13 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [U décembre 1789.] lra ANNEXE à la séance de l’Assemblée nationale du 24 décembre 1789. Adresse des notables adjoints de Paris en exécution du décret concernant la procédure criminelle (1). Messieurs, pour rassurer l’innocence, pour faciliter la justification des accusés, pour honorer davantage le ministère des juges, vous avez décrété que dans toute l’étendue de l’empire il serait nommé des notables adjoints, chargés d’assister à l’instruction des procès criminels et choisis parmi les citoyens de bonnes mœurs et de probité reconnue. Cette loi qui présente les bonnes mœurs et la probité comme formant les premiers titres à la confiance publique, cette loi qui a créé pour l’honneur une récompense flatteuse et encourageante, est attaquée dès sa naissance. Au moment où près de 500 citoyens de Paris venaient de recevoir du choix libre de leurs concitoyens le prix d’une conduite irréprochable et pure, il a paru un mémoire de M. le garde des sceaux, en date du 8 décembre dernier, mémoire où le ministre qui est placé à la tête de la justice, et dont l’esprit éclairé est à la hauteur de sa place, vous adresse différentes questions relatives aux fonctions et aux devoirs des notables adjoints. A la lecture de ces questions, une première inquiétude s’est répandue parmi nous; et lorsqu’à ce mémoire est venu se joindre le rapport de votre comité judiciaire, nous nous sommes réunis presque spontanément. Dans la communication de nos craintes, dans le commerce de nos pensées, nous avons cherché à détourner de nous, s’il était possible, le sort humiliant dont nous étions menacés, S’il n’était question dans le mémoire et dans le rapport que d’étendre ou de restreindre les fonctions des notables adjoints, nous nous renfermerions dans le silence, Sans autre ambition que celle d’obéir à la loi, nous ne voyons rien au delà de ce qu’elle a vu, et nous serons honorablement partout où elle aura marqué notre place. Mais on a rédigé, contre les notables adjoints, un code pénal dont les dispositions nous livrent au découragement. Nous serait-il interdit de réclamer contre ce projet? Non, sans doute; et certains que nos observations auront ce caractère de respect qui est dû à l’Assemblée législative, nous ferons usage du droit de pétition que vos décrets ont reconnu appartenir à chacun des citoyens. Pour rendre sensible, même sans aucune discussion, la justice de nos réclamations, peut-être suffirait-il d’offrir dans un même tableau, et à la suite les unes des autres, les questions que présentent contre les adjoints le mémoire et le rapport. On vous invite à décréter, Messieurs, que tout citoyen nommé notable adjoint sera lié malgré lui-même, par la seule volonté de ses commettants, à des fonctions de tous les jours et de tous les moments, non-seulement pour une année, mais plusieurs années de suite, mais toutes les années de sa vie, si tel est le bon plaisir des corps municipaux qu’on autorisera à le continuer dans les mêmes fonctions, sous l’apparence de la nécessité. C’est surtout dans le projet du décret que se trouvent consignés et rapprochés les motifs qui nous pressent de réclamer au nom de tout citoyen actif. On veut lui enlever à la fois presque toutes les sortes de liberté : Liberté de refuser une première nomination ; Liberté de se démettre après avoir accepté ; Liberté de refuser toutes les nominations subséquentes; Liberté de refuser son assistance au premier acte d’une instruction, toutes les fois qu’il sera appelé par le plaignant ou par le juge ; Liberté de refuser son ministère à tous les actes relatifs à la même instruction ; Liberté de se retirer au milieu d’un acte commencé en sa présence ; Liberté de se récuser de lui-même, en l’astreignant à la nécessité de déclarer dans le procès-verbal les motifs de sa récusation. A ces premières dispositions qu’on vous propose, il faut ajouter encore : Qu’il ne suffira point au notable adjoint d’avoir prêté serment dans les mains de la municipalité pour prouver qu’il a accepté sa nomination ; le greffier du tribunal l’avertira de se rendre au greffe, dans les vingt-quatre heures de l’avertissement, pour signer son acceptation ; Que faute par l’adjoint d’avoir fait son acceptation dans ledit délai, il en sera sommé par un huissier, à la requête du ministère public ; Que, dans tous les cas où un notable adjoint, sur un avertissement verbal ou d’un plaignant ou d’un huissier, n’aura point comparu pour prêter son ministère, il lui sera fait une sommation par huissier. Enfin, pour mettre le comble à cet assemblage de rigueurs, on vous invite, Messieurs, à prononcer contre le citoyen actif, nommé notable adjoint, radiation de la liste civique : Pour un an, s’il refuse d’accepter sa nomination ; Pour deux ans, s’il refuse de