membres d’un jury mettront en avant, et pour éclaircir les doutes qui pourront s’élever, leur sentiment aura la plus grande influence sur la décision. _ (1) Nous empruntons ce discours au Journal le Point-du-Jour , t. XVIII, p. 24. Il peut arriver que plusieurs membres aient pris sur le même fait ou sur la même circonstance des notes différentes, et qu’il en résulte une contradiction qui entraîne de grands débats, et qu’il soit impossible d’éclaircir, s’il ne reste aucune trace légale du dire des témoins, au lieu que tous les inconvénients cesseraient si on écrivait leur déposition; puisque dans tous les cas de défaut de mémoire dans certains juges, et de contradiction dans les notes qu’ils auraient tenues, on pourrait avoir recours à une preuve d’autant plus certaine, que la rédaction des déclarations des témoins aurait été faite sous les yeux des jurés. Je passe à la deuxième partie de l’objection, et je conviens que je n’ai jamais pu croire que vous ayez l’intention d’abolir la procédure de révision en matière criminelle ; après l’exécution du jugement il peut survenir des cas où des preuves, postérieurement acquises, feront douter de la justice d’une condamnation, au dernier supplice qui aura été prononcée et exécutée. Mais ces preuves seront insuffisantes, pour faire annuler le jugement, et le degré d'évidence qui pourra leur manquer se trouvera peut-être dans la procédure sur laquelle la condamnation sera intervenue si cette procédure a été rédigée par écrit. J’ai vu un exemple frappant de cette vérité : un homme accusé d’un vol nocturne a contre lui l’assertion de deux témoins qui croient l’avoir aperçu pendant l’obscurité de la nuit, il est condamné à mort et exécuté malgré les protestations de son innocence; huit jours après un scélérat est livré au supplice pour d’autres crimes, et il avoue avant de périr qu’il est l'auteur du vol pour lequel un tel a été condamné et supplicié ; on l’interpelle; il cite des faits, des circonstances, lesquels pris séparément n’auraient produit aucune conviction de la vérité de sa déclaration et de l’innocence du condamné, mais qui, joints à la teneur des charges qui avaient servi de base au jugement, ne laissèrent plus de doute, la mémoire de ce malheureux fut réabili-tée, et l’arrêt qui intervint condamna le dénonciateur en des dommages considérables envers sa veuve et ses enfants. Or, Messieurs, je demande si un pareil cas et d’autres d’un autre genre survenaient, quelle serait la ressource des enfants infortunés d’un innocent condamné à mort et exécuté ; comment serait-il possible d’avoir recours à une procédure qui, dans le système du comité, n’aurait laissé aucune trace? Si l’on me répond qu’on pourrait faire entendre dans ce cas les mêmes témoins dont les déclarations auraient donné lieu au jugement, j’observeraiqu’indépendamment, que par un intervalle qui pourrait quelquefois être très long les témoins ne se rappelleraient peut-être pas des circonstances dont la liaison avec les nouvelles preuves pourrait être favorable à la mémoire du condamné, il peut arriver que les témoins soient décédés et, dans ces cas, je crois mon observation sans réplique, et j’en conclus que les dépositions des témoins doivent être rédigées par écrit, non seulement par rapport à la cause, mais encore pour le cas de la révision. Je n’examine point ici quelle sera l’autorité des juges s’ils sont juges en dernier ressort, ou si les accusés conserveront dans le nouvel ordre judiciaire, la précieuse institution de l’appel, que l’ancien régime leur accordait. Mais si la révision de leur jugement était ordonnée dans la forme irrégulière et insuffisante, proposée par le