[19 décembre 1789.} [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. le leur permettre, aux séances qui seront tenues par les commissaires de Sa Majesté afin d’être à portée de rendre à l’Assemblée nationale les résultats de ces séances. , . « Je suis avec respect, Monsieur le President, etc. « Signé : La Tour-dü-Pin. » M. liatil, député de Forcalquier. Je propose de faire nommer les deux commissaires, l’un par le comité militaire, l’autre par le comité des finances. Cette proposition est mise aux voix et décré-tée • On lit une lettre datée de Saint-Malo en Bretagne, par laquelle un particulier, qui ne veut pas être nommé offre un don patriotique de 2,400 livres en billets de caisse ; ces billets sont remis au trésorier. M. le Président fait donner lecture de la lettre suivante de M. de Paoli, corse de nation, actuellement retiré en Angleterre : « Londres, ce 11 décembre 1789. « Monsieur le Président, « C’est avec les transports d’une joie qu’il est plus aisé de sentir que d’exprimer, que je m’em-resse de vous supplier de vouloir bien avoir la onté de faire agréer à l’Assemblée que vous présidez, les sentiments de mon plus profond respect et de ma plus vive reconnaissance pour les décrets qu’elle vient de passer en faveur de ma patrie et de mes compatriotes. En admettant la Corse à la parfaite jouissance de tous les avantages qui résultent de l’heureuse constitution qu’elle vient d’établir, elle a enfin trouvé le moyen le plus infaillible de s’assurer à jamais de l’attachement et de la fidélité de ses habitants. En accordant à mes compagnons expatriés de pouvoir rentrer chez eux, et jouir de tous les privilèges de citoyens français, pendant qu’elle fait éclater sa justice et sa générosité, elle attache à sa nouvelle constitution un nombre infini d’individus qui la défendront jusqu’à verser la dernière goutte de leur sang. « Le monarque bienfaisant et restaurateur de la liberté de son peuple, qui a sanctionné ces décrets n’aura jamais des sujets plus dévoués à sa gloire. « Permettez-moi l’honneur de me dire avec le plus profond respect, Monsieur le président, votre très-humble et très-obéissant serviteur. « Signé : de Paoli. » L’ordre du jour appelle ensuite la discussion sur le plan de finances proposé par le comité des dix. Le premier article du premier décret porte ces mots: « Les billets de la caisse d’escompte continueront d’être reçus en payement dans toutes les caisses publiques et particulières ». M. le Président. Je crois devoir observer à l’Assemblée que les billets de la caisse d’escompte n’ont été reçus jusqu’à présent, dans les caisses, que volontairement, sauf celles des banquiers et autres négociants auxquels on proposait des lettres de change échues et remboursables. Le mot continueront qui se trouve dans l’article ci-dessus, n’est donc pas exact. M. le Président , après cette observation , donne la parole à M. Pétion de Villeneuve. M. Pétion de Villeneuve. Nous n’avons à choisir que parmi des dangers; et quel que soit le parti que nous prenions, il aura de grands inconvénients. 11 s’agit de savoir si vous pouvez admettre le plan qui vous est proposé. Quelques articles violeraient vos propres principes. On vous demande dans le premier une surséance de six mois : véritable faillite, ou tout au moins attermoiement réel et certainement condamnable, puisqu’il sera fait sans le consentement des créanciers; c’est d’ailleurs faire une action immorale, que de créer des billets à vue, qui ne seront pas payés à vue; ils le seront, dit-on, au l*r juillet, parce que la caisse reprendra alors ses payements; mais aura-t-eïle vendu toutes ses actions? Le doute est très-fondé sur cette question ; il est donc à craindre que la caisse ne remplisse pas ses engagements à cette époque, et qu’on ne soit forcé à accorder une nouvelle surséance. La capitale est déjà engorgée de billets qui ne circulent pas dans les provinces; elle va donc en fabriquer encore : la caisse sera chargée de