prêter son ministère, après avoir accepté; Pour trois ans, s’il refuse de continuer sa présence à un acte commencé, ou aux autres actes relatifs à l’instruction du même procès ; Pour toujours, enfin, si le refus est accompagné de violence ou de scandale. Et cette radiation, dans tous les cas, sera ordonnée par le juge, signifiée à l’adjoint et au corps municipal, et affichée à la porte de l’audience. Il nous semble, Messieurs, que ces diverses dispositions ainsi réunies, démontrent, sur un simple aperçu, qu’il est inutile de les combattre successivement pour les ruiner toutes à la fois. Peut-être même pourrions-nous terminer ici notre adresse, sans rien craindre pour le succès de nos réclamations. Mais nous devons à l’intérêt de tous les citoyens actifs de démontrer que ces dispositions sont directement contraires : 1° A la liberté individuelle ; 2° à l’honneur du citoyen ; 3° à la dignité des fonctions d’adjoint ; 4° en dernière analyse, au but de l’institution des notables. Les dispositions proposées sont contraires à la liberté individuelle. (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. Faire des fonctions de notable adjoint une charge publique dont l’acceptation est forcée, et 14 [Assemblée hàlionale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [34 décembre 1789.] le refus Boüffiis à dés peines déshonorantes� c’est blesser tout citoyen dans l’une de ses propriétés les plus sacrées, dans la propriété de son temps. La violation de celle-ci serait même, à l’égard du plus grand nombre, un attentat à leur personne et à leur fortune. Que de citoyens ont besoin de tout leur temps pour trouver dans l’emploi de leur personne leur subsistance, ou du moins celle de leur famille! Combien d’autres qui, placés plus heureusement, ont un besoin non moins impérieux de tous leurs jours pour ne pas laisser dépérir des entreprises, des établissements, un commerce nécessaire à leür existence ! Où serait alors pour chacun la liberté reconnue par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de disposer de sa personne comme il le veut et l’entend, sans nuire à autrui? Attaché forcément à des fonctions qui exigent sa présence personnelle, hors de sa maison, et le jour et la nuit, selon que les délits varient, le Français, par ces différentes dispositions, serait attaqué dans sa liberté beaucoup plus qu’il ne le fut jamais par toutes les fonctions connues sur le nom de charges publiques. Gelles-ci, quoique soumises à une comptabilité, ne sont en rien comparées à celles des notables adjoints. Il suffit pour les remplir de sacrifier un petit nombre de jours dans le courant d’une année ; et ces jours même, on a la liberté de les choisir à son gré : mais le notable adjoint, asservi à l’incertitude des circonstances, est sans cesse, surtout dans les grandes villes, au moment d’être appelé. Son temps et sa présence personnelle appartiendront au premier juge, au premier plaignant qui auraient le droit de le requérir. Enlever au citoyen nommé notable adjoint la liberté de refuser ou sa nomination ou son ministère, ce serait donc faire de lui un esclave qui compterait autant de maîtres qu’il aurait autour de lui de plaignants, de juges instructeurs et de tribunaux. Votre comité judiciaire a si bien senti, Messieurs, . la force de cette vérité, qu’il n’a pu s’empêcher de se demander si, obliger tout citoyen actif d'accepter la qualité d'adjoint sous une peine quelconque , ce ne serait pas attaquer la liberté naturelle que doit conserver tout individu de ne prendre que les emplois analogues à ses talents et même à son goût. Cette objection est puissante, même lorsqu’il n’est question que d’emplois analogues aux talents et au goût. Il peut se faire cependant que l’intérêt public exige qu’on n’ait aucun égard à un refus fondé sur ce double motif. Mais, Messieurs, il s’agit ici, non d’un sentiment intime d’incapacité, non d’une répugnance qu’on peut surmonter à force de civisme. Nous parlons d’une impossibilité absolue et presque générale pour le plus grand nombre des citoyens. Il en est peu à qui leurs affaires particulières, qui sont encore celles de la société , il en est peu qui puissent donner forcément une grande partie de leur temps aux fonctions pénibles e notable adjoint. C’est un vol que la loi leur ferait ; et ce vol serait d’autant plus funeste, qu’il attaquerait la masse de la richesse sociale, qui ne s’accroît et même ne se conserve qu’à l’aide du travail de chaque individu. Les dispositions proposées sont contraires à l’honneur du citoyen. La régénération sociale à laquelle travaille, avec tant d’ardeur et de gloire, l'auguste Assemblée ne pourrait s’opérer, si l’on ne cherchait à développer et à étendre dans le cœur de tous les citoyens ce sentiment profond de l’honneur que Montesquieu a distingué de la