ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] [4 août 1789. 349 province s’empresser d’accéder au vœu national, dont ils allaient lui faire part. Tous U s députés d’Artois imitent la générosité des autres provinces, en abandonnant, sous la réserve de la ratilîcation de leurs commettants, le régime particulier des Etats, assuré parles capitulations faites avec Louis XIV. MM. de Latour-Maubourg, d’Estourmel et de Lnoictli expriment personnellement leur renonciation à cette forme d’Etats, qui a rendu l’administration du pays en quelque sorte héréditaire, et propre à un petit nombre de familles nobles de l’Artois. L’un d’eux s’applaudit d’avoir pu prévenir l’instant actuel, en renonçant, dans le sein même des Etats de la province à cette antique prérogative attachée à ses domaines. Les députés du Boulonnais adhèrent à la déclaration de l’Artois, et sont imités par ceux de Calais et d’Ardres. Les gouvernances de Lille, Douay et Orchies renoncent également au privilège d’avoir leurs Etats, et demandent une administration provinciale à l’Assemblée. Les députés de la Flandre maritime déclarent aussi renoncer à la forme de leur administration actuelle, en exprimant le même vœu. Le député du Cambrésis annonce que les trois ordres de sa province, soumis dans tous les temps à une contribution aux impôts, entièrement égale entre eux, ne peuvent qu’acquiescer de nouveau aux vues de justice de l’Assemblée. Cet hommage est renouvelé par un député présent, au nom de M. le duc d’Orléans, baron de Commines, et par M. le comte d’Ëgmont, baron de Vaurins. M. Talaru de Chalmazel, évêque de Cou-tarœes, faitaussi, en son nom, le sacriticedu droit de déport, réservant à ses archidiacres l’exercice du leur, tant qu’ils’ne l’auront pas abandonné. M. le duc de Liancourt propose que l’Assemblée décrète qu’il soit frappé une médaille pour éterniser la mémoire de V union sincère de tous les ordres, de l’abandon de tous les privilèges, et de Tardent dévouement de tous les individus pour la prospérité et la paix publiques. L’Assemblée le charge du soin de surveiller l’exécution de ce vœu patriotique. Un membre de la noblesse de Sens vote pour u’une députation soit adressée au Roi, à l’effet e lui porter l’hommage des sacrifices dont ses vertus ont inspiré l’idée, et fourni l’occasion à la nation. Plusieurs officiers de justice, parlant au nom de tous, s’approchent du bureau, et essayent de percer la foule des députés qui, empressés d’ap-norter leurs diverses renonciations, en couvraient les degrés, et d’élever la voix pour exprimer l’abandon des privilèges de leurs charges, n’aspirant qu’à la considération d’un service agréable et utile à la nation. Dans cet instant, un député de Franche-Comté, d’accord avec ceux de Provence, propose l’extinction de la vénalité des offices; l’Assemblée accueille cette idée avec transport; plusieurs députés de la province y joignent le vœu de la suppression de leur parlement. M. do Frétenu, conseiller au parlement de Paris, saisit ce moment pour offrir aux représentants de la nation l’hommage respectueux des cours souveraines. Il dit qu’après le sacrifice si noble que le monarque a fait de l’espèce de prérogative dont il était en possession, relativement à la législation, il ne restait rien aux officiers de sa cour à offrir à la nation, qui fût digne d’elle et de ses glorieux exemples; qu’à peine osait-il lui présenter et la prier d’accepter, comme il faisait pour lui et ses collègues, le faible sacrifice de quelques vaines prérogatives de charge, le committimus, l’hérédité des offices, la noblesse transmissible, quelques exemptions pécuniaires; mais que ce qui était en leur pouvoir, ce qu’ils regardaient comme un devoir sacré, dont ils donneraient l’exemple à tous, ils le promettaient par son organe, savoir : un dévouement sans bornes à l’exécution des lois nationales, une étude de tous les jours et une application infatigable pour en connaître l’esprit, pour en étendre et en assurer l’empire, et