529 [Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 octobre 1790.] ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. MERLIN. Séance du dimanche 10 octobre 1790 (1). La séance est ouverte à onze heures du matin. M. le Président fait donner lecture de deux adresses: L’une est du sieur Lombard, par laquelle il fait hommage à l’Assemblée nationale des différents ouvrages qu’il a publiés pour l’instruction de ses élèves dans l’art de guérir, et surtout de celui qui est actuellement sous presse, sur la maladie syphilitique ; L’autre est présentée par les élèves du cours gratuit de langue anglaise, par laquelle ils offrent à l’Assemblée la traduction en anglais des droits de l’homme et du citoyen. M. Emrnery, président , avant de céder le fauteuil à son successeur, dit: « Messieurs, je ne dois pas suspendre le cours de vos travaux pour vous parler de ma vive reconnaissance ; il est impossible que vous en doutiez. « Je cède à un collègue distingué par des connaissances étendues et par de grands services, une place presque aussi difficile qu’elle est honorable. « Votre juste confiance est fondée aujourd’hui sur tout ce qui est capable d’en inspirer. « Vous ne pouviez attendre de ma part que zèle et droiture; je ne vous avais promis qu’un dévouement sans bornes à cette volonté générale dont vous me constituiez l’organe. « Je m'estime très heureux, Messieurs, si vous pensez que je n’ai ni trompé votre attente, ni manqué à ma promesse. » M. Merlin, nouveau président , prend le fauteuil et prononce le discours qui suit: « Messieurs, étonné de me voir appelé par vos suffrages à un poste aussi honorable qu’il est difficile, je cherche à me rendre compte des motifs qui ont pu, dans ce moment, fixer sur moi des vœux accoutumés à ne s’arrêter que sur le mérite le plus éminent, et ces motifs, je crois, se trouvent dans l’immense progrès que l’esprit public a fait chez nous. Il a été un temps, il n’est pas encore éloigné, où, même parmi les hommes moins asservis aux préjugés de l’ancien régime, les talents seuls et les talents les plus distingués obtenaient des applaudissements et des honneurs ; mais aujourd’hui que tous les citoyens sont redevenus ce qu’ils étaient par la loi sacrée et imprescriptible de la nature, égaux en droits et fiers, vous voulez qu’un zèle ardent et pur pour la chose publique ait aussi sa récompense : c’est le zèle que vous récompensez aujourd’hui d’une manière si flatteuse, et, je le répète, si étonnante pour moi. Mais, Messieurs, si ce zèle m’a suffi pour mériter votre approbation et vos bontés, il ne me suffira pas pour remplir dignement une place que tant de grands exemples ont rendu redoutable à ma faiblesse ; et puisque votre in-�1) Celte séance est incomplète au Moniteur. lrô SÉRIE. T. XIX. dulgence m’y élève, que votre indulgence daigne m’y soutenir; qu’un grand et majestueux calme accompagne vos délibérations; qu’un même esprit vous dirige dans le reste de votre glorieuse carrière; qu’un même sentiment vous porte rapidement au terme si désiré de vos travaux, et surtout qu’une réunion franche et intime fasse disparaître du milieu des amis de la liberté, jusqu’aux dernières traces de cette fatale division qui, naguères, alarmait la patrie, et faisait briller sur le front de ses ennemis les sinistres rayons d’une joie coupable ; alors, Messieurs, ma reconnaissance, déjà sans bornes, ne trouvera plus d’expressions pour l’énoncer : mais l’Etat sera sauvé, la nation sera à jamais libre, à jamais heureuse, et nous songerons bien moins à parler qu’à jouir ». (L’Assemblée vote des remercîments à M. Em-mery.) M. 