21 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 novembre 1790.] il n’a pas besoin du concours du pouvoir religieux. Cette règle que la sagesse prescrit à tout législateur, est applicable à tous les pays, où il existe une société, et par conséquent une religion nationale ; mais bien plus encore à la France, qui a le bonheur de professer la seule religion véritable. Ce serait une grande et fatale erreur, de confondre nos institutions religieuses avec nos institutions sociales. L’Assemblée nationale s’est eu permis d’anéantir presque toutes celles-ci, et d’en substituer d’autres, dont elle attend le bonheur et la régénération de la France. La nation jugera si elle a excédé le pouvoir qu’elle lui avait confié : le temps et l’expérience apprendront si elle l’a exercé utilement. Mais le pouvoir, qui a établi nos institutions religieuses, ne réside pas même dans la nation. L’Assemblée nationale ne peut donc ni Jes renverser, ni les changer; et quelle que soit la puissance qu’elle s’attribue, on doit lui dire, qu’il est des limites, en matière de religion, qu’elle ne peut franchir, et des bornes qu’il est de son devoir de respecter. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 26 NOVEMBRE 1790. Lettre de M. l’Évêque de Nantes à MM. les recteurs et ecclésiastiques de son diocèse. A peine, nos très chers coopérateurs, goûtions-nous le bonheur de nous trouver réunis à vous, et au milieu des fidèles de notre diocèse, r objet continuel de notre attachement le plus vif, quedes circonstances nouvelles sont venues nous conseiller une seconde absence : nous nous flattons cpiVUe ne sera pas longue; nous espérons voir bientôt se dissiper l’erreur qui l’a occasionnée et que noas pourrons, incessamment, sans obstacle, céder au désir qui nous rappelle sans cesse vers vous. Mais dans cet intervalle, quelque court qu’il soit, il est possible qu’une fausse renommée ou des relations inexacte?, aient altéré la vérité des motifs qui nous oui éloigné : ii est possible que vos âmes aient été contristées, que l’inquiétude règne dans vos esprits : dès lors, c’est un devoir pour nous de vous instruire, nous le devons an soin de notre réputation, à la dignité de notre ministère, pour votre consolation, et l’édification du troupeau que la Providence nous a confié, lorsqu’elle a dit : « Altendile vobis et universo gregi, « inquo vosspiritus sancius posuit Episcopos regere « Ecclesiam Dei (1). » Nous ne voulons donc pas, nos très chers coopérateurs, vous laisser ignorer aucun des faits qui se sont passés pendant notre séjour à Nantes ; et c’est avec tonte la simplicité de la vérité que nous vous les exposerons. Le 5 de ce mois, M. le procureur général syndic du département nous avait fait faire une signification par le ministère de deux notaires, tendant à nous demander nos résolutions, relativement à l’organisation civile du clergé : le mercredi 17, nous lui fîmes notifier notre réponse ; elle a été imprimée ; elle vous est sans doute connue. Le lendemain, jeudi 18, une députation composée de plusieurs membres réunis du département, du district, de la municipalité, du club, dit des amis de la Constitution , et de la garde nationale, se présenta pour nous renouveler la demande de notre consentement à la suppression de plusieurs églises paroissiales de la ville, et de leur réunion à la cathédrale. Conséquemment aux principes consignés dans notre notification du 17, et dans une lettre adressée à M. le procureur général syndic, en date du 16 octobre dernier, nous répondîmes que les chapitres des églises cathédrales tenaient à la discipline générale de l’Eglise, qu’elle-même les a revêtus et investis de la juridiction épiscopale, pendant la vacance des sièges, pour gouverner les diocèses ; que l’autorité seule, qui a donné ces pouvoirs, peut les ôter, avec les formes canoniques, et les transmettre à d’autres ; qu’il n’est point en la puissance d’un évêque particulier, qui, à lui seul, n’est point l’Eglise, de faire un pareil changement que, par conséquent, une administration purement civile et temporelle ne pourrait pas en avoir plus le droit et le pouvoir, qu'elle n'a celui de donner la mission