vertu, et qui cependant, examiné de près, est la vertu même, c’est-à-dire un dévouement généreux aux intérêts de la chose publique. Tous les hommes, sans doute, n’ont pas ces qualités éminentes , ces talents distingués qui semblent marquer un individu pour les grandes places ; mais l’intérêt de la société veut que nous ayons tous le désir d’obtenir de nos concitoyens un témoignage honorable de leur confiance, un certificat authentique de probité reconnue et de mœurs irréprochables. Or, ce serait démentir ce témoignage, ou du moins le rendre douteux, que d’exiger une soumission forcée aux devoirs de notables adjoints, En vain apportera-t-on à les remplir l’assiduité� l’empressement et le zèle que l’honneur commande et sait rendre faciles. L’opinion publique, qui ne perdra jamais de vue cette contrainte, ces peines que la loi aura prononcées, ne laissera jamais le citoyen jouir du mérite de ses sacrifices. Elle n’v verra qu’un effet de la crainte des châtiments. "Qui sait même si les parties ne se permettront pas souvent d’en menacer les adjoints, et si les juges, qui sont des hommes, n’iront pas jusqu’à les infliger par des motifs personnels? Alors comment l’honneur des citoyens 'nommés notables adjoints ne sera-t-il pas dégradé dans l’opinion publique ? Sans doute, « tout citoyen actif, nommé notable adjoint, doit se faire un honneur et un devoir d’accepter ce titre de la confiance publique et continuer l’exercice d’un acte aussi distingué de patriotisme, à moins que sa profession, son commerce, » ou même une vraie défiance de lui-même, « ne lui rendent cette fonction absolument impossible. » Mais c’est précisément parce qu’il doit s’en faire un honneur qu'il faut le laisser libre d’accepter, de refuser, de se démettre. L’honneur et la contrainte ne peuvent aller ensemble. 11 n’y a du mérite dans la vertu que parce que nous sommes libres de n’être pas vertueux. Celui qui n’aurait pas la liberté d’agir, ne recueillerait aucune gloire d’aucune de ses actions. La loi et la patrie peuvent demander de grands sacrifices ; mais, pour les obtenir d’une manière qui ne dégrade pas celui qui les fait, il faut qu’elles s’interdisent toute violence, et laissent à l’honneur la satisfaction de les consentir. Les dispositions proposées sont contraires a la dignité des fonctions d’adjoint . Pour nous pénétrer de l’importance de nos devoirs (et cette importance en fait toute la dignité), nous avons « scruté l’esprit général qui a dicté le décret de l’Assemblée nationale, » et nous avons vu, comme M. le garde des sceaux l’a si bien vu lui-même, que « la loi qui crée les notables adjoints, a voulu préposer deux hommes choisis par la confiance de leurs concitoyens, pour faire au juge instructeur les observations dictées par l’impartialité ; que ces hommes choisis ne sont pas les défenseurs de l’accusé ; qu’ils ne lui doivent ni secours ni protection, mais qu ils doivent tous leurs soins à la véracité des preuves, à ce qu’on n’en al tère pas le caractère, et peut-être à ce qu’on n’en outre pas les conséquences pour en rendre les effets plus affligeants ; en un 15 [Assemblée nationale.] ARGHIVES PARLEMENTAIRES. [24 décembre 1789.] motj qu’ils sont, en quelque sorte, les surveillants du juge instructeur*. » Nous avons vu, comme votre comité judiciaire, « que dans la partie secrète de la procédure, les notables adjoints sont appelés au défaut du peuple ; qu’ils ont été choisis par le peuple pour le représenter et pour remplir la double fonction de protéger l’innocence et de s’opposer à l’indulgence qui épargnerait le coupable ; que leur devoir est de surveiller les premiers actes de la procédure ; » et que si la publicité de l’instruction, supposé qu’il fût possible de l’admettre dans toute son étendue, était regardée « comme le frein le plus puissant que la loi puisse opposer aux erreurs, à la faiblesse, à la négligence ou à la prévention du juge, » les adjoints, qui sont « un moyen supplétoire de la publicité , » ont, par conséquent, la mission expresse de s’opposer à ces erreurs, à cette faiblesse, à cette négligence, à cette prévention . De ces pensées générales que nous avons trouvées répandues aussi dans les différents articles déjà décrétés par vous, Messieurs, et sanctionnés par le Roi, est née dans nos esprits une haute idée de l’importance des devoirs auxquels nous nous sommes volontairement liés par la religion du serment. Le bien que nous étions appelés à faire s’est montré tout entier à nos yeux. Peut-être même notre fidélité a-t-elle paru trop scrupuleuse, ou du moins trop circonspecte pour suivre l’ancienne rapidité de l’instruction ; mais cette circonspection, que personne ne nous reproche, sans doute, est du moins pour l’Assemblée nationale un témoignage authentique de l’idée religieuse que nous nous sommes