[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. La municipalité de Rouen a député deux de ses membres pour exprimer ses remercîments au Roi, à l’Assemblée nationale, et pour assurer la commune de Paris de la satisfaction de celle de Rouen de voir le séjour du Roi et de l’Assemblée dans la capitale. La municipalité atteste encore à l’Assemblée que, si l’acte éclatant de sa justice et la dénonciation de Sa Majesté ne lui eussent pas seuls donné connaissance de cet arrêt fait dans les ténèbres, elle se fût fait gloire de le lui porter elle-même, et que, malgré les obstacles que lui impose un parti malveillant, elle ne cessera de donner à l’Assemblée des preuves de son dévouement absolu pour l’exécution de tous ses décrets. Adresse du comité permanent de la ville de Dieppe dans laquelle il s’élève avec force contre l’arrêté de la chambre des vacations du parlement de Rouen. L’adresse est ainsi conçue : * « Nosseigneurs, nos commettants attestent avec empressement, et avec tous les vrais amis de la liberté, les déclarations qui doivent en affermir la base, en portant les derniers coups à l’aristocratie sacerdotale et judiciaire. « Vos décrets du 2 et du 3 de ce mois vous ont acquis de nouveaux droits à leur admiration et à leur reconnaissance ; toutes les craintes étaient calmées, toutes les inquiétudes dissipées, et les patriotes voyaient avec joie qu’il n’existait plus d’obstacle à l’établissement de cette égalité, de cette unité sociale, sans lesquelles il ne peut exister de véritable liberté. « D’après cela, nos concitoyens n’ont pu voir qu’avec un sentiment de surprise et d’indignation l’arrêté de la chambre des vacations du parlement de Normandie, sous la date du 6 de ce mois, et si quelque chose a pu tempérer les sentiments dont les a pénétrés la lecture de cette production antipatriotique, c’est l’anathème dont un roi, Y idole de ses sujets et le restaurateur de leur liberté , s'est hâté de la frapper dés sa naissance. « Gomme Français, comme fidèles Normands surtout, il est du devoir de nos concitoyens d’annoncer â la France entière l’horreur dont ils sont pénétrés pour les principes qui ont dicté un pareil arrêté, et leur attachement inviolable pour tous ceux dont le développement accélère une régénération entière, dont les ennemis de notre bonheur et de notre gloire ne peuvent arrêter les rapides progrès. « Quoi! la nation, par l’organe de ses représentants légitimement élus, aura manifesté sa volonté, le monarque aura sanclionné le décret qui la renferme, et lorsque cet acte sera revêtu de tous les caractères qui peuvent lui donner force de loi , une corporation sans mission , sans titre ni qualité, vient se permettre en transcrivant la loi sur ses registres , des expéditions qui annoncent le désir de ressusciter des prétentions extravagantes et l’espoir de ramasser les débris d’un système qui, depuis plusieurs siècles, retenait les Français sous un joug aussi cruel qu’avilissant. « Cette corporation croira, d’un côté, en transcrivant la loi, faire un acte d’obéissance ; et de l’autre, par la manière ambiguë dont elle s’exprime, elle se soustraira à la reconnaissance de la seule autorité légitime, pour profiter du premier moment favorable pour faire renaître d’odieuses prétentions et s’écrier alors qu’elle agit sans liberté, sans qualité et uniquement entraînée par la force des circonstances. « D’un côté elle paraîtra n’écouter que le cri impérieux de la conscience; de l’autre elle croira Ie* Série, T. X. [20 novembre 1789.] |29 qu’il est de sa prudence de prévenir dé nouveaux maux par une sorte de flexibilité qu’elle n’a composée qu’avec le vil sentiment de la crainte, et te sentiment plus honteux encore de son intérêt particulier. « Elle ne craindra pas d’avancer que la plupart des citoyens semblent volontairement frappés d’un aveuglement absolu, comme si une nation entière, longtemps malheureuse, longtemps esclave, pouvait se méprendre sur ses véritables intérêts. « Cette corporation fera parade d’une sorte de flexibilité et de prudence, sous le prétexte d’éviter des maux incalculables; et cependant elle allumera le feu de la discorde, attisera celui de la sédition, en annonçant qu’un de vos décrets ne tend qu’à établir plus que jamais l’anarchie dans le royaume ; et elle dénoncera ainsi les représentants de la nation à