336 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 août 1789.] de remplir la place que vous me confiez, et que les talents de mes prédécesseurs ont rendue si difficile, si je n’espérais que vous daignerez être mes guides, et qu’objet de vos bontés, je le serai également de votre indulgence. Vous êtes maintenant occupés du travail le plus important : donner une constitution au royaume est le sujet actuel de toutes vos pensées. La France en désordre vous conjure de hâter ce travail sans le précipiter. Je serais trop heureux, Messieurs, si je pouvais contribuer à avancer de quelques instants un si grand ouvrage, et, organe de votre volonté, prononcer quelques articles fondamentaux de la liberté et du bonheur public. (O/t applaudit.) M. Salomon, au nom du comité des rapports, donne quelques détails de ses premiers travaux. Par des lettres de toutes les provinces, il paraît que les propriétés, de quelque nature qu’elles soient, sont la proie du plus coupable brigandage ; de tous les côtés les châteaux sont brûlés, les couvents sont détruits, les fermes abandonnées au pillage. Les impôts, les redevances seigneuriales, tout est détruit; les lois sont sans force, les magistrats sansautorité, la justice n’est plus qu’un fantôme qu’on cherche inutilement dans les tribunaux. Pour remédier à de tels désordres, le comité des rapports propose l’arrêté suivant : « L’Assemblée natiouale, imforméequele payement des rentes, dîmes, impôts, cens, redevances seigneuriales, est obstinément refusé; que les habitants des paroisses se réunissent et témoignent dans des actes l’engagement de ces refus, et que ceux qui ne veulent pas s’y soumettre sont exposés aux menaces les plus effrayantes, et éprouvent de mauvais traitements ; que des gens armés se rendent coupables de violence, qu’ils entrent dans les châteaux, se saisissent des papiers et de tous les titres, et les brûlent dans les cours ; « Déclare qu’occupée sans relâche de tout ce qui concerne la constitution et la régénération de l’Etat, elle ne peut, quelque pressants que soient les objets particuliers qui lui sont soumis, détourner ses regards de celui auquel elle est fixée, et suspendre ses travaux dont toute l’importance exige la continuité; a Déclare qu’aucune raison ne peut légitimer les suspensions de payement d'impôts et de toute autre redevance, jusqu’à ce qu’elle ait prononcé sur ces différents droits ; déclare qu’aucun prétexte ne peut dispenser de les payer; qu’elle voit avec douleur les troubles que ces refus occasionnent, et qu’ils sont essentiellement contraires aux principes du droit public que l’Assemblée ne cessera de maintenir. » La discussion s’ouvre sur ce projet. Il s’élève plusieurs opinions très-opposées. Quelques-uns sont d’avis qu’il n’y a lieu à délibérer, attendu que l’Assemblée n’a pas de preuves légales des désordres qu’on lui annonce, et contre lesquels on lui propose de statuer. M. Mougins de Roquefort. Je combats cette opinion. L’Assemblée est la sauvegarde de la société; il suffirait que la tranquillité publique fût seulement menacée, pour qu’elle soit autorisée à rendre toutes les mesures propres à la maintenir. a notoriété des faits constatés par les lettres des personnes publiques donne des preuves incontestables des troubles qui agitent les provinces ; et ces preuves ainsi acquises suffisent pour exiger de l’Assemblée un acte d’invitation et de prévoyance, tel que l’arrêté proposé par le comité. M. l’abbé Grégoire énonce le vœu des curés de son bailliage ; il fait le tableau des persécutions inouies qu’on vient d’exercer en Alsace envers les juifs; il dit que, comme ministre d'une religion qui regarde tous les hommes comme frères, il doit réclamer dans cette circonstance l’intervention du pouvoir de l’Assemblée en faveur de ce peuple proscrit et malheureux. M. de Raze observe que la féodalité est une matière délicate, et de toutes les questions la plus importante pour les habitants de la campagne. 