formée de nos devoirs. Or, si tel est le ministère important que les notables adjoints tiennent de la volonté de la loi, si tels sont les sentiments qu’ils ont manifestés en se conformant à l’esprit qui a dicté la loi, comment les investigateurs de la vérité, les surveillants du juge, les représentants du peuple, peuvent-ils s’attendre à voir leur ministère conserver toute sa dignité au milieu de la contrainte qu’on leur prépare, et des peines dont on les menace ? Nous supplions l’auguste Assemblée de se souvenir que ce code pénal n’existait pas même dans sa pensée, lorsque le peuple nous a choisis pour le représenter. Il nous a transmis ses fonctions, libres alors de toute peine flétrissante : peut-être serions-nous obligés de les lui remettre pures comme nous les avons reçues. Les dispositions proposées sont contraires au but ae l'institution des notables adjoints. Si tout citoyen nommé notable adjoint était forcé d’accepter sa nomination, s’il ne pouvait ni se démettre de son titre, ni refuser son ministère, quelque répétées que fussent les réquisitions qu’on en ferait, ne serait-il pas à craindre qu’après avoir mis toute son adresse à dérober sa personne et son temps à la nécessité de ces fonctions, il ne cédât qu’à regret à cette nécessité? et de là peut-être se manifesterait bientôt en lui cet esprit de découragement, d’indifférence et de dégoût, inséparable de tous les devoirs pénibles où l’on n’est plus soutenu par le sentiment de la liberté et de l’honneur. L’assistance de ces investigateurs de la vérité, de ces surveillants du juge, de ces représentants du peuple, ne serait qu’une formalité de convenance. On la remplirait, sans doute, c’est-à-dire que les notables adjoints, forcés d’apposer leur signature à tous les actes de l’instruction, se soumets traient à l’y apposer; mais, comme leur zèle ne serait plus aiguillonné par l’honneur, comme leur âme serait même flétrie par l’image d’une peine avilissante, ils borneraient toute leur surveillance à une opération manuelle. Pressés de terminer des séances auxquelles ils seraient enchaînés malgré eux, ils se défendraient de les prolonger par des observations qui auraient conduit à la vérité. Et qui sait s’ils n’en viendraient pas à ce terme : uniquement occupés de sauver leur temps* ils consentiraient à signer des plaintes et des dépositions qu’ils n’auraient point entendues? Il ne nous appartient pas de dénoncer les prévarications de ce genre, passées en usage dans la procédure civile ou criminelle qui subsiste encore. D’ailleurs, l’Assemblée nationale ne les ignore pas, et sa sagesse saura bien Un jour les réprimer. Nous dirons seulement que la crainte des peines ne les a point arrêtées. Les officiers ministériels de la justice se sont accordés quelquefois une indulgence mutuelle. Or, telle est la connivence qui serait à craindre un jour entre les juges instructeurs et les notables adjoints, si ces derniers, menacés de peines, ne voyaient dans leurs fonctions qu’une corvée publique de tous les jours et de tous les instants. Nous osons croire, Messieurs, que cette suite d’observations peut inspirer quelque défiance des nouvelles dispositions qu’on vous propose d’ajouter à votre décret. Il nous reste à répondre aux motifs qui semblent nécessiter que vous décrétiez, d’une part, la contrainte, et de l’autre, les peines. De la contrainte. Un certain nombre de personnes , vous a-t-oü dit, témoignent déjà de la répugnance pour cette fonction , et s’il est permis de la refuser , bientôt l'exemple d’un petit nombre deviendra général. D’abord on peut répondre que cette répugnance actuelle ne prouve rien encore pour l’avenir ; dans ce moment où l’ouvrage de notre régénération s’élève au milieu de tant d’ennemis déclarés ou cachés, qui tous sont intéressés à le combattre ou du moins à le retarder, il n’est pas étonnant que le civisme ne soit pas encore un sentiment universel ; mais qu’on laisse faire au temps, et la patrie ne manquera pas de citoyens qui s’honoreront de la servir dans tous les postes. On peut ajouter ensuite qu’un moyen infaillible de faire redouter au citoyen, même le plus dévoué, les devoirs de notable adjoint, c’est de convertir ces devoirs en charge publique. On se sent avili à l’idée de la contrainte ; on s’honore de la liberté; celle-là nous repousse; celle-ci nous attire. L’Assemblée nationale qui, par son exemple, a réveillé l’amour de la linerté dans le cœur de tous les Français, ne cherchera point, sans doute, à l’éteindre dans celui des notables adjoints. On peut croire enfin que, si au lieu d’attacher aux fonctions de notable adjoint la défaveur qui suit les charges publiques, on faisait, non pour nous, mais pour nos successeurs, de ce premier témoignage de la confiance des peuples, un titre nécessaire pour arriver à d’autres devoirs