58Q [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 juin 1790.] du district de Versailles demande à être admise à la barre afin de réclamer contre la conduite de la municipalité de Versailles qui est venue la veille soumettre à l’Assemblée l’élection d’un commandant général de la garde nationale. La députation est introduite. L’autorité de l’administration des districts est méconnu, dit-elle; vous devez la défendre; vos décrets sont violés, vous devez les venger : la garde nationale est outragée, vous devez la protéger. M. de Lafayette. ayant donné sa démission de commandant en chef de la garde nationale de Versailles, on a procédé, avec ordre et en suivant les règlements, à une élection pour lui donner un successeur. Les scrutins étaient faits dans toutes les compagnies; il s’agissait de leur dépouillement, lorsque la municipalité a réclamé et proposé de faire faire l’élection par les sections. L’administration de district, instruite de la contestation à laquelle cette réclamation donnait lieu, l’a renvoyée au département, qui s’en trouve en ce moment saisi. Cette conduite était la seule que vos décrets autorisassent... Un règlement, fait de concert entre la garde nationale et la municipalité, porte que le commandant en en chef, le commandant second et le major-général seront nommés dans les compagnies. Un de vos décrets a ordonné que tout ce qui concerne les gardçs nationales restera dans le même état, jusqu’à leur organisation : on s’est encore écarté de ce décret. Vous avez aussi ordonné que les municipalités auraient recours aux assemblées administratives : leur autorité a été méconnue. Que deviendra la Constitution, si ces assemblées sont avilies au moment qu’elles sont formées? Que ferez-vous, si quarante mille municipalités correspondent directement avec vous? Plusieurs membres demandent que le décret rendu le matin soit lu à la députation. Cette lecture est faite. M. Robespierre. Il est sans doute dans l’intention de l’Assemblée nationale de juger en connaissance de cause une affaire de cette importance. Toutes les parties n’ont point été entendues... On peut changer un décret rendu sur une affaire particulière, et qui n’est réellement qu’une simple décision : on le peut, surtout quand il a été obtenu sur un faux exposé... (Des murmures interrompent V opinant.) Il faut indiquer une autre séance pour juger, après avoir entendu toutes les parties. ( Les murmures recommencent.) J’insiste, parce qu’à la surprise qui a été faite à votre religion, se joignent des considérations très importantes. Les réclamations ne se sont élevées qu’au moment où l’on allait nommer la personne élue. On reconnaît ici l’intrigue et les passions particulières. M. Regnaud (de Saint-Jean d'Angely). Je ne sais rien qui annonce dans la municipalité de Versailles des passions particulières. Ce motif ne devrait pas vous déterminer, quand ces passions seraient connues, à plus forte raison quand elles ne le sont pas. Je crois que le décret de ce matin est suffisant. Il né statue ni sur les demandes de la municipalité de Versailles, ni sur les atteintes que l’assemblée de district expose avoir été faites à ses droits et à ceux de la garde nationale. 11 donne aux passions le temps de s’éteindre, et assure la tranquillité publique. Le commandant en second est digne de la confiance de Ja garde nationale et de celle de tous les citoyens. Il me semble que c’est le cas de passer à l’ordre du jour. M. le Président à la députation : L’Assemblée nationale prendra en considération la pétition du district de Versailles : elle vous permet d’assister à sa séance. M. Arthur Dillon rend compte , au nom du comité des rapports, de l'affaire de la colonie de Tabago. M. Arthur Dillon. Je viens, au nom de votre comité, vous présenter un projet de décret relatif à l’affaire de l’île de Tabago. L’article 3 exige une observation préalable. Cet article porte que les lois anglaises continueront à être exécutées comme par le passé. Lors de la conquête de cette île, les lois anglaises furent provisoirement conservées. Les ministres n’ayant pris aucune mesure à cet égard, les