37 SÉANCE DU 13 VENTÔSE AN H (3 MARS 1794) - N° 77 laquelle il annonce qu’il a trouvé dans les prisons de Lille un officier suédois nommé François Déposse, détenu depuis 45 ans par suite d’ordres arbitraires. j-Le xepr. Florent Guiot a la Conv. ,■ Lille, 20 pluv. II] (1). « Citoyens, collègues, Je viens de découvrir, dans une des prisons de Lille, une nouvelle victime des vengeances du despotisme Cet infortuné s’appelle François Deposse, capitaine suédois, passé au service de France en 1738. Il a été incarcéré en 1749 par un ordre du nommé de Séchelles, intendant de Lille, et sa détention a été confirmée en 1784 par une lettre de cachet qu’un autre vil agent de despote avoit sollicitée, en sorte qu’il languit depuis 45 ans dans les fers. Dès l’instant que j’ai connu son existence et ses malheurs, j’ai volé à son secours pour lui prodiguer les secours et les consolations qui pouvoient adoucir son sort ; je l’ai fait transporter dans une chambre plus commode, en prenant toutes les mesures pour empêcher que son changement de situation ne lui devint funeste La captivité encore plus que l’âge ont affoibli ses organes, et ses idées présentent de fréquentes disparates; circonstance qui, à l’époque de la révolution, l’a fait classer au nombre des personnes en démence, mais j’ai quel-qu’espoir qu’un meilleur régime lui fera recouvrer la raison ; j’ai cru devoir instruire la Convention nationale de ce trait de scélératesse de la part d’un despote et de ses lâches complices, parce que sa publicité doit encore augmenter, s’il est possible, l’horreur de tous les Français pour la tyrannie. S. et F. » Florent Guiot. P. S. Je joins à ma lettre un extrait du procès-verbal que le comité révolutionnaire a rédigé relativement à l’infortuné Deposse Vous y verrez que sa famille, qui demeure à Stockholm, lui payoit une pension de 400 liv., mais que le paiement en a cessé depuis trois ans. Je n’ai pas besoin de recommander son sort à la sensibilité de la Convention nationale. [ Extrait des p.-v. du C. révol. de Lille, 19 pluv. II.] ...Nous, membres du comité révolutionnaire établi, en la commune de Lille, délégués par le représentant du peuple Florent Guiot, nous nous sommes transportés en la maison d’arrêt ci-devant Bonsfils, rue de la Guerre, à effet de prendre des renseignemens sur la personne de François Deposse, ci-devant baron suédois, détenu en ladite maison, où étant, nous avons fait comparoître par devant nous le concierge, duquel nous avons requis de nous exhiber son livre d’ecrous, ainsi que tous les papiers relatifs a la personne dudit Deposse : nous y avons remarqué : 1° Que le nommé François Deposse, ci-devant (1) Mon., XIX, 636; Débats, n° 530, p. 185. Mention dans J. Sablier, n° °1176; J. Paris, n° 428; Ann. patr. n° 427; J. Fr., n° 527; J. Mont., n° 111; Audit, nat., n° 527; P. S. F., n° 245; M.U., XXXVII, 222. baron suédois, étoit entré dans ladite maison d’arrêt le 30 janvier 1749 ; 2° Qu’il fut incarcéré par un ordre arbitraire du soi-disant monseigneur de Séchelles, intendant de Lille ; 3° Que sa pension a constamment été payée (à l’exception des trois dernières années) par sa famille, domiciliée à Stockholm, en Suède ; 4° Que sa détention a été confirmée par un acte tyrannique dit lettre de cachet, en date du 17 décembre 1784, et signée de Louis (dit le Raccourci) ; 5° Que les registres ni aucuns papiers ne font aucunement mention des motifs de son arrestation, pas même la lettre de cachet cotée A ; 6° Que le concierge nous a déclaré que depuis 36 ans qu’il habite la maison, il a trouvé le dit Deposse dans une démence momentanée et néanmoins toujours d’un caractère doux et tranquille; 7° Que nous attribuons son état de démence à la détention arbitraire et longue dans laquelle ledit Deposse a été plongé ; 8° que nous espérons cependant que les secours que lui a fait donner depuis