11 pense qu’il serait dangereux de rien promulguer sur ce point jusqu’après l’achèvement delà constitution. Quelques membres appuient cette observation. Un député de la noblesse ajoute que l’Assemblée ayant déjà fait une déclaration pour inviter le peuple à la paix, il convient d’en faire une autre pour remettre les anciennes lois en vigueur. Un membre observe qu’il importe de s’assurer de la vérité des faits. Eie rapporteur répond que les lettres sont bien positives. Quelques-uns demandent des procès-verbaux ; il n’y en a point. M. Desmeuniers. J’observe que les faits n’étant point constatés, il ne convient pas à l’Assemblée de faire une déclaration sur des objets douteux; elle doit être très-circonspecte sur le choix des preuves; dans les tribunaux, les lettres, les certificats sont rejetés, et une Assemblée aussi solennelle, aussi auguste, ne doit pas montrer moins de scrupule. M. Robespierre. Je réponds à cette dernière objection, que le pouvoir exécutif, pour prononcer des jugements, a besoin d’une certitude non équivoque; mais qu’il suffit au pouvoir législatif d’être assuré des faits officiellement; au surplus, les lettres envoyées au comité des rapports sont suffisantes, puisqu’elles sont émanées de personnes en place, des corps de magistrature, etc. M. le Président prend la parole, et réduit la question à deux propositions : 1° Adoptera-t-on le plan d’une déclaration ? 2° Adoptera-t-on celle présentée par le comité des rapports, ou la renverra-t-on au comité de rédaction ? Plusieursmembres interrompent M. le président, l’interrogent, lui reprochent de s’écarter du règlement, qui ordonne que toutes les motions ne seront mises en délibération que le lendemain. M. Chapelier, avec la plus grande modération, répond à chacun sur le règlement. Il dit qu’il faut distinguer les motions relatives aux impôts, aux finances et à la législation; que ces seules motions sont celles qui ne doivent être mises en délibération que le lendemain ; qu’au surplus, il demande la volonté de l’Assemblée, pour décider si on mettra sur-le-champ la matière en délibération. La très-grande majorité vote pour que l’on délibère sur-le-champ. [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 août 1789.] 337 Malgré ce jugement, les réclamations recommencent, mais peu à peu l’ordre se rétablit, et la discussion continue. M. Duport propose de renvoyer au bureau. Cette opinion n’a aucun succès. Plusieurs membres prétendent qu’il ne faut pas de déclaration, les autres que celle présentée par le comité des rapports n'est pas convenable. M.*“. Il ne faut pas appeler droits légitimes des droits injustes, et pour la plupart fondés sur la force et la violence. Il ne faut pas parler des droits féodaux; les habitants des campagnes en attendent la suppression, la demandent dans les cahiers, et ce serait les irriter que de faire une pareille déclaration. Un député breton réclame l’exécution de ses cahiers, qui portent que les seigneurs ne pourront forcer leurs censitaires à aucunes déclarations censueiles. M. le Président observe que cette motion est étrangère à celle que l’on agite. Un membre propose un arrêté, en disant qu’il faut se hâter de remédier aux maux actuels ; que bientôt la France sera dans le plus grand désordre; que c’est la guerre des pauvres contre les riches; et que si l’on n’apporte aucun remède à la suspension du payement des impôts , le déficit sera de plus de 200 millions; queM. le contrôleur général se plaint du vide de ses caisses. Il lit le projet suivant : « L’Assemblée nationale, persistant dans son arrêté du 17 juin, ordonne que tous les impôts actuels seront perçus, comme par le passé, jusqu’à ce que l’Assemblée les ait remplacés par d’autres impôts plus justes et moins susceptibles d’inconvénients ; défense à qui que ce soit de s’opposer au payement des impôts, sous peine d’être poursuivi extraordinairement et puni selon la rigueur des ordonnances. « Tous ceux qui attenteront à la liberté et la propriété de chaque individu seront poursuivis par le procureur du Roi ; enjoint à tous baillis, sénéchaux, prévôts de les poursuivre. > Ce projet n’a pas de suite. Après bien des discussions, des contradictions, on admet le plan de la déclaration, et l’on renvoie au comité