318 [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2o janvier 1790.] fermiers de ces droits tiennent un registre des perceptions, qu’ils seront tenus d’exhiber aux officiers municipaux, à leur réquisition. M. Dubois de Crancé. Je propose que ce décret soit rendu sans préjudice des capitulations faites avec les Suisses. M. le Président met aux voix ce dernier amendement, qui est adopté. L’Assemblée décide, sur la demande de M. Po-pulus, que le décret sera applicable à tout le royaume. Les autres amendements sont adoptés, excepté celui qui concerne les visites domiciliaires et les déclarations, dans lesquelles l’Assemblée déclare qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. Legrand. Quant aux cantines militaires, je propose la question préalable, parce que cet usage en faveur des militaires ne peut pas être l’objet d’un décret. M. le vicomte de Moaillcs. Vous voulez augmenter la solde lies troupes, mais vous diminuez lajouis-sance et la paye du soldat; si vous innovez sur les usages des troupes en activité de service dans les garnisons, quartiers ou voyages, il faut ajouter simplement au décret, sans rien innover, quant à présent, aux usages concernant les garnisons françaises et étrangères. Un membre. Je demande qu’on ajoute le mot hôpitaux. (Adopté.) M. du Châtelet. Je propose qu’on substitue au mot cantine celui de consommation. Cet amendement est adopté. Le décret est adopté en ces termes : « L’Assemblée nationale, instruite que, dans plusieurs villes du royaume où se perçoivent certains droits d’octrois aux entrées sur les objets de consommation, plusieurs ci-devant privilégiés se sont maintenus dans l’exception de ces droits; que les intentions de l’Assemblée, dans les précédents décrets des 4 et 11 août, en anéantissant à jamais tous privilèges pécuniaires, personnels ou réels, n’ont pas été de restreindre cette abolition aux matières de subsides seulement, mais à toute perception quelconque, sans exception ni distinction; et voulant rendre communes pour tout le royaume les dispositions de l’article 5 du décret qu’elle a rendu le 16 septembre dernier pour la Bretagne en particulier; « L’Assemblée nationale a décrété et décrète : « Que tous les octrois, droits d’aides, de gros, et autres de cette nature, sous quelque dénomination qu’ils soient connus dans les villes et autres lieux du royaume où iis sont établis, continueront d’être perçus comme par le passé, jusqu’à ce qu’il ait été statué autrement, mais sans aucun privilège, exemption, ni distinction quelconque, n’entendant rien innover, quant à présent, aux usages concernant les consommations des troupes françaises et étrangères, ainsi que des hôpitaux. « Les sommes qui proviendront du paiement des octrois, qui sera fait tant par les ci-devant privilégiés que par tous autres contribuables, seront versées dans les mains des receveurs des municipalités. « Les fermiers desdits droits tiendront un registre des perceptions, et seront tenus d’en exhiber le registre aux officiers municipaux, sur leur simple réquisition.» M. de Robespierre monte à la tribune pour faire une motion sur l'exercice des droits de citoyen actif [ 1). Nous venons soumettre à votre délibération un objet infiniment intéressant pour plusieurs provinces du royaume... Il tient à la liberté générale... Il est d’une telle nature que vous nous accuseriez d’une malversation odieuse si nous ne soutenions pas avec force la cause qui nous est en ce moment confiée. Parmi les décrets qui fixent la quotité d’impositions nécessaires pour exercer les droits de citoyen actif, et pour être électeur et éligiide, il en est qui ont donné lieu à une demande d’explication. Des contributions directes, personnelles et réelles sont établies dans une grande partie du royaume. Dans l’Artois et dans les provinces qui l’avoisinent, on paie peu de contributions directes ; la corvée n’y existe pas; la taille et la capitation y sont converiies en impositions indirectes. II en est de même des contributions supportées par les propriétaires de fonds; les centièmes établis depuis deux siècles étaient bien