ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {23 août 1790.] 228 (Assemblée nationale.] M. Gillet de La «lacqneminière. Je propose de décréter que les administrateurs seront tenus d’entreteDir une correspondance journalière avec tous les bureaux, sans cela vos administrateurs ne feront rien d’utile. M. Robespierre. Vous avez voulu que les fonctions du commissaire du roi fussent différentes de celles des administrateurs. Pour éviter son influence sur le secret des lettres , je demande que les fonctions soient déterminées. M. de Praslin. Les articles décrétés hier ont pourvu à la demande du préopinant. M. Robespierre. Je propose également, sur l’article 6, de réduire le traitement de chaque administrateur à huit mille livres, et de décider que le président n’aura pas un traitement supérieur à celui des autres administrateurs ; enfin je demande que le traitement des facteurs et employés subalternes, assujettis à un travail pénible dans toute l’étendue de Paris, soit augmenté de dix sous par jour. M. Regnaud (de Saint -Jean-d’ Ângély). Quand on veut avoir de bons serviteurs, il faut les payer. Les administrateurs ont des travaux de tous les instants et des dépenses de bureaux. Les émoluments que le comité propose de leur allouer ne peuvent être réduits. M. Goupil. Les administrateurs des domaines n’ont que 12,000 livres et point de logement. Pourquoi accorderiez-vous une faveur plus grande aux administrateurs des postes ? M. Prieur. La différence se justifie par un travail beaucoup plus considérable. J’appuie le chiffre de 15,000 livres pour les administrateurs et de 20,000 livres pour le président. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angély). Je propose d’ajourner la demande faite par le comité d’une somme de 200,000 livres pour des réparations à faire à l’hôtel des postes, pour le logement des administrateurs et pour la facilité du service. Cette motion est adoptée. Les articles 5 et 6 sont ensuite mis aux voix et adoptés en ces termes : « Art. 5. Pour faciliter au pouvoir exécutif les moyens de fournir les instructions dont il est chargé par l’article précédent, pour assurer l’exactitude du service des postes et réduire pour l’avenir cette administration à l’économie dont elle est susceptible, l’Assemblée a cru devoir en établir les principales bases ; en conséquence, à dater du premier janvier 1792, l’administration générale des postes aux lettres, des postes aux chevaux et des messageries, sera régie par les soins d’un directoire des postes, composé d’un président et de quatre administrateurs non intéressés dans le produit. » « Art. 6. Les traitements et frais de bureau réu-nissont de 80,000 livres, savoir : pour le président, vingt mille, et pour chacun des quatre administrateurs, quinze mille; le pouvoir exécutif fera, dès à présent, dans l’administration actuelle, le choix de ces agents qui seront logés à l’hôtel des postes. » M. Iç Président. L’ordre du jour est le rapport du comité des recherches, sur V affaire de M. l'abbé Perrotin, dit de Barmond , et de M. Eggss. M. Charles 'Woidél, rapporteur (i). Messieurs, l’affaire dont je vais avoir l’honneur de vous rendre compte, agite en ce moment et divise tous les esprits. Les uns, égarés par la haine, le ressentiment de leurs pertes, le désir de la vengeance, ne voient, dans les précautions salutaires du moment, qu’injustice, tyrannie, violation des lois, tous les maux enfin que vous avez voulu détruire ; ils s’arment contre vous-mêmesde la puretéde vosprincipes ; ennemis de leurs semblables et de leurs concitoyens, ils rappellent sans cesse, avec affectation, les droits de l'homme et du citoyen. Les autres, fatigués par la succession rapide des événements, inquiets, défiants, zélés pour la chose publique, quelquefois jusqu’à l’exagération, sont portés à ne voir dans les faits les plus simples, dans les délits les plus ordinaires, que conjurations et guerres civiles. C’est particulièrement dans cette affaire que ces sentiments opposés se sont développés avec le plus d’énergie; et c’est par la connaissance exacte des faits, par l’exposé simple et vrai des circonstances, par l’application sévère des principes, que votre comité se propose, en éclairant votre justice et en préparant votre décision, de fixer à cet égard l’opinion publique. faits. Les sieurs Desmarets-Maillebois et Bonne-Sa-vardin étaient depuis longtemps accusés d’un projet de conspiration contre l’Etat. Les talents militaires du premier, les liens étroits qui lui attachaient l’autre, l’arrestation de celui-ci au Pont-de-Beauvoisin, les papiers dont il se trouva saisi, et dont une partie rendait au moins vraisemblables les faits précédemment dénoncés, le salut de l’Etat qui paraissait menacé, le sentiment de ses devoirs, tout enfin porta votre comité à faire venir à Paris le sieur Bonne-Savardin. Le comité des recherches de la municipalité reçut ses déclarations, se procura de nouvelles lumières ; et après un examen scrupuleux, en fit son rapport, et