la nation elle-même pour tâcher de leur faire perdre une confiance méritée par des actes multipliés de dévouement, de patriotisme, de courage et de fermeté. « Cette corporation enfin proclamera que ses membres périront plutôt que de consacrer les atteintes portées aux lois dont ils se disent les dépositaires, et elle saisira pour annoncer ce courageux dévouement précisément l’instant où elle transcrit une loi qui blesse son orgueil et choque son amour-propre; elle feindra d’oublier que, dès que la nation a choisi librement ses représentants, ils ont le pouvoir de changer, de modifier pour ses intérêts les lois existantes. Telles sont. Nosseigneurs, les réflexions bien naturelles et bien simples que produit sur l’esprit de nos concitoyens l’arrêté de la chambre des vacations. Puisse la peine réservée aux auteurs d’une production incendiaire, inconséquente et irréfléchie, rassurer les amis de la liberté et leur apprendre que si la nation a trouvé dans cette auguste Assemblée des défenseurs intrépides de ses droits, elle y trouvera aussi de juste vengeurs. «Pour nous, Nosseigneurs, en manifestant dans cette occasion vraiment essentielle l’adhésion de tous nos concitoyens à tous vos décrets, nous protestons en leur nom que nous ne pouvons ni nous ne devons reconnaître d’autres représen-tantsque les membres de votre auguste Assemblée, que nous désavouons hautement l’arrêté de la chambre des vacations du parlement de Rouen du 6 novembre et que nous déclarons ennemis de la patrie, des droits et de la gloire de la nation, les auteurs et adhérents dudit arrêté, que nous livrons avec tous les bons Français à la honte, à l’indignation etau mépris public. « Nous avons l’honneur d’être avec un profond respect, « Nosseigneurs, « Vos très-humbles et très-obéissants serviteurs. « Les président, secrétaires et membres du comité permanent de Dieppe, « Bauldryde Breteüil, président ; Vasse, ex-président; Voisin, secrétaire, etc. » Après la lecture de ces adresses, on introduit à la barre une députation de la ville d’issoudun en Berry. Les citoyens qui la composent présentent une adresse par laquelle ils assurent l’Assemblée de leur sincère adhésion à ses arrêtés età ses décrets, ainsique de leur soumission au payement du quart de leurs revenus; de leurs soins pour faciliter la circulation des grains et favoriser la perception 9 130 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.1 de l’impôt, pour le recouvrement duquel plusieurs d’entre eux se sont chargés d’assister personnellement les préposés de la régie; de plus, les citoyens dlssoudun annoncent qu’ils se dépouillent de leurs boucles d’argent, lesquelles, jointes à quelques autres objets, font un montant d’environ 115 marcs; qu’enfin ils remplacent pour le moment leurs boucles d’argent par des boucles de cuivre, afin de donner un plus grand débit aux manufactures du royaume. M. le Président. L’Assemblée nationale reçoit avec satisfaction l’assurance des sentiments patriotiques delà ville d’Issoudun et le témoignage de son zèle pour le soulagement des besoins de l’Etat. Elle vous permet d’assister à la séance. M. d’Ailly, député de Chaumont. L’exemple donné par les citoyens d’Issoudun ne doit pas être perdu; je fais le don de mes boucles et j’invite mes collègues de l’Assemblée à agir de même. M. Hairac. La ville de Bordeaux a déjà donné l’exemple qu’on nous propose aujourd’hui et si cette résolution devient générale, elle produira au moins 120 millions. L’Assemblée accueille la proposition deM. d’Ailly, par acclamation et décide que ses membres porteront des boucles de cuivre. MM. les députés suppléants, présents à l’Assemblée, prient M. le président de leur permettre de faire le même don patriotique, ce qui est agréé. M. Lesure , député de Sainte-Mène hould , a annoncé, au nom des officiers du bailliage, du corps municipal et des citoyens de la ville de Sainte-Ménéhould leur reconnaissance et leur respect, l’adhésion la plus entière et la plus formelle à tous ses décrets, et la plus ferme résolution d’en maintenir l’exécution; il a demandé la conservation de son siège royal , et a offert, au nom du comité patriotique de la ville de Sainte-Ménéhould, la somme de 3,296 liv. 19 s. 9 d. provenant deslibéralités de toutes les classes de citoyens ; il a demandé de plus, que l’état annexé à l’adresse, soit