loin de produire une imposition proportionnée à la valeur des fonds: ils ont été abolis par les soins des Etats d’Artois Ainsi cette province ne contiendrait qu’un très petit nombre de citoyens actifs ; ainsi une partie considérable des habitants de la France seraient frappés de l’exhérédatioD politique... Si vous considérez maintenant que presque la totalité du territoire des provinces belgiques est possédée par des ecclésiastiques, par des nobles et par quelques bourgeois aisés; que dans une communauté de mille âmes, il y a à peine quatre citoyens actifs... (M. de Montlosier interrompt et demande la preuve de ces assertions.) M. de Robespierre. J’ai l’honneur d’observer que la cause que je défends touche de si près aux intérêts du peuple que j’ai droit à toute votre attention. Dans l’état actuel, l’égalité politique est détruite... Prononcez sur cette importante réclamation. Nous la soumettons à votre justice, à la raison qui vous a dicté la déclaration des droits de l’homme. Jetez vos yeux sur cette classe intéressante qu’on désigne avec mépris par le nom sacré du peuple... Voulez-vous qu’un citoyen soit parmi nous un être rare, par cela seul que les propriétés appartiennent à des moines, à des bénéficiers, et que les contributions directes ne sont pas en usage dans nos provinces ? Voulez-vous que nous portions à ceux qui nous ont confié leurs droits des droits moindres que ceux dont ils jouissaient? Que répondre, quand ils nous diront : vous parlez de liberté et de constitution, il n’en existe plus pour nous : la liberté consiste, dites-vous, dans la volonté générale, et notre voix ne sera pas comptée dans le recensement général des voix de la nation. La liberté consiste dans la nomination libre des magistrats auxquels on doit obéir, et nous ne choisirons plus nos magistrats. Autrefois nous les nommions, nous pouvions parvenir aux fonctions publiques; nous ne le pourrons plus tant que les anciennes contributions subsisteront... Dans la France esclave nous étions distingués par quelque reste de liberté; dans la (1) Nous reproduisons ici la version du Moniteur. On trouvera annexée à la séance de ce jour, la version imprimée par les soins du Club des Cordeliers. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 janvier 1790.] France devenue libre, nous serons distingués par l’esclavage. Si nous pouvons Vous proposer un parti qui, loin de compromettre vos décrets et vos principes, les cimente et les consacre; s’il n’a d'autre effet que de fortifier vos décrets et de vous assurer de plus en plus la confiance et l’amour de la nation, quelle objection pourrez-vous faire? M. de Robespierre propose le décret suivant ( 1 ) : « L’Assemblée nationale, considérant que les contributions publiques, établies dans les différentes parties du royaume, ne sont ni assez uniformes, ni assez sagement combinées, pour permettre, daus le moment actuel, une juste application des conditions qui auraient pu être exigées pour l’exercice des droits de citoyen actif; voulant maintenir l’égalité politique entre les habitants de toutes les parties de l’Empire, dont elle a reconnu la nécessité par quelques-uns de ses précédents décrets, et pénétrée surtout d’un respect religieux pour les droits inviolables de l’humanité, qu’eile a solennellement déclarés; » Décrète que l’exécution des dispositions concernant la nature et la quotité de la contribution requise comme condition de la qualité de citoyen actif, sera différée jusqu’à l’époqu - on elle aura réformé le système actuel des impositions, et combiné les rapports de celui qu’elle doit établir avec l’exercice des droits politiques; décrète, en conséquence, que, jusqu’à ladite époque, tous les Français, c’est-à*dire tous les hommes nés et domiciliés en France ou naturalisé-, continueront d’être habiles à exercer la plénitude des droits politiques, et d’être admissibles à tous les emplois publics, sans autre distinction que celle des vertus et des tab-nts, sans toutefois déroger aux autres motifs d’incompatibilité ou d'exclusion portés par les autres décrets de l’Assemblée