chargea le procureur de la commune de dénoncer cumulativement au Châtelet comme prévenus d’un crime de lèse-nation, les sieurs Desmarets-Maillebois, Bonne-Savardin et Guignard de Saint-Priest. Le dix, cette dénonciation fut faite, et trois jours après, toute la France en fut instruite par une lettre que le sieur Guignard adressa à l’Assemblée nationale, et dans laquelle il se plaint tout à la fois de la dénonciation et de la prétendue affectation qu’on avait mise à la faire au moment de la confédération générale. Personne à Paris, et surtout aucun membre de cette Assemblée, ne pouvait donc ignorer, à cette époque, la dénonciation faite contre le sieur Bonne-Savardin. Votre comité a cru, Messieurs, qu’il était nécessaire de vous rappeler ces premiers faits, avant de vous exposer ceux qui se rapportent uniquement à l’évasion. Il vous prie aussi de permettre que la narration des faits qui vont suivre ne soit interrompue par la lecture d’aucune pièce. Ces interruptions fatiguent également le lecteur et les auditeurs, et elles détournent l’attention en la partageant: toutes les pièces seront lues après le récit des faits. (1) Nous reproduisons ce rapport, non d’après le Moniteur qui est incomplet, mais d’après les impressions de l’Assemblée nationale. [Atsemblée nationale.] 229 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 août 1790.] Le 13 juillet dernier, à neuf heures et demie du soir, deux particuliers vêtus de l’uniforme de la garde nationale de Paris, portant tous deux les signes extérieurs du grade d’officier, et l’un d’eux, à ce que l’on assure, les épaulettes d’aide de camp, se présentèrent aux prisons de l’Abbaye. L’un des deux avait près de six pieds de haut, était brun, beau de figure, âgé d’environ vingt-cinq ans; l’autre environ cinq pieds quatre pouces, la barbe et la peau très brunes, et le visage rond et allongé. Ils remirent au concierge un ordre renfermé en quatre lignes et demie; le papier est évidemment regratté, percé même en quatre endroits; le chiffre 3, dans la date du 13, est altéré; l’ordre est signé d’une encre différente par les sieurs Oudart, Agier et Perron, membres du comité des recherches de la ville, et il est, au reste, revêtu du sceau de Paris. Le sieur Bonne-Savardin soupait alors avec le concierge et sa femme dans la chambre de celui-ci ; à la présentation de l’ordre, le concierge, les deux particuliers et le sieur Bonne montèrent dans la chambre de ce dernier; l’un des deux particuliers se jeta avec précipitation sur le nécessaire du sieur Bonne, s’en empara et en arracha la clef; tous deux traitèrent durement le prisonnier et son domestique ; ils paraissaient craindre qu’il ne leur échappât, car en descendant les degrés pour gagner la voiture qui devait les emmener, l’un des deux particuliers tenait le prisonnier par l’habit. Ainsi sortit des prisons de l’Abbaye, à dix heures du soir, le 13 juillet, le sieur Bonne-Savardin. Le 14, vers neuf heures du soir, Claude de Lécuse, concierge de cette prison, se transporta chez le sieur Garran, l’un des membres du comité des recherches de la municipalité ; il lui témoigna sa surprise de ce que le sieur Bonne étant sorti la veille de prison et devant y être réintégré, cependant il n’en avait plus entendu parler. Alors il montra au sieur Garran l’ordre dont j’ai eu l’honneur de vous parler. Le sieur Garran reçut la déclaration du concierge sur le fait et les circonstances de l’évasion du sieur Bonne-Savardin. Le 15, quatre des membres du comité des recherches de la ville se transportèrent aux prisons de l’Abbaye; ils y reçurent la déclaration répétée du concierge, celle de sa femme, des deux guichetiers et du sieur Jacques Bruyant, sergent-major de la compagnie de l’Amour, bataillon des Jacobins-Saint-Dominique, alors prisonnier à l’Abbaye. Celui-ci ayant annoncé qu’il croyait avoir vu l’un des deux particuliers dans une revue du roi au nombre des aides de camp de M. de La Fayette, et qu’il le reconnaîtrait s’il Je voyait de nouveau, le lendemain, 16, les aides de camp se transportèrent à l’Abbaye, à l’exception des sieurs Charton etLavalette; ils furent présentés au concierge, aux guichetiers et au sieur Bruyant, et aucun d’eux ne fut reconnu. Le 17, le sieur Charton leur fut aussi présenté et ne fut pas reconnu davantage; il ne parait pas que, jusqu’ici, le sieur Lavaleite ait subi la même épreuve, du moins il n’en est question dans aucune pièce. Je dois vous faire observer en ce moment, Messieurs, que les différentes déclarations dont je vous ai parlé, concordant sur le fait et les circonstances essentielles de l’évasion, varient entre elles sur le signalement des deux particuliers, tant pour la taille que pour la couleur de la barbe et des cheveux. Cette première recherche n’ayant produit aucune lumière qui pût mettre sur les traces du fugitif, votre comité crut devoir faire insérer dans les papiers publics le signalement du sieur Bonne-Savardin, avec réquisition à toutes les municipalités, gardes nationales