de rédaction pour en proposer une. Le résultat du scrutin pour la nomination des secrétaires a été en faveur de MM. Fréteau, l'abbé. de Montesquiou et Pétion de Villeneuve. M. Em-mery est élu pour remplacer M. Chapelier, qui avait laissé une place vacante en montant au fauteuil. Un membre du comité des rapports rend compte d’une pétition faite à l’Assemblce par les maires et syndics de Toul, et de différentes municipalités de Lorraine. Dans le pays de Toul, les habitants avaient eu jusqu’à ce jour, en dépôt, des armes qui leur étaient confiées, pour que, dans l’occasion , ils pussent s’armer promptement. Deux ordres , signés de M. de Broglie, les en en ont dépouillés dans une circonstance où ils ont besoin de se mettre en défense contre les brigands qui infestent les provinces. Ils prient PAssemblée, par l'organe de leurs syndics, de vouloir bien se Série, T. VIII. concerter avec le ministre, et obtenir que leurs armes leur soient rendues. L’avis du comité est que la demande doit être accordée. L’Assemblée adopte l’avis du comité. Un autre rapport occupe l’Assemblée. M. l’évêque de Noyon, voyageant avec un ecclésiastique, a été arrêté à son passage à Dôle. Interrogé et visité par l’ordre des officiers municipaux, il a été détenu et l’est encore. Quoiqu’ils n’aient rien trouvé sur lui de suspect, ils ont jugé à propos de le garder à vue jusqu’à ce que l’Assemblée consultée eût décidé de son sort. Le comité a pensé que cette détention était illégale ; il a proposé le renvoi de cette affaire au ministre ; cependant il a pensé qu’il convenait que M. le président écrivît aux officiers municipaux de Dôle, pour leur rappeler les principes. Cette proposition est adoptée. M. Malouet obtient la parole pour une motion d’ordre. M. Malouet. C’est travailler à la constitution, c’est en assurer le succès, que de fixer un moment votre attention sur le nouvel ordre de choses qu’elle va opérer et sur la transition subite de l’état ancien de la nation à un état nouveau. Un plan successif d’améliorations et de réformes dans un nouveau gouvernement laisse le temps de remplir tous les vides, de pourvoir à tous les déplacempnts d’hommes et de choses, et d’ordonner complètement chaque partie à mesure qu’elle subit l’examen du législateur. Mais lorsque, sans autre précaution qu’une volonté toute-puissante, une grande nation passe subitement de la servitude à la liberté ; lorsque tous les abus et ceux qui en profitent sont à la fois frappés du même coup, il se môle nécessairement, Messieurs, à ces nobles efforts du patriotisme un sentiment d’inquiétude et de terreur sur les périls et les désordres momentanés dont un tel ébranlement menace les différentes classes de la société. Nous avons proscrit les fautes et les erreurs de plusieurs siècles; l’expérience et les lumières de tous les âges vont présider à notre Constitution. Mais l’exposition des meilleurs principes est la moindre partie des devoirs et des talents du législateur ; et lorsqu’il ne laisse apercevoir que des motifs et des vues générales, il faut encore qu’il connaisse tous les détails intérieurs et qu’il agisse sur tous les ressorts de la société pour en régler le mouvement, en prévenir les écarts, concilier le présent avec l’avenir, les institutions nouvelles avec les besoins du moment et la vie morale de l’Etat avec son existence physique. Cette réflexion, Messieurs, s’applique à notre position. L’Etat périssait par la multitude et la gravité des abus que vous allez réformer. Mais il n’est peut-être pas un de ces abus qui ne soit actuellement la ressource de ceux qui y participent, et qui ne soit lié à la subsistance de diverses classes de salariés. Un grand , nombre d’emplois ou de fonctions publiques, de grâces non méritées, de traitements exagérés et de moyens abusifs de fortune, doit être supprimé ou réduit. Un nouvel ordre et plus de simplicité dans la régie des finances, dans l’administration de la justice, dans la représentation des grandes places, va influer graduellement sur tous les états, d’où résulteront deux effets certains: l’un dont la perspective ne peut êire 22