[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 novembre 1789.] m quanta présent, à celle que vous devez à la Caisse d’escompte. La vente des domaines qu’on estime à 50 millions, et celle de 120 millions de biens ecclésiastiques dont la majeure partie pourrait être prise dans le ressort du Châtelet de Paris, suffirait aux besoins du moment, et vous aurez le loisir d’apprécier, par l’expérience, l’efficacité de cette ressource. Lors donc, Messieurs, que vous aurez décrété la vente de ces biens, et qu’un comité nommé par vous en aura fait l’état, il conviendrait que vous laissiez à la Caisse d’escompte la faculté de délivrer les billets d’achat, avec hypothèque spéciale sur tel ou tel fonds, à la demande des acheteurs ou prêteurs. Cette facilité peut rendre la négociation de ces billets infiniment rapide, et rapprocher, par conséquent, l’époque delà reprise des payements de la Caisse d’escompte. Je né m’étendrai pas plus longtemps, Messieurs, sur le plan que vous a présenté votre comité ; quelques objections qu’on puisse lui faire, vous devez le préférer, puisqu’il obtient l’adhésion d’un plus grand nombre de citoyens. Dans ces moments d’agitation et de troubles , au milieu de ces combats d’intérêts et d’opinions, aucun projet, aucune mesure ne peut réussir que par une 'grande réunion de zèle et de volontés. Tout sentiment déplacé d’amour-propre, toute espèce de vanité attachée à une opinion particulière, doit céder au désir du succès des projets adoptés, de quelque part qu’ils viennent. C’est dans cet esprit et avec le même intérêt que j’aurais porté à la réussite du plan que j’avais eu l’honneur de vous proposer, que je me suis réuni au plan de votre comité, sur lequel je vous engage à ne pas différer votre détermination. 3e ANNEXE à la séance de l’ Assemblée nationale du 27 novembre 1789. Opinion de M. Poâgiiol (1), député de la ville de Paris, sur le rétablissement provisoire des finances (2). Messieurs, quelles que soient les bases du rapport sur lequel vous aurez incessamment à prononcer, je pense qu’il sera d’autant plus digne de toute votre attention que, du plan que vous adopterez, que du plus ou moins de célérité de vos délibérations, peut dépendre ou le salut ou la perte de l’Etat. S’il ôtait nécessaire de remettre sous vos yeux les motifs trop réels de cette assertion, je vous dirais que votre commerce, que toutes vos manufactures sont aujourd’hui dans la plus affreuse inertie ; que dans les provinces comme dans la capitale, le discrédit est porté partout à tel point que le numéraire effectif est enfoui ou tout au moins que, par des inquiétudes, sans doute exagérées, il manque absolument à la circulation ; je vous dirais que par la presque cessation dés (1) L’opinion de M. Poignot n’a pas été insérée au Moniteur. (2) Craignant de ne point obtenir la parole, vu le grand nombre de personnes inscrites, j’ai cru, d’après l’avis de quelques honorables membres, devoir recourir à la voie de l’impression ( Note de M. Poignol). payements de la Caisse d’escompte à bureau ouvert, les effets publics sont tombés dans une sorte d’avilissement-, que par la même cause toutes les villes de commerce ne trouvent plus à négocier le papier sur Paris qu’à un prix excessif; que l’étranger partageant cette défiance, la défaveur actuelle dès changes, ou suspend nos opérations, ou nous force à des sacrifices énormes qui doubleraient encore, j’ose l’attester, si vous n’y apportez le plus prompt et le plus utile secours; je vousfiirais enfin que bientôt la Caisse d’escompte pourrait n’être plus en état de convertir en écus un seul de ses effets ; et ce n’est là qu’une faible esquisse de notre position. Je conviens avec vous, Messieurs, que quelque effrayante que soit cette position, il ne faut qu’un instant pour dissiper toutes vos inquiétudes. Je sais que celte heureuse