{Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (48 novembre 4780 J 459 patriotes doivent donc se tenir à cet égard sur leurs gardes. Après les avoir induits à ne pas décréter la libre cuit ire du tabac, laquelle serait soumise à cet impôt particulier, on pourrait se plaire à les voir égarer dans des choix d’impositions, bien plus critiques que ne peut jamais l’être un droit sur l’entrée, la fabrication et le débit du tabac. Soit que plusieurs personnes se soient rappelé ce qu’elles ont pu lire dans le livre De la France et des Etats-Unis , soit que l'idée des licences vienne plus facilement, surtout lorsqu’on a voyagé en Angleterre ; ce régime, appliqué au 'tabac, paraît déjà désiré de plusieurs personnes, et dans plusieurs ports de mer, où l’on s’en l’avantage de favoriser les relations avec les Etats-Unis. Eh ! quelles relations seraient plus intéressantes? Les Français et les Américains sont frères d’armes. Les combats des premiers, pour la liberté des seconds, ont été, pour toute la France, un coup de lumière, dès ce moment, on y a vivement désiré pour soi-même, le bien qu’on avait procuré à un peuple presque inconnu. Peut-on préparer des relations commerciales sous des auspices plus heureux? Si les premiers pas de commerce sont difficiles; si l’on ne peut calculer la vitesse de ses progrès, on peut du moins dire que la France venant de faire tomber les liens son industrie, aura besoin, plus que jamais, de commerce avec des peuples, occupés a enlever la terre au stérile silence de la nature. En vous parlant du tabac américain, on vous dit, Messieurs, que son peu de valeur empêche qu’on ne vous l’apporte, parce que son produit est trop chétif pour acheter de quoi charger en retour le vaisseau qui vous l’apportera. Eh! le vaisseau lui-même vous restera. Vous avez besoin qu’on vous en fabrique; la plus riche des industries, c’est celle du voiturier, et vous n’êtes pas en état de voiturer par vos propres productions, tant la fiscalité vous a fait de maux ! (1) Lisez l’ouvrage peu volumineux, dont j’extrais l’article Tabac: Usez la section 9 sur les vaisseaux construits en Amérique , pour être vendus ou pris à fret , et fermez l’oreille à tons ces dépréciate rs de vos relations avec l’Amérique; ils ne s’aperçoivent pas qu’ils prennent le cercle de leurs idées, pour celui de t’u divers. Hàiez-vous donc, Messieurs, de tranquilliser vos cultivateurs, sur une culture qu’ils apprécieront mieux, lorsqu’au lieu de leur la ravir, vous la restituerez à la France entière; hâtez-vous de conserver la préférence au tabac américain, par l’effet de l’impôt; hâtez-vous d’assurer aux besoins du Trésor public, un impôt si précieux par son produit, si tolérable par sa nature, si avantageux par ses effets. Mais quel produit faut-il en attendre? Le plan d’imposition que je mets sous vos yeux, est pour un revenu de trente-huit millions, dont trente à verser dans le Trésor public, et huit pour les frais du nouveau régime, et les bénéfices des fermiers ou régisseurs à qui ce gouvernement (1) J’ai sous les yeux un état des importations à Hambourg. La France, qui paraît n’avoir pas sofigé à son commères du Nord, dans les dernières discussions relatives à l’Espagne, importe à Hambourg pour plus de 50 millions de marchandises sur 2 i2 navires, dont 15 seulement sont français. L’importation anglaise ne monte qu’à 14 ou 15 millions. Elle occupe 226 navires dont 200 sont anglais. Cette note sa trouve déjà dans la seconde partie de ma réponse au mémoire de M. Necker , concernant les assignats , etc. serait confié. Ces huit millions sont excessifs, puisque la ferme générale eu dépensait à peine six pour les tabacs, et que son étal de guerre contre tous les contrebandiers ne lui coûtait pas plus de huit Or, dans le nouvel ordre de choses, faut-il compter sur un produit de trente-huit millions? Je réponds qu’il faut examiner si la division proposée est exécutable; si les faits sur lesquels je me suis fondé sont exacts ; si la contrebande importante (car il faut toujours abandonner les minuties) sera moralement impossible, s’il y aura de l’émulation entre Us fabricants, et si une augmentation de consommation an dehors ne produira pas, dans ce nouveau régime, de quoi remplacer largement les premiers