hier le représentant du peuple Florent Guiot lui feront recouvrer la raison que ses malheurs lui ont fait perdre en partie ; 9° Quant à son physique, nous avons remarqué que ledit Deposse étoit d’un tempérament très fort, et comme il en est peu ; mais aveugle depuis deux ans et demi, cela peut-être attribué à la quatre-vingtième année de son âge. Lecture faite en présence des citoyens Jean-François Fardel, administrateur, et Adrien Balambois, économe de ladite maison ont déclaré contenir vérité, et ont signé avec nous. A Lille, les jours, mois et an que dessus. Signé : J. Fr. Fardel (administrateur) Balambois (économe), Wacrenier, Capron (membres du C. révolTe) (1). LE RAPPORTEUR. Cette lettre n’a pas besoin de commentaire; cet homme est octogénaire, il est malheureux et souffrant Voici le projet de décret : « Le comité propose : 1° d’approuver la conduite de Florent Guiot ; « 2° De faire mettre, par le ministre de l’intérieur à la disposition de la commune de Lille, 600 livres, qui seront remises à Déposse à titre de secours provisoire ; << 3° De charger le comité de liquidation de présenter ses vues sur la quotité de la pension à accorder à cet officier. » BOURDON (de l’Oise) (2) : Je demande que cette pension soit fixée à 1,000 liv. DUHEM. Je m’étonne que depuis cinq ans de révolution, lorsque plusieurs représentants du peuple, et moi particulièrement, nous avons successivement visité les prisons de Lille, interrogé les prisonniers, et mis 'à différentes fois en liberté ceux qui paraissaient victimes d’ordres arbitraires, cet officier suédois ait constamment (1) Dxxvn, doss. 1 (demandes de pensions). Ces pièces furent transmises à Briez le 9 vent. II, sous la signature de Merlino. Reproduites dans Bin, 16 vent., c’est à cette source que plusieurs journaux semblent avoir puisé, et ils indiquent, par suite, cette affaire au 16 ventôse. (2) ou du Loiret, d’après les Débats. 38 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE échappé à notre vue. Je soupçonne celui qui recevait la pension de la famille du capitaine de l’avoir caché à tous les yeux pour s’approprier cette pension. Je demande en conséquence que Florent Guiot, qui est sur les lieux, soit chargé de prendre des renseignements à cet égard. LESAGE-SENAULT. Je demande que cet homme soit mis en état d’arrestation. BOURDON (de l’Oise). Je m’oppose à la dernière proposition ; cet homme n’est que soupçonné du délit ; j’appuie la proposition de Duhem. Elle est décrétée. CHARLIER. Je reporte toute votre attention sur l’individu intéressant dont vous a entretenu votre comité de secours On vous propose d’accorder une pension de 1,000 liv. à un malheureux octogénaire aveugle et infirme, qui sera obligé d’avoir quelqu’un près de lui pour lui donner des soins. Je demande que cette pension soit portée à 2,000 liv. et qu’elle lui soit payée six mois d’avance (1) . (Applaudissements réitérés ) (2). Les deux propositions sont décrétées (3) . 78 [Plan d’un établissement d’instruction publique présenté par la section du Mont-Blanc ] (4) Représentants du peuple, L’Assemblée générale de la Section du Mont-Blanc, bien convaincue de l’importance de l’instruction, vient d’accueillir avec empressement le plan d’un établissement que le citoyen Maugard se propose de faire sous le titre d 'Institut patriotique ou Ecole élémentaire des sciences, arts et métiers, utiles au service de la Patrie. Elle a senti combien un pareil établissement lui seroit avantageux ainsi qu’aux sections voisines ; attendu que se trouvant à une trop grande distance des édifices nationaux où le département de Paris se propose d’établir des instituts, les citoyens indigents, même ceux qui jouissent d’une fortune médiocre seroient dans l’impossibilité de profiter, soit pour eux, soit pour leurs enfants, des moyens d’instruction que ces établissements doivent