métamorphose ne tient absolument qu’au choix du mode le plus propre à ranimer provisoirement la confiance. Déjà vous avez tous juré de consolider la dette : on ne peut donc douter de votre volonté; des ressources immenses sont sous vos mains : vous eu avez donc la possibilité, et cependant la confiance vous fuit encore... Ne vous en étonnez point, Messieurs; le peuple à peine échappé aux rigueurs de l’esclavage sous lequel il gémissait depuis si longtemps, ce peuple porté à l’égoïsme par un gouvernement toujours mobile, et trop souvent pervers; ce peuple, dis-je, justement timide et vacillant, doit hésiter à se livrer. Il faut donc lui faire connaître complètement et la grandeur de ses ressources, et la hauteur de ses destinées; mais, pour l’amener plus sûrement à cet état de conviction que vous avez droit d’attendre, ne vous y trompez pas, Messieurs, vous n’y parviendrez que par degrés. Vous en êtes réduits, permettez l’expression, à composer en quelque sorte avec lui. C'est d’après ces réflexions, que je vais examiner si les divers moyens qu’on vous a soumis pour rappeler la confiance, sont bien propres à remplir ce but important; le devoir m’impose de le faire avec autant de courage que de franchise, et je serai fidèle à cette double obligation. On vous a d’abord proposé, Messieurs, de faire un relevé du montant total de l’arriéré, en y comprenant même les avances de la Caisse d’escompte, pour le capital et les intérêts à 5 0/0 être remboursés par la voie du sort, dans l’espace de 20 années. Je conçois que l’auteur de cette proposition, qui d’ailleurs vous a donné tant de preuves de son zèle et de son patriotisme, a pu, porté par état à toutes les espèces de sacrifices, céder d’autant plus aisément à une erreur passagère; mais je lui demande comment il a pu se permettre d’englober dans son plan, je ne dirai pas la créance des actionnaires de la Caisse d’escompte, mais le gage sacré de leurs billets en circulation; comment il n’a pas reconnu qu’une telle disposition entraînerait bientôt les plus funestes conséquences; comment il n’a pas prévu qu’indépendamment des autres considérations , notre seul intérêt politique, nos seuls rapports avec l’étranger, s’opposeraient formellement à ce décret. Les murmures qui se sont élevés dans votre Assemblée ont trop clairement manifesté vos intentions, pour que je doive insister. Mais ce que je ne puis passer sous le silence, c’est l’hommage non suspect, quoique tacite, rendu, dans cette occasion, et au monarque et à vos décrets. Je ne serai ici, Messieurs, que l’écho de la capitale. Il n’est personne, tant soit peu versé dans le [27 novembre 1789.] 293 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. cours des effets publics, qui ne soit convaincu que si l’atermoiement de 20 années eût pu obtenir quelque crédit, tel effet qui perd aujourd’hui 10 0/0 sur la place en eût perdu 25 le lendemain. Eh bien! Messieurs, si vous jetez les yeux sur le cours des effets, à l’époque de cette proposition, vous n’y trouverez pas la moindre variation, et pourquoi ? c’est que la capitale n’a point oublié que le Roi, ce Roi qu’à si juste titre vous avez qualifié d honnête homme et de bon citoyen, a solennellement déclaré à son avènement au trône que, quelque énorme que fût la dette, il entendait qu’elle fût intégralement payée ; qu’à ce prix il consentait à toutes les économies, à toutes les privations. Plusieurs de vos décrets ont ratifié cet engagement à jamais mémorable; la capitale a dû s’y confier : sa conduite dans ces moments de crise vous est, ce me semble, la preuve la plus complète qu’elle ne saura jamais s’écarter des sentiments de zèle et de respect qu’elle vous doit. Je passe aux diverses propositions qui vous ont été faites de billets d’Etat, de billets nationaux, de papier-monnaie, et je commence par déclarer hautement que quelque