et troupes de lignes du royaume, de l’arrêter. Cet avis fut publié le 16. Nous allons le suivre depuis sa sortie de l’Abbaye, arrivée le 13 juillet, jusqu’au 28 du même mois, jour de son arrestation à Châlons, et c’est lui-même qui va parler dans l'analyse exacte de sa déclaration du 17 de ce mois. Les deux particuliers qui venaient de me tirer des prisons de l’Abbaye, me conduisirent immédiatement sur le quai des Morfondus : là, ils me déposèrent. Je ne les connaissais pas, et je leur fis d’inutiles instances pour les engager à se découvrir. Je portais mon nécessaire sous mon bras; je traversai les cours du palais. J’allai ensuite dans la rue Saint-Louis, où je trouvai un fiacre, avec lequel j’errai longtemps dans Paris sans avoir pris aucune détermination ; je le quittai dans la rue Neuve-des-Petits-Ghamps, près celle de Richelieu. Là, je rencontrai une femme que je priai de m’indiquer un gîte; elle m’indiqua une maison que je ne reconnaîtrais même pas et où je passai la nuit. Je tirai quelques effets de mon nécessaire et je dispersai le reste çà et là; je ne couchai qu’une seule nuit dans cette hôtellerie, et j’errai ensuite pendant plusieurs jours sans savoir que devenir, je passai les deux nuits suivantes, l’une sous un hangar, et l’autre sur mes pieds, allant de côté et d’autre. Enfin, désespéré de ma situation, et ne sachant où donner de la tête, j’allai, le troisième ou quatrième jour après ma sortie, demander asile à M. de Barmond, quoique je ne le connusse, avant ce jour-là, que sur sa seule réputation. C’est à six heures etde-mie du matin que j’allai invoquer la sensibilité, la pitié même de M. l’abbé de Barmond; il faisait difficulté de m’accorder l’asile que je lui demandais ; ses refus me réduisant au désespoir, il m’indiqua enfin, aux environs de Paris, un endroit où je pourrais vivre ignoré. Lui-même me conduisit dans cet endroit dout j’ignore le nom, à deux lieues au-dessus d’Athis, en laissant ce village à gauche : je ne connais point du tout les personnes qui habitent la maison où il me mena, et où je ne restai qu’une demi-heure. J’en partis avec M. l’abbé de Bar-mond : il voulait me descendre dans le premier endroit qui me conviendrait; mais n’ayant aucun gîte où je puisse me réfugier, je le suppliai de nouveau de ne pas m’abandonner. Vaincu par mes sollicitations et même mes importunités, vers minuit, n’ayant presque pas mangé de la journée, vet malgré sa répugnance, il me ramena enfin chez lui; j’y restai quelques jours, et j’en sortis ensuite errant comme je l’avais déjà fait et passant les nuits chez un individu généreux et sensible, M. de Foucault, membre de l’Assemblée nationale.Une dame, que je crois être la belle-sœur de M. l’abbé de Barmond, vint me prendre dans ce nouvel asile deux jours avant mon départ de Paris, et me conduisit dans sa voiture à la demeure de M. l’abbé de Barmond, vieille rue du Temple n° 15, où je restai jusqu’au moment du départ. Je montai dans la voiture de M. l’abbé de Barmond, derrière laquelle était un domestique qui vint jusqu’à la barrière, et nous prîmes en passant le sieur Eggss, logé chez M. l’abbé d’Aymar, rue Culture-Sainte-Gatheriue. Mon but était de me soustraire à la procédure exercée contre 230 [Assemblée natioiiàle.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. 123 août moi ; je pensais donc aller avec M. l’abbé de Bar-mond jusqu’à Strasbourg, et, de là, en traversant l’Allemagne pour mieux couvrir ma marche, rentrer dans le sein de ma famille. J’avais précédemment envoyé chez moi un commissionnaire pour Chercher des habits dont j’avais besoin, et pendant que j’étaischez de M. de Foucault, je fis démarquer mon linge, et je lis aussi acheter par . Un commissionnaire dont je ne sais pas le nom, chez lesieur Gervais, parfumeur au coin de la rue aux Ours, une eau avec laquelle je teignis mes cheveux pour rendre inutile le signalement qu’on avait donné de ma personne. Tel est, Messieurs, le récit que fit le sieur Bonne-Savardin, le 17 de ce mois, au comité des recherches de la municipalité de Paris ; il est fidèlement extrait de ses réponses aux diverses questions qui lui furent adressées par ce comité. Avant de parler des faits relatifs à l’arrestation faite à Ghâlons, le comité doit vous apprendre comblent on a décoüvert la retraité du sieur Bonne-Savardin. Le sieur THüry, fondeur, rue du Four, faubourg Saint-Germain, donna avis à M. de La Fayette qu’un particulier lui avait dit, tenir du sieurEmard, dbinesiiquede M.deFoucault, que ce sieürEmard servait un particulier à lui inconnu, et logé chez M.deFoucault, rue de Verneüil, hôtel de Vertillhac, sans qü’il sut depuis quel temps; qu’il avait aidé Ce particulier à démarquer sou linge, et qu’il avait préparé pour lui différentes drogues, à l’aide desquelles fi paraissait que l’inconnu s’était changé la figuré et la couleur de ses cheveux; que le sieur Emard ayant témoigné de la répugnance à sèrvir cet homme inconnu, M. de Foucault l’avait engagé à continuer ; qUe le sieur