cette fabrication, pour laquelle vous lui payerez 5 0/0. Ne pouvons-nous pas fabriquer nous-mêmes le numéraire fictif dont la nécessité est reconnue? Ne pouvons-nous pas lui donner nous-mêmes la confiance dont il a besoin pour circuler dans toutes les parties de l’empire? Nous avons à notre disposition les fonds ecclésiastiques et domaniaux ; créons des obligations à ordre, faisons-leur porter un intérêt; assignons-leur un payement certain ...... La caisse d’escompte peut-elle donner de semblables avantages à ses effets? Remettons ainsi à nos créanciers véritables l’intérêt que nous payerons à la caisse d’escompte. Je rejette le plan du comité, et je propose de ciéer des obligations à ordre, avec intérêt à 5 0/0. M. le baron de Batz expose la nécessité de la liaison d’un plan de ressources avec l’ordre général des finances. Il entre dans des détails sur les banques et les bureaux d’escompte; et après avoir cité l’histoire romaine et l’histoire anglaise, il conclut qu’ils ne peuvent avoir un succès réel que dans les gouvernements dont le commerce et l’industrie forment la fortune publique. Nous n’avons rien à gagner, dit-il, à nous faire Anglais, banquiers et financiers contre nature et raison. Il examine l’état de l’Angleterre, ses ressources, son numéraire, celui de la ville de Paris, considérée comme lieu de consommation, et non comme place de commerce; enfin, les rapports du commerce de l’argent avec les propriétés territoriales. 11 s’occupe ensuite à réfuter le plan de M. de La-borde ..... MM. Guillaume, le comte de Pardieu, le curé Dillon, etc., demandent l’exécutiôn du décret par lequel l’Assemblée a décidé hier qu’on se bornerait à l’examen du plan proposé par le comité, et que les amendements seraient seuls entendus. M. le comte de Custine. Je suis un citoyen qui désire s’instruire, et qui en a besoin; je prie qu’on veuille bien écouter un homme très-savant, et qui peut présenter de grandes lumières. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES-[19 décembre 1789.] @T" 7 M. le baron de Batz passe à l’examen des décrets proposés par le comité; il n’y voit que des assignations pour lesquelles la caisse d’escompte donnera des rames de papiers de toutes couleurs, que l’Assemblée changera en numéraire. Il conclut à ce qu’on n’admette point d’intermédiaire entre le papier-monnaie et les ressources effectives, et à ce qu’on décrète une vente de 400 millions pour rassurer les créanciers II propose d’ajourner l’examen des moyens les plus légitimes et les plus convenables de procurer cette vente, et d’en suppléer intermédiairement les produits. M. de Cazalès. Votre décret d’hier force à adopter presque de confiance un plan dans cette matinée; celui du comité doit sans doute avoir la préférence. J’avais des vues à présenter, mais j’en fais le sacrifice, et je me borne à deux amendements destinés à atténueur l’injustice et à amoindrir les inconvénients du projet sur lequel vous avez à statuer. Le premier consiste à déclarer très-positivement que le cours forcé du papier de la caisse d’escompte sera restreint à la ville de Paris. Si ces effets perdent, il vaut mieux que cette perte tombe sur les créanciers de la capitale qui ont gagné davantage avec l’Etat. Le papier-monnaie est abhorré dans les provinces, celui de la caisse n’y a jamais été connu. Le second à ordonncrque,d’iciaulerjuilletl790, la caisse continuera ses payements à raison de 300,000 livres par jour, et que le premier ministre des finances fera tous les efforts possibles pour lui en procurer les moyens. Lorsqu’on est obligé de payer en billets les denrées, elles augmentent, et cette augmentation forme alors une banqueroute partielle. On ne peut éviter cet inconvénient majeur qu’en fournissant aux consommateurs, porteurs de billets, ce qui leur est nécessaire pour payer journellement les denrées dont ils ont besoin. M. le marquis de Gouy-d’Arsy (1). Messieurs, le décret que vous avez porté hier vous astreignant à