encore plus utiles à la jsociété , les concurrents, au lieu de le fuir, se presseraient en plus grand / 40 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 décembre 1789.] nombre autour de cet emploi devenu plus important. Nous livrons, Messieurs, cette pensée à votre sagesse; c’est à vous qu’il appartient de prononcer si elle a quelque analogie avec la nature du cœur humain. Votre comité judiciaire, Messieurs, vous a rappelé que vous n’aviez pas cru pouvoir obliger aucun citoyen à accepter les emplois municipaux et il a ajouté que vraisemblablement vous ne croirez pas pouvoir contraindre personne d’accepter les places de judicature. Nous sollicitons de vous, Messieurs, la même justice pour les fonctions de notable adjoint. Sur quels motifs voudrait-on que vous les traitassiez plus rigoureusement ? Serait-ce parce qu’elles demandent souvent une continuité d’actions, hors de chez soi, au milieu des malfaiteurs, en présence des meurtres, du sang et des cadavres? Pour attacher à des devoirs aussi pénibles, aussi asservissants, osons même le dire, aussi repoussants, il n’est pas nécessaire de solliciter une loi de contrainte; elle serait impolitique, cette contrainte qui, au lieu d’exciter une généreuse émulation de civisme, chercherait à l’étouffer. Qu’on daigne voir encoreque peut-être les emplois municipaux, et certainement les places de judicature, auront un traitement pécuniaire, quel qu’il soit, au lieu que les fonctions de notable adjoint ne peuvent et ne doivent jamais être salariées; tel est du moins le vœu bien exprimé des adjoints de Paris, et (nous n’en doutons pas) de toute la France : ils ne veulent pour récompense de leurs services que l’honorable et juste liberté d’être utiles à la patrie sans se nuire à eux-mêmes. Des peines. C’est un tableau bien extraordinaire, Messieurs, que celui des peines auxquelles on voudrait soumettre les notables adjoints pour refus de service sur la réquisition verbale d’un plaignant ou d’un huissier ; votre sage équité a déjà vu, sans doute, qu’il n’y aurait ici aucune proportion entre la faute et le châtiment. Le projet de décret ne parle que de radiation de la liste civique, dans tous les cas où cette radiation serait le comble des rigueurs ; tandis qu’en prévoyant le seul délit contre lequel il faudrait peut-être la prononcer, on se contente de menacer d’une action en dommages et intérêts. Nous allons examiner, sous ce double point de vue, tout ce qui concerne les peines; nous nous flattons de prouver ensuite qu’il est un autre moyen plus sûr et plus noble d’arriver à l’exactitude du service, le seul motif raisonnable et légitime qu’on ait pu avoir pour solliciter de vous un code de rigueur. De la disproportion des peines aux fautes. L’Assemblée nationale a conçu une grande pensée, lorsqu’elle a projeté la liste civique; la probité, cette première vertu du citoyen, s’en est réjouie, dans la plus juste espérance qu’elle en deviendrait plus chère aux Français régénérés; mais, comme cete liste sera le premier titre qu’il faudra nécessairement produire pour aspirer à la confiance de la cité, la justice commande impérieusement qu’on ne puisse être exclu de ce livre de vie que pour des délits contre l’honneur et la probité: tout ce qui est en deçà ou en delà de cette ligne, ou ne mérite pas de châtiment, ou bien mérite un châtiment plus grave. Le citoyen indifférent à la chose publique doit être abandonné à son inutilité; un jour, qui n’est pas loin sans doute, ce sera une honte pour lui que de rester inutile au milieu de l’action de tous ses concitoyens ; mais être rayé de cette liste, ce serait être flétri ; cette peine ressemblerait trop à la mort civile donnée par le blâme et l’infamie que prononcent les tribunaux judiciaires. Et cette ressemblance serait d’autant plus aisément adoptée par l’opinion publique, que dans le projet de décret, il est sans cesse question, contre les notables adjoints, de greffe, d'huissiers, de sommation, du juge du siège qui prononce la radiation, de signification et même d'affiche de l’ordonnance à la porte de l’auditoire. L’auguste Assemblée ne dédaignera pas d’examiner cet appareil de formes judiciaires, et n’infligera point une note flétrissante à une négligence, blâmable sans doute, mais bien éloignée de la nature d’un délit. Que serait-ce si l’on n’avait à punir qu’un simple oubli, assurément très-possible, de se rendre au lieu, au jour, à l’heure indiqués? Une autre considération non moins importante, qu’il ne nous est pas permis de négliger, c’est la possibilité que la sommation par huissier ne soit pas toujours fidèlement rendue. La malveillance, la haine ne sont pas difficiles dans le choix des moyens : or, dans cette supposition d’infidélité combinée, ou si l’on veut même, dans l’hypothèse d’une négligence ou d’un