112 ' ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE tans sur les frontières, soient entendus à la séance d’après-demain sans délai. Cette proposition est décrétée (96). 44 Un membre [Granet, de Marseille] demande qu’en même temps qu’on apprendra à Condé par la voie du télégraphe son changement de nom, la Convention nationale apprenne aussi à l’armée du Nord qu’elle ne cesse de bien mériter de la patrie. Cette proposition est décrétée ainsi qu’il suit: La Convention nationale décrète que l’armée qui a fait restituer Condé à la République, a bien mérité de la patrie (97). 45 On reprend la discussion. Le Cointre lit l’article VI. 6°. De s’être entouré d’une foule d’agens, les uns perdus de réputation, et les autres couverts de crimes; de leur avoir donné des pouvoirs en blanc; de n’avoir réprimé aucune de leurs vexations, et de les avoir au contraire soutenues. On demande les pièces. Le Cointre : Les pièces à l’appui de ce que j’avance, sont les dénonciations portées dans cette enceinte contre Fréron (sic) et autres, les décrets rendus contre eux et qu’on vous a fait rapporter. On observe que c’est Robespierre qui a fait rapporter le décret contre Fréron (sic) (98). BOURDON (de l’Oise) : Cette accusation porte contre Héron et Robespierre. Chacun sait que c’est Robespierre qui a fait rapporter le décret d’accusation contre Héron, qui avait été demandé par moi-même (99). Le Cointre lit l’article VII. 7°. D’avoir rejeté et laissé sans réponse un nombre infini de mémoires et de plaintes qui leur avoieht été adressés contre les agens oppresseurs; d’avoir pris leur défense, notamment celle de Fréron (sic), Sénard et autres; d’avoir à la tribune même de la (96) P.-V., XLIV, 233. C 318, pl. 1281, p. 36. Décret n° 10 632. Sans nom de rapporteur dans C* II 20, P-273. Moniteur, XXI, 632; Débats, n° 710, 233. (97) P.-V., XLIV, 233. C 318, pl. 1281, p. 37. Décret n° 10 634. Sans nom de rapporteur dans C* II 20, p. 273. Débats, n° 710, 233; Moniteur, XXI, 632; F. de la Républ., n° 423. (98) P.-V., XLIV 234. (99) Moniteur, XXI, 632; Débats, n° 710, 233. Convention, fait leur éloge, fait rapporter les décrets justement lancés contre eux, et d’avoir, par là, livré à la vengeance de ces monstres les hommes qui avoient le courage de les dénoncer. Les faits sont prouvés par une multitude de pièces et une foule de réclamations du département de Seine-et-Oise, et par vos décrets qui les ont accueillis, et que je rapporterai s’il est nécessaire (100). (On rit.) BOURDON (de l’Oise) : Je répète encore pour cet article que cette accusation porte sur Couthon et Saint-Just, qui ont fait rapporter les décrets d’arrestation dont on parle. Mais il n’est pas étonnant de voir cet homme, dans sa fureur délirante, dans sa rage diffamante, accuser nos collègues de délits dont se sont rendus coupables des hommes qui ne sont plus, lui qui a eu le courage de produire contre le tyran, trois décades après sa mort, un acte d’accusation qu’il avait gardé dans sa poche tant qu’il vécut (101). Le Cointre lit l’article VIII. 8°. D’avoir couvert la France de prisons, de mille bastilles; d’avoir rempli de deuil la République entière par l’incarcération injuste, et même sans motif, de plus de cent mille citoyens (on observe que la veille l’orateur avoit dit cinquante mille), les uns octogénaires, les autres infirmes, d’autres enfin pères de famille, et même des défenseurs de la patrie. Plusieurs membres estiment que cét article et le précédent portent sur Robespierre, Couthon et Saint-Just. BOURDON (de l’Oise) : Vous voyez combien cela est ridicule; chacun sait qu’une très grande partie des arrestations a été faite par les comités révolutionnaires, et qu’il s’en faut qu’elles aient monté à cent mille; et ici on veut les imputer à sept membres pour en rejeter l’odieux sur des hommes qui ont bien servi la patrie. GOUPILLEAU [de Fontenay] : Il est bon d’observer comme Le Cointre est sûr de ses faits : il ne varie en un jour que de cent mille à cinquante mille. FERRAND : On inculpe la révolution. CAMBON : Sans doute Le Cointre étendra son accusation contre tous les membres qui ont eu des missions dans les départements; car il n’en est aucun qui n’ait été forcé d’ordonner des arrestations. GARNIER (de Saintes) : L’improbation que vous avez manifestée sur cet article est bien fondée; car il renferme encore, s’il est possible, plus de perfidie que les autres. Il accuse tous les représentants; et quand les brigands de la Vendée menaçaient de s’étendre dans les dépar-(100) P.