prendre aujourd’hui un parti définitif sur le grand objet des finances, il ne s’agit plus de présenter un nouveau plan qu’il serait désormais impossible d’avoir le temps de discuter; il faut seulement tâcher d’amender le plan qui vous a été proposé par votre comité des finances, de manière à rendre moins sensibles les inconvénients qu’il présente, inconvénients que j’ai toujours combattus dans mes précédentes opinions, et qui depuis lui ont été reprochés par plusieurs membres de cette Assemblée. J’ai donc l’honneur, Messieurs, de vous proposer deux amendements, et voici sur quoi j'en motive la nécessité : Nous ne pouvons nous dissimuler que le plan soumis à votre examen, et que vous devez agréer ou rejeter aujourd’hui, nous affilie, dans le mode sous lequel il vous a été offert, à la caisse d’escompte, c’est-à-dire à une caisse en état actuel de surséance. Nous ne pouvons nous dissimuler que nous allons restaurer cette caisse par cette affiliation nationale qui devient une espèce de garantie, et que nous commençons par porter atteinte à cette garantie, en convenant qu’elle n’est pas suffisante puisque la nation accepte elle-même le bénéfice (1) Le discours de M. le marquis de Gouy-d’Arsy est incomplet au Moniteur. de la surséance, en prolongeant celle qui existe en ce moment. Il est vrai que ce dernier acte de surséance ne doit plus être que de six mois, mais l’acte qui a précédé a été de 5 mois, et celui qui le précédait encore a été de 12 mois. Qui nous garantit que celui-ci finira dans 6, et sera le dernier? Ne vau Irait-il pas mieux adopter un amendement qui nous mettrait dans une position telle que nous ne serions plus obligés de promettre? Il y a de quoi frémir, Messieurs, de penser que la nation, sans certitude physique, va donnera l’Europe sa parole d’honneur de payer dans six mois à bureau ouvert, tandis que d’ici là, mille événements que l’on ne saurait prévoir, peuven t déconcerter toutes les mesures de la sagesse humaine et l’empêcher détenir le premier engagement qu’elle prend. Premier motif d’amendement. Nous ne pouvons pas nous dissimuler non plus que la somme des nouveaux billets de caisse, mis en circulation, par le projet de votre comité, est tellement insuffisante qu’il n’est pas même question de payer les effets suspendus, déjà échus deux fois, et qui maintenant sont suspendus sans terme, uniquement par l’effet de notre impuissance. Cependant, Messieurs, ces effets suspendus sont sacrés; ils sont plus sacrés que des dettes moins anciennes qui n’ont point encore souffert de suspension. Les porteurs de ces assignations sont aussi chers à l’Etat, aussi légitimes, aussi dignes de considération, que les autres créanciers de l’Etat ; ils sont surtout au moins égaux en droit et en titres aux créanciers de même nature, qui sont hors de suspension, et dont la créance va échoir et être payée. Je pourrais ajouter qu’il est inconséquent et absurde de payer les porteurs de titres échéants en janvier 1790, par préférence aux porteurs de titres semblables, échus en août 1788, rééchus en août 1789, et par la seule raison •que ces derniers ont déjà subi dix-huit mois de suspension. Le plan proposé n’annonce pourtant pas qu’on veuille la lever; la nation resterait donc en état de banqueroute, au moins partielle, et il est vraiment pitoyable de parler toujours d’exactitude, de fidélité et d’honneur, et de toujours rester en état de surséance ou d’atermoiement. Au surplus, cet état est sans profit et sans nécessité. Sans profit, car il faut continuer de payer les intérêts et en définitive il faudra bien rembourser un jour le capital. Sans nécessité, car on peut payer par le moyen que je vais avoir l’honneur de vous soumettre. Second motif d’amendement. Pour faire cesser l’état de surséance de la caisse d’escompte à laquelle la nation va s’affilier, et payer les effets suspendus sans lesquels on n’appellera jamais la confiance, il faut: 1° ajouter 100 millions de billets de caisse à