Emard avait les mains toutes gâtées, circonstance qui engagea de la part de ce particulier des questions qui amenèrent la confidence du sieür Emard ; que l'inconnu avait quitté la maison de M.deFoucault le dimanche 25 juillet, à neuf heures du soir, et était parti, déguisé en domestique, dans une voiture dàhs laquelle était un abbé nommé de Vermont, Barmond ou de Bermont. „ Le 27 juillet, jour dii départ de M. l’abbé de Barmond, le sieür Vincent, demeurant rue du Temple, chez le sieur Guy, près la rue Saint-Louis, raconta au sieur Guichârd, soldat volontaire du huitième bataillon de la seconde division, que, depuis quelques jours, un inconnu était caché dans une maison près de l’égout du Temple ; qu’on le dérobait avec soin, même aux yeux des domestiqués; qu’il ne mangeait point à table, et était servi seul dans sa chambre, ët qü’un domestiqué s’élànt présenté pouf entrer dans l'appartement, l’inconnu 1’aperçiit et iui dit de ne pas avancer; qü’on avait acheté des pâtés et autres provisions de campagne dans celte maison, parce que, probablement, on se préparait à partir. En pariant de toutes ces circonstances au sieur Guichard, le sieur Vincent lui montra dans un papier public le signalement du sieur Bonne-Savardin, et lui ajouta que, d’après le rapport du domestique de la maison, il était porté à croire que l’inconnu et le sieur Bonne étaient la même personne, d’àutant plus cjue l’inconnu était depuis dix jours dans cette maison, et qu’il y était entré pour la première fois pendant la nuit. Le sieur Guichard courut chez M. de La Fayette, et raconta au sieur Delmotte, l’un de ses aides de camp, ce qu’il venait d’apprendre. Les sieurs Thury et Guichard ont renouvelé ces déclarations déVant le comité dés réchèrcües de Paris, les 30 juillet dernier et 6 de ce mois. Le 7, le sieur Emard dont il a été question précédemment, et qui, mandé le 28 juillet, aU comité du district des Petiis-Augustius, y avait dit né rien savoir, mandé de nouveau âu comité des recherches de la ville, y déclara qüe le mardi, 20 juillet, vers les neuf neùrës du soir, M. de Foucault avait amené dans lin fiacie, dans la niaison qu’il habite rue de Verneui), lin particulier inconnu, et dont le nom n’ajamais été pronôhcé devant lül; que M. deFoucault lui ordonna de con-duire ce particulier dans une chambre qu’il lui désigna. L’inconnu ne sortit pas de cet appartement à la connaissance du sieür Ëmard. Pêri-dant son séjour, deux jeunes gens, qui ne vont pashabituellementchezM de Foucault, s’y présentèrent séparément, en demandant M. de Foucault qui les conduisît chez l’iheorihu. M. de BàrmOnd alla aussi chezM.deFoiicàultpendant ce temps-là. Le sieur Emard parle ensuite du linge démarqué et des moyens employés par l’incontia pour changer la couleur de ses cheveux. Il ajoute que le dimâhche 25 juillet, Vers sept heures du soir, une damé, dans un vis-à-vis, vint prendre et eitinieriâ l’inconnu, etque M. deFoucault lui avait dit, il y avait deux ou trois jours, jqü’il aVait lu dans un papier publie que cet iüconnu était le sieur Bonne-Savardin. Vous avez vu, jusqu’ici, Messieurs, de quelle manière le sieur Bonne-Savardin est sorti dés prisons de l’Abbaye, et comment ori est parvenu à retrouver ses traces ; nous l’avons quitté, partant pour Strasbourg avec M. l’abbé de Barmond et le sieur Eggss ; nous allons les suivre à Ghâlons, et continuer le récit des faits par la lecture du procès-verbal. Vous reçûtes le 29, avec le procès-verbal qui vient de vous être lu* une lettre de la municipalité de Ghâlons qui vous demandait de iui prescrire la conduite qu’elle devait tenir. M. l’abbé de Barmond vous écrivit aussi ; il vous exposait succinctement les motifs de sa conduite; il vous annonçait des détails dont une lettre n’était pas susceptible, et dont il désirait vous rendre compte; vous rendîtes le même jour un décret dont l’exécution successive amena à la barre M. l’abbé de Barmond. Vdus l’avez entendu, Messieurs, faire l’éloge de sa conduite, vous parier de ses vertus; ensuite, fier des demi-conlidences qu’il vous faisait, accuser les cornités des recherches de despotisme, lesieur Jullien d’infidélité, le peuple de calomnie pour avoir osé attribuer aux intrigués d’un homme puissant l’évasion du sieur Bonne-Savardin. Vous vous rappelez aussi, Messieurs, que M. l'âbbé de Bar tüond yoiî.s à parlé d’une lettre qui lui avait éié adressée à Paris, pendant son arrestation à Ghâlons, pour être remise au sieur Bonne ; cette lettré fût déposée àü comité par le frère de M. l’abbé de Barmond. Elle est anonyme, contient contre Vous et vos opérations des injures grossières ; elle renferme, déplus, des projets et des menaces extravagants et criminels; elle suppose une grande intirrtité etitre le sieur abbé de Bar-moud et le sieur Bonne; elle est datée de Londres, et le timbre évidemment fait à la main. Le comité n'a pu s’empêcher de voir dans l’ênvoi de cette lettré le coupable dessein de nuire aux deüx personnes alors arrêtées. Deux paquets avaient été. saisis à Ghâlons dans la voituie de M. l’abbé de Barmond; son sceau v avait été ajiposé avec celui de la municipalité. Ges paquets ayant été apportés à votre comité en [Assemblée natidfiâle.f ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2à août t790.] 