-V., XLIV, 234. (101) Moniteur XXI, 633; Débats n° 710, 233-234. SÉANCE DU 13 FRUCTIDOR AN II (30 AOÛT 1794) - N° 45 113 tements environnants, mes collègues et moi aurions-nous sauvé la patrie de cette déplorable invasion, si nous n’avions ouvert les cachots pour y mettre ceux qui nous eussent livrés à ces brigands ? ESCHASSERIAUX : Ce chef d’accusation est inscrit mot pour mot dans les gazettes de Londres; je l’ai lu. LE COINTRE : J’ai une pièce probante sur cet article; elle a été dans vos mains, vous l’avez vue et lue; c’est la déclaration faite par notre collègue Boucher-Saint-Sauveur, nommé membre du comité de Sûreté générale, qu’il donnait sa démission, voyant que les patriotes étaient opprimés, et qu’il ne pouvait ni défendre avec succès, ni soutenir ce spectacle déchirant. (Murmures.) Je n’ai pas fini, citoyens; un autre de nos collègues a également donné sa démission parce qu’il a vu les mêmes excès : c’est Guffroy; un troisième s’est aussi retiré, mais il ne m’en a pas communiqué les causes. BOURDON (de l’Oise) : Cet article est appuyé par les gazettes de Londres et par un homme qui est resté trente-six ans en Espagne, et a été espion du roi de Naples. GOUPILLEAU (de Fontenay) : Je ne suis pas étonné que Le Cointre cite Boucher-Saint-Sau-veur; il nous est venu demander, il y a quelques jours, quatre mises en liberté, dans lesquelles on comptait deux nobles et un ci-devant prêtre, et il a été refusé. Voilà peut-être le motif de l’écrit qu’il a communiqué à Le Cointre. LE COINTRE : Cet écrit est fait et connu de la Convention depuis six mois. LEGENDRE : Il ne s’agit pas ici d’inculper Boucher-Saint-Sauveur; mais s’il fallait parler de lui, j’aurais beaucoup à m’étendre sur ce qu’il a fait pour la révolution; je ne l’ai pas perdu de vue depuis qu’elle a commencé, et il a combattu sans relâche pour la liberté. Moïse BAYLE : Boucher-Saint-Sauveur, nommé membre du comité de Sûreté générale, soutint sans cesse l’aristocratie; et si ses errements eussent été suivis du comité, vous ne seriez plus ici : car vous n’ignorez pas que, par les mesures vigoureuses qu’il a prises, le comité de Sûreté générale a concouru à sauver la patrie. Après quelques débats, Le Cointre lit l’article IX. 9°. D’avoir induit en erreur leurs collègues en répandant le bruit, depuis que la loi cruelle du 22 prairial a été rendue, que cette loi avoit été l’ouvrage du seul Robespierre, qui ne l’avoit communiquée qu’à Couthon, tandis qu’ils avoient été avertis, même avant qu’elle passât, par des membres du tribunal révolutionnaire (Fouquier, les 14 et 15), des inconvénients graves qui en résulteroient. Voici une pièce certifiée par Fouquier-Tinville... [Ah ! ah ! murmures .] Ce même Fouquier, frappé aujourd’hui de l’indignation publique, vous nous l’avez proposé, il y quatre décades, pour continuer les fonctions d’accusateur public près le tribunal révolutionnaire. Le Cointre donne lecture de la pièce, dont voici l’extrait: « Il est encore un fait de la même importance. Quelques jours avant la terrible loi du 22 prairial, informé par des discours de Dumas et des jurés que les défenseurs officieux dévoient être supprimés, je me suis transporté au comité de Salut public, où je trouvai Billaud-Varenne, Collot d’Herbois, Barère et Carnot; je leur témoignai mes inquiétudes sur la loi qui se préparait : ils me répondirent que cela regardoit Robespierre. J’allai de suite au comité de Sûreté générale, où étoient Amar, Voulland, Vadier, Louis (du Bas-Rhin) et Lavicomterie, à qui je fis part de mes craintes sur la proposition qu’on devoit faire de cette loi : ils me répondirent qu’il étoit impossible qu’une pareille loi fût portée, et qu’ils verraient; cependant elle fut rendue quelques jours après ». On demande [Laloy] à qui cette pièce est adressée et la date. Le Cointre : Je suis membre de la commission que vous avez chargée de lever les scellés chez Robespierre et ses complices. Cette pièce a été remise par Fouquier à la commission, lorsque nous allâmes chez lui lever le scellé. Plusieurs voix: La date ! la date ! Elle n’est pas datée (102). BOURDON (de l’Oise) : Ce dernier article fait frémir. Comment ! c’est un homme objet de l’indignation publique et complice de Robespierre, que l’on va chercher pour mener à l’échafaud ceux mêmes que Robespierre avait désignés pour être ses victimes ! La date est connue; car la pièce a été remise à la commission, et la commission n’existe que depuis la mort de Robespierre. LOUCHET : J’interpelle Le Cointre de déclarer si, le jour où Fouquier-Tinville parut à la barre, lui, Le Cointre, ne dit pas, en le voyant : « Voilà un brave homme, un homme de mérite... » Pour donner à l’assemblée une idée de la confiance qu’elle doit avoir en ce qu’on lui rapporte de Fouquier-Tinville, je vous dirai que, le jour où il vint à la barre, nous apprîmes qu’il avait dîné chez Le Cointre; conséquemment il était lié avec lui. Qui le voit est son complice. LE COINTRE : Je vais répondre. Les papiers publics doivent faire mention que Fouquier-Tinville a dit qu’il avait dîné chez moi il y a quatre mois et demi; Merlin (de Thionville) y était aussi. Depuis .ce temps je n’ai pas vu Fouquier; d’ailleurs, il n’entre point dans mon caractère de regarder comme coupable un homme qui n’est qu’accusé; et comment voudriez-vous que je l’eusse regardé comme tel à (102) P.-V, XLIV, 235-236. 