procurer au public. Elle est d’autant plus vivement touchée de cette privation, qu’elle a lieu de croire que ces instituts réuniront tous les avantages que l’on a droit d’en attendre, tant pour le fond que pour la forme de l’enseignement. Le citoyen Maugard, désirant la dédommager, autant qu’il est en son pouvoir, de la perte de ces avantages précieux, a cherché et trouvé le moyen de rendre l’instruction accessible aux citoyens de tous les âges, quelle que puisse être la modicité de leur fortune, à ceux mêmes qui n’ont de ressource pour exister que leur travail (1) Mon., XIX, 636; Débats, n° 530, p. 185; Batave, n° 383. (2) F.S.P., n° 245. (3) Voir ci-après, 14 vent., n° 55. (4) F17A 1009®, pl. 2, p. 2062. journalier, sans que la République entre pour rien dans les frais. Son plan est grand, vaste et il a su en rendre facile l’exécution. Il ne lui faut qu’un local convenable : il se trouve dans la section. C’est une maison située dans la rue de Provence n° 18, assez grande pour y réunir, élever et instruire en commun 5 à 600 élèves. Tout s’y trouve, des salles pour l’étude, pour les leçons publiques, pour former une bibliothèque, des cabinets d’histoire naturelle, d’instruments de physique et de mathématique, de modèles de machines et d’instruments des arts, des emplacements pour des ateliers : bon air, promenades agréables. Il dépend de cette maison un grand terrain vide qui touche au mur du jardin et s’étend jusqu’à la rue Chauchat. Il est propre à la construction d’un gymnase pour les exercices militaires et autres. Il ne différera de celui d’Athènes qu’en ce qu’il n’aura ni la même étendue, ni la même magnificence : du reste, il offrira les mêmes avantages. La Nation a la jouissance du tout, pendant la vie d’une personne qui est émigrée Cette jouissance ne peut être que laissée à bail : si on vouloit la vendre, on n’en retireroit qu’une somme très modique II conviendroit peut-être d’abandonner cet emplacement pour un établissement qui sera utile à la République, sans lui être onéreux ; mais l’auteur ne le demande pas pour rien. La maison n’a jamais été louée plus de dix mille livres : il en offre six mille à courir du 1er vendémiaire et la section estime que dans les circonstances actuelles et eu égard à sa destination, c’est sa valeur. Tous ceux qui l’ont eue en vue n’en ont pas offert davantage. A l’égard du terrain vide, il a été abandonné à un jardinier qui n’en rendoit au propriétaire que les mauvaises herbes pour la nourriture de deux vaches, et qui à présent n’en rend rien. On lui procurera un dédommagement honnête. N’examinez pas, Législateurs, s’il est possible de tirer un loyer plus fort d’un particulier qui auroit dessein d’employer cette maison à un autre usage et pour son profit uniquement. Quand il s’agit du bien public, de celui sur tout ce qui peut résulter de l’instruction, l’administration ne doit pas calculer le bénéfice qu’elle peut retirer d’une maison. La République, en facilitant cet établissement, y trouvera des avantages qui compenseront bien ce qu’elle pourroit perdre en diminution sur le loyer. Elle aura des enfants de la Patrie, des orphelins à faire élever et instruire. Us pourront l’être là, sous vos yeux et sous la surveillance du public; aussi bien et à un prix beaucoup moindre que partout ailleurs. R se trouve dans la maison dont il s’agit, et dans quelques autres de la section, des livres qui appartiennent à la Nation. Ils sont sous scellés, et leur garde, jusqu’à leur translation dans les magasins, absorbe une partie considérable de leur valeur. Il seroit plus avantageux de les consacrer dès cet instant, à l’instruction des citoyens, en gagnant les frais de garde. En conséquence, la section du Mont-Blanc demande qu’il vous plaise, Législateurs, accorder au citoyen Maugard, pour l’établissement d’un Institut, la maison située rue de Provence