231 ëxécution du décret dû 19 juillet, il nomffia deux de se? membres, qui se trans()6rtèrënt à l’instant chez M. l’abbé de Barmond ; il reconnut sort cachet; les paquets furent ouvërts. L’un, à l’adresse de M. le cardinal de Rohan, renfermait des brochures avouées ; l’autre, appartenant àM. l’dbbé de Barmond, contenait trois volumes de l 'Histoire générale des voyages; les commissaires dressèrent du tout un procès-verbal signé d’eux et de M. l’abbé de Barmond. Il est temps de rapprocher les faits, et d’appliquer à chacune dès circonstances de cette affaire les réflexions qui en découlent naturellement. M. Bonne-Savardin est sorti des prisons de l’Abbaye le 13 juillet, et il était dénoncé au Châtelet depuis le 10, comme prévenu d’un criifiede lèse-nation. Celui de faux et de supposition, qui lui a procuré momentanément sa liberté, ne paraît pas avoir été son ouvrage; il en a profité sans devenir coupable. Il a fui, la fuite en ce cas est de droit naturel. Mais, il existe uri crime capital; un ordre du comité des recherches dë la municipalité a été falsifié; deux horhmes se sont exposés à l’infamie et à la mort pour tirer le sieur Bonne-Savardin de sa prison. Quel intérêt si pressant pouvait donc les porter à une entreprise aussi périlleuse ? et peut-on attribuer à la générosité, à l’amitié même des actes de cette nature? Se dévouer à la mort pour sauver un infortuné, c’est l’hérèisme de là vertd; mais le crime et la vertu Sont inâlliables. Des hommes puissants auraient-ils employé cette coupable et dangereuse manœuvre pour éloigner un témoin faible et indiscret?.Calomriie, s’écrie M. l’abbé dë Barmond : comment ose-t-on les accuser d’avoir favorisé l’évasion de M. le chevalier dë Bbnne, lorsque j’avais chez moi la preuve qu’ils ne pouvaient pas en être les auteurs, puistju’après sa fuite, ils lui auraient sans doute aussi favorisé sa sortie du royaume. J’avais chez moi la preuve qu’ils ne pouvaient pas en être les auteurs. Cette preuve qu’il en donne est tout au plus une considération. Tel homme audacieux, profitant de la circonstance qui mettait tout en mouvement dans la Capitale, aurait pu tenter un coup de main au milieu de la nuit, qui n’eût pas osé s’exposer à perdre les fruits du succès, en faisant traverser le royaume à l’homme qu’il aurait fait délivrer. M. l’abbé de Barmond avait-il d’âutres preuves? Le siëür Bonne, qui peut-être n’a pas voulu compromettre, en les nommant, ses libérateurs, âüra-t-il eu là même réserve pour celui qui lui accordait Un asilê ? C’est ce mystère qu’il faudrait éclaircir. Quels sont ces deux jeunes inconnus qui ont été lui faire visite chez M. de Foucault? C’est encore ce qu’il faudrait éclaircir. Le soupçon ne disparaît qu’au flambeau de l’évidence et le raisonnement qu’emploie M. l’abbé de Barmond en faveur de ces hommes puissants qu’il dit être calomniés n’a pas ce caractère. Si M. l’abbé de Barmond qui vous avait promis Ja vérité nue, lé compte le plus exact de tous ses sentiments, de toutes ses pensées, qui devait enfin vous ouvrir son âme tout entière, a cependant cru devoir vous cacher, par délicatesse sans doute, que le 16 juillet* il avait conduit le sieur Bonne à deux lieues au delà d’Athis; qu’il l’avait ramené le même jour chez lui ; que le sieur Bonne avait passé plusieurs jours chezM. deFoücâult; qü’il avait été l’y visiter; cjüe sa belle-sœur était allée l’y chercher le 25 juillet deux jours avant son départ : si, dans sa lettre datée de Ghàloûs, le 28, et dans sa déclaration insérée au procès-verbal du même jour, il insinue qu’il n’a pas vu le sieur Bonne qu’au moment de son départ; si M. l’abbé de Barmond qui, dans ses différents passeports, annonçait la compagnie de d�ux domestiques, pour mieux assurer, comme il l’avoue lui-même, la fuite du sieur Bonne; si, quoique magistrat, il a cru pouvoir protéger celte fuite, parce que le Châtelet n’avait pas décrété avant d’informer, et si de simples égards ont pu lui commander de telles réticences, et l’audience à de telles, erreurs; pourquoi ne pourrait-on pas penser qu’il n’a pas voulu non plus vous dire ce qu’il sait peut-être sur les faits qui ont préparé l’évasion du sieur Bonne pour ne pas compromettre et mener à l’échafaud deux ou plusieurs coupables. On calomniait des hommes puissants, et j’en avais la preuve, dit M. l’abbé de Barmond, la présence du sieur Bonne, bien loin d’être une preuve d’inhocènce, n’était-elle pas plutôt une confirmation des soupçons qu’il voulait repousser? M. l’abbé de Barmond se justifie d’avoir profégé la fuite du sieur Bonne, en disant que le mardi 26, le Châtelet, au lieu de décréter, s’était borné à ordonner l’information ; mais il n’ignore pas qu’un décret doit toujours être précédé d’information. M. l’abbé