8 114 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE l’époque où il parut à la barre, vous qui, trois jours auparavant, l’aviez proposé pour accusateur public du Tribunal révolutionnaire ? FÉRAUD : On demande à Le Cointre quels étaient les six membres de la commission qui ont reçu avec lui les déclaration de Fouquier. LE COINTRE : Le procès-verbal est là. Un membre : Je demande à Le Cointre si aucun de ses collègues de la commission lui a permis de faire usage de ces pièces. BILLAUD : La pièce dont il s’agit ne prouve rien contre les accusés. D’abord il est dit que Fouquier-Tinville s’étant adressé, avant l’existence du décret du 22 prairial, à quatre membres du comité de Salut public, ils le renvoyèrent à Robespierre, qui était chargé de cette partie. Après que ce décret fut rendu, Fouquier vint faire des observations au comité de Salut public, et il dit que les trois membres qu’on accuse aujourd’hui gardèrent le silence, et que Robespierre lui ferma la bouche en disant qu’il tenait le langage de l’aristocratie. Le lendemain du jour où le décret du 22 fut rendu, décret qui est l’ouvrage de la Convention, puisqu’on en demanda l’ajournement et qu’on le discuta ici, il y eut au comité de Salut public une séance si orageuse que Robespierre pleura de rage, que depuis ce temps il ne vint plus que deux fois au comité de Salut public, et qu’afin que le peuple ne fût pas témoin des orages qui nous agitaient, il fut convenu que le comité de Salut public tiendrait ses séances un étage plus haut. LE COINTRE : Il est encore une pièce importante à l’appui du même article : c’est l’institution de la commission établie à Orange par arrêté du comité de Salut public du 21 floréal; il porte que « cette commission est nommée pour juger les ennemis de la révolution », et l’on réputé ennemis de la révolution tous ceux qui, par quelques moyens que ce soit, et de quelque masque qu’ils se soient couverts, ont cherché à lui nuire. La peine de mort est celle que prononce cette commission. Les preuves qui lui sont nécessaires sont « les renseignements qui peuvent convaincre un homme raisonnable et ami de la liberté ». Plusieurs voix : C’est là la règle du jury. LE COINTRE : « ... La règle des jugements est la conscience des jurés, leur but est le salut public. Les membres de la commission auront sans cesse les yeux fixés sur ce grand intérêt; ils lui sacrifieront toutes les considérations particulières; ils mèneront une vie isolée, garant le plus sûr de la pureté des juges, et qui, par cela même, leur concilie la confiance et le respect... » (On applaudit vivement.) Plusieurs voix : C’est très vrai. BILLAUD : C’est Couthon qui est l’auteur de l’arrêté qui établit la commission d’Orange; je ne sais si je l’ai signé; mais je déclare que, si je ne l’ai pas fait, je le ferai tout à l’heure (103). (103) Moniteur, XXI, 633-634; Débats, n° 711, 237-239. Après une assez longue discussion, on passe à l’article X. 10°. De s’être opposé, lors de la présentation de cette loi, à l’impression et à l’ajournement qui en avoient été demandés: les uns de l’avoir soutenue fortement, les autres d’avoir fait croire par leur silence qu’elle étoit l’ouvrage et le fait des réflexions méditées entre les deux comités, au nom desquels elle fut présentée. Ce qui prouve encore plus clairement que la loi du 22 prairial est l’ouvrage du comité entier, c’est un arrêté en date du 29 floréal, mis à exécution dans un département, renfermant textuellement les dispositions décrétées par la loi sanguinaire du 22 prairial. On demande les pièces (104). LE COINTRE : Deux jours après que cette loi fut rendue, je rencontrai Moïse Bayle et Amar dans le salon de la liberté; nous parlâmes de Robespierre : je dis que, s’il y avait cinquante hommes comme moi dans la Convention, le tyran ne serait plus; et à l’instant je tirai de ma poche l’écrit que j’ai publié depuis. L’un d’eux me dit que le comité de Sûreté générale n’avait pas voulu cette loi, parce qu’elle était tyrannique; ils ajoutèrent qu’il avait proposé vingt-et-une personnes pour remplir les fonctions de jurés au tribunal révolutionnaire, et que Robespierre les avait tous rejetés et n’y avait admis que ses créatures. Je leur dis alors: « Permet-tez-moi de monter demain à la tribune pour déclarer si la loi est l’ouvrage de Robespierre. » Ils m’arrêtèrent en me répondant que le temps n’était pas venu, et je répliquai que ces délais ne servaient qu’à faire guillotiner un plus grand nombre de citoyens. Depuis, je me suis toujours reproché et je me reproche encore de n’être pas monté à la tribune le lendemain du jour où je le voulais; mais je cédai, dans le temps, aux représentations de ces deux collègues et à celles d’Amar, qui me firent craindre de perdre la patrie. BOURDON (de l’Oise) : Tu veux faire regarder comme un crime un acte de prudence des deux comités. Si Robespierre eût été attaqué quinze jours plus tôt, la Convention et la liberté auraient été égorgées. BILLAUD : J’interpelle la conscience de Le Cointre de déclarer s’il pense qu’on aurait pu attaquer Robespierre avec avantage; s’il pense qu’on aurait pu l’attaquer avant la séance des Jacobins qui mit sa contre-révolution en évidence, et je lui demande où il était le 8, le 9, et dans ces moments où il fallait abattre le tyran. LE COINTRE : Je sais que nous étions dans un état de compression; mais qu’on demande à dix, vingt de mes collègues, si je ne leur ai pas fait la proposition dont je vous ai parlé; mais tous m’ont dit que le moment n’était pas opportun. (104) P. V., XLIV, 236. SÉANCE DU 13 FRUCTIDOR AN II (30 AOÛT 1794) - N° 45 115 Un membre : Je sors de dîner chez Vénua; j’y ai vu deux hommes que j’ai vus hier, deux hommes à figure aristocratique. J’appris là la prise de Condé; tous