la circulation de 200 millions qui vous est proposée; 2° leur donner un cours libre dans toutes les caisses publiques et particulières, et leur affecter un intérêt de 3 0/0 ; 3° adopter la création des 300 millions d’obligations nationales produisant 5 0/0 d’intérêt, comme l’a proposé hier M. le marquis de Montesquiou. Je ne vois que cette mesure, Messieurs, qui puisse vous mettre à même de payer la totalité de ce qui est exigible, et vous donner un droit incontestable à la confiance. Songez, je vous prie, qu’elle seule désormais peut ranimer la circulation, vivifier le commerce, encourager l’agricul- 678 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 décembre 1789.] ture, rappeler le numéraire exporté, et extraire des caisses le numéraire enfoui. Et remarquez que ce n’est pas seulement en payant les dettes de la nation qu’elle peut obtenir ces résultats, mais en se servant, pour payer ses créanciers, d’une monnaie telle qu’ils puissent s’en servir eux-mêmes pour acquitter leurs dettes. Or, quand la nation force ses créanciers de prendre en payement des billets de caisse de sa création, et qu’elle n’ajoute point à cet acte de sa justice en faveur de ces billets, le don si nécessaire de représenter exactement le numéraire effectif, et de faire service d’espèces, il en résulte que la nation trompe, sans le vouloir, ses créanciers, en liquidant véritablement sa propre créance, en les laissant dans l’impossibilité d’acquitter, à leur tour, leurs créances particulières. Votre sagesse vous préservera de consacrer cette injustice. Combien ne serait-il pas pénible pour les magistrats qui vont remplir des fonctions publiques dans le nouvel ordre judiciaire que vous allez établir, d’étre obligés de faire poursuivre, saisir et exécuter les propriétés d’un homme qui, ayant reçu en payement de la nation, des billets de caisse d’escompte, ou des assignats nationaux, ne pourrait obliger son créancier à les recevoir de lui en payement. Ce n’est pas, Messieurs, que j’aie prétendu vous persuader que ces créations de billets de caisse et d’obligations nationalee ne soient sans doute un inconvénient? En thèse générale, une nation ne devrait jamais substituer au numéraire, ce signe constant et universel de toutes les valeurs, un signe particulier dont le cours soit restreint aux besoins de l’Etat qui lui adonné l’être ; mais, dans la position critique de nos finances, nous n’avons que le choix des maux, et le plus grand de tous les malheurs pour un empire, c’est la cessation de tous les payements, l’interruption de tous les services, la destruction de tous les rapports entre l’agriculture et le commerce, et la suppression de tous les moyens d’échange entre toutes les classes de citoyens, et entre toutes les parties de l’Etat. Or, tels sont les maux qui menacent un gouvernement quand il est obéré, quand son crédit est nul, quand la méfiance et les émigrations ont enfoui ou exporté son numéraire. D’ailleurs, l’inconvénient d'un signe en papier national, faisant office de monnaie, disparaît presque entièrement avec le concours des circonstances qui suivent : 1° Lorsque l’extinction successive de ce papier est garantie par un gage positif, dont la valeur est supérieure à celle que représentent les billets de caisse, et dont la rentrée est antérieure à l’époque fixée pour le remboursement des billets ; 2° Lorsque le volume de ces billets se trouvant dans une proportion suffisante avec les besoins du commerce et la somme des objets arrivés qu’il faut payer, n’est cependant pas assez considérable pour refluer avec surabondance dans la circulation, et produire un surhaussement remarquable dans le prix de tous les objets de consommation; 3° Lorsque le royaume, qui fait usage de cette ressource momentanée, pouvant suffire par lui-même à ses besoins les plus essentiels, sans le secours des puissances étrangères dont il se trouve, en général, créancier, n’a pas à craindre un dérangement notable dans l’état des