56 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 novembre 1789.] tal, et non à 60 livres, selon la proposition faite par l'Anjou. Il pense qu’il serait convenable d’étendre - l’abonnement à toutes les provinces où la gabelle est établie. Vous arriveriez, ajoute-t-il, sans doute à la réforme, par le moyen très-dur de ramener le cordon terrible d’employés sur les provinces qui ne seraient pas abonnées, et qui dans leur effroi demanderaient bientôt à imiter l’Anjou; mais faut-il faire cette réforme les armes à la main, et par la voie trop sûrement victorieuse de l’irruption de l’armée fiscale? L’orateur fait la motion suivante : Que la proposition de la province d’Anjou soft adoptée à la charge que l’abonnement qu’elle offre ne sera réglé que sur le pied de sa consommation actuelle, évaluée à 51 livres le minot; Que la même opération sera étendue à toutes les provinces de grandes et petites gabelles et aux provinces de salines, en faisant à celles qui sont sur les frontières la remise d’un sixième sur leur contribution et à celles de l’intérieur la remise d’un tiers; Que les provinces rédimées soient tenues en même temps d’abandonner les droits de convoi sur le transport des sels, auxquels elles sont actuellement soumises; Que les commis actuellement employés au service des gabelles soient portés sur les frontières pour perfectionner la perception des droits de traite et réprimer l’exportation des grains. M. Defermon. Dans le décret qui contient les dispositions relatives au remplacement de la gabelle en Anjou, le comité des finances propose de faire juger les contestations par les juges des élections. Je crois cette clause contraire à l’esprit de l’Assemblée. En matière d’impôt, les juges compétents doivent être élus librement. Je propose en conséquence de renvoyer aux assemblées de district ou de département toutes les contestations relatives au remplacement de la gabelle en Anjou. M. Chassebæuf deVoIney, député d'Anjou , adhère à celte observation, au nom de sa province. M. Jouye des Roches. L’offre excessive de l’Anjou est une offre patriotique qui ne peut tourner au détriment d’un tiers; cependant, en reculant les barrières de l’Anjou, vous les rejetez sur le Maine. Cette dernière province ne peut se soumettre à l’évaluation excessive de 60 livres, par minot. Je propose en son nom un abonnement à raison de 30 livres. M. le duc de la Rochefoucauld. Le décret que vous avez rendu sur la gabelle n’existera provisoirement que jusqu’au moment où, après un examen approfondi, vous prononcerez la suppression totale d’un impôt désastreux, déjà jugé depuis plusieurs années. L’Anjou a mieux aimé payer une somme considérable que de s’y soumettre : je ne vois pas qu’en acceptant cette offre, qui rejette les barrières sur les provinces voisines, vous commettiez une injustice. Ces provinces peuvent imiter cet exemple. Le préopinant vous propose pour le Maine un remplacement à raison de 30 livres par minot. Cette faveur deviendrait une charge pour d’autres provinces. Si la gabelle, qui est décrétée à 60 millions, n’en produit que 40, il se trouvera un déficit de 20 millions qui portera sur les provinces non assujetties à cet impôt : ne croyez pas que ces dernières, dans le mauvais gouvernement où nous avons vécu , fussent réellement soulagées. Le fisc, pour établir un équilibre parfait, les forçait sur des impositions d’une autre nature; plusieurs étaient même surchargées évidemment ; et si la méthode des sous pour livres a servi à aggraver la gabelle, elle a été employée d’une manière aussi aggravante sur la taille des provinces rédimées. Je pense donc que vous devez vous borner à accepter l’offre de la province d’Anjou, sans approuver la manière dont elle a été faite, et en invitant toutefois les provinces également soumises à la gabelle à vous présenter, dans le plus court délai, leurs propositions. On demande à aller aux voix. M. le Président. Je dois prévenir l’Assemblée que M. le ministre des finances demande à être reçu. Le ministre est introduit et l’Assemblée témoigne par de vifs applaudissements du plaisir qu’elle a de le voir dans son sein. Il prend séance dans l’enceinte au-devant de la barre où l’on place un fauteuil pour lui. M. Heeker apporte un mémoire ayant pour objet la conversion de la Caisse d’escompte en une Banque nationale (1). Le ministre, étant très-fatigué, ne lit que le commencement de son discours; la lecture, qui dure une heure et demie, est ensuite continuée, de l’agrément de l’Assemblée, par un de ses secrétaires. Yoici le texte du mémoire : Messieurs, c’est une pénible situation pour moi que d’avoir si souvent à vous entretenir des embarras et des difficultés des linancqg. Je n’ai eu que des inquiétudes et des déplaisirs dans cette administration, depuis l’instant où je l’ai reprise au mois d’août de l’année dernière. Le discrédit général à cette époque, l’existence d’un déficit immense, et l’extrême pénurie du Trésor royal ont déployé devant moi les premiers obstacles. Cependant les revenus de l’Etat étaient au moins dans leur entier, et les recouvrements s’exécutaient avec la ponctualité usitée. On ne prévoyait pas encore l’affreuse disette des subsistances dont nous étions menacés, et l’on ne soupçonnait pas les malheureux événements qui ont contrarié la perception des droits et des impôts, et qui, en jetant l’alarme dans les esprits, ont détourné le cours de toutes les affaires et ont fait disparaître, à la fois, l’argent et la confiance. Un avenir favorable se présente à nos regards, mais il n’est embrassé que par l’espérance, et les affaires de finances n’en éprouvent point encore la salutaire influence. L’Assemblée nationale, de concert avec le Roi, a cependant déterminé deux grandes dispositions pour l’encouragement du crédit, et pour le rétablissement de l’ordre dans les finances. Par l’une elle assure, à commencer du 1er janvier prochain, un parfait équilibre entre les revenus et les dépenses fixes, et par l’autre, elle autorise une contribution patriotique, dont elle a présumé que le produit pourrait être équivalent aux besoins extraordinaires de cette année et de l’année prochaine. Une immense difficulté reste à vaincre encore. Cette contribution patriotique ne fournira que des ressources graduelles, puisque le dernier (I) Le Moniteur ne donne qu’une courte analyse du mémoire de M. Necker. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 novembre 1789.] 57 terme de payement s’étend jusqu’au 1er avril 1792. Cependant les besoins sont instants, et l’état du crédit, en ces moments critiques, n�offre aucun secours sur lequel on puisse solidement compter. L’Assemblée nationale verra, par le tableau annexé à ce mémoire, qu’en acquittant les engagements pris avec la caisse d’escompte, pour le 31 décembre, les besoins de cette année s’élèveraient à 90 millions, mais les anticipations sont fort diminuées. Les dépenses extraordinaires pour l’année prochaine peuvent être évaluées à environ 80 millions, et l’on vous en remettra l’aperçu. Mais le besoin serait plus grand si, à commencer du 1er janvier prochain, l’équilibre entre les revenus et les dépenses n’était pas encore établi dans son entier; Si le remplacement de la diminution du produit sur la gabelle n’était pas effectué à commencer pareillement du 1er janvier prochain ; Si le payement de l’année ordinaire des droits et des impositions essuyait des retards; Si les anticipations sur l’année 1790, quoique infiniment réduites, ne pouvaient pas être renouvelées complètement. On ne peut donc encore, en cet instant, déterminer, d’une manière positive, quel sera le secours extraordinaire, indispensable, pour suppléer au déficit extraordinaire et momentané de l’année 1790. C’est être modéré que de le supposer de 80 millions, et personne ne peut en répondre avec certitude, au moment où je rédige ce mémoire. Voilà donc 80 millions à ajouter au moins aux 90 qui sont nécessaires pour achever le service de cette année et s’acquitter avec la caisse d’escompte. Secours total à trouver, 170 millions. Cependant, pour se faire une juste idée de la difficulté des circonstances, il ne suffit pas d’arrêter son attention sur l’embarras du Trésor royal ; il faut encore porter ses regards sur la situation de la caisse d’escompte, établissement étroitement lié avec la chose publique, et avec les finances en particulier. Cet établissement a rendu les plus grands services au commerce, et les secours que les finances en ont reçu depuis quelque temps, ont été aussi importants que nécessaires. Il n’en résulterait aucun inconvénient pour la caisse d’escompte, si l’Etat avait des moyens suffisants pour la rembourser aux époques convenues; mais un grand discrédit ayant pris la place des ressources dont un nouvel ordre de choses avait donné l’espérance il devient impossible, sans de nouveaux moyens, de remplir les engagements contractés avec la caisse d’escompte, engagements qui font partie des besoins extraordinaires de cette année. La situation de la Caisse d’escompte n’est pas seulement critique, en raison des avances qu’elle a faites au gouvernement; elle participe, comme le Trésor royal, comme tout le commerce, comme la France entière, aux inconvénients majeurs qui résultent de la rareté excessive du numéraire effectif. Je dois répéter ici ce que j’ai dit dans une autre occasion sur les causes de cette rareté. Et d’abord elle a toujours été éprouvée dans les temps d’alarmes et dans les importantes crises des empires ; chacun, incertain des résultats d’un grand trouble, ou simplement d’une révolution majeure, resserre son argent, et attend, pour en disposer, que les événements se calment ou s’éclaircissent. Il y a de plus, aujourd’hui, des circonstances particulières qui concourent à la rareté du numéraire. Notre ancienne balance de commerce avec les pays étrangers, balance toujours favorable à la France, est dérangée par diverses causes. Nous avons importé cette année des quantités immenses de blé , et nous demandons encore aux pays étrangers de nouveaux secours ; notre traité de commerce avec l’Angleterre nous rend débiteurs, envers ce royaume, d’une somme de marchandises manufacturées que nos propres fabriques fournissaient autrefois. Les étrangers, intimidés par les circonstances, s’éloignent de nos fonds publics, et au lieu d’y employer annuellement une portion de leurs capitaux, plusieurs, depuis quelque temps, cherchent à s’en défaire, et tout au moins ils n’y replacent pas les intérêts que nous leur payons, et nous sommes obligés de leur en remettre les fonds en entier. Les voyageurs étrangers sont détournés par nos troubles intérieurs de venir en France, et nous avons perdu pour un temps l’introduction de numéraire que leurs grandes dépenses dans le royaume occasionnaient. Enfin, ce que peut-être on n’a jamais vu, même aux époques les plus fatales de la monarchie, une émigration prodigieuse , toute composée de gens riches ou aisés, attire dans l’étranger, non-seulement des fonds proportionnés aux dépenses des citoyens qui nous quittent , mais encore une partie de leurs capitaux disponibles. Je dois citer encore une cause de la rareté de l’argent, non pas dans le royaume, mais dans la circulation : c’est le retard du payement des impôts, retard qui retient inutilement dans une multitude de mains, les espèces qui doivent servir aux dépenses publiques, et se diviser ensuite de nouveau par les consommations. Enfin, les temps de divisions, les temps où l’esprit de parti se déploie avec une grande force, donnent lieu quelquefois aux séquestres de l’argent, par le seul désir de gêner la circulation et de produire un embarras qui amène un surcroît de confusion, propre à changer la situation des affaires et la scène des événements. 11 existe donc une grande diversité de causes particulières qui, avec les causes générales, concourent à la rareté du numéraire, rareté qui s’accroît ensuite par elle-même, parce que la crainte de manquer d’argent, comme la crainte de manquer d’une denrée nécessaire, engage ceux qui en ont à se ménager une double provision. Faisons maintenant le résumé précis des effrayantes difficultés que nous avons encore à vaincre. Il faut trouver un secours extraordinaire de 170 millions, soit pour les besoins imminents de cette année, soit pour assurer le service de l’année prochaine, et il faut trouver ce secours au milieu d’un discrédit absolu. Il faut de plus soutenir l’édifice de la caisse d’escompte , édifice ébranlé et prêt à tomber ; il faut, s’il e�t possible, lui procurer une nouvelle force; ou, si l’on veut abandonner cet établissement , malgré son intime connexité avec les finances et les affaires publiques, malgré le souvenir des services qu’on en a tirés, il faut se proposer un dessein plus difficile encore à remplir, celui d’être juste envers les actionnaires et envers les porteurs actuels des billets de caisse. Il faut encore s’occuper d’accélérer le payement des rentes sur l’Hôtel-de-Ville, et parvenir, d’ici à une époque peu éloignée, à les remettre au moins assez au courant pour n’avoir plus qu’un 58 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 novembre 1789.J semestre en arrière, et pour assurer les payements à l’avenir de la manière la plus régulière. Entin, le dernier but qu’ou doit avoir en vue, c’est de se préserver, s’il est possible, des funestes effets de la rareté excessive du numéraire effectif. Je déclare d’abord que, selon mes lumières, toutes ces entreprises sont impossibles à exécuter sans inconvénients, et qu’ainsi nulle proposition ne peut être jugée parfaitement bonne en elle-même; le mérite de celle qui sera préférée dérivera toujours en partie des objections plus grandes que l’on pourra faire contre tout autre plan. Et, pour le dire en passant, le grand malheur des ministres, en des temps si difficiles, c’est d’avoir presque toujours à employer leurs facultés et leurs moyens, non pas à faire un bien complet et manifeste, mais a adoucir les maux, à en prévenir le progrès, et à tirer des circonstances le parti le moins désavantageux; ce genre de travail, le plus pénible de tous, ne procure aucune récompense de la part des hommes, parce qu’ils en comparent le résultat avec les idées de perfection que chacun se forme si facilement, au lieu de le rapprocher des inconvénients et des dangers qu’on a eu le bonheur d’éviter ; mais cette comparaison, ce rapprochement, peu de gens sont tentés de le faire, car on ne prend pas de la peine pour louer autrui. Je vais maintenant développer de quelle manière je pense qu’on peut se tirer, au moins passablement, des difficultés actuelles : vous jugerez, Messieurs, de ce moyen; vous le comparerez avec d’autres, et s’il s’en présente un meilleur, comme il est très-possible, je serai le premier à l’adopter et à le faire valoir. L’amour-propre d’auteur serait aujourd’hui, de tous les sentiments, le plus misérable; nous sommes tous sous le poids de circonstances, où le désir de sauver la chose publique est devenu le seul véritable intérêt particulier, en même temps qu’il doit être la seule passion de l’homme d’Etat. Il faut vous rappeler, Messieurs, que les fonds extraordinaires dont vous avez besoin pour cette année et la suivante sont au moins de 170 millions. J’ai dû d’abord examiner s’il était possible de trouver, par la voie ordinaire des emprunts, une somme aussi considérable, somme encore susceptible d’accroissement par les motifs dont j’ai fait mention ; et il m’a paru, qu’en ces moments d’alarmes et de discrédit, l’on essayerait en vain d’y réussir, même en se soumettant à un intérêt usuraire. Cependant, un tel intérêt obligerait à augmenter en proportion la somme des impôts, et rendrait plus difficile l’établissement d'un équilibre entre les revenus et les dépenses fixes, disposition si nécessaire, et sur laquelle l’ordre entier des finances doit constamment reposer. J’ai réfléchi ensuite sur la manière tres-simple de se tirer de toute espèce d’embarras, et que plusieurs personnes proposent aujourd’hui, celle de créer, par forme de papier-monnaie, remboursable ou non remboursable, une somme de billets d’Etat, non-seulement proportionnée aux besoins de cette année et de l’année prochaine, mais suffisante encore pour liquider tous les arrérages d’intérêt ou de rente, tous les reliquats dus par les départements, tous les effets dont le remboursement a été suspendu, et auxquels on a attribué un intérêt de 5 0/0. On éteindrait eucore, avec ces billets, tous ceux de la caisse d’escompte; on s’acquitterait de même des capitaux dus par l’Etat aux actionnaires, et de cette manière enfin, par une opération d’une vaste étendue, on résoudrait en un moment toutes les difficultés de finances. Mais, si lee circonstances uniques où la France et les finances se trouvent mettent dans la nécessité de se servir de billets qui ne soient pas con-versibles en argent à volonté, il me semble que, bien loin d’user immodérément de cette ressource, il faut s’appliquer à la resserrer dans les plus étroites limites ; il faut que la somme des billets en circulation soit restreinte aux besoins les plus pressés et les plus indispensables ; il faut encore accélérer, par tous les moyens possibles, le terme de leur durée ; enfin, pour ménager la confiance, il convient de se rapprocher des usages auxquels le crédit est attaché par les effets puissants de l’habitude. Tel est le but, Messieurs, vers lequel il m’a paru convenable de diriger ces combinaisons ; et si vous pensiez différemment, il vous serait facile d’adopter un système plus étendu ; car rien n’est plus aisé, rien* n’est plus commode en commençant, que la création pure et simple d’une quantité de billets d’Etat proportionnée à toutes les dépenses auxquelles on voudrait satisfaire. Je vais maintenant vous expliquer le plan auquel, d’après les principes que j’ai établis, je donnerais la préférence. La Caisse d’escompte serait convertie en Banque nationale. On accorderait à cet établissement un privilège pour dix, vingt ou trente ans, à votre choix. Le nombre de ses administrateurs serait porté à vingt-quatre par une nouvelle élection des actionnaires ; et six ou huit de ces administrateurs devraient être nécessairement choisis parmi des personnes absolument étrangères aux affaires de banque et de finances. Un nombre quelconque de commissaires nommés par vous, Messieurs, veillerait sur la partie de la gestion des administrateurs de la Banque nationale qui; intéresserait la confiance publique. Tous les statuts concernant l’administration intérieure de la caisse d’escompte seraient revus et discutés; et le résultat de cet examen, consenti par les actionnaires, et revêtu d’une sanction légale, formerait le règlement applicable à l’administration de la Banque nationale. La somme des billets de caisse mis successivement en circulation, serait fixée à 240 millions. La nation, par un décret spécial de votre part, sanctionné de Sa Majesté, serait caution de ces billets. Ils seraient tous revêtus d’un timbre aux armes de la France, et ayant pour légende, ces mots : Garantie nationale. Ce timbre serait apposé par vos commissaires sur une quantité quelconque de billets , dont il serait tenu registre, et dont la somme totale ne pourrait jamais excéder 240 millions. Ces billets, conformément aux dispositions de l’arrêt du conseil du 18 août 1788, pour les billets de la caisse d’escompte, continueraient à être reçus comme argent dans toutes les caisses royales et particulières de Paris. Vous déciderez, Messieurs, si cette disposition peut être rendue générale, soit par l’effet d’un décret de votre part, soit par un acquiescement libre de la part des principales villes du royaume. Voilà les premières conditions du projet que je soumets à votre considération. Il faut maintenant que je m’arrête sur les parties de ce plan, dont la discussion est la plus importante, et je vais commencer par les indiquer : [14 novembre 1789.] 59 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] 1° Le fonds capital nécessaire à l’avenir de la Caisse d’escompte convertie en Banque nationale; 2° L’emploi des fonds de la Banque nationale; 3° Comment l’Etat ne courrait aucun risque, en se portant caution des 240 millions de billets de caisse en circulation ; 4° Avantages que les finances de l’Etat tireraient des dispositions qu’on propose; 5° Accroissement de secours pour le commerce ; 6° Assignations ou rescriptions qui seront délivrées à la Banque nationale contre ses avances; 7° Calcul sur le profit des actions ; 8° Les moyens qui peuvent faciliter la levée de douze mille cinq cents actions nouvelles. Je vais reprendre maintenant ces huit indications. ARTICLE PREMIER. Le fonds capital de la Caisse d’escompte convertie en Banque nationale. Le capital de la Caisse d’escompte est aujourd’hui composé de 30 millions circulant dans ses affaires, et de 70 millions déposés par les actionnaires au Trésor royal, au commencement de l’année 1787. En tout, 100 millions de capital appartenant à vingt-cinq mille actions, à raison de 4,000 francs par action. Je proposerais maintenant que ce capital fût augmenté de 50 millions, par une création de 12,500 actions nouvelles, payables en argent effectif, et faisant, à 4,000 francs par action, la susdite somme de 50 millions. Le nombre total des actions se trouverait ainsi de 37,500, lesquelles, à raison de 4,000 francs par action, formeraient un capital de 150 millions. Ces 150 millions deviendraient la première caution des 240 millions de billets de caisse, qui seraient successivement mis en circulation. La seconde caution dériverait de tous les effets pris à escompte par la Banque nationale, et leur somme serait nécessairement égale à la totalité des billets de caisse, puisqu’aucun de ces billets n’aurait été délivré qu’en payement des effets sur lesquels la Banque nationale aurait fait des avances par forme d’escompte. Enfin la troisième caution des billets de caisse, et la plus importante de toutes, serait la garantie pleine et entière de la nation même, et je montrerai bientôt que cette garantie n’exposerait l’Etat à aucune espèce de risque. ART. IL Emploi des fonds de la Banque nationale. On a vu que le capital de la Banque nationale se monterait à 150 millions. La Banque aurait la faculté de délivrer des billets de caisse jusqu’à la concurrence de 240 millions. C’est donc en tout 390 millions dont la Banque nationale aurait la disposition ; mais dans cette somme sont compris les 70 millions qui ont été prêtés à l’Etat en 1787 : ainsi, c’est 320 millions seulement dont il est nécessaire d’indiquer l’emploi. Voici mon idée à cet égard. 170 millions seraient avancés à l’Etat contre des assignations ou rescriptions sur le produit d’un recouvrement certain, ainsi qu’il sera expliqué dans la suite. 80 millions seraient destinés aux escomptes des lettres de change de commerce. 70 millions seraient destinés aux fonds de caisse qui devraient avoir lieu en numéraire effectif. 320 millions. En tout, comme on voit, 320 millions, somme égale précisément aux fonds de commerce et aux billets de la Banque en circulation. art. III. Comment l’Etat ne courrait aucun risque, en se portant caution de 240 millions de billets de caisse en circulation. On l’aperçoit d’un coup d’œil. Les avances que la Banque nationale s’obligerait de faire à l’Etat contre des rescriptions ou assignations sur les deniers public se monteraient, comme on vient de l’indiquer, à 170 millions. Le Trésor royal est dépositaire, depuis le commencement de l’année 1787, d’un capital de 70 millions appartenant aux actionnaires, ci 70 millions. En tout 240 millions, somme équivalente à celle des billets de caisse en circulation ; ainsi la nation en se portant caution de ces billets, garantirait uniquement sa propre dette. art. IV. Avantages que les finances de l’Etat tireraient des dispositions qu’on propose. On exigerait deux conditions de la Banque nationale : L’une, que l’intérêt du capital de 70 millions, entre les mains du Roi depuis 1787, serait réduit de 5 à 4 0/0 ; L’autre, que les avances faites à la finance, en billets de caisse et sur des rescriptions payables en 1791, seraient fixées à l’intérêt de 3 0/0 l’an. Ainsi, indépendamment d’une réduction sur l’intérêt des 70 millions, dont la Caisse d’escompte est créancière depuis 1787, l’Etat obtiendrait un secours de 170 millions à un très-petit intérêt, et cela dans un temps où, de toute autre manière, il ne pourrait trouver une faible portion de cette somme, même en se déterminant aux plus grands sacrifices. ART. V. Accroissement de secours pour le commerce. Les fonds employés dans ce moment par la Caisse d’escompte, en lettres de change de la banque et du commerce, ne se montent qu’à 46 millions. Ou a proposé, comme on l’a vu, de destiner à ces lettres de change un capital de 80 millions ; ainsi du moment que vous auriez donné votre approbation au projet général dont il est ici 60 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 novembre 1189.] question, on procurerait à la Banque, au commerce du royaume, et aux entreprises utiles, de nouveaux secours qui leur sont très-nécessaires. il y a surtout plusieurs maisons gênées par les avances qu’elles ont faites sur des fonds publics et qui, ne pouvant se rembourser par la vente de ces fonds faute d'acheteurs à des prix tolérables, se trouvent en ce moment dans un pénible embarras. D’autres, ayant compté sur des remboursements qui ont été suspendus au commencement d’août 1788, mériteraient d’obtenir des secours, en attendant qu’on pût prendre à l’égard des effets dont ils sont propriétaires un arrangement propre à relever leur valeur et à en faciliter la négociation. On ne peut donc douter qu’un accroissement d’escompte en faveur du commerce ne produisît le plus grand bien. tion de pourvoir par un emprunt, au supplément de fonds, que pourrait exiger l’acquit régulier des rescriptions fournies sur le receveur de l’extraordinaire. Il y a toute apparence qu’il ne sera pas nécessaire d’y recourir ; mais s’il le fallait pour une portion du remboursement promis à la Banque nationale, l’état très-vraisemblable du crédit en 1791 vous donnerait le moyen d’y réussir à des conditions modérées. Je crois prudent de réserver, en entier, pour les besoins de 1790, tous les fonds qui seront versés au receveur de l'extraordinaire, pendant le cours de l’année prochaine. Que si cependant il y avait un superflu, il serait également appliqué à la libération de la dette de l’Etat envers la Banque nationale. art. VI. Assignations ou rescriptions qui seront délivrées à la Banque nationale contre ses avances. 11 importe à la confiance publique, il importe aux principes de fidélité parfaite qui doivent être la règle de conduite d’une nation, que les assignations ou rescriptions sur lesquelles la Banque nationale fera des avances au gouvernement, soient dirigées non-seulement sur un recouvrement réel, mais encore sur un recouvrement dont le produit ne soit ni engagé par d’autres assignats, ni nécessaire même aux dépenses fixes de l’Etat. Je vous proposerai donc, Messieurs, d’instituer un receveur particulier entre les mains duquel seraient versés tous les fonds extraordinaires qui proviendront, soit de la contribution patriotique, soit des biens-fonds du domaine royal et du clergé, dont la vente serait déterminée, soit enfin de la partie des droits attachés à ces deux propriétés, et dont l’aliénation ou le rachat serait pareillement prescrit. Ces recouvrements extraordinaires exigent, pour le hon ordre, une trésorerie particulière, et je vous proposerai d’autoriser les administrateurs du Trésor royal, ou tels commissaires que vous jugeriez plus convenables, à tirer des rescriptions sur le receveur dont j’ai fait mention, et auquel on pourrait donner le nom de receveur de l’extraordinaire. Ces rescriptions, égales en somme â l’avance qui serait fournie par la Banque nationale, devraient porter sur les deniers extraordinaires qui seront perçus à commencer du premier janvier 1791. Et, comme il convient que ces rescriptions puissent au besoin être négociées par la Banque nationale, il serait nécessaire de leur donner un terme fixe ; et je proposerais qu’elles fussent divisées à raison de 10 millions par mois, à commencer de janvier 1791, jusqu’en mai 1792; ce qui ferait en tout 170 millions. On ne peut guère douter que le produit des deux derniers tiers de la contribution patriotique, réunis aux autres recouvrements qui naîtront de vos dispositions connues à l’égard des biens du domaine et du clergé, ne soient plus que suffisants pour répondre à l’avance de la Banque nationale. Mais il est essentiel, Messieurs, pour le crédit, qu’une commission de votre choix s’occupe activement et sans retard de manifester et de faire valoir ces diverses ressources. Cependant, comme il ne faut aucune espèce d’incertitude sur la ponctualité d’un engagement à terme fixe, il conviendrait que vous prissiez la résolu-•art. VIL Calcul sur le profit des actions. On exige des actionnaires, comme on l’a vu, un prêt de 170 millions à 3 0/0; on demande que l’intérêt du dépôt de 70 millions entre les mains du Roi depuis 1787, soit réduit de 5 à 4 0/0 ; on veut de plus que la Banque nationale ait en numéraire réel un capital oisif de 70 millions. Voilà beaucoup d’exigences ; il est donc nécessaire de montrer qu’avec ces conditions remplies, le bénéfice des actions sera suffisant. En voici le calcul très-simple : Rappelons-nous que le capital de la Banque nationale sera de 150 millions, savoir : 70 millions, le dépôt fait au Trésor royal en 1787 ; 30 millions placés actuellement dans le commerce de la Caisse d’escompte; 50 millions, supplément de fonds qui résultera du produit des nouvelles actions. 150 millipns. II faut ajouter à cette somme de ....................... 150,000,000 livres Les billets de caisse, dont elle se servira comme argent et qui seraient fixés à ....... 240,000,000 Total ..... 390,000,000 livres Résumons maintenant l’emploi et le produit annuel de cette somme: 70 millions destinés à un fonds de caisse habituel en numéraire effectif ne produiront rien, ci .......................... 10,000,000 livres. 70 millions, le dépôt entre les mains du Roi depuis 1787, produiront annuellement à 4 0/0... ................... 170 millions, avances aux finances de l’Etat contre des valeurs à terme, produiront, à 3 00 .................... 80 millions employés à l’escompte des lettres de change du commerce, à 4 0/0 ....... Il faut en déduire, pour les frais de manutention de la Banque nationale et pour les pertes inévitables ........... Restera par an 2,800,000 5,100,000 3,200,000 600,000 10,500,000 livres. 61 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 novembre 1789.] Lesquels 10,500,000 livres feraient précisément l’intérêt à 7 0/0 du fonds capital de la Banque nationale, puisque nous avons montré que ce fonds capital serait de 150 millions. Un tel intérêt paraîtra suffisant, mais on ne l’estimera pas trop fort, si l’on fait attention qu’il est ici question d’une affaire de commerce à laquelle des peines d’administration et des hasards sont attachés. D'ailleurs, on doit considérer qu’aujourd’hui l’Etat ne trouverait d’aucune manière une telle somme même à cet intérêt; il faudra donc être fort content si à l’abri d’un bénéfice modéré assuré aux actions de la Banque nationale, l’Etat se procure 170 millions à 3 0/0 et une réduction de 1/5 sur l’intérêt du dépôt de 70 millions entre les mains du Roi depuis 1787. Il est important de faire observer que cet intérêt de 7 0/0, assuré, selon le calcul ci-dessus, au capital des actions, est cependant susceptible d’accroissement et de diminution. Il est susceptible d’accroissement, parce qu’in-dépendamment des 240 millions de billets que la Banque nationale aurait en circulation, elle tiendrait la caisse de toutes les personnes qui la choisiraient librement pour dépositaire. C’est aujourd’hui un des bénélices de la Caisse d’escompte, et ce bénélice ne consiste pas dans aucune rétribution qui lui soit accordée pour ce genre de service, mais dans les jouissances de fonds qui résultent nécessairement d’une manutention ; et comme la Banque nationale réunirait toutes les conditions propres à fonder la confiance la plus étendue et ta plus complète, il est naturel de présumer qu’insensiblement toutes les personnes qui ont un mouvement d’argent, toutes celles qui chercheraient un dépositaire assuré pendant leur absence, enfin d’autres particuliers encore, par différents motifs, donneraient leurs fonds en garde à un caissier aussi positivement sûr et fidèle que la Banque nationale. Ce n’est pas tout ; la Banque nationale devrait pareillement servir de caissier au Trésor royal et au receveur de l’extraordinaire qu’on vous a proposé d’instituer et en général aux divers receveurs et payeurs de deniers publics. Mais on proposerait à l'Assemblée nationale de valider par un décret formel une des dispositions constitutives de la Caisse d’escompte actuelle : c’est de ne payer jamais pour le compte d’aucun particulier, d’aucune compagnie, un seul denier au delà de leurs fonds en dépôt ; ainsi lesrelations étendues de la Banque nationale ne l’exposeraient jamais à la moindre perte, et lui procureraient seulement un bénéfice quelconque provenant des jouissances de fonds. L’on doit observer que, ces jouissances ne fussent-elles que de 20 millions (et la caisse seule du Trésor royal les procurerait dans les temps ordinaires), il en résulterait un bénéfice équivalent au moins à 1/2 0/0 d’intérêt sur le capital des actions. Enfin, la Banque nationale une fois reconnue comme le meilleur de tous les dépositaires, vous ne trouveriez probablement aucune difficulté à ordonner qu’à l’avenir les dépôts judiciaires fussent placés entre ses mains ; et peut-être qu’en faveur uniquement de ces dépôts forcés, il serait convenable de s’écarter de la règle générale, et d’imposer à la Banque nationale l’obligation de de bonifier, sur cette partie de fonds, un intérêt de \/k 0/0 par mois révolu. Ce serait un avantage essentiel pour les dépositaires de ce genre, et dont, jusqu’à présent, ils n’ont jamais pu jouir, puisque leurs deniers restaient sans produit pendant toute la durée du séquestre. Le bénéfice des jouissances de fonds pour la Banque nationale ne pourrait avoir lieu que successivement : car, jusqu’à l’époque ou les payements en argent et à bureau ouvert pourraient être établis, il conviendrait de conserver dans la Banque une somme de billets de caisse précisément égale à la somme totale des dépôts. Ce serait assez faire que de diminuer par ce moyen, et peut-être considérablement, la somme des billets en circulation. On a calculé à 4 0/0 par an le bénéfice que la Banque nationale retirerait de la partie de ses fonds appliquée aux escomptes des lettres de change de commerce; mais il lui serait permis, comme aujourd’hui, de fixer le prix des escomptes à 4 1/2 0/0 lorsque le terme des lettres de change excéderait deux mois, et même à cinq lorsque les avances de la Banque nationale auraient lieu sur des effets de quatre à six mois, avec nantissement. En total, il n’y a nul doute que les actions de la Banque ne deviennent un placement d’argent fort avantageux; mais leur bénéfice, bien loin d’être pris sur la fortune de l’Etat, se conciliera parfaitement avec l’avantage de la nation. Une objection importante, relative aux bénéficiés des actions de la Banque nationale, se présentera sans doute à l’esprit et il est important de la résoudre. Ce bénéfice doit reposer sur la certitude d’avoir des avances à faire au gouvernement, puisque sans une telle condition, la Banque nationale ne trouverait par l’emploi d’une somme de 240 millions en billets de caisse et que cependant le bénéfice de ses actionnaires est calculé sur une pareille supposition. Il est sur que le placement d’une somme de 240 millions en effets de commerce serait très-difficile, et, en y destinant 80 millions, comme je l’ai proposé, c’est peut-être assez dans les temps ordinaires. Mais il est une manière très-simple d’assurer un emploi permanent aux fonds disponibles de la Banque nationale , il suffirait de lui promettre qu’après le remboursement du son avance extraordinaire, elle serait chargée du service courant des anticipations et qu’elle en serait même chargée seule, de manière qu’il n’y aurait plus d’autre agent de ces négociations. Voilà un moyen très-simple d’occuper les fonds dont la Banque nationale pourrait disposer, et l’Etat y gagnerait beaucoup, puisqu’il aurait à 3 0/0 des avances qui lui coûtent plus de 6 aujourd’hui. La Banque nationale, lorsqu’elle le désirerait pour diminuer la masse de ses billets de caisse en circulation, devrait avoir la liberté de négocier les rescriptions qui lui seraient délivrées par le gouvernement ; et le préjudice qui pourrait résulter pour elle de ces opérations momentanées devrait lui être bonifié par le Trésor public. Je crois néanmoins que, passé la première année, les chances d’augmentation de profit pour la Banque nationale seront beaucoup plus grandes que les chances de diminution, aussi ne verrais-je aucun inconvénient à proposer que l’Assemblée nationale garantît aux actions de la Banque un intérêt de 6 0/0 de leur capital à condition que la moitié des bénéfices excédant 7 0/0 appartint à l’Etat. On a vu, au reste, qu’en faisant le calcul du bénéfice des actions, j’ai compté sur 70 millions de fonds oisifs en numéraire réel : cette somme, comparée à 240 millions de billets de caisse, approche du tiers de ce dernier capital ; il y a donc m [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 novembre 1789.] toute apparence que le fonds de 70 millions, une fois formé, suffirait constamment à la circulation des billets de caisse : l’expérience prouve cette conjecture et elle n’a souffert d’exception que dans les temps de discrédit général, temps qui ne reviendront pas avec le nouvel ordre de choses prêt à se développer, puisque les finances de l’Etat seront au grand jour, puisque l’équilibre entre les revenus et les dépenses fixes sera maintenu constamment, et que toutes les bases du crédit seront indestructibles. Article VIII. Les moyens qui peuvent faciliter la levée des 12,500 actions nouvelles. Je proposerais d’abord que ces 12,500 actions nouvelles, payables en argent effectif, fussent divisées en demies et en quarts d’actions, afin de les mettre à la portée d’un plus grand nombre de personnes. L’action entière étant de4,000 livres en capital, la demi-action serait de 2,000 livres et le quart d’action de 1,000 livres. On aurait pour attrait la garantie nationale d’un intérêt de 6 0/0 et la certitude morale d’un intérêt de 7 0/0 susceptible d’amélioration ; enfin ces avantages seraient réunis à la sûreté la plus parfaite. On ne peut néanmoins, malgré ces encouragements, espérer de trouver des acquéreurs au prix de 4,000 livres pour l’action entière, tant que le cours des anciennes actions sur la place ne s’élèvera pas ; mais on doit s’attendre à une hausse plus ou moins prochaine, si la Caisse d’escompte est convertie en Banque nationale conformément au plan que je viens de mettre sous vos yeux. Le bénéfice qui, à commencer du 1er janvier prochain, serait dévolu à la Banque nationale, ne devrait être réparti aux anciennes actions actuellement existantes qu’en raison de la quotité qui leur serait revenue si ces nouvelles actions étaient levées, et le surplus serait réservé à celles-ci par forme de bénéfice anticipé. Un tel arrangement, qui accroîtrait graduellement l’a-van tage attaché aux nouvelles actions, assurerait au moins qu’un peu plus tôt ou un peu plus tard on s’empresserait de les acquérir, et l’on doit remarquer que la disposition proposée ne causerait aucun préjudice aux anciennes actions ; les nouvel les étant destinées à composer le fonds mort de la Banque nationale en numéraire effectif, le bénéfice de cette Banque sera la même avant ou après la levée des nouvelles actions. On aura encore un moyen de hâter, quand il en sera temps, l’acquisition de ces actions. 11 est un grand nombre de personnes qui prennent un juste intérêt au rétablissement entier du crédit et à la reprise de payements de la Caisse d’escompte, dorénavant la Banque nationale, et l’on ferait peut-être un grand effort pour atteindre à ce but, si l’on était sûr d’un succès complet; il serait donc à propos, en choisissant bien le moment, d’ouvrir une souscription pour les nouvelles actions, laquelle ne serait valable qu’à l’époque où cette souscription serait entièrement remplie. Une convention du môme genre pourrait encore avoir lieu pour de simples dépôts d’argent; toujours dans la vue de compléter entre les mains de la Banque nationale un capital en numéraire effectif de 60 à 70 millious. Enfin, comme c’est moins d’une somme d’argent réel constamment en caisse qu’on a besoin, que de la certitude d’en trouver au moment où l’on viendrait en demander à la Banque nationale pour une somme plus forte qu’à l’ordinaire, il serait possible de faire avec les maisons de banque et de commerce, et avec des particuliers, une convention d’après laquelle, au lieu d’une mise effective proportionnée au capital des actions nouvelles, on s’engagerait seulement de remettre à la Banque nationale telle somme en argent réel à sa première réquisition, ou tant de jours après l’avertissement. Le Trésor royal, sitôt que les circonstances le lui permettront, accroîtrait aussi de tous ses efforts le numéraire de la Banque nationale, et contribuerait à la munir des fonds réels nécessaires pour répondre à sa circulation en billets. On dira peut-être que, malgré cette réunion de moyens, si longtemps que les billets de la caisse de la Banque ne seront pas tous c-onversibles en argent à volonté, ils ne seront pas en crédit; mais ceux de la Caisse d’escompte le sont encore malgré l’obligation où elle s’est trouvée de ne payer qu’un à un les billets de 1,000 francs ; et cependant ces billets n’ont point l’avantage particulier qu’obtiendront ceux de la Banque nationale, celui d’être institués et cautionnés par la nation. J’irai plus loin : je ne sais s’il faut regretter que, dans le moment actuel, il n’y ait pas tout à coup dans la Banque nationale la somme de numéraire effectif nécessaire pour ouvrir sans réserve et sans distinction le payement des billets de caisse en circulation ; car, d'ans un temps de crise et d’alarme, le dirai-je encore ? dans une temps de cabale et de passions, il y aurait du risque à ouvrir sans limites le payement des billets de caisse, même en ayant une somme de numéraire effectif, équivalente au quart et au delà des billets en circulation. Plusieurs motifs, dans les circonstances où nous sommes, engageraient à des demandes d’argent qui épuiseraient la Banque nationale en peu de temps, et il est peut-être préférable que toute l’étendue de ses moyens s’établisse dans un moment plus calme, afin qu’on soit solidement à l’abri de toute convulsion nouvelle. On dit qu’une banque, au moment où elle ne paye pas ses billets de caisse à bureau ouvert et en argent comptant, doit y être contrainte ; cette idée est exagérée: car, puisque le bénéfice de toute espèce de banque publique provient de ce qu’elle a moins de numéraire effectif que de billets en circulation, on peut toujours supposer une affluence de demandes d’argent qui ne lui permettrait pas d’acquitter de celte manière tous ses billets de caisse à la seule volonté des porteurs. La Banque d’Angleterre, plus digne de confiance qu’aucune autre par la protection que lui accorde la nation entière, a cependant eu des moments de crise où elle s’est vue forcée de retarder ou de prolonger ses payements en argent, et la confiance publique n’en a point été altérée. Il est vraiqu en Angleterre on verrait avec une indignation générale toute manœuvre qui annoncerait un dessein d’embarrasser la Banque; un pareil sentiment s’établira de même en France, sitôt que nos passions seront calmées, et qu’il ne restera de nos débats qu’un plus grand amour de la patrie, un plus grand intérêt à sa force et à sa prospérité. La grande difficulté est le moment présent. La somme d’argent que la Cuisse d’escompte délivre tous les jours épuise sa caisse dans un [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 novembre 1789.] 63 temps où le numéraire effectif semble avoir disparu, en sorte que si une telle crise durait encore longtemps, et qu’aucun moyen quelconque ne pût accroître ses capitaux en argent, sa distribution journalière d’espèces ou serait interrompue, ou serait au moins diminuée. Les billets de caisse garantis par un décret national, les billets de caisse remboursables avec certitude en 1791, ne seraient pas moins dignes de la plus parfaite confiance, lors même que leur conversion en argent serait momentanément interrompue. Cependant, s’il devenait nécessaire d’en soutenir le crédit, on ne manquerait pas de moyens, soit en y attachant un intérêt, ou simplement un tirage de primes, et le bas prix auquel reviendrait à l’Etat l’avance de 170 millions, faite par la Banque, nationale, permettrait de faire un sacrifice momentané, s’il devenait indispensable, pour encourager la circulation des billets de caisse : un sacrifice également passager pourrait de même être proposé pour exciter l’acquisition des nouvelles actions; mais il est inutile, et serait peut-être peu convenable en ce moment de traiter à l’avance toutes ces hypothèses, et de donner ainsi de la réalité à des suppositions encore vagues. Un tirage de primes fort simple, et le plus attrayant qu’il serait possible, me paraîtrait le moyen d’encouragement préférable ; ce serait le sacrifice auquel on pourrait renoncer le plus promptement, et il faudrait le faire au moment où le payement des billets de caisse en argent comptant, et à bureau ouvert, serait solidement établi ; et jusqu’à cette époque un tel sacrifice même ne serait pas nécessaire, si, à l’aide d’un sentiment national et patriotique, on voulait, d’un commun accord, soutenir dans le royaume, ou dans les principales villes de commercé, la circulation des billets de caisse. Au reste, même en supposant la Banque nationale une fois munie d’un capital en numéraire effectif, proportionné à ses billets de caisse en circulation, il ne faut pas se dissimuler que des circonstances pareilles à celles où nous sommes, rendraient absolument nécessaire l’établissement d’une règle ou d’une mesure dans la distribution de cet argent ; et je ferai remarquer, à cette occasion, qu’il serait important d’inviter les administrateurs ou commissaires de la Caisse d’escompte à prendre en considération les inconvénients attachés à la forme adoptée dans ce moment pour la répartition journalière d’une certaine quantité d’argent aux porteurs de billets de caisse ; il en résulte un désordre qu’il serait essentiel de prévenir, et l’on a malheureusement lieu de croire que, dans le nombre des personne qui augmentent ou qui excitent la foule autour de la Caisse d’escompte, plusieurs ne voudraient pas avouer leurs motifs. Tout devient embarrassant, tout devient pénible sans doute, quand le malheur des circonstances a détourné les affaires d’argent de leur cours régulier, mais il ne faut pas se lasser de lutter contre les difficultés; il n’en est aucune au-dessus des moyens qui naîtraient d’une volonté commune, èt il ne faudrait qu’un pareil secours pour abréger le passage entre l’état premier de la Banque nationale et sa consistance parfaite. Enfin, si nous avons besoin de soutenir, d’animer nos espérances, considérons que, cette affaire publique achevée, tout sera dans le plus grand ordre pour les finances. Il n’y a plus d’incertitude raisonnable sur l’établissement d’un parfait équilibre entre les reve-venus et les dépense fixes ; vous en avez pris l’engagement, vous en avez manifesté les moyens, et vous en trouverez encore d’autres pour établir une caisse d’amortissement, susceptible d’un accroissement graduel ; et fût-elle petite à sou début, elle suffirait, en n’empruntant plus, pour élever sensiblement le prix des fonds publics. Ce sera l’objet d’un second mémoire, où l’arrangement final des finances sera traité. Mes idées sont arrêtées à cet égard; mais j’attends, pour vous en rendre compte, que l’on sache positivement le résultat des économies que vous avez exigées du département de la guerre. Je crois aussi que, pour ne rien faire à la légère, il est important de réunir quelques notions plus certaines sur le produit de la contribution des privilégiés, et sur vos projets, relativement aux biens da domaine et du clergé. Tout prendra, n’en doutons point, une face nouvelle, dès que trois grandes dispositions, de votre part, seront décisivement terminées: L’accord évident et parfait entre les revenus et les dépenses fixes, cette condition essentielle d’une confiance durable; L’établissement solide des administrations provinciales, cet aide si puissant pour tout: et pour les finances, et pour le bonheur des peuples, et pour la liberté publique ; La restauration, l’affermissement d’un pouvoir exécutif qui assure l’obéissance aux lois et qui captive ce respect si nécessaire pour maintenir dans une action continuelle la paix et la tranquillité dans un si vaste royaume. Tous les biens naîtront de ces trois grandes bases sous la précieuse sauve gardedes Assemblées nationales ; mais comme au milieu de la confusion des finances toutes les idées s’égarent, toutes les espérances s’affaiblissent, il était essentiel de se défendre du désordre dont nous sommes menacés ; il était pressant de s’assurer de 170 millions absolument nécessaires, et pour répondre aux besoins de cette année, et pour préparer le service de l’année prochaine, et pour arriver au moment où il n’y aura plus de dépenses qu’en raison des revenus certains de l’Etat. Ce plan, très-difficile, vous est proposé, et néanmoins on a réservé comme une ressource additionnelle le produit des recouvrements extraordinaires qui auront lieu cette année et l’année prochaine sur la contribution patriotique. Je vous proposerais d’employer les premières rentrées à grossir les fonds destinés aujourd’hui au payement des rentes sur l’Hôtel-de-Ville. Il serait à souhaiter qu’avant le 1er janvier prochain les six derniers mois 1788 fussent entièrement acquittés, et qu’ensuite on ne laissât plus d’arrérages d’un semestre sur l’autre. Il faudrait, en ce moment, 35 millions d’extraordinaire pour exécuter ce plan, et j’avais d’abord pensé à prendre tout de suite cette somme sur le secours extraordinaire de 170 millions, qui serait procuré par la Banque nationale; mais il est convenable de ne pas mettre en circulation à la fois une trop grande somme de billets de caisse, et il importe aussi, au milieu de tant de circonstances contrariantes, de ne soumettre à aucun hasard la ponctualité du service courant. Au reste, on jugera sûremen avant peu de l’étendue de la contribution patriotique de Paris, et, selon toute apparence, les rentiers ne perdront rien aux dispositions de prudence que je vous propose. Il y aura encore en ressource le produit d’une grande partie de l’emprunt de 80 millions, puis- 64 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 novembre 1789. J que la somme non distribuée en ce moment se monte à 48 millions; mais vous savez, Messieurs, que la moite est payable en effets dont le remboursement est suspendu. On pourra faire aussi quelque usage de la créance sur les Américains : l’on est en pourparlers d’un commencement de prêt sur ce gage, et il vous en sera donné connaissance lorsque les négociations commencées auront acquis plus de consistance. C’est de Hollande qu’on donne quelques espérances de réussite, et si vous faites attention, Messieurs, à ladéfaveurdeschanges, occasionnée par la réunion combinée de l’étendue de nos besoins au dehors et de la rareté du numéraire effectif avec lequel nous pourrions acquitter cette dette, vous sentirez de quelle importance il serait pour l’Etat de trouver à faire quelques emprunts dans l’étranger, et je prévois que l’on pourrait être aidé à cet égard par la Banque nationale. Enfin, Messieurs, vous aurez toujours devant vous la perspective de l’extinction graduelle de 105 millions de rentes viagères, et toutes les autres améliorations que les lumières réunies d’une nation pourront procurer, à mesure que cette nation prendra possession par l’expérience de toutes les connaissance relatives à l’administration, et à mesure que la baisse de l’intérêt de l’argent donnera de nouvelles idées, et ouvrira de nouvelles ressources. 11 me reste à répondre à une objection générale, après avoir déjà discuté celles qui étaient relatives aux dispositions de détail. La réputation, dit-on, de la Caisse d’escompte est altérée : elle doit peut-être ce malheur à des contrariétés qu’il était hors de son pouvoir de prévenir ; mais il suffit qu’elle ait souffert dans son crédit pour qu’on doive désirer de détruire cet établissement et de le remplacer par un autre de même genre. On peut répondre à cette objection : 1° que le crédit de la Caisse d’escompte, tel qu’il existe aujourd’hui, crédit d’habitude en partie n’est pas moins encore très-considérable; 2° que le nom de Banque nationale, substitué à celui de Caisse d’escompte, l’augmentation du nombre des actions, l’accroissement du nombre des administrateurs, la faculté de perpétuer ou de changer les gérants actuels par le résultat libre d’une élection générale, les changements encore qui seront apportés aux statuts constitutionnels et à toutes les dispositions intérieures de l’établissement, enfin la surveillance assurée à des commissaires nommés par l’Assemblée nationale; toutes ces circonstances feraient véritablement de la Caisse d’escompte un établissement nouveau : on ne pourrait aller plus loin qu’en remboursant les anciennes actions et en en créant de nouvelles ; mais des actions ne peuvent avoir ni mérite ni démérite, et comme elles changent de mains tous les jours, on ne peut fixer sur personne la louange ou le blâme que l’on voudrait attribuer aux propriétaires de ces actions. 11 ne serait pas aisé, d’ailleurs, de rembourser 70 millions dus par le Roi à ces actionnaires, si on voulait, en les dépouillant de leur propriété, se montrer juste envers eux ; et cette difficulté deviendrait encore plus grande, si l’on proposait de détruire en entier la" Caisse d’escompte sans aucun remplacement, car il faudrait non-seulement rembourser d’une manière quelconque le dépôt de 70 millions fait par les actionnaires, mais on devrait encore acquitter tous les engagements du Trésor royal envers la Caisse d’escompte, et qui font partie du gage des billets de caisse ; enfin, soit pour une telle dépense, soit pour assurer en entier le service de cette année et de l’année prochaine, on aurait à chercher un secours d’une grande étendue et que l’état présent du crédit ne permettrait pas de trouver à des conditions tolérables. Il ne faut jamais perdre de vue que, par le malheur des circonstances, il y a deux difficultés à vaincre à la fois : l’embarras de la Caisse d’escompte, et la nécessité d’un secours considérable pour les finances. Cette réflexion m’engage à vous retracer en peu de mots les résultats du projet dont je viens de vous entretenir. Un secours de 170 millions absolument nécessaire serait procuré. Il ne coûterait à l’Etat qu’un intérêt de 3 0/0 par an. A l’époque fixée pour le remboursement de ces 170 millions, la Banque nationale se chargerait du service des anticipations, pareillement à 3 0/0 d’intérêt sans aucune rétribution, et il en coûte aujourd’hui plus de 6 pour les mêmes négociations. L’Etat obtiendrait encore une diminution d’un cinquième sur l’intérêt dont il est grevé envers les actionnaires en raison de leur dépôt de 70 millions fait en 1787; ainsi ses charges annuelles seraient diminuées par cette condition de 700,000 livres par an. Le commerce, la banque et les entreprises utiles recevraient de nouveaux secours par l’accroissement de fonds qu’on pourrait destiner à l’escompte des billets ou des lettres de change. Un établissement public qui a rendu de grands services aux finances serait maintenu; et ses intéressés, qui réunissent entre eux un capital de 100 millions confié presque en entier à l’Etat, n’auraient à se plaindre d’aucune injustice. Ces avantages seraient achetés par les inconvénients inséparables d’un accroissement de billets do caisse, dont le remboursement en argent à la volonté des porteurs n’aurait pas lieu tout de suite, et qui devrait cependant être reçu légalement dans beaucoup de payements. Mais ces inconvénients seraient affaiblis : 1° Par la garantie nationale donnée à ces billets; 2° Par les. limites apposées à leur somme totale ; 3° Par l’assignat formel destiné au remboursement de l’avance de la Caisse d’escompte à une époque extrêmement rapprochée; 4° Par les diverses précautions prises pour accélérer lemomentoù l’on pourrait payer en espèces, et à bureau ouvert, tous les billets de la Caisse en circulation; 5° Par la proposition qui vous est faite d’en soutenir, jusqu’à ce moment-là, le crédit, en y attachant un intérêt ou une loterie de primes, si cet encouragement devenait nécessaire. Enfin, à tous ces moyens efficaces, il pourra s’en joindre d’autres parla réunion de vos lumières ; et quand je n’aurais fait que présenter avec un peu de clarté les points de difficulté, autour desquels chacun peut diriger ses réflexions, je ne croirais pas la peine que j’ai prise absolument inutile. Vous penserez sûrement, Messieurs, que ce mémoire doit être communiqué à MM. les actionnaires de la Caisse d’escompte, puisqu’on ne peut traiter sans eux de leurs intérêts et de leur propriété. Vous trouverez d’ailleurs, dans leur assemblée générale, une réunion de lumières dont vous 65 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 novembre 1789.] pourrez tirer de l’utilité dans l’affaire gui est aujourd’hui soumise à votre considération; et attachés comme ils le sont à la chose publique par plusieurs intérêts, ils s’expliqueront, je le crois, avec beaucoup d’impartialité et de patriotisme. Je ne m’étendrai pas davantage, et j’attendrai de connaître les objections essentielles qui ont pu m’échapper, soit pour les discuter ensuite, soit pour être éclairé par elles ; on peut s’en fier aux lumières présentes et à l’activité ordinaire de la censure, que rien ne sera négligé. Je crois la critique facile, puisqu’à mes propres yeux tout se ressent, dans ce projet, de la désolante contrariété des circonstances ; mais je ne puis qu’employer mes efforts à en affaiblir les conséquences, et seul je suis confident de ce qu’il m’en coûte de peine pour vous proposer un moyen qui s’écarte des principes généraux d’administration, dont l’observation sévère m’a seule attaché jusques à présent au maniement des affaires publiques. Aussi je crois me soumettre à l’un des plus grands sacrifices, en soignant même à ce prix l’intérêt de l’Etat. Je demande cependant, Messieurs, qu’après avoir fait part sans aucune réserve de toutes mes réflexions, on considère leur résultat comme une simple opinion, comme une simple déférence de ma part. Examinez, approfondissez par vous-mêmes une si importante question ; aidez-vous, je vous prie, de la comparaison et des lumières de tous ceux que vous jugerez à propos de consulter, car je n’accepterais point que vous vous en rapportassiez à moi par un sentiment de confiance ; je n’ai point décliné cette forme pour la contribution patriotique, parce que tout était simple dans une pareille affaire ; mais quand il s’agit d’une disposition aussi grave que compliquée, d’une disposition susceptible d’interprétations diverses ; enfin quand toutes sortes de motifs, toutes sortes d’intérêts et de passions viennent se mêler à présent au jugement qu’on porte des opérations de finance, je ne dois pas rester seul à répondre du succès ou des événement : c’est assez de vivre d’inquiétudes pour étudier, pour chercher, pour trouver le mieux ; c’est assez d’user toutes les facultés de sa pensée, toute la puissance de son âme, pour prévenir, pour éloigner, pour adoucir les malheurs de tout genre, dont j’aperçois à chaque instant le spectacle autour de la grande administration qui m’est confiée ; c’est assez, je le puis dire, d’aller en dépérissant sous l’immense fardeau dont je suis chargé, ét de le soutenir sans un moment de relâche, sans une minute de distraction ; enfin c’est assez d’avoir à se livrer à tant de peines par la seule loi d’un dévouement libre à vos intérêts. Je crois qu’il est de toute justice, Messieurs, que vous vous associiez à cette tâche, et que vous le fassiez, comme je vous en prie, simplement et généreusement, et de la manière qui convient aux représentants d’une grande nation , près desquels on ne verrait jamais aborder, sans douleur, aucune considération, aucune politique particulière, tant est superbe, auguste et supérieur à tout l’éminent intérêt qui vous rassemble. Pardonnez, Messieurs, si en vous parlant d’affaires j’y mêle souvent les sentiments de mon cœur; elles seraient insupportables, ces affaires, si rien de moral, si rien de sensible ne pouvait s’y réunir : et quel citoyen ne serait animé, quel homme ne serait agrandi par la contemplation du but auquel vous désirez d’arriver? vous ne rejetterez donc point l’hommage que l’on se plaît lre Série, T. X. à vous rendre de ses sentiments, de ses vœux et de ses pensées, et ce serait avec peine que je me soumettrais, si vous le vouliez, au sacrifice de tous les mouvements de mon cœur, et que je me réduirais à vous offrir, en tout temps, le langage de la simple raison ; mais cette raison n’est jamais complète lorsque le sentiment en est absolument séparé, parce que lui seul peut recueillir une infinité de vues qui échappent, même dans les affaires, aux efforts et aux atteintes de l’esprit. M. le Président. L’Assemblée nationale donnera aux vues que vous venez de présenter toute l’attention qu’elles méritent, à cause de l’importance de leur objet et à cause de la confiance que votre dévouement inspire à la nation. Un grand nombre de membres réclament l’impression du mémoire ; cette impression est ordonnée. Le ministre des finances se retire. L’Assemblée nationale décide le renvoi du mémoire au comité des finances. M. le comte de la Galissonnière insiste pour qu’on reprenne la délibération sur l’affaire de la province d’Anjou, mais elle est renvoyée à lundi. M Brunet de Latuque. Je demande que l’Assemblée nationale ait une séance demain dimanche afin de s’occuper des nombreuses affaires particulières qui sont en souffrance. Cette proposition est rejetée. M. Brunet de Latuque. Je fais la motion expresse qu’il y ait à l’avenir trois séances du soir par semaine pour expédier une multitude d’affaires qui concernent les provinces. M. Dubois deCraneé développe avec force les motifs qui doivent faire adopter les séances du soir. M. Fréteau dit que la nécessité de ces séances est prouvée par les rapports que les différents comités demandent inutilement à faire depuis plusieurs jours. M. l’abbé Haury. Ni à Londres, ni à Varsovie, ni à Stockholm, où il y a des Assemblées nationales, on ne s’assemble deux fois par jour. Notre temps appartient sans doute au royaume; mais si nous avons deux séances, il sera impossible de préparer aucune matière. La raison était différente lorsque nous tenions deux séances par jour à Versailles; d’ailleurs, les distances sont longues ici et les retraites difficiles. Il faudrait consacrer le commencement et la fin de nos réunions aux affaires particulières. Il est dangereux d’en traiter d’importantes à la fin d’une séance. M. Barnave. Si nous n’avons point des Assemblées en Europe qui tiennent deux séances par jour, c’est qu’elles ne travaillent nulle part à faire des constitutions. C’est chercher à retarder l’ouvrage important dont nous sommes chargés que de s’opposer à ce que l’Assemblée s’occupe dans des séances du soir, d’affaires qui, pour être moins importantes que la Constitution, sont cependant du plus grand intérêt pour la chose publique. On va aux voix selon la méthode accoutumée sur la motion de M. Brunet de Latuque. L’épreuve paraît douteuse. 5