ceux qui étaient présents en ont été enchantés; il n’y a que ces deux hommes qui ont fait un mouvement différent des autres; ils se sont levés et sont venus à ma table en me disant : « Ce qu’il y a de plus important, c’est l’affaire de Le Cointre; comment va-t-elle ? - Mais, fort mal pour Le Cointre, ai-je répondu. (Applaudissements.) Hier il avait promis des preuves matérielles, et la Convention, qui veut que le peuple soit instruit, a ordonné qu’elles seraient lues aujourd’hui. Il en est maintenant au onzième chef d’accusation, et il n’a encore produit aucune pièce. -C’est faux, me dirent-ils, nous avons vu les preuves. - Cela n’est pas possible, leur répondis-je, puisque Le Cointre lui-même n’en a pas. » Ces gens-là me demandèrent ensuite si les sept membres inculpés étaient arrêtés. Ils terminèrent en me disant: « Que la Convention se garde de frapper Le Cointre; car nous sommes sûrs qu’il a raison, et la Convention s’en repentirait. » (Violents murmures.) DUHEM : C’est le 10 fructidor qui a été promis par Dubois-Crancé, Tallien et Fréron. CARRIER : Ceci s’adapte bien avec les dix mille scélérats qu’on vous a annoncé que Robespierre avait fait venir ici, avec les quatre mille militaires qui se trouvent à Paris, avec l’annonce faite l’autre jour aux Jacobins qu’on ferait un 10 fructidor, et qu’on se servirait d’assassins pour le faire. Quelques voix : Oui, oui. CARRIER : Qu’ils viennent ces assassins ! S’ils n’ont que Tallien à leur tête, il fera là comme il a fait à la Vendée; il restait constamment à Tours. LEVASSEUR (de la Sarthe) : Je n’étais pas ici à la mémorable journée du 10 thermidor; mais je me souviens que, le 10 messidor, je fus au comité de Salut public; j’y fus témoin que ceux qu’on accuse aujourd’hui traitèrent Robespierre de dictateur. Robespierre se mit dans une fureur incroyable; les autres membres du comité le regardèrent avec mépris. Saint-Just sortit avec lui. Je dois vous dire à l’égard de Saint-Just qu’il était venu à l’armée chercher les moyens de la faire battre, et pour tirer de là le prétexte d’accuser le comité de Salut public; mais je déjouai ses projets : j’ai cassé les quatre généraux sur lesquels il comptait. Je vous demande, après ce que je viens de vous dire, si l’on peut croire que les membres qu’on a inculpés ici étaient les partisans de Robespierre. Un membre : Fréron a dit que, s’il fallait tirer l’épée dans le sein même de la Convention, on le ferait. FRÉRON : Je sais très bien ce que j’ai dit aux Jacobins, non publiquement, car je causais avec Tallien et Dubois-Crancé, et nous étions indignés du ton qu’avait pris dans son journal, depuis le 9 thermidor, notre collègue Audouin; j’ai dit que, s’il existait dans la Convention un parti qui voulût opprimer la liberté, faire peser le glaive de la mort sur des représentants du peuple, ressusciter le système de Robespierre... Quelques voix : C’est vous ! FRÉRON : J’ai dit que, si ce parti existait, je me dévouerais pour le peuple et la patrie. A leur défaut [des pièces], Le Cointre lit l’article XI. 11°. D’avoir, dans l’affaire d’Hébert, Vincent et autres, arrêté l’effet d’un mandat d’arrêt lancé contre Pache, qui devoit être nommé grand juge par cette faction; d’avoir intimé à Fouquier, accusateur public, l’ordre non seulement de ne pas mettre à exécution le mandat d’arrêt, mais même de ne pas permettre qu’il soit parlé de Pache : d’où il est résulté que la parole a été interdite à ceux qui ont voulu parler de Pache, et même aux accusés lorsqu’ils ont demandé qu’il parût. LE COINTRE : Les preuves qui viennent à l’appui de cet article sont dans l’écrit de Fouquier et dans les pièces qui sont au greffe, sur lesquelles son mémoire est fondé. On infère des expressions dont, je me suis servi dans l’acte d’accusation que bientôt une autre faction paraîtrait et nommerait Pache grand juge; que je connaissais la faction de Danton. Je déclare n’en avoir eu d’autre connaissance que par les pièces; et comme la qualification de grand juge donnée à Pache ne me paraît pas une preuve suffisante qu’il dût l’être, j’ai cru devoir me borner à prononcer cette expression. Le mémoire de Fouquier-Tinville prouve aussi qu’on a interdit la parole aux témoins. ( Plusieurs voix : C’est Dumas !) LEGENDRE : Je dois rendre hommage à la vérité; j’étais un jour chez Pache; Ronsin et Vincent y étaient aussi. Je leur dis que, s’ils continuaient leurs projets liberticides, avant qu’il fût un mois leur tête tomberait. Je ne sais si c’est hypocrisie et lâcheté de la part de Pache, mais il leur dit : « Vous avez quelques fois écouté le chant de la révolution, et vous n’en avez jamais été dupes; écoutez-le encore, et vous vous en trouverez bien. » Lorsque ensuite Vincent et autres furent mis en jugement, et que les débats furent finis, je leur dis qu’ils étaient des monstres et des gueux; Pache m’embrassa et me félicita de mon énergie; si Pache m’a trompé, je ne crois pas qu’on puisse me regarder comme son complice. Plusieurs voix : Non, non ! CAMBON : Le fait qui vous est dénoncé porte sur tout le comité; je m’y trouvais un soir, dans le temps de l’affaire d’Hébert; Pache, qu’on avait envoyé chercher, s’y trouva aussi. Je fus témoin que Collot d’Herbois et