[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 août 1789.J 341 et les devoirs, on les néglige, on les méconnaît, on les oublie. Il faut établir un équilibre, il faut montrer à l’homme le cercle qu’il peut parcourir, et les barrières qui peuvent et doivent l’arrêter. Beaucoup ont soutenu la thèse contraire ; beaucoup ont dit qu’il était inutile de parler spécialement des devoirs, puisque l’on ne pouvait exister qu’autant qu’il existe des droits. Je ne suis pas de leur avis, et je crois que la déclaration des droits est inséparable de celle des devoirs. M. de Clermont-Lodève. Je n’ai qu’un mot à dire sur la question incidente : chaque homme, ayant le même droit à la liberté et à la propriété, a des droits incontestables, comme il a aussi des devoirs qui le forcent à respecter la liberté et la propriété d’autrui. Ces devoirs naissent naturellement des droits du citoyen. On pourrait peut-être détailler, dans le corps delà déclaration, quelques-uns de ces devoirs; mais je penserais que le titre seulement doit annoncer une déclaration des droits du citoyen, et non des devoirs . Ce mot de citoyen annonce une corrélation avec les autres citoyens, et cette corrélation engendre les devoirs. Mais ces devoirs étant indéfinis, se multipliant autant que les droits, il serait impossible de les fixer, de les déterminer tous : et des gens peu instruits pourraient croire qu’il n’existe de devoirs que ceux qui seraient insérés dans la déclaration. Quelques orateurs absents ont perdu leur tour pour la parole ; d’autres ont voulu prendre leur place; mais des cris répétés de tous les côtés de i’Assemblée : Aux voix , aux voix ! étouffent la parole de ceux qui veulent parler. M. Camus se lève, malgré les cris et le tumulte. Un moment de calme et de silence lui permet de se faire entendre pour soumettre un amendement. Il propose d’ajouter le mot devoirs à la déclaration des droits, et il présente ainsi la question suivante : Fera-t-on ou ne fera-t-on pas une déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen ? La salle retentit tout à coup d’applaudissements partis du côté du clergé. M. l’évêque de Chartres annonce qu’il veut la parole. Il a beaucoup de peine à se faire entendre; enfin on lui accorde le silence. M. de Lubersac, évêque de Chartres. S’il faut une déclaration des droits, il y a un écueil à éviter. On court risque d’éveiller l’égoïsme et l’orgueil. L’expression flatteuse de droits doit être adroitement ménagée ; ou devrait la faire accompagner de celle de devoirs , qui lui servirait de correctif. Il conviendrait qu’il y eût à la tête de cet ouvrage quelques idées religieuses noblement exprimées. La religion ne doit pas, il est vrai, être comprise dans les lois politiques ; mais elle ne doit pas y être étrangère. (Le côté du clergé applaudit vivement. On écoute avec calme dans la partie opposée.) Plusieurs membres parlent pour et contre la proposition de M. Camus. (De toutes parts on crie aux voix. — Les orateurs ne peuvent plus se faire entendre.) M. le President met aux voix la proposition de M. Camus, comme amendement à la question principale. L’épreuve par assis et levé est douteuse. On fait l’appel nominal. L’amendement est rejeté à la majorité de 570 voix contre 433. M. le Président fait part à l’Assemblée d’une note que le Roi vient de lui envoyer avec une lettre d’envoi. Il fait lecture de la lettre et de la note. Lettre du Roi au président de V Assemblée nationale. « Je vous envoie, Monsieur, une note que, comme président, vous lirez de ma part à l’Assemblée nationale. « Signé : Louis. » Note du Roi à l’Assemblée nationale. « Je crois, Messieurs, répondre aux sentiments de confiance qui doivent régner entre nous, en vous faisant part directement de la manière dont je viens de remplir les places vacantes dans mon ministère. « Je donne les sceaux à M. l’archevêque de Bordeaux (Champion de Cicé) ; la feuille des bénéfices à M. l’archevêque de Vienne (Le Franc de Pompignan) ; le département de la guerre à M. de la Tour-du-Pin-Paulin, et j’appelle dans mon conseil M. le maréchal de Beauveau. « Les choix que je fais dans votre Assemblée même vous annoncent le désir que j’ai d’entretenir avec elle la plus constante et ia plus amicale harmonie. « Signé : Loüis. » De nombreux applaudissements retentissent dans la salle. Cette note est lue une seconde fois ; les mêmes applaudissements se font entendre. L’Assemblée, sur la proposition de plusieurs de ses membres, vote unanimement une adresse de remercîment au Roi sur la marque de confiance qu’il vient de donner à l’Assemblée nationale. L’adresse est renvoyée au comité de rédaction. On revient à la discussion. La question est posée; et, presque à l’unanimité, l’Assemblée décrète que la Constitution sera précédée de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. M. d’Avaray propose les articles suivants pour servir de déclaration des principaux devoirs des Français : 1° Tout Français doit respect à Dieu, à la religion et à ses ministres ; il ne doit jamais troubler le culte public. 2° Il doit respect au Roi, dont la personne est sacrée et inviolable. 3° La première des vertus d’un Français est la soumission aux lois ; toute résistance à ce qu’elles lui prescrivent est un crime. 4° Il doit contribuer, dans la proportion de ses propriétés, de quelque uature qu’elles soient, aux frais nécessaires à la défense de l’Etat et à la tranquillité qu’un bon gouvernement lui assure. 