surtout pour fonder et affermir dans le cœur des justiciables qui leur seraient assignés ce respect profond pour les droits de l’homme, qui a dicté en ce moment au prince, aux ecclésiastiques, aux nobles, aux illustres corporations des grandes cités, aux provinces entières, tous les sacrifices qu’exigent la liberté, la sûreté, l’honneur et la propriété de tous les habitants du royaume. Le député du Beaujolais se rapproche du bureau pour stipuler la réforme des lois relatives aux corporations d'arts et métiers, dans lesquelles les maîtrises sont établies, et leur perfectionnement et réduction aux termes de la justice et de l’intérêt commun. Un député de Blois avait déjà réclamé pour Légalité absolue des peines portées contre tous les coupables, et pour que le droit de toutes les classes de citoyens à être admis à tous les emplois ecclésiastiques, civils et militaires, fût reconnu et déclaré. Un député ecclésiastique de Lorraine a aussi formé le vœu, qu’en demeurant uni de’ cœur et d’esprit au chef de l’église, on stipulât la suppression des annales. MM. Duvernay, curé de Villefrancheen Beaujolais, Ooulard, curé de Roanne, et Mathias, curé d’Eglise-iNeuve, annoncent l’intention de remettre lés bénéfices dont ils jouissent, pour s’en tenir àleur cure.Un grand nombre de leurs collègues réclament sur ce point l’exécution des canons. Alors M. Leelerc de Julgné, archevêque de Paris , se lève, et demande que l’Assemblée ordonne qu’un Te Deum soit chanté dans la chapelle du Roi, en présence de Sa Majesté et de tous les membres de l’Assemblée nationale. M. de Lally-Tollendal. Messieurs, il faut terminer cette séance comme vous l’avez commencée et comme vous l’avez remplie. Il faut y mettre un dernier sceau digne d’elle et de vous. Je ne sais si mon cœur m’entraîne trop loin ; mais s’il se trompait, j’en accuserais cette ivresse dont votre patriotisme le remplit : je ne crois cependant pas qu’il s’égare. Messieurs, au milieu de ces élans, au milieu de ces transports qui confondent tous nos sentiments, tous nos vœux, toutes nos âmes, ne devons-nous pas nous souvenir du Roi? du Roi qui nous a convoqués, lorsque les Assemblées nationales étaient interrompues depuis près de deux siècles ; du Roi qui nous a invités le premier à cette réunion fortunée que nous venons de consommer ; du Roi qui nous a abandonné de lui-même tous les droits que sa justice a recppnq 350 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ne pas devoir conserver ; du Roi enfin qui est venu se jeter dans nos bras, et qui, ce matin encore, nous offrait et nous demandait une constante et amicale confiance ! Dans ce beau jour, que chacun recueille sa récompense, que chacun ait son bonheur ; que le bonheur public en soit le dernier résulat ; que l’union du Roi et du peuple couronne l’union de tous les ordres, de toutes les provinces et de tous les citoyens. C’est au milieu des Etats généraux que Louis XII a été proclamé Père du peuple. Je propose qu’au milieu de cette Assemblée nationale, la plus auguste, la plus utile qui fut jamais, Louis XVI soit proclamé le Restaurateur de la liberté française. La proclamation a été faite à l’instant par les députés, par le peuple, par tous ceux qui étaient présents et l’Assemblée nationale a retenti pendant un quart d’heure des cris de vive le Roi ! vive Louis XVI, restaurateur de la liberté française ! La séance s’était étendue bien avant dans la nuit, quand M. le président, après avoir pris le vœu de l’Assemblée, suspend le cours de ces déclarations patriotiques, pour en relire les chefs principaux, et les faire décréter par l’Assemblée, sauf la rédaction ; ce qui est exécuté sur l’heure à l’unanimité, sous la réserve exigée par les serments et les mandats de divers commettants. Suivent les articles arrêtés. Abolition de-la qualité de serf et de la mainmorte, sous quelque dénomination qu’elle existe. Faculté de rembourser les droits seigneuriaux. Abolition des juridictions seigneuriales. Suppression