'Wimal-Flouvat demande et obtient un congé d’un mois pour affaires très pressantes. M. le Président. L’ordre du jour est un rapport du comité d' aliénation sur les conditions né-cessairespour rendre efficaces les soumissions d'acquérir des biens nationaux , faites par les municipalités . M. Boutteville-Dumetz, rapporteur , donne lecture de son rapport sur les ventes aux municipalités (1). Il est ainsi conçu : Vous désirez, Messieurs, et votre comité de l’aliénation ne désire pas moins vivement que vous, donner la plus grande activité, le mouvement le plus rapide à la vente des domaines nationaux. C’est l’objet constant de ses méditations et de ses efforts. Votre comité de l’aliénation ne désespère pas de parvenir à en abréger les délais, à en simplifier les formes. Sous peu de jours il vous présentera ses vues sur ce point. Mais ce n’est pas ce dont il a aujourd’hui à vous entretenir; il ne vous parlera en ce moment que de ce qui concerne les ventes aux municipalités. Le décret qu’il vient solliciter de votre sagesse n’a pour objet que de régler définitivement, que de compléter en quelque sorte cette partie importante de l’opération. Le 16 juillet votre comité vous a exposé que les soumissions des municipalités excédaient déjà de beaucoup les 400 millions auxquels,vous avez sagement borné l’aliénation en faveur des municipalités. Il vous observait en même temps qu’un certain nombre des municipalités avait satisfait à vos décrets et envoyé la désignation des biens qu’elles voulaient acquérir, mats que plusieurs s’étaient contentées d’énoncer vaguement le désir d’acheter les biens situés dans un tel arrondissement, et que beaucoup d’autres avaient seulement offert une somme sans désigner aucun objet. Dans ces circonstances l’Assemblée nationale a statué : 1° Qu’il serait passé outre aux ventes et rendu aussitôt après les opérations préalables et nécessaires, des décrets translatifs de propriété en faveur des municipalités qui avaient fait des soumissions avec désignation spéciale des objets de leurs demandes ; 2° Que celles des municipalités qui n’avaient (1) Le rapport de M.Boutteville n’a pas élé inséré au Moniteur. 34 Ô80 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 octobre 1790:] pas donné de désignations seraient tenues de les faire parvenir au comité avant le 15 septembre, et qu’après ce terme elles ne seraient plus reçues à concourir à l'acquisition des domaines nationaux que comme de simples particuliers ; 3° Que les municipalités qui n’avaient pas formé de demandes pourraient encore faire leurs soumissions dans les mêmes formes et les mêmes délais; 4° Enfin, que le 1er octobre votre comité de l’aliénation vous rendrait compte du tout et vous mettrait en état de statuer définitivement sur l’exécution complète de l’aliébation aux municipalités. Vous avez donc aujourd’hui, Messieurs, à fixer irrévocablement leur sort; Il en est qui ont profité de l’avertissement et qui ont fait passer au comité, avant le 15 septembre, la désignation des objets qu’elles veulent acquérir. Il semble, au premier coup d’œil, que rien n’est si simple que le règlement à prononcer, et qu’il ne doit êtrequestion que d’admettrede préférence à l’acquisition des domaines nationaux les municipalités qui ont satisfait aü décret du 16 juillet, et de décider, entre elles, par la priorité de dates de leurs soumissions ou de l’envoi des désignations. Mais plusieurs raisons impérieuses et décisives rendent cette première idée, si simple en apparence, absolument inadmissible : 1° La valeur des objets demandés n’est pas connue ; elle ne peut être certaine et constatée que par des estimations préalables, ou par la représentation et l’examen des baux par devant les directoires de district et de département ; aucuns décrets translatifs de propriété ne peuvent donc intervenir en faveur des municipalités avant et sans ces opérations préliminaires ; 2° Rien ne peut assurer que les municipalités qui ont envoyé des désignations avant le 15 septembre, et qui, à cet égard, se sont mises en règle, seront également exactes et soigne uses à faire promptement procéder aux estimationsd’ex-perts, ou à l’évaluation sur le pied des baux ; en un mot, à remplir les préalables nécessaires pour obtenir de l’Assemblée nationale des décrets translatifs de propriété ; 3° Des particuliers peuvent désirer acquérir des biens compris dans la soumission d’une municipalité. Cependant lorsque cette municipalité a fait par sa soumission même, ou que, conformément à votre décret du 16 juillet, elle a envoyé avant le 15 septembre la désignation des objets de sa demande, il semble