80 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE et tous s’accusent réciproquement de s’être laissé circonvenir et surprendre par des intri-gans et des contre-révolutionnaires et d’avoir incarcéré et persécuté les vrais patriotes. Charles Lacroix qui est actuellement sur les lieux écrit qu’il a toutes les peines du monde à réparer les erreurs de Levasseur, son prédécesseur (57). Le représentant du peuple Charles Delacroix écrit à la Convention à raison de la situation du département des Ardennes. On demande l’insertion de la lettre au bulletin, et le renvoi au comité de Sûreté générale. Sur la proposition d’un membre, fortement appuyée, le renvoi est décrété, et l’ordre du jour est adopté sur le surplus de la proposition (58). [Charles Delacroix, représentant du peuple dans les départements des Ardennes et de la Meuse à la Convention nationale, Sedan le 17 fructidor an II] (59) Citoyens Collègues, Le 10 thermidor vient aussi de luire pour la commune de Sedan et le département des Ardennes. Depuis longtems des tirans subalternes opprimaient ce département, y retraçaient les scènes de désolation, de débauches, de pillage dont Paris fut longtems le théâtre. Je n’ai point perdu un instant pour en chercher les preuves et aussitôt qu’elles m’ont paru suffisantes, j’ai fait arrêter leurs auteurs. Mogue que le comité de Salut public avait saisi précédemment, Vossanty, Durège, Varro-quier, Barraur, La Chapelle se disant Marat, n’étaient que des coupables isolés et sans appui. Fidèles imitateurs des scélérats fameux que vous avés frappés et dont ils étaient les dignes correspondans, ils avaient comme eux acquis une grande popularité, par des motions exagérées, par les déhors imposans d’un dévouement entier à la cause de la liberté. Tout le département et surtout sa principale commune se taisait devant eux; et cette stupeur indigne des vrais républicains n’est point encore entièrement dissipée. Le grand nombre de ceux qui furent les témoins de leurs excès où les victimes de leur barbarie, craint de les voir réparaitre plus puissans et plus terribles tandis que ceux qui furent les dupes du patriotisme exagéré qu’ils affectaient les regardent comme des victimes, et se liguent pour les défendre. Déjà vous avés vu paraitre trois intrigans députés pour se rendre leurs deffenseurs officieux. L’un d’eux a été démasqué par un de (57) Mess. Soir, n° 754. (58) P.-V., XLV, 205. (59) C 318, pl. 1290, p. 5. Débats, n° 721, 414; Moniteur, XXI, 733; J. Paris, n° 620; Mess. Soir, n° 754; J. Mont., n° 135; J. Perlet, n° 719. Rép., n° 266; M. U., XLIII, 409; Gazette Fr., n° 985; J. Fr., n° 717. nos collègues, les autres le seront bientôt sans doute. La société populaire de Sedan qui depuis longtems était une arène où ils écrasaient tour à tour les talens qui les offusquaient, les hommes riches et nuis dont ils espéraient partager les dépouilles, n’a point pu se persuader tout à coup qu’ils fussent véritablement coupables; elle renfermait dans son sein un grand nombre de leurs dupes, une partie de leurs agens peut-être même une partie de leurs complices. Il a fallu l’épurer. Je l’ai fait hier. Tous ceux qui ne se sont point rendus indignes de ce beau nom de Jacobin y ont été conservés; tous ceux qui n’y avaient d’autre titre que la soif du sang, que des motions incendiaires et désorganisatrices en ont été écartés; beaucoup de bons citoyens que les Vassants, les Mogues à l’exemple de leurs maîtres, avaient sçu en éloignés, y ont été rappellés et tout annonce que la voix de la vertu se fera seule entendre dans cette enceinte trop longtems deshonorée par les hurlemens du vice et de la cruauté. D’après les renseignemens que je me suis procurés, les autorités constituées vont être également épurées et seront composées d’hommes probes ardens à découvrir à faire punir les coupables, mais attentifs à protéger l’innocent, moins avides du nom de révolutionnaire que désireux de hâter les progrès de la révolution. Si le comité de Sûreté générale ne craint pas de réveiller des souvénirs pénibles, ou plû-tot s’il daigne vous occuper de quelques scélérats obscurs, il vous les montrera imitateurs fidèles des grands coupables que vous avés écrases, toujours avides du sang sans distinguer l’innocent du coupable, exagérant les mesures les plus sages et marchant à la contre-révolution en courrant dans le sentier de la liberté toujours prêts à frapper les riches, non pour la République mais pour eux-même, violant tous les droits en affichant le titre de propagateur des droits de l’homme, cherchant à ôter au peuple ses plus doux moïens d’exister, le travail et les salaires, en se disant les amis du peuple, en profanant le nom de Marat. Oui, Citoyens Collègues, la punition des coupables, n’acquittera point dans cette circonstance la dette qui vous est imposée. Vous aurés à réparer tout le bien qu’ils ont détruit et vous jugerés de l’étendue de cette dette par l’état de ruine où est tombée la manufacture qui alimentait cette grande commune et une grande partie de cette frontière. En apprenant que la population de Sedan que l’on évaluait à seize mille âmes en 1790 est réduite à 12 par une suite de manœuvres perfides des monstres que je dénonce. Veuillés, Citoyens Collègues, vous garantir des impressions fâcheuses