du droit exclusif de la chasse, des colombiers, des garennes. Taxe en argent, représentative de la dîme. Rachat possible de toutes les dîmes, de quelque espèce que ce soit. Abolition de tous privilèges et immunités pécuniaires. Egalité des impôts, de quelque espèce que ce soit, à compter du commencement de l’annéo 1789, suivant ce qui sera réglé par les assemblées provinciales. Admission de tous les citoyens aux emplois civils et militaires. Déclaration de l’établissement prochain d’une justice gratuite, et de la suppression de la vénalité des offices. Abandon du privilège particulier des provinces et des villes. Déclaration des députés qui ont des mandats impératifs, qu’ils vont écrire à leurs commettants pour solliciter leur adhésion. Abandon des privilèges de plusieurs villes, Paris, Lyon, Bordeaux, etc. Suppression du droit de déport et vacat, des annales, de la pluralité des bénéfices. Destruction des pensions obtenues sans titres. Réformation des jurandes. Une médaille frappée pour éterniser la mémoire de ce jour. Un Te Deum solennel, et l’Assemblée nationale en députation auprès du Roi, pour lui porter l’hommage de l’Assemblée, et le titre de Restaurateur de la liberté française, avec prière d’assister personnellement au Te Deum. Les cris de vive le Roi ! les témoignages de l’allégresse publique, variés sous toutes les formes, les félicitations mutuelles des députés et du peuple présent, terminent la séance. [8 août 1789.] Avant de la lever, M. le président lit une* lettre qui lui est écrite par Mi\l. Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux, Le Franc de Pompignan archevêque devienne, et M. le comte de LaTour-Du-Pin, appelés par le Roi au ministère. Elle est conçue en ces termes : « Monsieur le président, appelés par le Roi dans ses conseils, nous nous empressons de déposer nos sentiments dans le sein de l’Assemblée nationale. « Les marques de bienveillance dont nous avons été comblés depuis l’instant heureux de notre réunion, et surtout notre fidélité aux principes de l’Assemblée nationale, et notre respectueuse confiance en elle, sont les motifs les plus capables de soutenir notre courage. « Nous ne perdrons jamais de vue que, pour bien répondre aux intentions du Roi, nous devons toujours avoir présente à la pensée cette grande vérité, que l’Assemblée nationale a ramenée, et qui ne retentira plus en vain: que la puissance et la félicité des rois ne peuvent dignement s’asseoir et durablement s’affermir que sur les fondements du bonheur et de la liberté des peuples. « Daignez, monsieur le président, être notre interprèle auprès de l’Assemblée, et lui offrir, en notre norn, la protestation sincère de ne vouloir exercer aucune fonction publique qu’aulant que nous pourrons nous honorer de son suffrage, et conserver notre dévouement à ses maximes. « Nous sommes avec respect, etc. « Signé: -{* J. G., arch. de Vienne ; J.M., arch. de Bordeaux , Latour-Dü-Pin. » (On applaudit.) La séance est suspendue à deux heures après minuit, et continuée à demain midi. ASSEMBLEE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHAPELIER. Séance du mercredi 5 août 1789 (1). M. le Président déclare la séance ouverte. M. le bailli de Crussol dit : Messieurs, permettez-moi d’avoir l’honneur de vous rendre compte d’un fait très-simple, arrivé hier, mais que les circonstances peuvent rendre de quelque importance. L’absence de M. le comte d’Artois ayant permis de donner des congés à plusieurs de ses gardes du corps, des palefreniers ont été chargés, à mon insu, par le major et le commandant de l’hôtel, de porter les mousquetons des gardes absents dans leur salle au château; ils portent l’inscription des gardes du corps, et l’on m’assure qu’ils sont au nombre de vingt. Ges palefreniers, qui ont vu sortir de l’hôtel des gardes, où sont aussi mes écuries, ma voiture vide qui venait me prendre au château pour me mener dîner dans la ville de Versailles, ont (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.