hasard, le notable adjoint qui n’aura pas été averti de comparaître, sur la simple déclaration d’un homme intéressé à ne point se démentir, sera livré à la rigueur d’une radiation prononcée par le juge, signifiée par huissiers, et affichée à la porte de l’auditoire. Nous n’avons pas besoin de prouver que tous ces cas peuvent n’être pas toujours hypothétiques ; il suffit d’interroger sur le passé la voix publique, qui souvent exagère, mais qui ne ment pas toujours. Maintenant le projet de décret, article 8, suppose de la part du notable adjoint, un refus de service, accompagné d’actes de violence qui produisent un scandale ou une émeute publique. Dans le rapport, ainsi que dans le mémoire, on assure que ce cas n’est pas hypothétique. Mais avant de répondre, ne peut-on pas demander s’il est présumable que la violence soit venue de la part du notable? La violence est un fait de celui qui veut en retenir un autre, et non pas de celui qui veut se retirer. Que prétend ce dernier? Une libre retraite : qu’on la lui permette, il en use, et là tout est fini. Le premier, au contraire, ferme les passages, et voilà la violence ; il est, par cela seul, l’unique auteur du scandale ou de l’émeute qui arrivent. Ainsi donc, au lieu de chercher quelle sera la peine à infliger à un notable coupable de ces excès envers le juge instructeur, n’eût-il pas été plus naturel de demander quelle peine sera prononcée contre le juge instructeur qui se sera permis des violences envers un notable ; et dans cette supposition, quelle conduite vous prescrirez à celui-ci de tenir, et par quel moyen la loi lui permettra de constater le délit ? Il est important que cette question soit résolue par le législateur et noua le supplions de la résoudre. Mais supposons que la violence soit un fait du notable, alors il rentre dans la classe ordinaire des citoyens, et sous l’action de la loi, qui défend à tous les violences, les scandales et les 47 [Assemblée nationale. j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 décembre 17S9.J émeutes. Ce n’est pas comme notable, mais comme xitoyen violent, scandaleux et perturbateur qu’il doit être poursuivi. Si, comme notable, il est juste qu’il soit puni, qu’on le dénonce à ceux qui lui ont confié les fonctions qu’il exerce; à ses commettants, aux officiers municipaux qui ont reçu son serment; qu’il soit rayé du tableau des adjoiuts, sans préjudice du cours ordinaire de la justice. D’un autre côté, l’article 15 suppose, delà part des adjoints, un délit véritable, c’est-à-dire une fausse déclaration faite après l’avertissement du E, et inscrite dans l’acte de la procédure pour el ils ont été appelés. Certainement un pareil crime mérite une radiation absolue sur la liste civique ; jamais l’adjoint ne peut manquer plus essentiellement à ses devoirs que par un men • songe à la justice. Quelle est cependant la peine que l’article propose ? Une action en dommages et intérêts ainsi et envers qui il appartiendra . Du reste, le notable adjoint demeure toujours honoré des mêmes fonctions ; il les a authentiquement outragées; n’importe, il est jugé digne encore do les exercer. Nous ne craignons pas, Messieurs, de le déclarer solennellement devant vous. Si jamais l’un d’entre nous se rendait coupable de ce crime, nous le méconnaîtrions pour notre collègue, et il nous serait impossible de nous résoudre à placer notre signature auprès de la sienne. Et puisque l’ordre des matières nous a conduits à nous occuper de tout ce qui peut être soumis à des peines, nous négligerons pour un moment ce qu’on pourrait appeler notre intérêt particulier, pour nous élever à l’intérêt général par une question que nous vous supplions encore de vouloir bien résoudre. Le notable adjoint doit, en son Ame et conscience , faire au juge instructeur toutes les observations qu’il croira nécessaires à la connaissance de la vérité. Le juge est obligé d’insérer ces observations dans la plainte ou dans les autres actes de l’instruction. 11 peut arriver cependant que le juge refuse d’adresser ces observations, soit au plaignant, soit au témoin, ou qu’après les leur avoir adressées, il ne veuille pas consigner dans l’acte� les réponses qu’ils auront cru devoir faire. Dans* cettte circonstance délicate, quelle doit être la conduite des notables ? Leur est-il permis de con-later ce déni de justice, et comment seront-ils aus-torisés à le constater ? Il nous suffit d’avoir appelé l’attention de l’auguste Assemblée sur cette question. Mais peut-être voudra-t-on conclure de nos observations que nous prétendons à une liberté illimitée dans l’exercice de nos fonctions, tandis que le cours de la justice nécessite un service certain et régulier de notre part. Nous avouons cette nécessité ; et sans rien préjuger relativement au décret que vous allez prononcer, nous vous offrons, Messieurs, avec une confiance respectueuse, la pétition de près de 500 citoyens. Moyens d’assurer l’exactitude du service des Notables adjoints. C’est dans les mains des municipalités que le décret des 8 et 9 octobre veut que les notables adjoints prêtent le. serment qu’il exige d’eux. Les municipalités pourraient donc être autorisées, chacune dans la maison communale, à former un bureau composé des notables adjoints pris tous les mois à tour de rôle. Le tableau des notables adjoints serait déposé lro Série, T. XI. à ce bureau, auquel s’adresseraient les tribunaux, les juges instructeurs et les plaignants, qui requerraient le service des notables adjoints. Ce service serait arrêté quelques jours d’avance selon l’ordre du tableau, et notifié de même aux notables dont le tour serait arrivé. Ceux-ci, au jour indiqué, seraient tenus de se rendre au bureau, et de s’y tenir prêts a la première réquisition, les uns pour la nuit, les autres pour le jour. Dans les petites villes, ainsi que dans les petites communautés où les notables sont peu nombreux, ce serait néanmoins à la maison communale que le juge s’adresserait pour requérir le service des adjoints, qui, là même, ne seraient tenus de servir que selon l’ordre du tableau. Enfin, dans les grandes comme dans les petites municipalités, un certain nombre de notables réunis au corps municipal, ou total ou partiel, serait établi juge des oublis, des négligences, des fautes que le tribunal, ou le juge, ou les parties auraient à reprocher aux notables. La punition de ces fautes serait des avis, des admonitions , et même quelquefois des suspensions momentanées de service prononcées en plein bureau. Cette discipline ne serait point arbitraire, c’est-à-dire abusive, comme celle qu’on a tant reprochée à certains corps qui s’étaient arrogé le droit de l’exercer. Ici tout se ferait par l’autorité et sur l’inspection de la loi, qui seule peut décerner des peines. Et s’il est possible de présumer qu’un adjoint prévarique dans ses fonctions, la dénonciation du délit serait faite au bureau. L’accusé y comparaîtrait, et là, en présence d’un plus grand nombre d’officiers municipaux et de notables adjoiuts expressément convoqués, il serait rayé du tableau des adjoints pour le reste de l’année, et même, suivant l’exigence des cas, déclaré incapable d’exercer par la suite des fonctions de notables, sauf à la justice ordinaire à le poursuivre lorsqu’il se serait porté à des violences accompagnées, ou de scandale, ou d’émeute publique, excès que la loi défend, non pas à tout notable, mais à tout individu. Si ce moyen d’assurer le service paraissait à l’Assemblée nationale digne d'être pris par elle en considération; s’il pouvait mériter surtout qu’elle fit de cette idée informe l’une de ses pensées souveraines, alors plus d’inquiétude à concevoir sur l’exactitude et la régularité du service plus de nécessité de constater ni la réquisition ni le refus; plus de connivence à craindre, soit entre les juges et les adjoints, soit entre les adjoints et les plaignants; plus de procès-verbaux ; plus de sommation par huissier; plus d’ordonnance de radiation parle juge; plus de signification; plus d’affiche. Les tribunaux seraient servis; les juges instructeurs et les plaignants le seraient aussi. Les notables adjoints, toujours surveillés par eux-mêmes et par leurs commettants, ne pourraient se retrancher clans l’impossibilité de prêter un service dont ils n’auraient prévu ni l’heure ni même le jour. Les plaignants ne perdraient pas un temps considérable à chercher des notables qu’ils ne trouvent pas toujours. En un mot, la liberté individuelle serait épargnée, l’honneur du citoyen respecté, la dignité des fonctions d’adjoint conservée, et le but de l’institution des notables rempli. Nous terminons ici notre adresse, en suppliant l’Assemblée na'ionole de ne pas s’étonner si des 2 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 décembre 1789.] Français alarmés lui ont fait entendre ce m de l'honneur. Signé: DEYEUX, DüfoürnY de Villiers, Fauconnier, Musnier des Cloz aux, Bénard, Roucher, Thévenin, Régnault, Legagneur - Letellier . , Roussille de Ghamseru, notables adjoints et commissaires. 2e ANNEXE. Le premier article du projet de décret du comité judiciaire porte que c les adjoints ne doivent être appelés au rapport des jugements sur lesquels interviendront les décrets, ni aucun autre jugement quelconque, n Cependant le décret du mois d’octobre ne fait cesser l’assistance des adjoints qu’à l’instant où l’accusé se sera présenté sur le décret. A cette époque, le jugement qui a prononcé ce même décret est rendu, et le rapport qui le précède est fait : donc l’assistance des adjoints au rapport qui précède le décret est jugée nécessaire, et est comprise dans la loi. Réflexions sur le plus ou le moins d’étendue des fonctions des notables adjoints dans l'instruction des procès criminels (1) . Le décret de l’Assemblée nationale des 8 et 9 octobre a donné lieu à M. le garde des sceaux de lui proposer de statuer sur diverses questions relatives à la fonction des adjoints. L’Assemblée nationale s’est pccupée de l’examen de ces questions, et déjà son comité de constitution judiciaire lui a fait un rapport qui sera mis à la discussion sous peu de jours. Ges questions sont au nombre de neuf-Les notables adjoints, alarmés des effets que pouvait produire sur leur honneur personnel et sur la dignité de leurs fonctions le résultat des questions 6, 7 et 8, tel qu’on le lit dans le rapport, ont pris la liberté de faire aux législateurs de la nation leurs respectueuses représentations. C’est la confiance de nos concitoyens qui nous a honorés du titre de notable adjoint, ont-ils dit ; c’est le patriotisme qui nous l’a fait accepter. On nous charge de représenter le peuple pendant le secret de 1 instruction ; on ne pouvait nous revêtir de plus nobles fonctions. Nous trouvons notre récompense dans nos veilles et dans l’importance de notre ministère , dont nous ne cherchons même pas à nqus enorgueillir; mais la menace de peines qui ne tendraient pas à moins qu’à entacher notre honneur, en nous rayant du tableau civique, si nous n’acceptions pas un poste dont on peut avec vérité se croire incapable, ou si nous offrions notre démission , ou si nous commettions des délite dans notre exercice, cette menace nous affecte sensiblement, et porte le découragement dans nos âmes. Il y a lieu de croire que ce cri de l’honneur, jeté par près de 500 bons citoyens, produira l’effet naturel qu’ils ont lieu d’en attendre, et nous ne nous permettrons pas de rien ajouter à des vœux que nous partageons. Nous réduirons donc nos réflexions à des objets dont les notables adjoints ne se sont pas occupés, et sur lesquels peut-être ils ont gardé le silence par une respectable discrétion , dans la crainte qu’on ne présumât qu’ils eussent l’ambition de trop étendre leurs fonctions, et d’usurper en partie «elles des magistrats. PREMIÈRE QUESTION. « Les adjoints doivent-ils assister au rapport sur lequel interviendra le jugement qui prononce un décret ou d’ajournement personnel ou de prise de corps? » (1) Ce document n’a pas été inséré an Moniteur. OBJECTIONS. La conséquence, dit-on, est juste, mais l’application en est fausse. La fonction des adjoints ne doit cesser qu’après le décret , quant aux açtes auxquels la loi leur a donné le pouvoir d’assister, mais la circonstance du décret non prononcé n’étend pas la fonction des adjoints aux actes qui ne sont pas de leur compétence. Ges actes sont la plainte, les procès-verbaux de visite des personnes blessées ou de corps mort, des lieux du délit, des effets qui peuvent servir à conviction ou à décharge, enfin à l’information qui précède le décret. La loi ne les appelle qu’à ces actes d’instruction, et non au décret qui est un jugement qui déclare qu’il existe au moins un commencement de preuve suffisante pour mettre un citoyen in reatu. C’est ainsi que, confondant le décret avec le rapport qui le précède, et qui actuellement est rendu par trois juges, devant qui' doit être fait ce rapport, on passe ensuite à la considération du caractère propre des adjoints, et de la nature de leurs fonctions, pour prouver qu’ils ne doivent pas assister, non au rapport dont on ne parle pas, mais au décret. Les adjoints, dit-on, ne sont que les représentants du peuple, jusqu’au moment où la publicité de la procédure peut lui permettre d’y assister. Leur fonction est de surveiller, au nom du peuple, la fidélité et l’exactitude des actes qui doivent former la preuye du délit, ou assurer la décharge de l’innocent. Les adjoints, comme représentants du peuple, comme surveillants de la preuve, n’ont aucun caractère de juge. Ils n’ont dès lors aucun avis à donner sur la question de fait et de droit, qui doit décider s’il y a lieu au décret, et la nature du décret; il est inutile d’assister à un acte auquel on ne peu| pas coopérer. Les adjoints, ajoute-t-on, n’ont rien de commun avec les jurés d’Angleterre, que la loi de ce pays constitué juges du fait, et même les ministres instrumentaires de l’information. RÉPONSES. L’assertion qui sert de fondement à l’objection est donc qu’il n’y a d’autres actes de la compétence des adjoints, crue ceux que l’on a indiqués : on en exclut le décret, et on confond le décret avec le rapport qui le précède. Mais l’on pense que le rapport est très-distinct du décret, que le rapport est un acte d’instruction, et quand même les adjoints ne devraient pas assister ail décret, ils doivent nécessairement assister au rapport. En effet le rapport consiste dans la lecture que