dénomination que vous donniez à ces billets, quelque garantie que vous y attachiez, quelque hypothèque que vous fournissiez, lorsque vous ne les offrirez qu’en masse ; en un mot, que quels que soient vos efforts pour les accréditer, ils me paraîtront toujours insuffisants ; et si, comme je n’en doute pas, iis étaient infiniment dangereux, s’ils ne devaient qu’accroître le discrédit qui déjà nous mine sourdement par une exportation continuelle de notre numéraire à l’étranger, quels reproches n’auriez-vous pas à vous faire ? J’irai plus loin, Messieurs : je n’excepte de la liste de ces billets, ni ceux de la banque de M. de Laborde, ni le papier forcé du premier ministre des finances, si, comme il le propose, il était porté à 240 millions. Mais, pour mettre de l’ordre dans cette discussion, je m’occuperai d’abord du plan de M. de Laborde ; et désirant ne point abuser de vos moments, je ne me permettrai que de l’effleurer. Gomme vous, Messieurs, j’ai été frappé, lors de la lecture de ce plan, d’une foule d’idées lumineuses, de moyens économiques et sages ; et tout effrayé que j’étais intérieurement d'une création de billets de banque, je n’eu ai pas moins partagé l’enthousiasme de cette Assemblée. Mais quelle a été la cause essentielle de ce premier mouvement? Un seul rayon d’espoir (nous le savons tous) reste peut-être aux ennemis du bien public : c’est celui de voir notre crédit s’anéantir. Le nouveau plan a paru propre à dissiper ce fol espoir. A l’instant les applaudissements se sont fait entendre de toutes les parties de la salle ; un vœu unanime s’est manifesté, et ce vœu était l’effet bien naturel de votre patriotisme. Après avoir rendu un juste hommage et à la pureté des intentions de M. de Laborde, et à la grande utilité de diverses parties de son plan, j’avouerai que quelques autres ne me paraissent par exemptes de reproches. J’v remarque d’abord qu’indépendamment de l’intérêt annuel de 6 0/0, il serait formé, par l’excédant des bénéfices, un fonds d’accumulation qui porterait l'action de 4,000 à 4,200 livres, puis à 4,400 livres, et successivement à un taux beaucoup plus considérable : d’où je conclus que le nouveau plan deviendrait bientôt l’aliment perfide, la source la plus féconde de ce désordre trop fameux, connu sous le nom d’agiotage, et qu’à tant de titres vous avez résolu de proscrire. Mon avis est donc, dans le cas où ce plan vous paraîtrait dans la suite susceptible d’adoption, qu’ii conviendrait de fixer l’intérêt annuel des actionnaires à 6 0/0, sauf à appliquer l’excédant des bénéfices à l’accroissement des fonds destinés pour votre caisse d’amortissement. Comptable de toutes mes pensées, je dois ici, Messieurs, vous faire part d’une considération que j’ai crue de la plus haute importance. Qui vous dira que malgré vos précautions, la nouvelle banque ne deviendrait pas avec le temps le centre de toutes les espèces de crédit et de richesses? Qui peut prévoir les dangers qu’aurait à courir la liberté publique sous une telle dictature? Qui vous garantira que les efforts mêmes d’une nouvelle convention nationale ne viendraient pas se briser contre une masse aussi imposante? J’en appellerai donc à la motion de ce citoyen aussi distingué par ses talents que par son patriotisme, M. Ilœderer, et en l’appuyant, je demande formellement qu’il soit examiné si une telle banque peut convenir à notre constitution. En admettant que cette banque, circonscrite dans tous ses rapports, ne pût acquérir l’extension que je suppose, il n’en demeure pas moins constant, selon moi, qu’une émission quelconque de ses billets, dans un moment de défiance presque universelle, ne pourrait que tendre à la chute totale du crédit, et, par une suite nécessaire, à celle de toutes vos espérances. Un temps viendra sans doute, et ce temps n’est pas éloigné, où vous serez certains que