pour V administration des sacrements ; qu’au surplus, il était notoire que Sa Majesté s’était adressée, sur un objet aussi essentiel, au pape, chef visible de l’Eglise, et nous insistâmesà demander qu’on attendit sa décision. Nous voudrions vous taire, nos chers coopérateurs (mais la vérité nous le défend) qu’il nous fût témoigné de l’improbation sur ce recours au pape, chef visible de l’Eglise ; qu’on se permît de nous accuser d’être parjures et de violer nos serments ; que nous eûmes besoin de rappeler que, lorsque nous prononçâmes notre serment civique devant la municipalité de Nantes, nous exemptâmes formellement et textuellement tout ce qui pourrait avoir rapport aux principes sacrés de la religion, et qu’alorsmême plusieurs membres de la municipalité manifestèrent la même exception. Nous pouvons donc vous dire, a ver-l’apôtre des nations, écrivant aux Corinthiens (1) ; igitur et si scripsi vobis non propter eumqui fecit injuriant, sed propter eum qui passus est , sed ad manifestanclam sollicitudinem nos tram quant habemus pro vobis. Et, en effet, nos chers coopérateurs, quand nous n’avons pas cru les intérêts de notre sainte religion compromis, n’avons-nous pas été les premiers à vous donner l’exemple de la soumission la plus entière à toutes les lois de l’Etat? Oui, nous vous le donnerons toujours l’exemple de cette soumission, de cette obéissance aux puissances de la terre, que nous ordonne l’Evangile, dont nous sommes les ministres, dans ce qui ne sera pas contraire aux ordres de Dieu. Parce que toute puissance vient de Dieu, et que celles qui existent ontété établies par lui (2). Qui resistilpo-testati, Dei ordinationi resistit... Non est enirn potestas nisi à Deo, quæ aulemsunt, à Deo ordinaire sunt. Nous vous adjurons donc, au nom de Dieu, de dire si nous vous avons jamais enseigné une autre doctrine ; nous vous adjurons vous tous, fidèles de notre diocèse; nous vous adjurons vous, en particulier, membres de la députation du jeudi matin , 18 de ce mois, de dire s’ii est sorti de notre bouche un seul mot qui soit contraire à ces principes ; si nos réponses n’ont point respiré uniquement la douceur et la modération, et si elles ont exprimé autre chose que la distinction nécessaire entre la paissance spirituelle, la puissance civile et temporelle, et la soumission resta) Ch. X, v. 18. (2) Saint Paul ausc llom., ch. XIII, v. 1, 2. (1) Actes des Apôtres , ch. XXIV, v. 28. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES# [26 novembre 1790,] pectueuse que tout catholique doit également à toutes les deux, et à chacune d’elles en particulier. Sous quel rapport pouvons-nous donc être traduits, comme criminels de lèse nation? La pureté de nos principes et de notre doctrine doit donc nous autoriser à vous dire avec assurance, ce que Samuel disait au peuple d’Israël assemblé (1). J’ai conversé devant vous jusqu’à ce jour : me voilà prêt ; rendez témoignage de moi devant le Seigneur et son Christ « Itaque conversatus « coram vobis... usque ad banc diem, ecce prœsto « sum : loquimini de me coràm Domino, et co-« ràm Ghristo ejus. » Maintenant, nos chers coopérateurs, pourrions-nous vous exprimer quelle fut notre douloureuse surprise, lorsqu’on nous instruisit que dans une assemblée nombreuse, tenue le soir de ce même jour, des inculpations très graves provoquaient les opinions les plus violentes ; on nous prêtait des idées ; on nous supposait des projets si contraires à l’esprit de notre état, à la douceur, à la résignation qui doivent en être la marque distinctive, et à la modération de notre caractère, que nous croyons aussi inutile pour votre instruction, qu’il serait pénible à notre cœur de vous en retracer les détails. C’est alors, qu’averti à diverses reprises, et presque à chaque instant, de la chaleur toujours croissante des esprits, dont nous étions la cause innocente et involontaire, nous oubliant nous-mêmes, sacriliant le bonheur d’être au milieu de vous, à la crainte de voir peut-être troubler le repos de nos diocésains pour lesquels nous voudrions, comme saint Paul, être anathème; imitant l'exemple de ce grand apôtre dans la ville de Damas (2) nous nous