5° Il doit respecter le droit d’autrui. Ce projet est renvoyé à l’examen des bureaux. M. le Président, annonce que deux députations demandent à entrer. La première est celle des sixeorps du commerce de la ville de Paris qui viennent présenter à l’Assemblée leur3 respects et leurs hommages. 342 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]4 août 1789-1 M. le Président. C’est dans une Assemblée nationale que les commerçants de la première ville du royaume sont sûrs d’etre reçus avec intérêt. Le commerce est la source la* plus abondante des richesses, et ceux qui rendent tributaires toutes les nations sont les premiers citoyens. L’Assemblée nationale s’occupera des moyens qui peuvent débarrasser le commerce des entraves qui le gênent. Elle reçoit avec satisfaction l’hommage de votre reconnaissance. Le lieutenant général de la Table-de-Marbre entre ensuite. U reste à la barre. Son discours contient une espèce de dénonciation contre le pouvoir ministériel, qui jusqu’ici a entretenu les déprédations dans les forêts, et finit par un tribut d’hommages à l’Assemblée. M. le Président. L’Assemblée s’occupera des parties de l’administration dont la réforme ou l’amélioration peut rendre à l’Etat sa première splendeur; elle ne doute pas qu’en entrant dans ces détails elle verra avec quelle exactitude votre compagnie a rempli ses fonctions. L’Assemblée nationale reçoit l’hommage de vos respects. M. le Président consulte l’Assemblée pour savoir si elle veut entamer la discussion sur la déclaration des droits de l’homme. L’Assemblée, vu le peu de temps qui reste, décide qu’elle entendra un rapport sur l’état de la ville de Brest. Un des membres du comité des rapports entame le récit de ce qui s’est passé à Brest, et détaille spécialement la: difficulté qui est née entre la bourgeoisie et la garnison, au sujet de la garde des magasins à poudre. Cette division, accrue et étendue par l’arrivée de la nouvelle du renvoi de M. Necker, a déterminé deux mille jeunes gens de Nantes à partir armés, pour appuyer la cause des habitants de Brest. La formation d’un conseil général et permanent ira rétabli le calme que momentanément ; et la dernière résolution de la bourgeoisie a été d’adresser à l’Assemblée nationale un mémoire détaillé, explicatif des causes de cet événement, et apporté par un courrier exprès de la part du comité permanent. L’objet principal du mémoire est la demande d’un général de toutes les lorces existantes dans la province, avec désignation de M. le comte d’Es-taing, comme réunissant la conliance de la Bretagne, l’intégrité et la capacité. M. le Président lit deux lettres, une de M. le comte de Montmorin, et l’autre de M. le duc de Dorset, relative aux dispositions de la cour de Londres. Les voici : « Versailles, le 4 août 1789. «< Monsieur le président, M. l’ambassadeur d’Angleterre me prie encore dedonner connaissanceà l’Assemblée nationale de la lettre qu’il vient de m’écrire. Comme cette lettre est une suite de celle que j’ai déjà eu l’honneur de communiquer à l’Assemblée la semaine dernière, par l’organe de son président, j’ai pris les ordres de Sa Majesté, qui m’a autorisé à suivre la môme marche à l’égard de celle-ci. » c J’ai l’honneur d’être avec respect, etc. « Signé : le comte de Montmorin. » « Paris, le 4 août 1789. « Monsieur, ma cour, à qui j’ai rendu compte de la lettre que j’ai eu l’honneur d’écrire à votre Eminence le 26 de juillet, et qu’elle a eu la bonté de communiquer à l’Assemblée nationale, vient, par sa dépêche du 31, que je reçois à l’instant, non-seulement d’approuver ma démarche, mais m’a autorisé spécialement de vous renouveler, dans les termes les plus positifs, le désir ardent de Sa Majesté britannique et des ministres de cultiver et d’encourager l’amitié et l’harmonie qui subsistent si heureusement entre les deux nations. « 11 m’est d’autant plus flatteur de vous annoncer ces nouvelles assurances d’harmonie et de bonne intelligence, qu’il ne peut que résulter le plus grand bien d’une amitié permanente entre les deux nations, et qui est d’autant plus à désirer, que rien ne peut contribuer davantage à la tranquillité de l’Europe que le rapprochement des deux cours. « Je vous serai obligé de communiquer àM. le président de l’Assemblée nationale cette confirmation des sentiments du Roi et de ses ministres. « J’ai l’honneur d’être bien sincèrement, etc. « Signé : DoRSET. » M. le Président invite le comité de rédaction à se rendre au bureau de bonne heure, à l’effet de rédiger la déclaration arrêtée hier, et l’adresse au Roi. 11 presse les membres du comité de vérification de se réunir, pour que, le travail étant fini, l’Assemblée arrête irrévocablement le sort des députés dont les pouvoirs sont en suspens. M. le président propose de nommer à la place de M. l’archevêque de Bordeaux, de M. de la Tour-du-Pin, de M. Fréteau et de M. Emmery, des membres nouveaux pour les comités de constitution, d’information, des rapports, de finances, etc. M. le Président observe néanmoins ,à l’Assemblée que l’article XI du règlement, relatif à l’incompatibilité de la place de secrétaire avec toutes les autres fonctions, et notamment avec le travail des comités, n’est pas assez clairement exprimé, pour qu’on puisse l’étendre aux membres qui étaient déjà de quelque comité, lorsqu’ils sont appelés au secrétariat. La délibération est remise à demain sur cet objet. On lit la liste suivante de MM. les présidents et secrétaires nommés dans les ditférents bureaux :