457 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 juin 1790.] M. l’abbé Maury. Je rétablis un fait. Je n’ai ‘amais dit que je parlais au nom du comité de iquidation. J’ai dit une vérité assez triste; je dois rétablir les faits. J’ai demandé que l’universalité de la dette fût reconnue ; car si sur 2 milliards de biens nationaux il y avait pour 3 milliards de dettes, les créanciers de ce troisième milliard se trouveraient dans une situation très désagréable. Voilà le raisonnement hypothétique que je présente. M. le baron de Batz,” rapporteur du comité de liquidation, m’a dit qu’il entrevoyait que la dette pouvait s’élever à 7 milliards... (Il s'élève de grands murmures .) Il ne s’agit pas de huer ; il faut gémir... Je n’étais pas seul quand il me l’a dit.. . Il m’a dit que, d’après l’aperçu, il croyait que la dette pourrait s’élever à 7 " milliards ..... M. Victor de Broglie. Je demande la parole. Il est question de citer un fait. M. l’abbé Maury. Vous voyez que j’articule avec précision les faits. M. Victor de Broglie. Il est absolument important de relever ces faits. M. le Président. Vous serez entendu après l’opinant. M. l’abbé Maury. J’argumente donc et de l’obscurité, et de l’immensité de la dette, pour m’élever contre le projet de laisser sans hypothèque une partie des créanciers de l’Etat, et favoriser les agioteurs en dépouillant ces créanciers d’un gage qui devrait appartenir à tous. Outre cette hypothèque, les frais du culte sont fondés sur les biens nationaux. L’agiotage veut encore livrer le culte à l’incertitude des événements futurs, et enlever aux ministres l’hypothèque à laquelle ils ont droit. Les provinces ne peuvent s’attendre à voir arracher de leur sein un bien que vous avez réservé au culte.— En vous proposant d’aliéner tous les biens nationaux, on ne vous propose autre chose que de les livrer au gaspillage et aux agioteurs. Les étrangers mériteraient une considération très particulière. Il est question de rembourser les rentes viagères, et l’on vous dit... (On observe que ce n’est pas là l'ordre du jour.) Voici le sophisme fait parle comité de liquidation. Je dois le dénoncer aux bons citoyens. Nous réduirons leurs créances à 5 0/0, au lieu de 10, et nous leur donnerons un capital à raison de 5 0/0. Les rentiers viagers sont de deux espèces : les uns, honnêtes citoyens, ont confié à l’État le fruit de leur labeur; ils méritent toute faveur. Ils ont parié avec le gouvernement, c’est-à-dire qu’ils ont imposé et reçu cette condition : « Si je vis l’année prochaine, vous me donnerez la somme de tant. > Les rentiers étrangers n’ont pas joué ainsi; ce n’est plus un pari. Les rentes des Génevois sont sur trente têtes ; il est prouvé qu’elles seront payées pendant quarante-deux ans et demi. Ces rentiers ont inventé, à votre grand préjudice, une manièrede recevoir sept fois leur capital; ces hommes que vous pouvez rembourser par annuités en dix ans, on vous propose de les rembourser avec vos capitaux. Vous ne permettrez pas les usures que le premier ministre des finances a favorisées. On veut que ces hommes s’emparent de vos biens, et que vous leur donniez plus d’une de vos provinces. Je demande si les représentants de la nation doivent protéger les usuriers de la ville de Genève ; je demande si l’histoire du monde offre l’exemple d’une nation qui ait rempli d’une manière plus illusoire ses traités avec nous. On craint que les représentants de la nation ne détruisent tous ces contrats de trente têtes. Je demande si nous mériterions la reconnaissance de la nation, en abandonnant des biens immenses à des étrangers, au lieu de les rembourser en annuités avec l’intérêt de ces biens? Il faut déchirer leurs contrats, il faut user de sévérité ; c’est du bien du peuple confié à votre garde qu’il s’agit. Sur 105 millions de rente viagère, il n’y en a pas 10 en France ; dans dix ans vous pouvez être libéré avec les étrangers. Oh vous trompe; et quand un représentant de la nation a le courage de vous le dire, on l’écoute avec prévention. M. Victor de Broglic. En applaudissant aux détails qui terminent l’opinion du préopinant, je me crois obligé, comme membre du comité de liquidation, à dénier un fait : je ne prétends pas dire que M. de Batz ne l’ai pas dit à