changes, puisque la monnaie dont il fait usage doit intéresser fort peu les étrangers, ses débiteurs. Si j’applique ces principes à l’état actuel du gouvernement français, j’observerai : 1° Qu’il a besoin de 600 millions pour se mettre â jour ; 2° Que le Trésor public n’a ni argent ni crédit ; 3° Que le numéraire, resserré partout, manque absolument à la circulation du royaume; 4° Queles 600 millions d’effets circulants suffiront pour acquitter l’arriéré de la dette publique, mettre l’abondance au Trésor royal, et rétablir partout l’aisance ; 5° Que ces 600 millions peuvent s’éteindre dans le cours de six ou sept années, par le produit de la taxe du quart des revenus, par le produit de celle des domaines du Roi, et par le produit de la vente du superflu des biens du clergé ; 6° Que 600 millions d’effets circulants ne peuvent pas surcharger la circulation dansun royaume dont les opérations comportent habituellement le séjour de 2 milliards 600 millions d’espèces, dans un royaume où le seul service actif et passif du Trésor public met en mouvement plusieurs centaines de millions, destinés d’abord à acquitter les contributions des peuples, et ensuite à être répartis entre les créanciers de l’Etat et les divers départements de l’administration du royaume; 7° Que sauf les événements qui sont hors de l’ordre commun, tels que la disette des blés, les émigrations de la présente année, la France est constamment créancière, en dernière analyse, des autres puissances de l’Europe, en sorte que l’usage des billets nationaux ne peut faire varier notablement l’état des changes à son préjudice. De toutes ces considérations réunies, il résulte que l’établissement de 600 millions de billets, dont moitié aurait cours par tout le royaume, est dans les circonstances actuelles un moyen de restauration nécessaire, et qu’il n’entraîne après lui aucun inconvénient majeur. On n’objectera même pas à ce plan, de créer deux especes de papiers, puisque le plan proposé par votre comité des finances établissant des billets de caisse et assignats nationaux , encourrait le même reproche, si c’était le mériter que de multiplier les moyens de liquidation en diminuant les risques d’une trop grande masse de billets forcés. Les provinces mêmes n’éprouveraient aucune inquiétude à l’établissement de cette nouvelle circulation, lorsqu’elles auraient réfléchi que Paris ne doit pas plus de 60 millions à tout le royaume, et que tout le royaume devant, pour les impositions, plus de 600 millions par an au Trésor public, il ne sera pas difficile aux provinces d’écouler vers Paris les 60 millions d’effets qu’elles auront reçus de lui. Elles recueilleront même un avantage bien précieux et depuis si longtemps désiré : la diminution de l’intérêt de l’argent qui, nécessairement alors, ne doit jamais s’élever à plus de 1 0/0 au-dessus de la valeur des terres. D’après ces considérations, Messieurs, J’adopte en entier la plan proposé par le comité des finances, avec les amendements suivants (1) : 1° Il sera ajouté aux 200 millions de billets de caisse, qui devraient être mis en circulation, 100 millions de plus de pareils billets, ce qui fera en tout 300 millions de billets faisant service d’espèces par tout le royaume, et valant 3 0/0 d’intérêt ; 2° Il sera créé 300 millions d’obligations nationales qui n’auront point un cours forcé, mais qui rapporteront 5 0/0 d’intérêt. (1) L’Assemblée nationale a demandé que ces amendements fussent déposés sur le bureau. | Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 décembre 1789.) 