Billaud lui firent des reproches très vifs, et le surlendemain il fut arrêté. BILLAUD-VARENNE : Le chef d’accusation de Le Cointre se trouve consigné dans le discours de Saint-Just, qui nous a accusés d’avoir anéanti la municipalité dans la personne de Pache. (On rit.) 116 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE TURREAU : J’annonce à la Convention que les deux individus qui se trouvaient à dîner chez Vénua, et dont on vous a parlé, viennent d’être arrêtés. (On applaudit.) BREARD : Je demande que les membres du comité de Sûreté générale se rendent sur-le-champ au lieu de leurs séances. VOULLAND : Je demande que les individus arrêtés soient envoyés au comité de Législation. L’Assemblée ne statue rien. Plusieurs voix : A un autre article ! (105). On passe aux autres articles. 12°. D’avoir, dans les mêmes vues d’injustice, et afin de sauver les coupables, empêché qu’il ne soit décerné des mandats d’arrêt contre Hanriot, général de la garde nationale parisienne; Mathieu, son aide-de-camp; Lubin, juge au tribunal du premier arrondissement, et Gobaut, substitut de l’accusateur du tribunal criminel de Paris; tous impliqués dans l’affaire d’Hébert, et qui depuis ont été guillotinés comme conspirateurs; et cela quoiqu’il y eût contre eux des charges graves qui furent communiquées par écrit au comité de Salut public, où elles sont restées : en conséquence la parole a été également refusée aux accusés comme aux témoins, lorsqu’ils ont voulu parler de ces individus. 13°. De n’avoir pas donné connoissance à la Convention de la lettre écrite par Fouquier le 15 germinal, lettre dans laquelle il expo-soit à la Convention que les accusés deman-doient à faire entendre seize députés, dont les dépositions prouveraient la fausseté des faits qu’on leur imputoit, et qu’ils en appe-loient au peuple en cas de refus; et d’avoir substitué à cette lettre un rapport mensonger, duquel les comités ont fait résulter que les accusés s’étoient mis en rébellion contre la loi; ce qui a déterminé le décret qui déclare que tout prévenu de conspiration qui résistera ou insultera à la justice du tribunal sera mis hors des débats et jugé sur-le-champ (106). LE COINTRE : Ce qui vient à l’appui de ces articles nous a encore été fourni par Fouquier-Tinville; nous avons trouvé copie de la lettre qu’il écrivait à la Convention. BILLAUD-VARENNE : Il faut que vous sachiez, citoyens, que, pour récompenser Fouquier des pièces qu’il fournit, on l’a déjà fait retirer de la Conciergerie et traduire à Sainte-Pélagie, sans ordre des comités. LEGENDRE : C’est parce qu’on a su que Fouquier avait été lié avec le concierge de la Conciergerie qu’on a craint la suite de cette intimité, et l’on a pris la précaution de le faire traduire au secret dans une autre prison. (105) Moniteur, XXI, 634-635; Débats, n° 711, 239-242. (106) P.-V, XLIV, 237. LE COINTRE : Voici comme s’explique Fouquier: « L’on semble me reprocher le jugement de Danton, Lacroix et autres; cependant j’avais écrit à la Convention nationale pour la prévenir que les accusés demandaient à faire entendre seize de leurs collègues (Le Cointre les nomme), et, en cas de refus, qu’ils en appelaient au peuple lui-même. Je ne devais pas m’attendre que, par un rapport infidèle, on changerait le sens et les expressions de ma lettre, et que Saint-Just, dans un rapport mensonger, déclarerait à la Convention que les accusés étaient en rébellion ouverte; ce qui a déterminé le décret qui les a mis hors les débats, dans le cas où ils résisteraient ou insulteraient à la justice du tribunal. » (Murmures.) Je suis ici l’organe des pièces. Un membre: Tu es l’organe de Fouquier-Tinville. LE COINTRE : Le rapport de Saint-Just a été fait au nom du comité de Salut Public, qui ne l’a pas désavoué. Plusieurs voix : Un autre article (107). 14°. D’avoir (Amar et Voulland), en apportant eux-mêmes ce décret, et en le remettant à Fouquier, dit : Voilà de quoi vous mettre à votre aise, et mettre à la raison tous ces mutins -là. La pièce qui vient à l’appui est un écrit non signé. Je vais vous dire quels sont les témoins qu’il faut faire entendre pour affirmer ce fait, que je tiens de Fabricius. DUHEM : C’est un grand ami de Danton. CARRIER : Protégé par Tallien. Il me l’a dit en présence de plusieurs de mes collègues de la commission, et du président du Tribunal révolutionnaire, qui me l’a lui-même certifié en me disant que nombre de personnes attachées à ce tribunal me l’attesteraient. Fabricius indiquera les témoins qu’il faut faire entendre. BOURDON (de l’Oise) : Remarquez que les preuves que l’on vous apporte sont toutes de Fouquier-Tinville, ou bien des lettres anonymes. Le Cointre lit l’article XV. 15°. D’avoir, lorsqu’il s’est agi d’affaires importantes, permis et même ordonné un choix de jurés hors les sections qui étoient au tour, afin de connoître ceux qui étoient connus pour les plus dociles. La pièce est un écrit remis par le même individu; les faits sont certifiés par des témoins et des jurés du tribunal. Plusieurs voix : C’est encore un écrit anonyme ! (107) Moniteur, XXI, 635-636; Débats, n° 711, 242-243. SÉANCE DU 13 FRUCTIDOR AN II (30 AOÛT 1794) - N° 45 117 Le Cointre lit l’article XVI. 16°. D’avoir (Amar, Voulland, David et Vadier), lorsque ces jurés étoient à la chambre des délibérations et que le bruit se répandoit dans le tribunal que la majorité étoit pour l’absolution des accusés, passé par la Buvette, dans une petite chambre voisine de celle des jurés, et d’avoir engagé Herman à les déterminer à juger à mort : ce que celui-ci, en entrant dans la chambre du conseil, a exécuté en parlant contre les accusés et en excitant ceux des jurés qui avoient voté pour la mort à menacer les autres du ressentiment des comités. On demande la pièce. Le Cointre répond que les témoins en déposeront (108). BRÉARD : Ce qui vient de vous être lu est encore dans l’écrit de Fabricius. VADIER : J’invoque le témoignage de ceux de mes collègues qui étaient avec nous dans cette journée; ils peuvent dire si j’ai parlé au président, aux juges ou aux jurés. THIRION : Le jour où la Convention prononça que les accusés qui résisteraient ou insulteraient à la justice du tribunal seraient mis hors des débats, j’étais dans le tribunal à côté de Vadier et de plusieurs de mes collègues; Vadier ne pouvait pas plus voir ce qui se passait que moi, il ne pouvait qu’entendre. Je montai sur une chaise; c’est alors que Danton m’aperçut et m’interpella de demander à la Convention que des témoins fussent entendus. Vadier resta avec moi jusqu’à la fin de la séance, et il n’a pas pu contribuer à faire condamner les accusés. AMAR : Je déclare à la Convention et à la France entière que les faits qui me sont imputés, à moi et à Voulland, sont autant de calomnies atroces. Nous étions, Voulland et moi, au tribunal, derrière les juges et les jurés, dans un espace très étroit et très resseré, au moment où l’on apporta le décret dont on parle; conséquemment, ce n’est pas nous qui l’avions apporté. Il est également faux de dire que Voulland ou moi ayons voulu influencer le président ou les jurés; car aucun de nous ne leur parla, et nous ne vîmes même pas Fabricius. DUHEM : Fabricius était le chien courant de Danton. VOULLAND : Je déclare aussi que je n’ai pas porté le décret dont il est question. Dans la nuit qui précéda le jour où il fut rendu, on apporta au comité de Sûreté générale une déclaration du nommé Laflotte, qui parut intéressante et faite pour jeter de la lumière dans la procédure. Les comités me chargèrent de la porter au tribunal; j’y fus avec Amar : je la remis à Hermann, qui me dit que les jurés s’étaient assemblés et qu’il ne pouvait pas entrer dans leur chambre. Je lui remis la pièce et je ne la vis plus. Je n’ai rien que la dénégation à opposer à un homme qui a souffert une (108) P.-V., XLIV, 238. longue détention, dont il accuse le comité mal à propos. AMAR : Tallien vient de me faire observer que j’ai commis une erreur. J’étais au comité des Procès-verbaux lorsqu’on vint y expédier le décret. Il est vrai que je le portai au tribunal, mais il est faux que je menaçai les juges. GARNIER (de Saintes) : C’est le comble de la scélératesse que de produire des lettres anonymes contre des représentants du peuple qui ont bien mérité de la patrie, qui l’ont déjà sauvée et qui la sauveront encore (vifs applaudissements); car la Convention ne craint ni les dangers ni la mort. (On applaudit encore.) DU ROY : Elle ne craint pas plus les poignards des intrigants. GARNIER : Je demande que l’on passe à un autre article, attendu qu’il n’existe aucune pièce à l’appui de celui-là (109). Après quelques débats, Le Cointre passe à l’article XVII. 17°. D’avoir plusieurs fois ordonné la mise en jugement de cinquante à soixante personnes en même temps pour des délits différents. Les pièces sont la notoriété publique et la déclaration de Fouquier-Tinville. Une voix : Ce sont toujours les mêmes. Un membre : Qu’est donc devenu ce monceau de pièces qu’on avait apporté hier à la tribune ? MAREC : Il faut que la France sache que les abominations qui ont été commises au Tribunal révolutionnaire, que les jugements qui enveloppaient en même temps l’homme du Nord et l’homme du Sud, sans s’être jamais vus, n’étaient avoués ni par la Convention, ni par les comités; c’était Robespierre qui combinait ces atrocités avec Fouquier-Tinville. (Applaudissements.) Plusieurs voix : Un autre article ! Le Cointre lit l’article XVIII. 18°. D’avoir ordonné à l’accusateur public de faire juger, dans les vingt-quatre heures, les prévenus de la conspiration des prisons : de sorte que cent cinquante-cinq personnes dénommées dans l’acte d’accusation du 18 messidor dévoient être jugées et périr le même jour; mais la crainte de l’opinion publique ayant fait naître quelques réflexions, il fut décidé qu’on les mettrait en trois fois. La pièce à l’appui est l’acte d’accusation dressé contre les prisonniers, en exécution d’un arrêté du comité de Salut public du 4 messidor ainsi qu’il l’exprime. BILLAUD-VARENNE : La Convention sait que Robespierre, pour marcher à la contre-révolution par la terreur, avait organisé une (109) Moniteur, XXI, 636-637; Débats, n° 711, 243-244. 