M. l’abbé Maury, mais je crois que M. de Batz n’étant du comité que depuis huit jours, et n’étant chargé que d’un projet de règlement, il sait moins que les anciens membres ce qui s’est passé à ce comité ; je les interpelle tous de dire s’ils connaissent le montant de la dette. Autant il serait nécessaire de faire connaître la profondeur de la plaie des finances, autant il serait dangereux de venir, dans de mauvaises vues, donner des inquiétudes aux créanciers de l’Etat. Je pense qu’on ne doit rien conclure de ce qu’a pu dire M. de Batz. M. l’abbé Gouttes. Le comité de liquidation s’est chargé de l’arriéré des départements ; comment pourrait-il connaître la dette de l’Etat ? M. Anson. Je vois toujours avec la plus grande peine qu’on vienne jeter dans cette tribune des doutes sur la dette publique. Je ne m’attendais pas à cette discussion, et je n’ai pas à la main les états de la dette, que toute l’Europe connaît. J’appuie l’observation de M. Gouttes, et je remarque avec lui qu’il est bien extraordinaire que l’on cite le comité de liquidation quand il s’agit de la dette publique ; ce comité n’est chargé que de la liquidation de la dette arriérée des départements, et cet objet ne monte pas à 150 millions. Le comité des finances a publié un tableau de la dette et des arrérages, dans un volume in-4°, qui a été distribué à tous les membres. Il faut distinguer la dette publique en dette constituée et en dette non constituée. La dette constituée est de deux natures : les rentes perpétuelles et les rentes viagères. Les rentes perpétuelles s’élèvent à 60 millions d’intérêt, ce qui forme un capital de 1 milliard 200 millions. Les rentes viagères sont de 105 millions, les extinctions de cette année les réduisent à 100 millions, ce qui forme un capital de 1 milliard. La dette constituée, sur laquelle nous proposerons un plan de liquidation, est de 2 milliards au plus, y compris les effets suspendus, les offices qui seront supprimés, les finances qu’il faudra rembourser, et les assignats. Ainsi la dette exigible est de 2 milliards ; les biens domaniaux suffiront donc pour la payer. Quant à la dette constituée, il n'en est pas question en ce moment ; je n’ai voulu que rassurer l’Assemblée, qu’on cherchait à tromper par des assertions au moins très extraordinaires. Le comité est prêt à vous rendre compte de la 458 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 juin 1790.] dette ; il a été imprimé un aperçu très étendu; rien n’appuie donc de semblables terreurs. M. de La Rochefoucauld. Je ne discuterai pas le plan de libération que vient de proposer M. l’abbé Maury. J’observerai seulement qu’il me araît difficile que les intérêts de 2 milliards de iens puissent éteindre 7 milliards de capitaux dans l’espace de dix ans... M. l’abbé Maury. Je n’ai pas dit cela ; j’ai parlé des rentes des Suisses et des Génevois. M. de Fa Rochefoucauld. J’observe seulement que dans tout le discours de M. l’abbé Maury il n’y a pas un mot de la question qu’il s’agit de traiter. Votre comité de liquidation a annoncé qu’il se concerterait avec le comité des finances sur les articles présentés par M. l’évêque d’Autun. Il vous propose aujourd’hui un décret qui le mette en état d’exécuter les ordres que vous lui avez donnés sur la vente des domaines nationaux aux particuliers. M. Fe Chapelier. Lorsqu’on vient ici chercher à répandre tant de craintes, tant d’inquiétudes, il vaudrait mieux dire tout bonnement qu’on voudrait que les biens nationaux ne fussent pas vendus, parce qu’on espère les reprendre. Je viens à l’objet réel de la délibération, et je rappelle seulement qu’un grand nombre de particuliers a envoyé des soumissions ; que ces particuliers ne veulent pas laisser leurs fonds morts, et qu’ils demandent si on recevra leurs offres. Il est impossible de ne pas leur répondre ; il faut donc aller aux voix sur l’article proposé. Cet article n’infiue pas sur les biens qui sont mis en vente. (On ferme la discussion.) M. de FoIIeville. Je demande qu’on fixe un délai très court pour déterminer quelles seront les valeurs admises. M. de Fa Rochefoucauld. J’adopte cette proposition ; mais je remarque qu’elle ne peut faire partie de l’article, et qu’elle doit former un décret particulier. M. Malouet. Je crois