679 Ces 600 millions seront remboursables en six ou sept années, et hypothéqués par privilège spécial : 1° Sur le produit du don patriotique ; 2° Sur la vente des biens domaniaux ; 3° Sur le produit de la vente des terrains des maisons religieuses dans Paris et dans les grandes villes du royaume ; 4° Enfin, et subsidiairement, sur le produit de la vente du superflu des biens du clergé. M. Rewbell. Comme il n’est pas prouvé qu’il faille livrer l’Etat à une compagnie de publicains; comme il ne l’est pas que la création d’un papier ne fasse pas sortir tout le numéraire; comme la vente ne donne pas un sou en ce moment ; comme des ventes précipitées seraient incertaines et peu avantageuses, je crois qu’il faut changer quelque partie du plan du comité. Je propose un amendement qui ne vous laissera pas le regret d’avoir créé, sous le nom de provi-soire, un mal très-durable. 11 est une conséquence du décret sur la contribution patriotique, auquel je propose de donner toute l’extension possible. Il faut se procurer de l’argent pour éviter la banqueroute, la guerre civile, le triomphe de nos ennemis et la perte de la liberté ; il faut faire ouvrir les coffres de ceux qui accaparent de l’argent, comme les greniers des accapareurs de blé... Les notaires vous diront que jamais ils n’ont trouvé plus de numéraire dans les inventaires.... Je propose de décréter un emprunt patriotique de 170 millions, portant 5 0/0 d’intérêt, et assignés sur la contribution patriotique. Tous les notaires ou tabellions seraient tenus de délivrer, dans la huitaine, aux municipalités de leur résidence, un état fidèle de l’or epde l’argent monnayé qu’ils ont inventorié depuis quatre mois, avec les noms et domiciles des possesseurs. Chaque municipalité arbitrerait la somme que tous les propriétaires de numéraire seraient obligés de verser dans cet emprunt, déduction faite de ce qui serait nécessaire pour leur subsistance... M. de Lachèze interrompt le préopinant, et demande que l’Assemblée témoigne son improbation d’un semblable projet. M. le Président observe à M. Rewbell que ses propositions sont contraires au décret rendu hier et aux principes de l’Assemblée. M. le due du Châtelet. La vente des biens ecclésiastiques et domaniaux présente un avantage cerlain. Les assignations qu’elle donne la facilité de créer, ne sont point du papier-monnaie ; leur payement est assuré. Il sera fait au porteur, après un court délai de six mois, et vous aurez, par cette opération, effectué tout ce qu’on pouvait espérer de vous, dans un moment d’embarras et de désordre. Si vous adoptez le travail du comité, je vous proposerai, comme moyen d’exécution, de faire rédiger un tableau des objets qui doivent être préférablement vendus, et de l’adresser aux districts et départements, pour avoir leur avis. Si les billets ne sont reçus d’une manière obligatoire que dans les caisses de Paris, j’ajouterai pour sous-amendement que les receveurs des impositions en province ne puissent les refuser. Sauf ces observations, j’adopte le plan du comité dans toutes ses parties. On demande à aller aux voix. L’Assemblée ferme la discussion. On fait lecture du premier article du plan. « Les billets de la caisse d’escompte continueront à être reçus en payement dans toutes les caisses publiques, et particulièrement jusqu’au 1er juillet 1790, et elle sera tenue d’effectuer ses payements à bureau ouvert à cette époque. » On lit un amendement rédigé par M. de Gazalès : « Les billets de caisse seront reçus dans toutes les caisses publiques, même dans les provinces ; mais leurs cours ne pourra être forcé entre particuliers. » M. le baron d’Aliarde. La question se réduit à savoir si vous voulez ôter aux billets de la caisse la confiance qu’ils ont . Si vous voulez la leur conserver, laissez les choses dans l’état où elles sont; que votre décret ne défende ni ne permette; il doit augmenter la confiance dans des billets que vous allez donner en payement à vos créanciers. Je pense qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’amendement. (Cette opinion est très-fortement appuyée.) M. l’abbé l&Saury. Il y a le plus grand danger à établir le cours forcé des billets dans les caisses des provinces. Si le payement des impositions peut se faire avec ces effets, dans un mois on n’y recevra que des billets de la caisse d’escompte. J’ai l’honneur de vous observer que ce cours forcé