118 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE police générale dont il s’était chargé exclusivement avec Saint-Just. Je vous ai dit hier que le comité de Salut public, instruit que l’on devait juger le lendemain cent soixante accusés; que le crime qu’on leur imputait était d’avoir essayé d’opérer la contre-révolution dans les prisons, où l’on disait que l’on avait introduit des armes; qu’à cette époque la faction d’Hébert comptait sur la conspiration des prisons, et tout le monde sait que ce moyen n’est pas inutile, puisque c’est pour avoir déversé dans la société quatre mille contre-révolutionnaires, qu’ils attaquent la liberté; le comité, dis-je, instruit de ces faits, demanda à Fouquier s’il était vrai qu’on dût juger le lendemain ces cent soixante personnes; s’il était vrai que l’échafaud fût déjà préparé. Fouquier convint du fait; l’indignation s’empara de tous les membres : on lui dit que c’était convertir la justice en boucherie. Le comité, instruit que l’échafaud dressé dans la salle du tribunal y existait encore, malgré les ordres qu’il avait donnés de l’abattre, manda de nouveau l’accusateur public, qui annonça sa destruction. Je demande que la Convention se fasse rapporter les arrêtés du comité; je défie qu’on y trouve les noms des accusés, comme on a osé l’avancer, à moins que cela n’ait été fait par Robespierre. Je rappelle à la Convention que Fouquier est convenu à la barre que, quoiqu’il vint tous les jours au comité de Salut public, il ne parlait jamais qu’à Robespierre. Je réitère la demande de faire apporter les registres du comité, afin qu’on connaisse la nature des arrêtés et quels en sont les auteurs. GOUPILLEAU (de Fontenay) : C’est à celui qui accuse à prouver. DUMONT (du Calvados) : Dans la première pièce, Fouquier a dit qu’ayant appris le projet de réduire le nombre des jurés, il alla faire part de ses observations au comité de Salut Public, où il trouva Billaud-Varenne, Collot d’Herbois et autres, qui lui dirent que cela regardait Robespierre. Or, il est avoué par Fouquier lui-même que c’était Robespierre qui conduisait le tribunal, Fouquier n’a pas ajouté qu’il se fût adressé postérieurement au comité, d’où il est clair que c’est lui qui avait tout arrangé avec Robespierre. VADIER : Fouquier ne rendit aucun compte de cette affaire au tribunal; mais, ayant vu dans les journaux une liste immense d’ouvriers, d’artisans qu’on avait fait guillotiner, j’en fus scandalisé; je lui demandai s’il voulait opérer la contre-révolution en faisant périr les gens du peuple, les patriotes, tandis qu’on laissait vivre des maréchaux de France, des émigrés, des ci-devant nobles, qui ont conspiré contre la patrie. On demande à passer à un autre article. Le Cointre lit l’article XIX. 19°. D’avoir souffert que les mêmes témoins, entretenus, nourris dans les prisons, et connus vulgairement sous le nom de moutons, déposassent à charge contre les prévenus : et l’on distinguoit parmi ces témoins, Ferrière-Sauvebœuf, ex-noble, et Leymerie, secrétaire particulier d’Amar. Ce fait est attesté par témoins. Le Cointre lit l’article XX. 20°. D’avoir démenti formellement les dénonciations faites contre Joseph Le Bon, représentant; d’avoir fait un rapport infidèle sur sa conduite, et d’avoir déguisé sa cruauté sous la dénomination de formes acerbes (110). BARERE : Citoyen, une dénonciation fut faite contre Joseph Le Bon; ce ne fut que cinq ou six jours après que le comité de Salut public, pressé par plusieurs personnes, se détermina à s’occuper de cette affaire. Robespierre jeune parla contre ce représentant du peuple; Robespierre aîné et Saint-Just parlèrent en sa faveur; dans cette entrefaite, des citoyens envoyés d’Arras inculpèrent de nouveau Le Bon, et furent appuyés par Guffroy : nous dîmes alors au comité : « il faut empêcher que des représentants du peuple se déchirent entre eux. » Je fus chargé de faire un rapport sur cet objet. Comme je ne connaissais pas particulièrement la conduite de Le Bon, je ne voulus pas faire un rapport judiciaire, mais seulement un rapport politique, pour empêcher les suites du déchirement qui se manifestait; mais en même temps que nous fîmes ce rapport, qui ne prononçait pas sur les inculpations qui avaient été faites par Guffroy contre Joseph Le Bon, nous dîmes à ce représentant du peuple : « Tu es destitué; tu iras seulement à Cambrai chercher les papiers qui sont nécessaires à ta justification. » Voilà ce que j’avais à dire sur Joseph Le Bon. BOURDON (de l’Oise) : La vérité est que les deux comités ne voulaient pas seulement laisser attaquer un représentant du peuple contre lequel il y avait des preuves de délit, parce que si on en eût livré un seul à Robespierre... (Murmures.) Au surplus, s’il y avait quelqu’un parmi nous qui eût commis les crimes de Le Bon, sans doute vous ne le croiriez pas lavé par un rapport semblable à celui qui a été fait sur ce citoyen. Le Cointre lit l’article XXI. 21°. De n’avoir point prévenu la Convention de l’absence de Robespierre du comité depuis quatre décades; d’avoir souffert que, nonobstant son absence, il ait continué de signer des actes; d’avoir caché les manœuvres que ce conspirateur avoit employées dans la vue de tout désorganiser, de faire des partisans et ruiner la chose publique. Plusieurs voix : Les pièces ! LE COINTRE : Ce n’est qu’au moment où Robespierre a été abattu que nous avons su qu’il y avait quatre décades qu’il était absent du comité; et dans la