de Barmohd se plaint avec amertume du comité des recherches : s’il n’attaque que son institution, c’est contre l’Assemblée qu’il dirige sa plainte; si elle a pour objet l’exercice abusif de Ses fonctions, le comité doit en rendre compte* et dès que l’Assemblée l’ordonnera, il est prêt. M. l’abbé dë Barmond vous a dénoncé la conduite du sieur Julien. Ce jeune officier qui sert sa patrie avec zèle, intelligence et activité, jaloux de mériter votre estime* et d’écarter la défaveur même passagère que pourrait lui attirer une accusation aussi solennelle, â adressé à votre comité une lettre dans laquelle il repousse, avec autant de décence que de modération, la plainte de M. l’abbé de Barmond; la lettre du sieur Julien vous sera lue* Messieurs, tant pour sa justification, qüe pour expliquer la conduite sage et mesurée de la municipalité de Châtons. Après ces observations qui ont paru nécessaires, votre comité va réduire toute l’affaire à des propositions simples. M. l’abbé de Barmond est-il complice du délit pour lequel le siëur BOnhe-Savardin a été dénoncé au Châtelet? Est-il complice de l’évasion du sieur Bonne-Savardin? La liberté doit-elle lui être rendue? Quel parti doit prendre l’Assemblée à l’égard du sieur Eggss? Quant à la première proposition* il n’existe dans aucune pièce* il ne résulté d’aucune des recherches faites jusqu’à présent, aucune preuve* aucun indice, aucune trace même dé complicité à cet égard. En cë qui concerne là complicité de l’évasion du sieur Bonne-Savardin, votre comitéa cru devoir distinguer deux parties dans cette proposition, le fait et les circonstances de l'évasion, les suites dë l’évasion. Deux Particuliers travestis ën Officiers dé la garde ‘bàtidhdlë dë Paris, poftëürs d’un ordre évidemment falsifiés, oht fait sortir des prisons dë l’Abbaye le siëür Bonfie-Savardin. Etaient-ils tout à la fois inventeurs êt eAécutëürs de ce criminel stratagème? G’est ce que, jusqu’à présent, il n’a pas été pôssiüle de découvrir ; votre comité s’interdira même à ce sujet toute réflexion; il ne vêtit pas se livrer au calcul hasardeux, et souvent fautif des conjectures et des probabilité� Mais ce qtii lui paraît démontré, c’est que M. dë 232 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 août 1 90.[ Barmond a protégé de tout son pouvoir la fuite d’un homme depuis longtemps prévenu d’un crime de lèse-nation, dénoncé comme tel, et contre lequel le Châtelet venait d’ordonner une information, c’est que, autant qu’il était en lui, il a dérobé aux recbi relu s de la justice et à la vengeance des lois, le plus grand des crimes dans l’ordre social ; c’est que, sous le double rapport de magistrat et de représentant de la nation, la conduite de M. l’abbé de Barmond, dans cette circonstance, est non seulement une imprudence, non seulement une faute, mais un véritable délit. Si un mouvement louable de sensibilité le portait à accorder dans sa maison un asile au sieur Bonne qui le lui demandait; si le respect pour le droit d’hospitalité, sacré chez tous les peuples de la terre, exigeait qu’il ne le découvrît pas; si la prudence enfin et la crainte de se compromettre pouvaient engager M. l’abbé de Barmond à lui procurer un autre asile; aucun de ces motifs ne le portait à emmener son hôte hors du royaume; car chacun sent combien était illusoire la condition de le déposer sur les terres de France; on ne s’expose pas ainsi pour laisser son ouvrage imparfait. Les passeports de M. l’abbé de Barmond annonçaient deux domestiques qui pouvaient être représentés par les sieurs Bonne et Eggss; il le couvrait du manteau de son inviolabilité personnelle. Sans cette circonstance particulière et remarquable, comment penser qu’une voiture, sur une grande route, dans un temps de trouble et de défiance, ait pu paraître un asile suffisant pour un homme signalé, et qui devait être sans cesse agité de la crainte d’être reconnu et arrêté; et si les lois romaines, plusieurs même de nos anciennes ordonnances ont prononcé des peines graves contre ceux qui recélaient les voleurs, peut-on regarder comme innocent celui qui protège ouvertement la fuite d’un homme dénoncé comme prévenu du plus grand des crimes? Toutes ces considérations, Messieurs, ont porté votre comité à penser que la liberté ne pouvait pas être rendue à M. l’abbé de Barmond ; qu’il fallait attendre pour prononcer définitivement sur ce qui le concerne, le résultat des informations qui doivent être faites sur les auteurs, fauteurs et complices de l’évasion du sieur Bonne-Savardin, et que cependant, M. l’abbé de Barmond et M. de Foucault devaient être interrogés sur plusieurs des faits dont j’ai eu l’honneur de vous rendre compte. A l’égard du sieur Eggss, votre comité n’a rien trouvé dans toute cette affaire, qui fût à sa charge : M. l’abbé de Barmond lui avait donné une place dans sa voiture à la recommandation de M. l’abbé d’Aymar qui connaît sa famille; il ne paraît pas que lui-même ait connu le sieur Bonne-Savardin avant son départ pour