quelles que soient vos tentatives en finances le plus entier succès devra les couronner. Mais, avant de vous livrer à une opération qui en embrassant tous vos vœux doit combler toutes les espérances, il est, ce me semble, digne de votre sagesse que vous ayez déterminé d’une manière précise Informe de l’impôt, que vous ayez établi le plus parfait équilibre entre la recette et la dépense, que vous ayez même réglé ce qui sera légitimement applicable à votre caisse d’amortissement. il convient encore que vous ayez organisé le pouvoir judiciaire dans toutes ses branches; que vos assemblées municipales et provinciales, achevant de rétablir partout l’ordre et la paix, aient imprimé au peuple le respect profond qu’il doit à la loi et au Roi ; il faut, en un mot, que cette constitution que chaque jour voit s’élever et se consolider soit arrivée à cet état de perfection si justement attendu de vos soins et de vos travaux. C’est alors, Messieurs, que l’intérêt de l’Etat et des particuliers n’étant plus qu’un seul et même intérêt, le crédit devancera nécessairement toutes les demandes que vous auriez à lui faire. C'est alors que l’opulence financière, que jamais l’impôt n'atteignit que faiblement, sera tout au moins forcée de féconder le commerce et l’agriculture; c’est alors que la nation française s’élevant, superbe de sa nouvelle splendeur, rendra les autres nations ses tributaires : eh ! qui pourrait calculer sous combien de rapports? C’est alors enfin, et ce sera votre plus douce jouissance, c’est alors, dis-je, que fixant plus particulièrement vos regards sur la classe indigente, sur cette classe si utile et tout à la fois si nombreuse, vous pourrez lui indiquer même le moment où, versant sur elle le bonheur, vous n’aurez plus à vous occuper de sa juste reconnaissance. Je vous l’observais tout à l’heure, Messieurs, ce moment n’est pas éloigné, mais il s’agit d’y atteindre ; et l’espace qui vous y conduit est en- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 novembre 1789.] 294 [Assemblée nationale.] vironné d’une multitude d’écueils. Vous jugez d’avance que, respectant les vues de ce ministre vertueux qui, à tant d’autres titres, a su fixer et mériter l’opinioti publique, j’ai dû le prendre pour guide dans celles que je viens soumettre à vos lumières ; ce sera donc son plan que j’adopterai, sauf les amendements dont je vais vous rendre compte : 1<> Je ne crois pas que vous deviez convertir la Caisse d’escompte en banque nationale, bien moins encore avec un privilège de 10, 20 ou 30 années. Le temps seul peut éclairer votre décision à cet égard. 2° L’émission proposée de 240 millions de billets de caisse, qui ne seraient autre chose qu’un papier-monnaie, me paraît infiniment dan-geureuse dans ses conséquences, si l’on considère surtout que la presque cessation du payement de ces billets est une des principales causes du discrédit actuel. 3° En supposant que la Caisse fût autorisée à faire en ses billets une avance de 170 millions, je ne vois pas comment il serait convenable de lui payer 3 0/0 d’intérêt pour un papier dont la nation fournirait elle-même le gage et se rendrait caution. 4° Dans un moment où l’Assemblée nationale a conçu l’espoir de réduire sous peu d’années l’intérêt de l’argent à 4 0/0, je suis loin de penser qu’elle pût se décider à garantir aux actions de la banque un intérêt de 6 0/0 de leur capital, sous cette faible considération que la moitié des bénéfices excédant 7 0/0 appartiendrait à l’Etat. 5° Malgré la proposition qui vous a été faite par l’honorable membre M. Le Gouteulx, d’inviter les municipalités des principales villes du royaume à prendre un certain nombre de nouvelles actions, dont la création doit s’élever à 12,500, j’ai peine à me persuader qu’on parvienne à les placer au prix de 4,000 livres, les anciennes y étant, y compris le prochain dividende, à plus de 250 livres au-dessus. Une preuve que le ministre des finances en a lui-même fortement douté, c’est qu’il a cru devoir vous exposer les divers moyens qui peut-être décideraient les acquéreurs; mais en telle occurrence, il me semble qu’on ne peut s’abandonner à une aussi cruelle incertitude. 