décidâmes à nous éloigner par prudence, emportant avec nous la douleur la plus profonde, les regrets les plus vifs de nous en séparer ; mais en même temps et pour toute consolation, l’espoir de venir les rejoindre dans peu ; nous pouvons les assurer et nous vous prions d’être nos interprètes, qu’ils sont toujours présents à notre esprit, que nous les porlonsdans notre cœurs, etqu’ils sont l’objet continuel de notre sollicitude et de nos prières. Nouslcurdemandons pour prix de ressentiments, nous les conjurons de persévérer dans cet esprit de paix, de douceur et de chanté qui doit unir tous les chrétiens. Et vous, nos très chers coopérateurs, dont nous connaissons le zèle infatigable, continuez vos bons exemples, ne cessez de veiller, d'être unis en Jésus-Christ, de prier pour le maintien de la foi, delà religion, pour la prospérité du royaume, pour la paix et lebouheur de tous (3), « Ipse aulem « Deus pacis sanctifiée t vos per omnia, et integer « spirilus rester, et anima et corpus sine querelâ « in adventu Domini Jesu-Christi servetur. » Ce 22 novembre 1790. •j-C. Eu., év.de Nantes. (1) Des Rois, liv. 1er, ch. XII. (2) Actes des Apôtres, ch. IX, v. 25. (3) Epître de saint Paul aux Thessal., ch. Y, v.23. TROISIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ÂSSEMBLÉE NATIONALE DU 26 NOVEMBRE 1790. Lettre de l’évêque de Tulle au clergé de son diocèse. Tulle, ce 18 novembre 1790. Vous avez su, Messieurs, tout ce qui s’est passé à Tulle à l’occasion du décret de l’Assemblée nationale pour l’organisation du clergé, les sommations que le département de la Corrèze m’a fait faire de le mettre à exécution, et le scellé qui a été apposé aux portes de ma cathédrale, dont l’entrée m’a été interdite. Je manquerais à un devoir cher à mon cœur, si je vous laissais ignorer plus longtemps ma réponse à ces différentes sommations. Nous avons, Monsieur, le même ministère à remplir. Il nous dévoue à l’iDstruction des fidèles, dont le salut est confié à nos soins et à la conservation du dépôt de la foi dans toute sa pureté, aux dépens même de notre vie. Je vous dois donc, comme à mon cher coopérateur, compte de ma conduite et des principes qui la dirigent. C’est pour satisfaire à cette obligation, que je vous adresse une copie de la lettre que j’ai écrite à MM. les administrateurs du département. Vous y verrez les motifs qui ont déterminé mon refus de me prêter à leur demande. Je me recommande à vos prières et j’ai l’honneur d’être, avec un parfait attachement, Monsieur et cher coopérateur, votre très humble et très obéissant serviteur. Signé : -J-CHARLES JO. MA., évêque de Tulle. Copie de la lettre de M. l'évêque de Tulle à MM. les administrateurs du département de la Corrèze. Tulle, ce 15 novembre 1790. Messieurs, il s’est présenté devant moi deux prêtres, qui m’ont demandé des provisions pour une cure de Drives qui vaquait. Je ies leur ai refusées, parce que celte ville n’était pas de mon diocèse, et que, par cette seule raison, elles seraient nulles. Vous m’avez fait sommer, Messieurs, de la pourvoir d’un prédicateur pour l’Avent, j’ai eu l’honneur de vous faire la meme réponse. Lorsque l’Eglise m’a élevé, tout indigne que j’en suis, à la dignité d’évêque de la ville et du diocèse de Tulle, elle en a, conjointement avec l’autorité temporelle, fixé les limites en dehors desquelles tout acte de juridiction de ma part serait frappé du nullité radicale par défaut de mission. Lorsqu’il plaira aux deux puissances d’en étendre les bornes, je me ferai un devoir de correspondre à leur arrangement, et vous me verrez empressé à remplir ies devoirs qui eu seront la suite. Vous avez, Messieurs, envoyé dans mon église cathédrale des commissaires pour faire l’inventaire des ornements, vases sacrés, linges et autres effets nécessaires au culte divin ; vous avez fait défense à MM. les chanoines de s’y assembler à l’avenir et d’y célébrer l’office divin ; un prêtre, sans mission est venu enlever du tabernacle le corps adorable de Jésus-Christ, et comme si ce n’était pas assez, vous avez encore fermé les portes de la sacristie, du chœur et de l’église aux fidèles qui y accouraient chaque jour avec