imprimé, avec la liste des dons patriotiques, ainsi que la lettre de M. Cbamisso de Villé ; ce qui a été agréé. M. le Président. L’ordre du jour appelle la discussion du mémoire du ministre des finances pour convertir la caisse d'escompte en banque nationale , sous la garantie de la nation. Quelqu’un demande-t-il la parole? (Un grand silence se fait dans l’Assemblée. — Les orateurs semblent hésiter devant l’importance de la question.) M. le comte de Custine. J’ai à soumettre à l’Assemblée quelques considérations sur le plan du premier ministre des finances et un plan de banque nationale, mais il n’y a pas lieu de les produire à la tribune. Je les ferai imprimer et distribuer. (Voy. ces documents annexés à la séance.) M. le Président répète sa question : Quelqu’un réclame-t-il la parole ? M. le comte de Mirabeau, entrant dans la salle. Je suis prêt à parler. (Un grand silence se fait dans l’Assemblée.) M. le comte de Mirabeau. Messieurs, lorsque sur un établissement aussi important que la caisse d’escompte, on s’est expliqué comme je l’ai fait dans deux motions; lorsque l’une et l’autre de ces motions offrent des résultats infiniment graves et entièrement décisifs, surtout pour un peuple dont les représentants ont, en son nom, juré foi et loyauté aux créanciers publics; lorsqu’on n’a été contredit que par de misérables libelles, ou des éloges absurdes, si ce n’est perfides, des opérations de la caisse d’escompte ; lorsqu’ enfin une fatale expérience manifeste mieux tous les jours, combien sontcoupables les moyens extérieurs par lesquels mes représentations ont été jusqu’ici rendues inutiles, il ne reste peut-être qu’à garder le silence, et je l’avais résolu. Mais le plan qu’on nous apporte s’adapte si peu à nos besoins; les dispositions qu’il renferme sont si contraires à son but ; l’effroi qu’il inspire à ceux-là mêmes qu’il veut sauver est un phénomène si nouveau ; les deux classes d’hommes que l’on s’attend si peu à rencontrer dans les mêmes principes, les agioteurs et les propriétaires, les financiers et les citoyens, le repoussent tellement à l’envi , qu’il importe avant tout de fixer les principes, et de chercher au milieu des passions et des alarmes, l’immuable vérité. Je me propose de démontrer, non-seulement les dangers d’une opération qui n’a aucun vrai partisans, mais la futilité de cette objection ban-nale dont on harcelle depuis quelques jours les esprits timides, ou les hommes peu instruits. Si l’on ne relève pas la caisse d’escompte, on n’a RIEN A METTRE A LA PLACE. M. Necker est venu nous déclarer que les finances de l’Etat ont un besoin pressant de 170 millions. Il nous annonce que les objets sur lesquels le Trésor royal peut les assigner d’après nos décrets, sont assujettis à une rentrée lente et incertaine ; qu’il faut, par conséquent, user de quelque moyen extraordinaire, qui mette incessamment dans ses mains la représentation de ces 170 millions. Voilà, si nous en croyons le ministre, ce qui nous commande impérieusement de transformer la caisse d’escompte en une Banque nationale, et d’accorder la garantie de la nation aux transactions que cette banque sera destinée à consommer. Cependant, si nous trouvions convenable de créer une Banque nationale, pourrions-nous faire un choix plus imprudent, plus contradictoire avec nos plus beaux décrets, moins propre à déterminer la confiance publique, qu’en fondant cette banque sur la caisse d’escompte ? Et quel don la caisse d’escompte offre-t-elle en échange des sacrifices immenses qu’on nous demande pour elle?... Aucun... Nous avons besoin de numéraire et de crédit : pour que la caisse, puisse nous aider dans l’un ou l’autre de ces besoins, il faut que le crédit de la nation fasse pour la Banque ce qu’il a paru au ministre que la nation ne pourrait pas faire pour elle-même. Oui, Messieurs , par le contrat que M. Necker nous propose de passer avec la caisse d’escompte, la ressource que la Banque nous offrirait porte tout entière sur une supposition qui détruit nécessairement celle dont le ministre a fait la base de son mémoire. Si la nation ne méritait pas encore aujourd’hui un très-grand crédit, nulle espèce de succès ne pourrait accompagner les mesures que ce mémoire développe. En effet, M. Necker nous’propose, pour suppléer à la lenteur des recettes sur lesquelles le Trésor