indispensable de décréter dès ce moment que les porteurs des créances exigibles et des assignats seront admis de préférence aux porteurs des créances constituées. Ces derniers ont pour gage les biens de toute la nation. (La proposition de M. Malouet est ajournée.) M. Martineau. J’ai proposé un amendement qui consiste à déterminer la nature des objets dont l’Assemblée entend ordonner la conservation. Je pense qu’il faut ajouter à l’article : « à l’exception des objets réservés au roi, et des forêts » . L’article est décrété, avec l’amendement de M. Martineau, à une grande majorité. Il est ainsi conçu : « L’Assemblée nationale, considérant que l’aliénation des domaines nationaux est le meilleur moyen d’éteindre une grande partie de la dette publique, d’animer l’agriculture et l’industrie, et de procurer l’accroissement de la masse générale des richesses, par la division de ces biens et propriétés particulières, toujours mieux administrées, et par les facilités qu’elle donne à beaucoup de citoyens de devenir propriétaires, a décrété et décrète ce qui suit : « Tous les domaines nationaux, autresque ceux dont la jouissance aura été réservée au roi, et les forêts sur lesquelles il sera statué par un décret particulier, pourront être aliénés en vertu du présent décret, et conformément à ses dispositions; l’Assemblée nationale réservant aux assignats-monnaie leur hypothèque spéciale. » M. le Président. Vous avez renvoyé à la séance de ce jour le rapport sur l'affaire de M. de Toulouse-Lautrec, arrêté à Toulouse. Le comité des recherches est prêt à être entendu et je donne la parole à son rapporteur. M. Voidel, rapporteur (1). Messieurs, le 17 de ce mois, le procureur du roi, en la sénéchaussée de Toulouse, informé par la rumeur publique, ainsi que le porte son réquisitoire, que des étrangers qui se tenaient, depuis quelque temps, tantôt à Toulouse, tantôtà la campagne, se donnaient en secret toutes sortes de mouvements pour provoquer une insurrection, et compromettre de la manière la plus dangereuse, tant la nouvelle Constitution que la tranquillité publique qui en dépend essentiellement, et qu’ils portaient leurs menées, jusqu’à capter, par des offres d’argent, les esprits de la plupart des légionnaires, pour renforcer le parti qu’ils se flattaient déjà d’avoir à leur solde, dans la vue de s’opposer, à main armée, à la fédération qui devait avoir lieu à Toulouse, le 4 du mois prochain, et, par ce moyen, ramener les choses à l’état où elles étaient avant la nouvelle Constitution : le procureur du roi rendit plainte de ces faits et requit l’information par devant la municipalité de Toulouse. Le même jour, 17, l’information fut permise ; trois témoins assignés et entendus. De ces trois témoins, deux (le sieur Guitard, chasseur de la légion de Saint-Pierre, et Jean-Marc Clément, grenadier de la légion de la Daurade) déposèrent uniformément que s’étant rendus ce jouç-là même au château de Blagnac, chez le sieur Dutrey, Clément demanda à être introduit dans l’appartement de M. de Lautrec, sous les ordres duquel il avait servi dans le régiment de Condé, dragons, dont M. de Lautrec était alors colonel ; que tous deux furent parfaitement bien accueillis ; que la conversation s’étant engagée sur l'état des légions toulousaines, et sur la fédération projetée le 4 juillet. M. de Lautrec leur avait dit à cette occasion qu’elle était ruineuse pour le peuple réduit à la mendicité par l’enlèvement des biens du clergé et la suppression des privilèges de la noblesse, qui seuls pouvaient le faire vivre ; qu’en conséquence, il fallait empêcher cette fédération ; que M. Douziech, général de la garde nationale de Toulouse était un drôle; que si l’on voulait le nommer lui, sieur de Lautrec, il irait habiter Toulouse et renoncerait au voyage de Barèges. Guitard lui ayant dit qu’il l’avait vu à Montauban où il avait eu du désagrément, à cause du sieur de La Force avec lequel il était, M. de Lautrec répondit qu’il s’était en effet trouvé à Montauban, dans le momentdes troubles qui ont désolé cette ville ; mais qu’il y était resté très peu de temps, à cause des désagré-(1) Nous empruntons ce rapport au Journal le Point du jour (t. II, p. 228), qui l’a reproduit d’une façon plus exacte que le Moniteur.