déficits? Si les réponses sont satisfaisantes, le produit de trente-huit millions acquiert toute la probabilité nécessaire pour déterminer l’essai du plan, et atien ire avec patience ce que l’expérience en décidera. Dans une aussi grande régénération, après une désorganisation aussi profonde, que peut-on faire de mieux, si ce n’est des expériences? C'est aussi pour cela que le citoyen attentif craint de voir précipiter l’emploi du produit des biens nationaux, de cette ressource si heureuse, dont aucun Empire n’a joui, dans ces grandes époques, où les révolutions son t inévitables. Si mon plan mérite d’être adopté, les décrets qu’il exige sont en quelque sorte indiqués par le plan même. Ils devraient se borner à fixer, dès à* présent, les résolutions fondamentales, en renvoyant le mode d’exécution, après les consultations avec les fermiers actuels du tabac, ou, à leur défaut, avec telles autres personnes instruites de tout ce qui a rapport au commerce, à la fabrication et au débit de cette plante. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHASSET. Séance du mardi 16 novembre 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures et demie du maiiu. M. Iianjuinais, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. U est adopté. M. Jaillant présente un mémoire de la ville de Sens tendant à demander un tribunal de commerce pour cette ville. Ce mémoire est renvoyé au comité de Constitution. M. l’abbé Grégoire, membre du comité de vérification, annonce que M. Cornilleau se présente pour remplacer M. l’abbé Bourdet, député du Mans, qui est décédé. Le comité a trouvé les pouvoirs de M, Cornilleau parfaitement en règle ; aussi il propose son admission après qu’il aura prêté le serment civique. Cette proposition est adoptée. M. Vernier, rapporteur du comité des finances. L’administration d’Artois était dans l’usage de (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 460 [Assemblée nationale.] charger de la perception des droits sur les eaux-de-vie, une régie intéressée, c’est-à-dire une compagnie qui s’engageait à payer une somme fixe, et qui donnait en outre une part de l’excédent en cas qu’il s’en produisit. La perception ayant éprouvé depuis un an une diminution sensible, par suite de causes qu’on ne saurait imputer à la régie, les régisseurs ont demandé une indemnité. Votre comité a pensé qu’il était juste de la leur accorder, mais comme le Trésor public ne doit pas souffrir du défaut de perception qui a eu lieu, nous vous proposons de faire contribuer à cette indemnité les peuples de l’ancienne province d’Artois. Cette proposition est décrétée en ces termes : « L’Assemblée nationale, sur le rapport qui lui a été fait par son comité des finances, de la pétition des régisseurs généraux de l’octroi sur l’eau-de-vie, dans la ci-devant province d’Artois, et des moyens opposés à ladite pétition, par les députés extraordinaires de l’Assemblée administrative du département du Pas-de-Calais, décrète : « 1° Qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur ladite pétition tendant à ne verser dans les caisses générales et particulières dudit département, les droits provenant des octrois sur l’eau-de-vie, que d’après le résultat d’un compte de clerc à maître ; « 2° Que l’assemblée administrative du département du Pas-de-Calais, et, à son défaut, le directoire, après avoir entendu les municipalités et pris l’avis des districts, réglera l’indemnité qui peut être due auxdits régisseurs; et ce, d’ici au Ier janvier 1791, pour tout délai, sur laquelle indemnité il sera statué définitivement par l’Assemblée nationale; et, dans le cas où l’indemnité sera jugée due, il sera pourvu par elle au mode de remplacement des revenus publics : déclare que, jusqu’à cette époque, les régisseurs des octrois étant autorisés à suspendre leurs payements à l’administration du département, les receveurs généraux et particuliers des finances demeurent provisoirement autorisés à suspendre, jusqu’à concurrence des sommes qui seraient dues par lesdits régisseurs, leurs poursuites vis-à-vis les receveurs dudit département; « 3° Quant aux sommes dues aux villes pour la part qu’elles ont dans lesdits octrois, elles leur seront payées au marc la livre par les régisseurs ; savoir : un