que chercheront à faire sur vous, les deffenseurs officieux qui vous ont été envoyés d’ici. Sur que vous ne perdrés pas de vue le principe d’équité que vous avés adopté, que vous ne jugerés point ce que j’ai fait, sans m’avoir entendu. Comptés que la crainte même de la calomnie ne pourra point m’écarter des devoirs rigoureux et afïli-geans que j’ai à remplir dans la mission qui m’est confiée. SÉANCE DU 25 FRUCTIDOR AN II (11 SEPTEMBRE 1794) - NM 33-34 81 Salut et fraternité Ch. Delacroix On demande l’insertion de cette lettre au Bulletin, on s’y oppose. LEVASSEUR déclare que les choses ne vont pas dans le département des Ardennes comme on l’annonce; [que les intrigans dénoncés par Lacroix sont de véritables patriotes] (60) que les républicains y sont persécutés; que la société populaire de Sedan n’est aujourd’hui composé que des détenus de Mont-Dieu, et que Lacroix a fait sortir de cette maison d’arrêt un ci-devant noble [un horrible contre-révolutionnaire qu’il avoit fait incarcérer, pour avoir changé dans son extrait de baptême le mot de messire en celui de monsieur, dans l’intention criminelle de lui faire croire qu’il n’étoit pas noble, ni jouissant des privilèges de la noblesse] (61), pour le placer dans un hôpital militaire [de Mézière] (62) dont il a chassé un officier de santé rempli de patriotisme et de talens, fait dont il offre de donner aussitôt la preuve. [Que la Convention doit être en garde contre le discernement de Lacroix qui a protégé Platteau de Weïmérauges, convaincu par Cambon d’avoir volé à la République plusieurs millions] (63) ROUX : [justifie Lacroix sur plusieurs faits, et l’inculpe sur plusieurs autres.] (64) [On s’attache sans cesse à jeter de la défaveur sur un représentant, lorsqu’il n’est pas là pour se défendre; c’est une perfidie atroce. Eh bien moi je dirai que j’ai entre les mains des lettres de félicitation adressées à Robespierre par les intrigans que Levasseur protège. L’orateur est interrompu] (65). Un membre [GOUPILLEAU] (66) observe que la situation du département des Ardennes n’est pas bien connue, et que des sentimens divisent les quatre représentans qui y ont été envoyés. Il réclame donc le renvoi de cette affaire au comité de Sûreté générale qui entendra toutes les parties (67). 33 Le commissaire du mouvement des armées de terre fait passer six procès-verbaux des jugements prononcés contre des émigrés à l’armée des Pyrénés-Orientales et à Briançon. Insertion au bulletin (68). (60) J. Paris, n° 620. (61) Mess. Soir, n° 754. (62) J. Perlet, n° 719 (63) J. Paris, n° 620. (64) J. Paris, n°620. (65) J. Perlet, n° 719 (66) J. Paris, n° 620. (67) Rép. n° 266; J. Paris, n° 620. (68) P.-V, XLV, 205. 34 La société populaire des anti-politiques d’Aix [département des Bouches-du-Rhône] demande que la Convention décrète le projet de décret qu’un de ses membres (Louchet) lui a présenté, concernant les gens suspects qui ont surpris leur liberté. Insertion au bulletin (69). [La société populaire des anti-politiques à la Convention nationale, le 13 fructidor an II] (70) Liberté. Egalité. Citoyens représentans, La société populaire des antipolitiques d’Aix toujours fidèles au serment qu’elle a fait de ne faire ni paix ni trêve avec les ennemis de notre sublime révolution, vient à l’appui de Louchet votre collègue, vous demander le décret salutaire qu’il vous a proposé de rendre. Les motifs développés dans son discours doivent vous déterminer à rendre cette loy que tous les patriotes sollicitent. Ce discours mâle et énergique nous a frappés : il a electrisé nos âmes et porté le coup fatal à l’aristocratie. On y trouve le stile et les sentiments d’un véritable ami du Peuple. On y voit avec satisfaction les principes de cette severe justice qui caractérisent les vrais républicains, et n’ont par cette justice comme l’ont entendu les hi-pocrites les modérés et toute la vermine aristocratique que les maisons d’arrêt contiennent à peine; car ils croyent que la justice consiste a oublier ou leur pardonner leurs attentats contre la liberté... Ne savent ils donc pas, ces hommes réprouvés par la République que la véritable justice est celle qui protégé l’innocent ou l’homme égaré et qui frappe impitoyablement le coupable. Qu’ils descendent au fond de leur âme engourdie dans le crime qu’il y lisent la longue liste de leurs atrocités, qu’ils se rappellent les malheurs de la patrie, et le sang qu’ils ont fait couler et ils verront le sort qui les attend. Et vous Citoyens Représentans qui avés constamment veillé sur le peuple, vous qui l’avés sauvé tant de fois des dangers qui le menacoient soyés toujours dignes de sa confiance : ne vous laissés point entrainer par une fausse pitié, elle serait nuisible au succès de la Révolution; elle pourrait entraver sa marche rapide. Bientôt toutes les factions enhardies s’agiteroient et ebranleroient le colosse majestueux de la Liberté, si elle ne parvenoit à l’abbatre; déjà par une fausse interprétation de vos décrets l’aristocratie lève sa tète altière et menace les patriotes, il semble les accuser d’être les complices de Robespierre. Mais qu’elle tremble encore : le peuple est là, avec vous pour déjouer tous les complots et se def-(69) P.-V., XLV, 205. (70) C 320, pl. 1318, p. 20. Mention honorable en marge.