Strasbourg, et votre comité vous proposera de réparer à son égard la fatalité des circonstances, en lui rendant promptement sa liberté. Lettre de M. Jullien, aide de camp de M. de La Fayette , à M. le président du comité des recherches de l'Assemblée nationale , en réponse aux reproches que lui a faits M. l'abbé de Barmond dans son discours. Monsieur le Président, Il me convient moins qu’à personne d’entrer en lice avec M. l’abbé de Barmond sur les faits qui peuvent intéresser sa justification. Le malheur de sa position ajoute d’autant plus au respect que je lui ai voué, comme membre de l’Assemblée nationale, que, je puis le dire avec vérité, dans l’exercice d’un devoir pénible, mon patriotisme, sans rien perdre de sa pureté, n’a rien diminué de ma sensibilité. Aussi, je suis bien éloigné de reprocher à M. l’abbé de Barmond une erreur de faits, à laquelle il ne s’est sans doute arrêté que parce qu’elle offrait un moment de soulagement à sa douleur. Mais je me dois à moi-même, autant qu’au titre précieux de soldat-citoyen dont je m’honore, d’enlever aux insinuations perfides de la calomnie, jusqu’au moindre prétexte d’altérer en rien la pureté du zèle des citoyens armés pour le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique. Je dois encore à l’Assemblée qui a daigné m’honorer de son approbation, de lui prouver, par un exposé simple et loyal, que j’ai fait ce que j’ai dû, et rien au delà. Le mardi, 27 juillet au soir, je reçois l’ordre de faire arrêter M. de Bonne, je fais les premiers pas pour l’exécuter. Le hasard m’indique la route que je dois tenir pour atteindre M. de Bonne, sorti de Paris six heures avant. Je le rencontre près de Châlons-sur-Marne; je ne poursuivais que lui : il était dans une voiture avec deux autres personnes, dont l’une se trouve être M. l’abbé de Barmoud. Je m’adresse sur-le-champ à la municipalité de Châlons; je lui fais part de l’ordre que j’ai reçu et des circonstances qui m’ont conduit à la suite de la voiture que je désigne. Je dénonce à la vigilance des officiers municipaux, qui? M. de Bonne: M. de Bonne, seul; je ne parle de M. l’abbé de Barmond qu’acciden-tellement, en rendant compte de tout ce que j’avais appris de M. Bonne et sur les circonstances de sa sortie de Paris. Mon ordre ne pouvait s’étendre à M. l’abbé de Barmond ; aussi je ne fais aucune réquisition à son égard. Mon devoir était rempli : je laisse le soin du reste à la sagesse de la municipalité. Elle fait arrêter M. de Bonne; elle croit sa prudence intéressée à s’assurer en même temps de ses deux covoyageurs. Elle dresse du tout procès-verbal, à la suite duquel elle me demande de consigner ma déclaration : il était de mon devoir de la faire. Contre qui est-elle dirigée? Contre M. de Bonne qui avait été le seul objet de ma réquisition. M. de Barmond y est nommé: pouvais-je le taire, lorsqu’il se trouvait nécessairement lié avec l’ordre des faits ? Cette déclaration est l’objet des reproches que me fait M. de Barmond. Je ne crois pas, comme on l’a fait circuler dans le public, qu’il ait songé à me rendre responsable de l’exactitude des faits que j’y ai déclarés sur la foi de ceux de qui je les avais recueillis; ce serait faire injure à sa loyauté que de lui supposer cette intention. Mais il se plaint du secret qui lui a été fait de ma déclaration ; il a fait imprimer que j'avais sollicité ce secret. Il m’en coûterait de le taxer ici d’injustice ; j'aime mieux croire que l’amertume des circonstances a égaré son imagination et aigri sa sensibilité contre celui qui n’a d’autre tort que d’avoir été la cause innocente et passive de son arrestation. J’avoue que, pour ne rien préjuger, j’ai cru de- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES� (23 août 1790.] 033 voir faire une déclaration aussi importante pour M. de Bonne, hors de la présence de tous ceux gui se trouvaient alors rapprochés de lui ; mais ici, comme dans toute la suite de mes démarches, j’ai laissé à la municipalité de Ghâlons la liberté la plus entière. Je n'ai point sollicité le secret , je n’avais aucun caractère pour le faire. Elle a jugé plus sage de garder ma déclaration secrète, jusqu’à ce que l’Assemblée nationale en eût autrement ordonné, et elle l’a jugé de son propre mouvement. Voilà, Monsieur le Président, les faits qui me concernent dans leur exacte intégrité. J’attends de votre justice que vous voudrez bien mettre cette lettre sous le yeux de l’Assemblée nationale ; j’espère qu’elle y verra une nouvelle preuve de mon exactitude à concilier tous mes devoirs avec l’exécution des ordres qui me sont confiés pour l’intérêt public. Je suis avec le plus profond respect, Monsieur le Président, votre très humble et très obéissant serviteur. Jullien. Le dimanche 22 août. P. S. — Je vous demande la permission, Monsieur, de faire imprimer cette lettre, dont des gens mal intentionnés pourraient altérer quelques expressions. M. Foldel, rapporteur , termine ainsi : Le comité des recherches, dont je viens de vous faire connaître