séance du 9, Billaud-Varenne vous a dit que, s’il avait un reproche à se faire, c’était d’avoir gardé le silence sur les crimes de Robespierre, et de ne l’avoir pas démasqué plus tôt. (110) P. V., XLIV, 239. SÉANCE DU 13 FRUCTIDOR AN II (30 AOÛT 1794) - N° 45 119 CAMBON : Citoyens, ici nous voyons une combinaison de méchanceté plus raffinée que celle de Robespierre lui-même : on fait un crime à nos collègues tantôt de n’avoir rien dit, et tantôt d’avoir parlé. Je demande que le comité fixe un délai dans lequel un membre d’un comité sera tenu de dénoncer tout collègue lorsqu’il s’en sera absenté. BILLAUD-VARENNE : L’absence de Robespierre du comité a été utile à la patrie, car il nous a laissé le temps de combiner nos moyens pour l’abattre; vous sentez que, s’il s’y était rendu exactement, il nous aurait beaucoup gênés. Saint-Just et Couthon, qui y étaient fort exacts, ont été pour nous des espions très incommodes. Je demande si on fait un reproche à Brutus d’avoir, pendant six ans, contrefait l’insensé pour abattre la tyrannie de Tarquin. Et pourquoi Le Cointre lui-même, qui avait un acte d’accusation contre Robespierre, n’a-t-il pas parlé plus tôt ? LECOINTE-PUYRAVEAU : C’est parce que Robespierre a été, pendant un mois absent du comité de Salut public, qu’il a été abattu. Il était beau de voir, pendant son absence, les hommes qu’il voulait perdre travailler au succès de la République; c’est pendant son absence que nos armées ont remporté de plus grandes victoires. Aussi Robespierre a senti lui-même qu’il fallait, pour attaquer les membres du comité, tourner contre eux ces succès; et c’est ce qu’il a fait, en alléguant que nos armées étaient dans la même position que du temps du traître Dumouriez, en voulant faire croire que nos généraux étaient des aristocrates. Robespierre attaquait Billaud, Collot d’Her-bois, Barère, parce qu’ils nuisaient à ses projets. Qui est-ce qu’on attaque aujourd’hui ? Billaud, Collot d’Herbois, Barère. Ne suis-je pas en droit de penser que ce sont les mêmes motifs qui ont dirigé l’accusation qui a été faite contre les mêmes représentants ? (111) 46 On suspend la discussion, pour lire la rédaction des décrets relatifs à la reprise de Condé, ainsi qu’il suit: Un membre, au nom du comité de Salut public, annonce à la Convention nationale que le télégraphe vient de lui apprendre la restitution de Condé à la République. La Convention nationale décrète que désormais cette commune portera le nom de Nord-Libre; que ce changement de nom sera annoncé à l’armée par la même voie du télégraphe, ainsi que le décret qui déclare que l’armée qui a concouru à la restitution de cette place, continue de bien mériter de la patrie. (ill) Moniteur, XXI, 637-638; Débats, n° 711, 244-247. Ann. Patr., n° 608; F. de la Républ., n° 423, 425; J. Fr., n° 705; J. Perlet, n° 709; M. U., XLIII, 220; Rép., n° 255. La Convention nationale décrète que ses comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, seront entendus demain et jours suivans sur les rapports qu’ils ont à faire sur la position affligeante des habitans des frontières où les brigands ont exercé leurs ravages, et sur les moyens d’y remédier (112). 47 Le citoyen Chappe, ingénieur télégraphe, écrit à la Convention qu’il vient de recevoir de son correspondant à Lille, par la voie du télégraphe, l’avis de réception de celui qu’il lui a donné par la même voie que la Convention a changé le nom de Condé en celui de Nord-Libre, et qu’elle a déclaré que l’armée qui a concouru à la restitution de cette place, continue à bien mériter de la patrie. La Convention nationale décrète que la lettre de Chappe sera inscrite au bulletin (113). Il est huit heures du soir : le président donne lecture de la lettre suivante: Paris, le 13 fructidor, l’an 2, à six heures et demie du soir. Je t’annonce, citoyen-président, que le décret de la Convention, relatif au changement de nom de la ville de Condé, et qui déclare que l’armée du Nord n’a pas cessé de bien mériter de la patrie, est transmis maintenant à Lille; j’en ai reçu le signal de réception : j’ai chargé mon préposé à Lille de faire passer ce décret à Nord-Libre par un courrier extraordinaire. Signé, Chappe, ingénieur-télégraphe (114). 48 Le Cointre lit l’article XXII. 22°. D’avoir permis que le général Lava-lette, Dufraisse et tant d’autres traîtres ou conspirateurs dénoncés dès longtemps aux comités ou frappés par des décrets de la Convention, soient restés à Paris, y aient obtenu de l’emploi; de les avoir mis ainsi à portée de commettre de nouveaux forfaits. Les pièces sont la condamnation de Lava-lette, et vos registres (115). Un membre : J’interpelle Duhem de déclarer si, l’année dernière, ayant été commissaire à l’armée du Nord, et étant à portée de juger de (112) P.-V., XLIV, 240, Bull., 13 fruct.; Débats, n° 710. (113) P.-V. XLIV, 240-241. C 318, pl. 1281, p.38. Décret n° 10 632 — Voir, supra, n° 43. Débats, n° 710; Moniteur, XXI, 638; Ann. R.F., n° 272; Ann. Patr., n° 608; F. de la République, n° 423; Gazette Fr., n° 973; J. S.-Culottes, n° 563; J. Paris, n° 609; J. Perlet, n° 707; Mess. Soir, n° 743; Rép., n° 255. (114) Bull., 13 fruct. (115) P.-V., XLIV, 241. Moniteur, XXI, 638; Débats, n° 711, 248.