qu’elle a acquis une force de priorité, et que les biens par elle demandés ne peuvent être transmis que par son canal aux particuliers, ce qui formeun obstacle réel à l’empressement de ceux qui veulent acquérir. Or, on conçoit combien il serait contraire à l’intérêt national, contraire à l’intérêt si pressant de l’opération importante de l’aliénation des domaines nationaux, que des municipalités pussent la retarder par leur fait, par leur propre négligence. Et qu’dn ne propose pas d’adjuger d’abord les objets demandés et spécialement désignés aux municipalités qui se sont mises en règle avantle 15 septembre, et de partager ensuite le surplus des quatre cents millions au marc la livre entre toutes les municipalités soumissionnaires. Non seulement il serait toujours possible de rendre des décrets d’aliénation en faveur de municipalités qui ne feraient point parvenir les estimations et opérations préliminaires, mais l’exécution de cette idée serait encore impraticable, puisqu’avant que les calculs de proportion pussent être faits, la répartition arrêtée, il faudrait toujours que les estimations et évaluations préalables fussent envoyées à votre comité. Et vous voyez, Messieurs, cjüe l’intermédiaire des municipalités, au lieu d’être, ce que l’Assemblée nationale a voulu, un moyen d’accélération, deviendrait alors la cause nécessaire d’un mouvement rétrograde, et apporterait aux ventes un retard, et à toute opération un dommage incalculable. Quelques réflexions, Messieurs, ont frappé votre comité. Vos décrets ont offert deux grands avantages aux municipalités, l’occasion de bien mériter de la patrie, et de trouver dans ses bienfaits la récompense de leur patriotisme. Nous sommes loin de penser qu’aucunes soumissions aient été de simples spéculations d’intérêt ; mais il est du moins permis dé croire qüe les municipalités dont les soumissions ont réellement été dictées par l’amour du bien public ne le céder ont à aucune en vigilance, en activité. Quel doit être doDC ici le principal droit aux avantages offerts par vos décrets, le véritable titre de priorité ? Ce sont les actes d'une diligence efficace, d’une activité vraiment utile à l’intérêt national. Votre comité, Messieurs, est donc convaincu qu’il ne vous proposera que des dispositions aussi sages que justes, en vous invitant à consacrerici quatre règles principales. La première serait de fixer irrévocablement un terme après lequel toutes les soumissions qui n’auront pas été suivies daDS le délai prescrit, des désignations, des estimations ou évaluations préalables et nécessaires demeureront absolument sans effet. La seconde, que celles des municipalités qui les premières feront parvenir à votre comité les estimations d’experts ou les évaluations sur la représentation desbaux, seront aussi celles en faveur desquelles interviendront de préférence les décrets translatifs de propriété, et que la date de l’arrivée de ces opérations au comité de l’Assemblée nationale, sera le premier titre de priorité. La troisième, que toutes choses égale d’ailleurs, c’est-à-dire que dans le cas où plusieurs municipalités concourraient pour la date de l’envoi des estimations d’experts et évaluations, la priorité sera décidée par les dates ou des premières soumissions ou de l’envoi des désignations. Par une quatrième vous assureriez aux municipalités lesavantages auxquels elles peuvent prétendre, et la promptitude des aliénations. Votre comité a pensé que ces quatre règles concilieraient tout à la fois la justice due aux municipalités et l’intérêt national. Peut-être enfin, croirez-vous encore convenablç de rappeler aux municipalités que celles qui n’ont pas satisfait aux dispositions du décret de 16 juillet dernier, ne peuvent se promettre aucun effet des soumissions vagues et indéterminées qu’elles avaient souscrites. Votre comité propose, èn conséquence, les articles qui suivent : PROJET DE DÉCRET. Art. 1er. Conformément aux dispositions du décret du 16 juillet, les municipalités qui n’ont pas désigne, par leurs soumissions, les objets de leurs demandes ou qui u’en ont pas envoyé la désigna-