nationale. > MM. d’Estonrmel, de Bonviile, d’Ambly et quelques autres demandent avec chaleur la question préalable. Après une longue et tumultueuse agitation clans une partie de l’Assemblée, M. Ouquesnoy parvient à se faire entendre. — Sans doute, dit il, vous n’avez pas eu l’intention d’exclure du rang de citoyens actifs les Français qui habitent dans des villes autrefois priviligiées ..... (MM. Digoine, Duval d’Ësprémênil, Pison du Galand, de Rochebrune, interrompent. On demande qu'ils soient rappelés à l’ordre.). M. Duqnesnoy. Les trois plus grandes villes de ma province sont dans cette position. Des citoyens qui ont une grande propriété industrielle, qui jouissent d’un revenu très-considérable.... (Nouvelle interruption.) des privilégiés qui doivent payer et qui ne paient pas d’imposition en ce moment, parce que les rôles ne sont pas faits encore... (On interrompt de nouveau.) Mon opinion n’est pas équivoque; j’ai voté pour le marc d’argent; je voterai toujours de même. (Il se fait un grand silence.) Je propose d’arrêter que, jusqu’à ce que l’Assemblée ait décrété un mode général d’imposition dans les villes, bourgs et villages où les contributions directes ne sont pas en usage, il suffira (1) Ce projet de décret est extrait du procès-verbal 4e l’Assemblée nationale. 319 pour être citoyen actif, de n’être pas à la charge de la commune. Si ce décret ne vous convient pas, j’en propose un autre: Que les officiers municipaux, avec un certain nombre de notables, fassent un rôle des citoyens qui dans un autre ordre de choses pourront, conformément à vos décrets, exercer les droits de citoyens actifs. Ce décret présente encore des inconvénients. Je préférerai le premier. M. f tharles de Eameth. Je reconnais dans la motion de M. de Robespierre le courage et le zèle qui l’ont toujours caractérisé, et avec lesquels il a défendu les intérêts des classes les moins heureuses de la société; cette question est sans doute la plus importante de toutes celles sur lesquelles l’Assemblée a pu et pourra délibérer.,.. (. Murmures du côté droit.) M. le Président propose de lever la séance. Une partie de l’Assemblée quitte les bancs et se répand dans la salle; l’autre partie est immobile et calme. M. le Président. Vous avez ordonné, pour la ville de Saint-Quentin, que l’imposition pour la garde soldée serait considérée comme contribution directe. En cela, vous avez fait une exception à vos décrets; il n’y a donc rien qui puisse s’opposer à ce que vous preniez en considération l’ex� ception nouvelle qui vous est présentée. Cette discussion, qui doit être longue, commençait à trois heures un quart; j’ai, non levé la séance, mais proposé de mettre aux voix si elle serait levée. J’entends demander en ce moment que la motion de M. de Robespierre soit renvoyée au comité de constitution, pour le rapport en être fait demain à une heure. M. Charles de Lameth. J’avais la parole ; M. le président ne pouvait proposer de lever la séance. Je voulais engager à ajourner la question, et appuyer cette opinion sur l’importance de la matière et sur l’heure qui commençait à être avancée ; mais je demandais l’ajournement pour une séance entière, authentique, solennelle. On a accordé deux séances à la misérable aventure de quelques magistrats, et on en refuserait une seule quand il s’agit des droits et de la liberté de plusieurs millions de citoyens français ! M. d’Estourmel soutient qu’il ne faut renvoyer au comité de constitution que les exceptions proposées, et non la partie générale de la motion, sur laquelle il croit qu’il n’y pas lieu à délibérer. Sur la proposition de M. lioulevillc-Bumetï, la motion entière est renvoyée au comité de constitution. M. le Président fait lecture d’une lettre par laquelle M. le comte de Mirabeau demande à M. l’abbé Maury la communication des différentes pièces relatives à l’affaire de Marseille, dont M. Maury a fait le rapport dans la séance d’hier. L’ Assemblée décide que ces pièces demeureront au comité des rapports où tous les membres rie l’Assemblée pourront les examiner, sans les déplacer. La séance est levée à 5 heures du soir.