ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 1789. J 574 [Assemblée nationale.] M. de Clermont-Tonnerre. La Constitution résulte de la balance des pouvoirs ; il n’y aura pas de balance sans permanence dans l’Assemblée nationale. La souveraineté réside essentiellement dans la nation ; s’appesantir davantage sur cette vérité, ce serait vouloir prouver l’évidence. Dans les circonstances actuelles il faut que l’Assemblée des représentants soit une. Les sacrifices qu’il faut faire à la patrie exigent cette unité. Sans cette réunion, les sacrifices de ces droits, qui se cachent dans les replis de ce qu’on appelle ancienne féodalité, n’auront jamais lieu. Mais à présent que tous les sacrifices sont faits, il faut se prémunir contre les oscillations populaires, qui causent souvent les plus grands malheurs. Avant de prendre un aplomb, on doit être d’autant plus en garde, qu’il existe une classe d’hommes méchants qui ne trouvent leur compte que dans les innovations, et qui n’aiment qu’à faire le mal. Pour conserver, il faut d’autres motifs que pour créer et détruire. Les représentants doivent toujours être en garde contre la précipitation, contre la séduction. De là, j’opinerais pour deux Chambres, sans que l’une eût droit de veto sur l’autre ; le Sénat sera chargé de l’examen, la Chambre des représentants de proposer des lois. Pour établir la balance des pouvoirs, il suffit, ce me semble, de la permanence de l’Assemblée nationale, de la responsabilité des agents du pouvoir exécutif; et pour que celui-ci ne puisse avoir rien à craindre du pouvoir législatif, je suis d’avis d’accorder au roi le veto absolu. Je me résume ainsi : La liberté et la tranquillité de la France exigent la permanence des Assemblées. Une Chambre unique étant d’une activité et d’une force irrésistibles est nécessaire pour tout créer. Jamais l'hydre aux trois têtes n’aurait permis de faire une Constitution ; mais tout doit changer pour l’avenir : il faut plus de moyens pour conserver que pour acquérir ; et la précipitation doit être évitée dans un Corps législatif. Il faut des moyens modérateurs, et pour cela joindre à la Chambre nationale un second corps, mais sans veto absolu ; ce serait les armer l’un contre l’autre ; le veto de la seconde Chambre doit être seulement suspensif, et produire un second examen avant de former la loi. Je ne donne rien à la naissance et au rang dans la composition du Sénat. La distinction de l’âge ui, comme le sort, n’afflige personne, étant 'ailleurs le signe de l’expérience, doit être le caractère des sénateurs ; mais point de places héréditaires ni viagères ; renouvellement des élections tous les deux ans ; point de renouvellement partiel, source d’aristocratie et d’esprit de corps. 11 ne faut qu’un esprit national. Examinant ensuite s’il peut y avoir indépendance entre deux pouvoirs constitués, je pense qu’il faut l’établir, et ne donner ni à l’un ni à Fautre le pouvoir de se détruire. Si l’un des pouvoirs avait un empire absolu sur l’autre, vous verriez dissoudre l’état monarchique. J’opine pour la permanence et la sanction intacte. La séance se lève à deux heures et demie, et M. le président annonce la séance pour le lendemain neuf heures. ANNEXE à la séance deV Assemblée nationale du 4 septembre 1789. RAPPORT Fait au comité des droits féodaux le 4 septembre 1789, sur l’objet et V ordre du travail dont il est chargé. Par M. Mcrlisi, député de Douai à V Assemblée nationale, secrétaire dudit comité (1). (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale). Messieurs, chargés par l’Assemblée nationale, sous le titre de comité des droits féodaux , de préparer les matériaux des lois qu’elle doit faire pour l'exécution d’une partie des décrets arrêtés les 4, 6, 7, 8, 10 et 11 août, nous ne pouvons mieux commencer notre travail que par une détermination précise, et de son objet, et de l’ordre auquel il convient de l’assujettir. L’objet de notre travail n’est pas équivoque. Les droits féodaux sont soumis indéfiniment à no? recherches et à notre examen ; et vous savez, Messieurs, que quoique ces mots, droits féodeaux, ne désignent, dans leur sens rigoureux, que les droits qui dérivent du contrat de fief, et dont l’inféodation même est le principe direct; on ne laisse pas, dans l’usage, d’en étendre la signification à tous les droits qui, se trouvant le plus ordinairement entre les mains des seigneurs, forment par leur ensemble ce que Dumoulin appelle complexum feudale (2). Ainsi, quoique les rentes seigneuriales, les droits de champart, les corvées, les banalités, les prestations représentatives de l’ancienne servitude, etc., ne soient pas, à proprement parler, des droits féodeaux, nous ne laisserons pas de nous en occuper ; j’ose même dire que les laisser à l’écart, ce serait tromper les vues du décret de Y Assemblée nationale qui a établi notre comité. Par la même raison, les droits de justice doivent entrer dans le cadre de nos travaux, non-seulement parce que les justices seigneuriales dérivent de la féodalité et se sont établies avec l'hérédité des fiefs (3), mais encore parce qu’il y a plusieurs provinces où s’est conservé l’ancien axiome, la justice suit le fief , et il n'est point de fief sans justice. Nous ne devons pas même exclure de notre examen les rentes purement foncières que lMs-semblée nationale a déclarées rachetabjes. L’achat de ces rentes sera naturellement soumis a des règles communes à celui de quelques prestations seigneuriales ; et dès lors il n’y a nulle raison pour ne pas nous occuper des unes en même temps que des autres. Quant à l’ordre qui doit diriger nos recherches et nos discussions, il ne faut, pour le bien con-(1) Le rapport de M. Merlin do Douai n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Sur la coutume de Paris, tit 1, g 51. Gl. 1, n° 1. (3) Il n’y a guère que Loyseau qui ait prétendu que la justice et le fief ont toujours été deux objets séparés. Le comte de Boulainvillers, l’abbé de Fleury, de Lauri'ere et le président de Montesquiou, qui connaissaient s bien les monuments anciens de notre droit public, assurent tous, au contraire, que dans l’origine, la juridiction suivait toujours le fief, et il est impossible de se refuser aux preuves qu’ils en donnent,