6° Enfin parmi les inconvénients du plan proposé, le plus grave à mes yeux , c’est qu’on ne peut môme déterminer (le premier ministre en convient) l’époque à laquelle on payerait les billets à bureau ouvert. C’est aussi cet inconvénient, dont les effets m’ont paru incalculables, que je me suis surtout occupé de lever, et, si j’en crois les assurances qui m’ont été données par quelques personnes des plus expérimentées en matière de crédit, le mode que je vais indiquer doit nécessairement y conduire. Je le proposerai donc comme un amendement essentiel au pian du ministre, et je ferai en sorte d’unir la clarté à la simplicité. Je demanderais : 1° que l’Assemblée nationale, de concert avec le Roi, autorisât par un décret formel la Caisse d’escompte à ouvrir un emprunt de 2Ü0 millions, payables moitié en effets royaux, les mêmes que ceux indiqués pour l’emprunt de 80 millions, ou, si on croyait utile de donner plus de latitude à cette disposition, en tous autres effets sur le Roi. 2° Il serait délivré en échange par la Caisse d’escompte, et jusqu’à concurrence de ces 200 millions, des reconnaissances motivées, remboursables par voie du sort, au terme moyen de 2 ans, c’est-à-dire dans les six derniers mois de 1791, et les six premiers mois de 1792, à raison d’un douzième pour chaque mois, et par le fait la Caisse deviendrait particulièrement caution de ce remboursement. 3° Chaque reconnaissance serait garnie de deux coupons, représentant chacun l’intérêt d’une année et ces coupons seraient payables, savoir : le premier au 31 décembre 1790, par ordre de numéros, de telle sorte qu’ils fussent tous acquittés dans le courant de janvier suivant ; le second, dans la même forme, au 31 décembre 1791, ou, si vous le jugiez plus convenable, à la même époque qu’arriverait le remboursement de la reconnaissance à laquelle il appartiendrait. Ces intérêts seraient stipulés à raison de 5 0/0 du capital; ce qui est parfaitement conforme à vos principes. 4° Au moyen de la rentrée prochaine des 100 millions en billets de caisse ou espèces, la Caisse d’escompte se remplirait de 90 millions qui lui sont dus au 31 décembre et qui , vous le savez, Messieurs, sont le gage sacré de la plupart de ses billets en circulation. Les 10 millions d’excédant seraient versés au Trésor national pour ses besoins les plus urgents, sauf par la Caisse d’escompte, à les répéter pour le payement des intérêts, dont il a été question ci-dessus. A l’égard de 100 millions d’effets sur le Roi, ou ils seraient aussitôt la rentrée complète, brûlés publiquement, ou ils demeureraient en dépôt à la Caisse d’escompte, sous son cachet, et celui de l’Assemblée nationale, pour n’être brûlés qu’après l’entier payement des 200 millions de reconnaissances. Vous jugez que dans les deux cas le Trésor public devrajt, aux époques désignées, faire compte à la Caisse de 10 millions représentant l’intérêt des deux années des 100 millions d’effets royaux, puisqu’il en serait dégagé d’autre part , et le serait alors définitivement. Ces dispositions, pourrait-on objecter, seraient-elles suffisantes pour déterminer les prêteurs, lorsque l’emprunt de 80 millions, qui offrait à peu près les mêmes avantages, n’a pas réussi ? Ici, Messieurs, en convenant avec vous que le plus grand de tous les malheurs serait d’échouer dans ce moment, que par cette raison aucune tentative ne doit paraître indigne de votre prévoyance, je n’hésiterai pas à vous déclarer que, si vous voulez attirer graduellement la confiance, il n’est plus qu’un seul