quart avant le 1er décembre prochain, et les trois autres de dix en dix jours, en portions égales, jusqu’à l’extinction des sommes échues, de manière qu’elles soient entièrement acquittées au Ier janvier 1791 ; que dans le premier payement entreront les sommes saisies et arrêtées, dont sera fait état auxdits régisseurs, leur faisant mainlevée, au surplus, de toutes saisies-arrêts et exécutious et contraintes; « 4° Lesdits régisseurs continueront de payer de mois en mois aux villes les sommes courantes qui leur seront dues , conformément au traité auquel il ne sera rien innové. » M. Gossin, au nom du comité de judicature. Le conseil supérieur de Corse a été créé et installé en 1768; les membres qui le composent ont tous été nommés par le roi; ils avaient des appointements fixes, au moyen desquels tous émoluments ou épices leur ont été interdits. Le plus grand nombre d’entre eux a consumé, loin de ses foyers, celte portion active de la vie pendant laquelle les connaissances se perfectionnent et les facultés de l’esprit se concentrent dans le cercle d’un état qui les absorbe toutes. S’il est impos-J16 novembre 4790.1 sible à un certain âge d’entrer dans une nouvelle carrière, c’est surtout pour des magistrats que des devoirs habituels et multipliés de leur état éloignaient nécessairement de toute étude comme de toute autre habitude. Quelques-uns touchent au dernier période de la vieillesse, d’autres ont atteint celui des infirmités. Leur sort serait affreux si la patrie, qui doit à sa régénération, à sa nouvelle organisation, le sacrifiçe de leur existence civile, ne pourvoyait pas à leur existence civique. Ces motifs sont communs aux membres du conseil supérieur, originaires et non originaires; mais ces derniers représentent que, transplantés en Corse depuis plusieurs années, même depuis vingt-deux ans, ils sont presque tous devenus étrangers à leur première patrie; qu’ils ont sacrifié les intérêts qui les y attachaient encore pour rendre meilleur leur sort sur une terre étrangère qu’ils avaient adoptée comme ils en avaient été adoptés. Ils ne peuvent espérer d’être élus par un peuple auquel ils ne tiennent par aucun de ces liens qui forcent les suffrages. Etrangers dans leurs provinces, oubliés, méconnus, peut-être dans leur propre pays, ils seraient désormais isolés sur la terre, sans patrie, même sans droits, s’ils étaient abandonnés par le souverain ou par la nation qu’ils ont servis pendant tout le cours utile de leur vie. Votre comité de judicature, quoique touché de ces motifs, n’a pas pensé qu’il dût vous proposer aucune indemnité à décréter en faveur des anciens magistrats de la Corse. Il faut distinguer les originaires de Plie de ceux qui ne le sont pas. Quant aux originaires, ils sont dans la position des ci-devant magistrats des cours souveraines du royaume, pourvus sur de simples commissions du roi. Quant aux magistrats non originaires de Corse, votre comité croit qu’ils pourront avoir droit à une pension, et vous présente le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport du comité de judicature, décrète que la pétition des ci-devant magistrats de Corse, pour ce qui concerne ceux non originaires de cette île, est renvoyée au comité des pensions, qui en rendra compte incessamment. » (Ce projet est adopté.) M. Gossin. J’ai aussi à vous présenter, au nom du comité de Constitution, le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport du comité de Constitution, confirme la délibération de l’assemblée électorale du département de Corse et décrète qu’en conformité du vœu qu'elle exprime, cette île forme un seul département, dont Bastia est chef-lieu. » (Ce projet est adopté.) M. Regnaud, député de Saint-Jean-d'Angély. Je demande que le comité de Constitution nous présente un mode de tribunal provisoire auquel on attribuera la commission de confirmer les jugements criminels du Châtelet. On ne peut plus contenir les prisonniers; quand on s’y présente, ils vous disent en vous découvrant leur poitrine : « Un jugement ou la mort. » M. Prieur. Il est impossible d’organiser un tribunal dont nous n’avons aucun élément. (L’Assemblée passe à l’ordre du jour.) M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur l'impôt du tabac. ABCHIYES PARLEMENTAIRES.