que vous voulez éviter deviendra inévitable, parce que vous ne pourrez bientôt envoyer dans les provinces que du papier. Je démontrerai jusqu’à l’évidence que ce sont les billets de caisse qui ont extrait le numéraire de Paris ; je vous marquerai le chemin qu’il a pris; je l’ai suivi depuis son départ jusqu’à sa destination. Allez au bureau des messageries, compulsez les registres depuis le mois d’août 1789 jusqu’à ce jour, et vous verrez que ce sont les capitalistes qui ont fait partir l’argent ; il n’y a pas de commerce plus profitable que d’envoyer de fortes sommes et de les faire revenir, on gagne ainsi 20 0/0 par mois. L’intérêt des banquiers est d’avoir deux patries, l’une où ils achètent l’argent à bon marché, et l’autre où il le vendent très-cher; il importe beaucoup à une compagnie de finance d’éloigner l’argent. On n’agiote pas avec l’argent, et on n’a pas de droit de commission sur l’argent ; il est du plus grand intérêt d’éloigner ce brigandage, qui fonde tant de fortunes sur une calamité générale. M. le baron de Batz, Il est aisé d’expliquer le fait cité par le préopinant. Il a fallu acheter du chanvre et des bois à Bruxelles et en Allemagne: les désavantages du traité de commerce fait avec l’Angleterre nous ont empêchés de payer en marchandises, et l’on a été obligé d’envoyer de l’argent pour s’acquitter. M. le baron d’AlIarde. Pour répondre à la première observation de M. l’abbé Maury, je demande si on donnera les billets de caisse pour rien. S’il en circule en province pour 200 millions, il y aura 200 millions de crédit de plus à Paris. M. Dupont, député de Nemours. Cette question a été discutée entre quatre de vos commissaires, des administrateurs de la caisse d’escompte et des banquiers. 11 a résulté de cette conférence qu’il n’était pas à propos de statuer sur la circulation Ides billets de caisse, et qu’il fallait laisser agir les villes de commerce qui en demanderont la circulation dans leur place. Alors les caisses pu- 680 [19 décembre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. bliques recevront ces billets. Il faut se contenter de dire dans le décret: « continueront comme par le passé » . M. de ©azalès représente la nécessité de rendre une loi très-claire ; il propose de nouveau son amendement, en supprimant ce qui regarde les caisses des provinces. M. le eomtede Dieuzie. Je présente cette rédaction : « Les billets delà caisse d’escompte continueront à être reçus dans toutes les caisses publiques et particulières de Paris, comme par le passé, et le seront dans les caisses publiques de province, etc. » M. Camus. Si vous mettez : « continueront comme par le passé », vous autorisez les arrêts du conseil , et vous fixez exclusivement aux caisses de Paris l’obligation de recevoir ces billets. Les principes d’égalité et de liberté seront violés d’une manière également ruineuse pour Paris et pour les provinces: si ces billets ne circulent que dans Paris, bientôt la capitale n’aura plus de numéraire; elle ne pourra faire ses approvisionnements, ou bien elle gardera celui qu’elle a, et fera les visites les plus rigoureuses pour rem-pêcher de sortir de ses murs. Je demande qu’il soit dit que les billets seront reçus dans les caisses publiques de Paris et des provinces ; que la caisse d’escompte payera 300,000 livres de billets par jour, et qu’il soit fait un règlement pour ce payement. M. Anson. Je considère la rédaction de M. de Dieuzie comme la moins susceptible d’inconvénients. Il y aura à Paris moins de papier et plus de numéraire; ainsi les avantages pourront être compensés. Je demande cependant la priorité pour la rédaction du comité. M. de Cazalès. M. Necker nous a dit positivement que si ces billets étaient reçus dans les caisses de province, il n’arriverait pas un sou au Trésor royal. M. de Tracy. J’adopte la rédaction de M. de Dieuzie; mais je voudrais que l’on ajoutât qu’il n’y aura pas de billet au-dessous de 200 livres. M. de Fontenay. En