moyen : c’est de fournir des gages spéciaux, d’entasser gages sur gages, et alors il devient impossible que vous n’en soyez bientôt investis. Je proposerais donc qu’indépendamment et du cautionnement de la Caisse d’escompte, et du dépôt des IU0 millions d’effets sur le Roi, votre décret contînt la délégation spéciale et la plus formelle, en faveur des porteurs des nouvelles reconnaissances, d’une somme de 2U0 millions à prendre sur les fonds de la contribution patriotique, après toutefois le prélèvement de celle de 75 millions, qui seraient destinés aux besoins extraordinaires de 1790. Mais, diront encore les prêteurs, qui nous répondra que cette contribution supposée, d’après le rapport du comité des finances, devoir être de 275 millions, et que vous prenez pour base, s’élèvera même à 200 millions? Le temps des illusions n’est plus ; il convient de répondre net à ces prêteurs. Je voudrais donc que, pour garantie la plus constante de leurs remboursements aux époques déterminées, le même décret portât encore l’aliénation de certaines portions des biens domaniaux ou ecclésiastiques, tels, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [27 novembre 1789.] par exemple, pour cette dernière partie, que les emplacements des maisons religieuses supprimées, ou de tous autres immeubles non productifs; et dans le cas où suivant les déclarations qui seront incessamment faites pour la contribution patrioque, elle n’offrirait point un gage suffisant, le décret qui y aurait pourvu, autoriserait la vente de ces biens jusqu’à due concurrence, le tout au plus offrant et dernier enchérisseur, et sous la surveillance de douze membres de l’Assemblée nationale. Je le demande maintenant, quel est le porteur d’effets suspendus qui, ne pouvant se défaire qu’à 15 ou 20 0/0 de perte, ne ferait pas les derniers efforts pour se procurer une somme équivalente et échanger le tout au pair contre les titres immeubles qui lui seraient offerts? Quel est le capitaliste qui, osant se parer du titre de citoyen, voulût que son nom ne se trouvât pas inscrit dans la nombreuse liste des amis de la patrie, je veux dire dans la liste des prêteurs, que j’estimerais devoir être rendue publique? Quel est enfin l’individu aisé, quelque défiant qu’on le suppose (car on sait que les ressources ne manquent point), qui pourrait ne pas se décider à placer dans cet emprunt, lorsqu’il aurait pour gages, et les 100 millions de l’actif réel de la Caisse d’escompte, et les 100 d’effets royaux qui y seraient déposés, et les. produits de la contribution patriotique, excédant les 75 millions nécessaires pour le service de l’année prochaine, lorsqu’en un mot il aurait privilège spécial sur tels ou tels immeubles, dont la vente serait décrétée ? Si l’on doutait encore de l’efficacité de ces moyens, j’avoue qu’une émission modérée des billets de la Caisse d’escompte qui, comme l’observe le premier ministre, jouissent déjà d’un crédit d’habitude, serait peut-être notre seule ressource, en l’appuyant sur une création de nouvelles actions ; et dans ce cas, prorogation nécessaire de l’arrêt de suspension au moins pour quelques mois. lime reste à examiner l’emprunt proposé, soit dans'ses rapports avec la Caisse d’escompte, soit dans ses résultats pour la chose publique ; et c’est à quoi je vais procéder. Au 31 de ce mois, la nation devra aux actionnaires de la Caisse d’escompte 90 millions. Au lieu de les leur rembourser, ce qui ne pourrait s’effectuer, au moins pour le moment, qu’en papier-monnaie quelconque, la nation attendrait encore du zèle de ces mêmes actionnaires qu’ils consentissent à ouvrir pour son compte un emprunt de 200 millions, dont ils se rendraient subsidiairement caution. A Dieu ne plaise, Messieurs, que je prétende élever ici le plus léger doute sur le dévouement total que vous ont manifesté si hautement les