les réflexions, me charge de vous présenter le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des recherches, décrète que son président se retirera par devers le roi, pour le prier de donner des ordres, afin que par le Châtelet de Paris, il soit promptement informé contre les auteurs, fauteurs et complices de l’évasion du sieur Bonne-Savardin, circonstances et dépendances, et les informations faites être envoyées cachetées à l’Assemblée nationale. « Décrète également que le sieur abbé Perrotin, dit de Barmond, demeurera provisoirement en état d’arrestation; et que cependant, tant ledit sieur abbé Perrotin, que lesieur de Foucault, l’un de ses membres, seront interrogés séparément par telles personnes qu’elle jugera à propos de désigner, les interrogatoires ou déclarations dudit sieur abbé Perrotin , dit de Barmond , en2Ûyées au Châtelet, s’il y a lieu : ordonne à son comité des recherches de remettre au sieur abbé Perrotin, sous sa décharge, l’argent et effets à lui appartenant, et déposés audit comité. « Décrète, enfin, que le sieur Eggss sera remis en liberté, à l’effet de quoi le roi sera prié de donner tous ordres nécessaires. » M. de Mi repoix. Dans quel pays despotique, monarchique, républicain, punit-on d’une peine afflictive celui qui fait évader un accusé qui n’est pas condamné? M. de Foucault. Je ne me serais jamais attendu à me justifier devant vous d’une bonne action ; je ne m’accuse pas, je me vante d’avoir fait, d’une part, ce que mon amitié pour M. Perrotin me prescrivait, de l’autre ce que l’humanité et la religion exigeaient de moi à l’égard de M. Bonne-Savardin. Je commence par mettre sous vos yeux les faits scrupuleusement conformes à la vérité. J’apprends dans le public qu'un infortuné, M. Bonne-Savardin, qui m’était absolument inconnu, avec lequel je n'avais aucune relation directe ni indirecte, s’est échappé des prisons de l’abbaye Saint-Germain. J’entends dire qu’il a rendu visite à M. l’abbé Perrotin ; j’entends dire, dans le même public, qu’on désapprouve mon ami; je cours chez lui, je lui représente qu’il s’expose; je l’engage à ne plus recevoir cet homme, mon ami s'ouvre à moi ; il me dit qu’il est prêt à profiter de mon conseil, qu’en effet il a reçu M. Bonne-Savardin, qu’il a fait plus, puisqu’il lui a donné asile. Il m’assure que les bruits répandus dans le public l'alarment, mais qu’il ne peut se résoudre à repousser un malheureux, à lui dire qu’il n'est pas en sûreté ; gu’il ne sait comment annoncer cette nouvelle à 1 infortuné qui a eu tant de confiance dans son humanité.Je dis à mon ami : Je ne suis pas comme cet Espagnol qui donnait pour tous secours des conseils à ceux qui lui demandaient l’aumône. Je veux coopérer à une bonne action et je donnerai retraite à M. Bonne-Savardin. Voilà toute la part que j’ai dans cette affaire. L’amitié m’ordonnait une semblable conduite. J’avais été élevé avec M. l’abbé Perrotin, j’étais' son collègue, je n’étais pas le maître d’agir plus froidement; l’humanité, la religion m’ordonnaient encore de venir au secours d’un homme malheureux et sans appui. Je ne serai jamais le geôlier, l’espion ni le dénonciateur de personne, d’un homme abandonné qui se livre tout entier à ma générosité. J’ ouvrirai les bras à l’homme infortuné même coupable. Mon ennemi vaincu trouvera en moi un appui, et je deviendrai son libérateur. La religion me prescrivait cette conduite. En effet, autrefois, elle offrait dans le royaume des asiles sacrés aux citoyens menacés de la rigueur des lois, et dans les empires où elle est encore en vigueur, elle a conservé ce beau privilège. (Il s'élève des murmures.) Oui, la religion... (Les murmures augmentent ; on entend ces mots : La superstition, le fanatisme !) M. de Foucault. Messieurs, rappelez-vous que dans cette circonstance, vous êtes mes juges et nonmesimprobateurs; vousm’improuverez quand vous m’aurez entendu. (On applaudit.) Je suis allé en Italie, en Espagne, à Malte, et je demande si la religion n’y est pas plus en vigueur qu’en France. Plusieurs voix : Non, non ! M. de Foucault. Si l’on ne m’avait interrompu au milieu de ma phrase, peut-être aurait-on vu quelques adoucissements. Si la religion a sacrifié le droit d’asile à la tranquillité publique, il n’en est pas moins vrai que c’est une bonne action que de soustraire un infortuné non décrété à ses oppresseurs. Toute maison d’un homme sensible doit devenir un temple. Telles sont les raisons qui m’ont déterminé à donner l’hospitalité à M. Bonne-Savardin. J’ai cru que si les comités des recherches ne savent pas bien fermer leurs prisons illégales, l’humanité, la justice doivent en profiter. Ces ordres arbitraires sont plus odieux que les lettres de cachet. Ce que j’ai fait, je le ferais encore; voilà mes principes. Au tribunal des âmes honnêtes, cette loyale profession de foi doit être mon unique défense. M. Bouchotte demande que la liberté soit provisoirement rendue à M. Perrotin, et le projet de décret du eomité entièrement écarté. Si l’on