habitants de la colonie ont demandé à attendre la constitution que devait leur donner l’Assemblée nationale. Voici le projet de décret : « L’Assemblée nationale, sur le compte qui lui a été rendu par son comité des rapports des malheurs arrivés à Tabago par l’incendie totale du Port-Louis, et de la situation désastreuse où se trouve cette colonie, décrète : 1° que son président se retirera par devers le roi, pour le supplier de donner ses ordres pour faire les armements, et prendre les mesures nécessaires pour la sûreté et la subsistance des colonies; 2° Sa Majesté sera suppliée de faire faire un état exact des pertes essuyées dans l’incendie du Port-Louis, afin que l’Assemblée puisse prendre en considération les secours à donner à cette colonie; 3° L’Assemblée décrète que les lois anglaises actuellement existantes à Tabago continueront à être observées, jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné, quand l’assemblée coloniale légalement constituée aura transmis le vœu de la colonie, conformément aux décrets des 8 et 28 mars dernier ; 4° Attendu que sous l’ancien régime, tous les habitants formaient une garde bourgeoise, l’assemblée coloniale est autorisée à supprimer toutes compagnies de volontaires, et à ordonner à chaque volontaire de se retirer dans la compagnie de la garde nationale de la paroisse de sa résidence; enfin, Sa Majesté sera suppliée d’ordonnertoutes les mesures nécessaires pour découvrir et faire punir les auteurs et instigateurs des troubles, et d’en prévenir de pareils à l’avenir. M. Robespierre. Je ne puis me dispenser d’observer qu’aucun membre ne connaît assez les faits pour se décider dans une occurrence aussi importante. Je prie l’Assemblée de considérer quelles pourraient être les conséquences d’un décret par lequel le pouvoir exécutif serait indéfiniment autorisé à faire un armement pour secourir une colonie dont vous ne connaissez pas l’état. (Il s'élève beaucoup de murmures. — On demande à aller aux voix). Si cette considération ne vous touche pas, si vous ne voulez pas réfléchir sur les intentions du gouvernement dans nos relations extérieures, si vous ne voulez pas qu’on puisse impunément faire une guerre étrangère, si vous ne voulez pas que je vous dise que ce ne sera point par une proposition directe qu’on cherchera à engager la guerre, mais par des propositions et des démarches détournées, dont l’effet sera d’autant plus sûr qu’il sera éloigné; si vous [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 juin 1790.] §81 pc voulez pas que je vous dise que personoe ne connaît l’état de cette colonie ; que ce que vous en savez, vous ne l’avez appris que par l’assertion d’un ministre et d’un seul de vos membres, n’examinez pas, prenez un parti sur la proposition des ministres ; croyez-les sur parole, et décrétez la guerre et la servitude. M. Arthur Dillon. Les armements dont se plaint M. Robespierre consistent en un bâtiment marchand portant 300 hommes. M. Duval ( ci-devant d'Eprémesnil). Si M. Robespierre doute des faits, je vous propose de l’envoyer pour commissaire à Tabago, afin de les vérifier. M. Robespierre. Il n’y a pas de milieu ; il faut entendre avec patience les membres de cette Assemblée, ou s’exposer à tous les dangers dont j’ai parlé. Je ne sais si les mesures proposées sont déterminées par les besoins de Tabago ou par des menées ourdies par les ministres pour occasionner la guerre. Nous avons pour garant des faits une lettre du ministre et l’assertion d’un de nos collègues. Jamais nos décrets ne doivent être rendus sur des assertions isolées et appuyées sur des assertions ministérielles. Nos inquiétudes sont d’autant mieux fondées, qu’on n’a pas laissé au comité le temps d’éclaircir les faits. D’après ce qui m’est dit en ce moment par les députés des colonies, je demande le renvoi du projet de décret au comité colonial. MM. de Reynaud et de Gouy, députés de Saint-Domingue, appuient la proposition du renvoi au comité colonial. M. Arthur Dillon. Si les craintes qui s’élèvent quelquefois contre les ministres sont fondées, ce n’est pas aujourd’hui. Gomment peut-on savoir un