actionnaires de la Caisse d’escompte, dans leur adresse du 20 novembre dernier ! Mais je soutiens qu’à part ce dévouement, leur intérêt seul, et, j’ose le dire, leur intérêt le plus pressant, les porterait nécessairement à voter pour cette opération. Que pourraient, en effet, se dire à eux-mêmes les actionnaires de la Caisse d’escompte? Il nous est dû 90 millions, qui peut-être nous seraient rentrés bien difficilement; et voilà que, par les mesures les plus douces, nous devenons certains de les recevoir dans un court délai, soit en espèces, soit en nos propres billets. Dans l’un et dans l’autre cas, à peine les premiers versements se seront faits dans notre caisse, à peine on jugera de la possibilité du payement de nos billets à bureau ouvert, que nous serons les maîtres d’y satisfaire. (Et qui ne connaît à cet égard l’empire de l’opinion?) Dès lors notre établissement reprend son ancienne vigueur ; dès lors, et c’est l’objet de tous nos vœux, cesse cet arrêt de suspension, qui nous a occasionné tant de sollicitude. Il est vrai, pourraient se dire encore les actionnaires de la Caisse d’escompte, que nous serions caution de 200 millions de reconnaissances par nous délivrées ; mais le décret qui nous y autoriserait nous offrirait l’hypothèque la plus inviolable; le dépôt en nos mains des 100 millions d’effets royaux nous en serait, au besoin, le supplément; ét, de plus, ces 100 millions étant rendus à la circulation par le placement si facile de nos reconnaissances, le cours des effets publics et ceux des changes reprenant la faveur qui leur est due, le numéraire étant forcé de reparaître, la confiance enfin se rétablissant par degrés, jusqu’où ne s’élèverait pas alors la contribution patriotique ! Qu’il me soit permis, Messieurs, de vous soumettre une dernière considération : il n’est, ce me semble, aucun obstacle, l’Assemblée nationale étant permanente, à ce que la Caisse d’escompte devienne, sous votre surveillance, ou le receveur particulier que vous indique M. Necker, ou le caissier général qui vous est proposé par M. de Laborde. Je ne vois pas plus d’inconvénient à ce que les dépôts judiciaires y soient incontinent versés (1) ; et sij comme je le pense, la réunion de ces diverses ressources mettait incessamment à jour le payement des rentes de l’Hôtel de Ville, de combien d’avantages ne serait pas suivie cette nouvelle disposition ! Je n’en ai jamais douté, Messieurs, sous un Roi juste et bienfaisant, sous un ministre sage, fouies les espèces de biens vous seront possibles. Heureux mille fois si j’ai pu vous offrir quelques moyens d’y concourir! La plupart des articles du décret que j’aurais à vous proposer se trouvant développés dans Je cours de mon opinion, il m’a paru inutile de vous les rappeler ici; j’ajouterai seulement avec M. l’évêque d’Autun que toute question sur l’établissement d’une banque me paraît devoir être ajournée ; avec M. Anson, qu’en cas d’admission d’un papier quelconque, les billets de la Caisse d’escompte me paraissent préférables à tous autres ; enfin, avec M. d’Eymar, que, quel que soit le parti à prendre sur les finances, vos délibérations doivent être suivies sans interruption, et malgré l’ordre du jour. (1) Peut-être m’objectera-t-on qu’à ces divers titres la Caisse d’escompte pourrait être tentée de mettre à haut piix ses services, ou que tout au moins elle pourrait acquérir une importance dangereuse. Je répondrai : 1° que ces concessions ne seraient que provisoires ; 2° que de nouveaux statuts, que les luis les plus positives la circonscriraient toujours dans les pius justes limites; 3° enfin que, lors même qu’un citoyen se sacrifie pour la patrie, je crois fermement que la patrie ne lui doit que justice, et je ne ferai à aucun des actionnaires de la Caisse d’escompte l’injure de soupçonner qu’il désavouerait l’austérité de ce principe.