Normandie, nous répandons dans les campagnes plus de 3 millions en petites sommes, et nous prenons ces fonds dans les caisses publiques contre des valeurs : si ces caisses reçoivent des billets, nous n’aurons plus cette ressource : on viendra de Paris apporter des billets pour remporter de l’argent. M. de Lafare, évêque de Nancy, propose pour amendement à l’article : « 11 en sera usé comme par le passé pour la circulation des billets, etc. » M. de Pardieu. Je demande la question préalable sur tous les amendements. M. de Afontlosier. Je demande qu’ils y soient soumis séparément. L’Assemblée, après avoir décidé que la question préalable portera sur tout l’ensemble, décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer. Elle adopte le premier article du projet de décret, à une grande majorité. M. le comte de Pardieu. Le principe étant décrété, je demande qu’on passe aux voix sur tous les autres articles, sans division. Cette proposition est attaquée, puis accueillie par l’Assemblée; et les autres articles du premier décret proposés par le comité sont adoptés à une grande majorité ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale a décrété et décrète : « i° Que les billets de la caisse d’escompte continueront d’être reçus en payement dans les caisses publiques et particulières, jusqu’au 1er juillet 1790 ; elle sera tenue d’effectuer ces payements à bureau ouvert à cette époque. « 2° La caisse d’escompte fournira au Trésor public, d’ici au 1er juillet prochain, 80 millions en ses billets. « 3° Les 70 millions déposés par la caisse d’escompte au Trésor royal, en 1787, lui seront remboursés en annuités, portant 5 0/0 d’intérêts, et 3 0/0 pour le remboursement du capital en vingt années. « 4° Il sera donné à la caisse d’escompte, pour ses avances de l’année présente, et des six premiers mois de 1790, 170 millions en assignats sur la caisse de l’extraordinaire, ou billets d’achats sur les biens-fonds qui seront mis en vente, portant intérêt à 5 0/0, et payables à raison de 5 millions par mois, depuis le 1er juillet 1790 jusqu’au 1er juillet 1791 ; et ensuite, à raison de 10 millions par mois. « 5° La caisse d’escompte sera autorisée à créer 25,000 actions nouvelles, payables par sixièmes, de mois en mois, à compter du 1er janvier prochain, moitié en argent ou en billets dé caisse et moitié en effets qui seront désignés. « 6° Le dividende sera fixé invariablement à 6 0/0: le surplus des bénéfices restera en caisse, ou dans la circulation de la caisse, pour former un fonds d’accumulation. » 7° Lorsque le fonds d’accumulation sera de 6 0/0 sur le capital de la caisse, il en sera retranché 5, pour, être ajoutés au capital existant alors, et le dividende sera également payé à 6 0/0 sur ce nouveau capital. « 8° La caisse d’escompte sera tenue de rembourser à ces actionnaires 2,000 livres par action, en quatre payements de 500 livres chacun, qui seront effectués le 1er janvier 1791 , le 1er juillet de la même année, le 1er janvier 1792 et le 1er juillet suivant. » On fait lecture du second projet de décret. Une grande partie de l’Assemblée demande à aller aux voix sur-le-champ. Une autre partie veut quitter la séance, et sort de ses bancs. M. l’abbé de Montesquiou demande la parole : il monte à la tribune. On observe que la discussion étant fermée sur le plan, on ne peut entendre personne que pour des amendements. M. l’abbé de Montesquiou. Je ne veux pas abuser des moments de l’Assemblée, puisquils lui paraissent si précieux. Mais il est des positions où l’on ne peut garder le silence. Le décret dont il s’agit me paraît compromettre les intérêts des provinces, des rentiers et des titulaires des bénéfices ..... Vous jetez gaiement en vente des biens pour 400 millions, sans avoir consulté les provinces, quoique vous vous y soyez engagés par votre décret du 2 novembre. On interrompt, en rappelant que la discussion est fermée par un décret, et qu’elle ne peut être reprise que par un autre décret.