événement arrivé à deux mille lieues, si ce n’est par le ministre de la marine? M. de La Luzerne a fait remettre au comité un compte des faits, signé de lui et rendu par un commandant de la marine. J’ai reçu ce matin une lettre de MM. Labermoudière et compagnie, de Dunkerque, par laquelle ils me mandent que le navire la Thérèse, arrivé le 27 dans ce port, a apporté la nouvelle de l’incendie du Port-Louis. Je propose, pour tranquilliser sur l’armement, qu’il soit dit dans l’article premier que trois cents hommes seront transportés sur un bâtiment marchand, qui portera en même temps des armes et des vivres. Les armes que je demande sont trois cents fusils pour les habitants, qui, au nombre de trois cent cinquante, sont entourés de seize mille noirs sortant à peine d’une insurrection qui a duré huit années. (On fait une lecture du projet de décret avec ce changement.) (On demande à aller aux voix.) M. de Reynaud. Je propose l’ajournement à samedi, et le renvoi au comité des rapports et au comité colonial réunis. (On demande encore à aller aux voix.) M. de Toulongeon. On ne suit point dans ce décret la marche constitutionnelle. Il faut supplier le roi de mettre l’Assemblée à même de délibérer, en faisant connaître, par la voie des ministres, les secours qui seront nécessaires. M. Démeunîer. Le décret dont il s’agit est très important. La France ne veut pas la guerre; on n’accorderait pas indéterminément un arme-mement et un envoi de troupes sans donner de l’inquiétude aux cabinets étrangers. Depuis que vous avez rendu sur la guerre un décret qui sera à jamais célèbre, il ne s’est point encore présenté l’occasion d’une délibération qui y eût quelques rapports. Je demande que pour consolider la maxime de la responsabilité, et consacrer la marche que les ministres doivent suivre en pareil cas, il soit décrété que le président se retirera par devers le roi, pour prier Sa Majesté d’or-donnner aux ministres de notifier officiellement l’état de Tabago ; ensuite le comité présentera un projet de décret. Gette proposition est adoptée en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète que son président se retirera dans le jour devers le roi, pour le supplier d’ordonner au ministre de la marine de commmuniquer officiellement à l’Assemblée les renseignements qu’il a reçus de Tabago, et le nombre des troupes et la quotité des secours qu’il juge nécessaires pour cette colonie. » M. de Aoailles ( ci-devant le vicomte. ) Quelques lettres particulières avaient laissé des doutes sur la soumission du régiment Royal-Marine. Une lettre du maire d’Uzès affirme que ce régiment est rentré dans l’ordre, qu’il a rappelé ses officiers, et qu’il est pénétré de reconnaissance pour la lettre que M. le président lui a écrite au nom de l’Assemblée nationale. (La séance est levée à quatre heures.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 30 JUIN 1790. Lettre du contrôleur général des finances sur la situation des perceptions de la Régie générale des aides dans les villes des ci-devant généralités d’Amiens et de Soissons (1). LETTRE DU CONTROLEUR GÉNÉRAL. Du 28 juin 1790. Monsieur le Président. La Picardie est une des provinces du royaume où l’esprit d’insurrection s’est le plus manifesté. J’avais espéré que les décrets de l’Assemblée nationale, sanctionnés par le roi, rendus successivement pour le maintien des impôts indirects, y opéreraient le rétablissement des perceptions de la Régie générale des aides ; mais, loin d’y obtenir la soumission due aux décrets de l’Assemblée nationale et aux ordres du roi, le mal se propage, et si les exercices et visites des employés sont encore soufferts dans quelques lieux, les droits qu’ils constatent ne peuvent pas être recouvrés. Les employés manquent d’une protection suffisante : des municipalités ont de la bonne volonté sans force, d’autres craignent de se rendre odieuses en protégeant les perceptions. Dans beaucoup d’endroits, les municipalités ou les gardes nationales sont composées en grande partie de redevables, et c’est vainement qu’on sollicite d’eux (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur.