ARCHIVES PARLEMENTAIRE . (15 janvier 1790.] 490 (Assemblée nationale.) n’écoutera pas le ressentiment d’un peuple aveugle et égaré; elle n’ajournera point une( affaire qui doit être promptement décidée... Si TA�sern-blée ne montre pas qu’elle désapprouve Ja conduite de la garde nationale, la ville de Toulon aura des imitateurs... C’est au nom de la liberté que je combats le renvoi ait Châtelet et l’ajournement qui serait encore une approbation tacite d’une insurrection; erreur très-excusable d’un peuple honnête et bon, agité par un motif cju’on ne peut blâmer, puisqu’il fera notre gloirè et notre bonheur. Mais celte lihrté, qui commence par le courage, ne doit s’achever qiie par la justice et par la modération ... Je propose de déclarer M. d’Albert exempt d’inculpation, et d’ajourner lé reste de celte affaire. Le discours de M. de Champagny est très-vivement applaudi. On demande l’impression. M. de Hhampagny. Je remercie l’Assemblée de son indulgence pour moi, mais je crois que mon discours ne doit pas être imprimé parce qu’tl ue doit pas rester de traces d’une affaire de cette nature, destinée à être jugée incessamment. M. ikicard.de Sëalt, député àe Toulon. J’ai besoin de l’indulgence de l'Assemblée pour ’ré-oudre à un orateur aussi séduisant que t\l. de hampagny : son éloquence douce et persuasive paraît avoir entraîné tous les suffrages; je vais entrer en lice, et j’invoque la justice de l’Assemblée. Vous�avez peut-être pensé, Messieurs, que j’avais pris de trop grands engagements dans une séance antérieure, lorsque j’entrepris de calmer vos inquiétudes sur le sort d’une place d’où dépend la destinée des provinces méridionales de la France; je ne dis pas tout à cette époque et vous ue pouvez me l’imputer à crime. Mon intention était de calmer vos peines, qü’on tâchait d’augmenter en publiant des désordres qui n’existaient plus; lorsque j’ai jugé que mon objet était rempli. j:ai dû me taire et je 1 ai fait. Aujourd’hui, Messieurs, mon devoir me prescrit impérieusement la terrible mais honorable obligation de vous entretenir des détails de cette étrange affaire, détails que j’aurais voulu ensevelir dans les ténèbres les plus profondes; mais on a imprimé des relations insidieuses; on a répandu des principes que tous bons citoyens avouent, mais qui ne sontappiicables ni aux faits pour lesquels on les a posés, ni aux circonstances qui en ont déterminé une aussi scandaleuse publicité. Avant que d’entrer dans le récit des faits, il est nécessaire, il est indispensable que ie réponde à une interpellation qui est faite au pouvoir législatif dans un écrit séditieux et incendiaire dont je n’aurais pas parlé, s’il n’avait été publié par un membre de l’Assemblée nationale. Après avoir rendu le compte inexact de tous les événements qui sont arrivés à Toulon, on ose vous demander : Qu’est devenu le gouvernement, l’autorité des lois, et sur quel fondement repose la liberté publique?... qui commande enfin dans cet empire?.. Je réponds qu’à un gouvernement arbitraire et despotique succède un gouvernement dont les su-, ets ne seront plus soumis qu’à la loi.Ce sera sur es lois que reposeront les fondements de la liberté publique: ce sera par elles que Louis XVI commandera, et qu’il aura pour coopérateurs vingt-quatre millions d’hommes qui le chérissent, comme le meilleur, le plus sage et le plus grand monarque de l’univers. Lorsqu’on me dira: Certes, il est temps que l’on sache à qui l’on doit obéir, qui ale droit d’ordonner?... lorsqu’on me demandera : Quelle est l’autorité ijui nous protège?., quels sont s»*s moyens?. quelles sont les forces qui nous défendent?.... quelles sont celles qui nous menaçent?... Lorsqu’on me dira : Il est temps que l’on sache à qui l’on doit obéir..., je répondrai : À la loi et éternellement à la loi... Lorsqu’on me dira : Qui a le droit d’ordonner, je répondrai : Le mo îarque qui commandera au nom de la loi... Lorsqu’on rue demandera qu’elle est l’autorité qui nous protège ; je répondrai : une résistance invincible à l’oppression.... Lorsqu’on me demandera quels sont nos moyens; je répondrai : Le patriotisme.... Quelles sont nos forces? les forces incalculables de vingt-quatre millions d’hommes qui périront avant de reprendre leurs fers... Quelles sont celles qui nous menaçent ? des traîtres qu’il faudrait exterminer, si les lois pouvaient devenir impuissantes. M. Kicard commence ensuite l’historique de l’affaire de Toulon depuis le mois de juin. Il dit que M. de Béthisy, commandant de la marine, s’empara de la corporation des cabaretiers assemblés pour leurs affaires dans la maison des Minimes, où il fit mettre les syndics en prison. Les syndics des cabaretiers ont demandé justice : sourds â leur demande, on n’a pas seulement répondu à leurs plaintes. M. du Leu succéda à M. de Béthisy ; ce commandant rétablit le calme. Le départ de M. de Béthisy fut marqué par une imprudence du comte d’Albert de Rioms; il fit publier que si, dans la nuit, on battait la générale, tous les ouvriers, ainsique les femmes et leurs enfants, devaient se retirer dans l’arsenal. Ceci inspira les plus grandes terreurs : tous les habitants, les ouvriers réunis, jurèrent de ne point se séparer , ce fut l’origine de la garde nationale. M. Ricard parle de l’insulte faite à une sentinelle nationale par un chasseur portant une cocarde noire, reconnu pour être un officier du régiment de Dauphiné, de la punition de cet officier, de sa grâce sollicitée par la municipalité. Il rappelle la déposition de vingt-huit bas-officiers qui avaient été assemblés pendant trois fois par le sieur Ulric, officier-major de la marine pour leur faire épouser la querelle de l’officier du régiment de Dauphiné et pour leur faire signer une déclaration portant qu’ils n’obéiraient qu’au Roi et à leurs officiers et qu’ils ne souffriraient jamais qu’ils fussent insultés. M. Ricard de Sëalt ajoute : On vous a dit que M. d’Albert, était étranger à cette déclaration, qu’on vous avait fait envisager comme l’acte le plus libre et le plus volontaire. Je suis loin, par mes sentiments, de vouloir accuser M. le comte d’Albert; je voudrais pouvoir justifier sa conduite avec le même zèle que j’ai publié ses exploits ; mais je ne m’abaisserai jamais à publier la faute d’un homme, de quelque dignité qu’il soit revêtu, lorsqu’il méconnaîtra les droits du peuple; et lorsque dans le héros je ne trouverai plus le citoyen, je l’abandonnerai toujours à la loi qui m’en fera justice. M. Ricard rappelle 1rs lettres que le comte d’Albert avait écrites au commandant de la province, les lettres de ce dernier aux consuls, son exhortation, au nom de la nation et du Roi, à [Assemblée nationale il - >r Si! 4 «Mît •» [15 janvier 1790.} remettre les choses dans l’ordre ; là réponse du consul, de M. Roubaud, de cet homme honnête et sensible, qui a en tin succombé sous le poids des chagrins et des affaires, et à qui, sa ville reconnaissante, après avoir assuré le sort de sa veuve, })ar une pension de mille livres, est occupée à élever un monument à sa mémoire. Il insiste sur la marche de toutes les troupes répandues dans la province ; sur les moyens de défense préparés par M. le comte d’Albert, troupes consignées, boulets, cartouches, canons placés aux divers postes, déclaration des bas-officiers et canonniers qui attestent que semblable précaution n’a jamais lieu en temps de paix. Il parte des deux ouvriers de l’arsenal renvoyés; ouvriers que le comte d’Albert affectionnait plus particulièrement et qu’il avait choisis pour donner un grand exemple ; des démarches faites pendant deux jours par tous les magistrats de la ville de Toulon, pour obtenir la grâce de ces deux hommes et éviter une insurrection qui pouvait devenir funeste. Le comte d’Albert, dit M. Ricard, avait deux partis à prendre, céder aux instances des consuls, ou se préparer au combat. En prenant le premier parti, le comte d’Albert faisait un acte de clémence et en déférant à leur prière il ne pouvait pas compromettre son autorité. Le second parti tendait à agiter les esprits, à provoquer la fureur populaire et à compromettre le sort de la nation. Lecomte d’Albert le préfère, il avait promis d’être inexorable, les volontaires étaient des insubordonnés, ils vexaient les citoyens, il fallait les faire rentrer dans le devoir. J’ai la force en mains, je compte sur mes braves gens, je n’ai pas peur, j*e serai en tout inexorable. Qu’on ne prenne pas texte de cet événement pour nous citer les plus belles actions des plus grands généraux du monde, qu’on ne mette aucune imprudence dans les comparaisons. Qu’on sache qu’il n’est pas de Français plus jaloux que moi de la prospérité comme de la gloire de la nation ; non-seulement je voudrais qu’il fût possible de comparer le comte d'Albert à Annibal et à Luxembourg, mais à Scipion, vainqueur d’Annibal... Il serait consolant pour moi, et ce serait le plus beau jour de ma vie, si je pouvais dire, comme de Scipion : Un tel jour, il a sauvé sa patrie, allons en remercier les dieux... Mais, je vous le demande, Messieurs, que faisait le peuple de Toulon pour le comte d’Albert?... Ah! ne rappelons pas des jours de larmes et de deuil pour mes malheureux concitoyens... Gomment celui qui, de concert avec le sieur Ul rie, aura formé le projet d’armer le soldat contre le citoyen, celui qui aura médité, pendant huit jours, tous les moyens qui étaient eu sa puissance, pour détruire les habitants qui vivaient sous sa sauvegarde; celui qui s’est constamment et invariablement opposé à ce que ses subordonnés se décorassent du panache de la liberté; celui qui a compromis la sûreté de l’arsenal ; celui qui a résisté aux instances et aux supplications d’une ville entière; celui qui a enfreint la terrible loi qui ne permet pas de répandre le sang des peuples, cet homme ne sera point coupable !... Ah ! Messieurs, si le comte d’Albert a pu s’oublier, si vous pensez qu’il n’y aiteu de sa part que de l'imprudence, pour effacer de sa conduite des passages qui décèlent toujours l’humanité, nous n’avons qu’à rappeler ses exploits et l’honneur qu’il peut encore acquérir au pavillon français. Je crois aller au devant des vœux de tous mes compatriotes, de ces bra veset intrépides Toulonnais, que le comte d’Albert ne pourra s’empêcher d’estimer, parce qu’ils ont été si souvent l’instrument de sa gloire; je crois, dis-je, aller au devant de leurs vœux que de proposer le décret suivant : « L’assemblée ayant entendu le compte de l’événement arrivé à Toulon le 1er décembre dernier, a déclaré être satisfaite de la manière dont le corps municipal, la garde nationale, et les troupes de terre et de mer se sont comportés à Toulon; déclare en outre qu’elle se rappelle avec satisfaction les service� que M. d’Albert de Rioms, et les autres officiers de la marine ont rendus à la patrie, et qu’elle attend de leur zèle, et se repose sur leur honneur, de leur fidélité constante, et inviolable à la constitution. » Plusieurs membres proposent de décider l’affaire de Toulon sans désemparer. D'autres membres proposent de laisser la question en l’état jusqu’à demain onze heureë. Cette opinion mise aux voix est adoptée. M. le garde-des-sceaux envoie deux notes, dont M. le président donne connaissance à l’Assemblée; elles sont conçues en ces termes : Ie M. le garde-des-sceaux envoie une expédition en parchemin, pour être déposée dans les archives de l’Assemblée nationale, des lettres-patentes sur les décrets des 19 et 21 du mois dernier concernant la caisse d’escompte, et portant établissement d’une caisse de l’extraordinaire. M. le garde-des-sceaux a reçu le billet par lequel M. le président a bien voulu l’informer que l’Assemblée nationale vient de se décider à recevoir à la barre demain samedi, à deux heures, la Chambre des vacations du parlement de Rennes. M. le garde-des-sceaux en a fait part aux magistrats qui composent cette Chambre. M. le Président lève la séance et indique celle de demain pour neuf heures du matin. ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 15 janvier 1790. DÉCRET DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE, Concernant la constitution des assemblées représentatives et des assemblées administratives. (Du 22 décembre 1789.) Art. 1er. Il sera fait une nouvelle division du royaume en départements, tant pour la représentation que pour l’administration. Ces départements seront au nombre de 75 à 85. Art. 2. Chaque département sera divisé en districts, dont le nombre, qui ne pourra être ni au-dessous de trois, ni au-dessus de neuf, sera réglé par l’Assemblée nationale, suivant le besoin et la convenance du département, après avoir entendu les députés des provinces. Art. 3. Chaque district sera partagé en divisions appelées cantons, d’environ quatre lieues carrées (lieues communes de France). Art. 4. La nomination des représentants à l’Assemblée nationale sera faite par département. Art. 5. Il sera établi au chef-lieu de chaque département., une assemblée administrative supérieure, sous le titre d 'Administration dé département. Art. 6. Usera également établi au chef-lien de chaque