170 [Assemblée ïiatiüMIô,j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 octobre 1706. j journement,et en voici le motif : l’objet des ponts et chaussées tient à une instruction particulière; avec des ajournements on ne finit rien, et cependant la France a toujours besoin de ponts et de chemins. (L'ajournement est rejeté.) M. Lucas combat le plan du comité sous deux rapports : 1° en ce qu’il laisse la direction des ponts et chaussées à l’arbitraire du pouvoir exécutif; 2° en ce qu’il entraîne de trop grandes dépenses. (La discussion est ajournée à la prochaine séance.) M. Salle, député du département du Cher, obtient ün congé de trois semaines. M. du Hautoy, député du département de la Meurthe, absent par congé, déclare qu’il reprend sa place à l’Assemblée. M. Itegnaud, député de Saint-Jean-d' Àngély . Malgré les soins et l’active surveillance du district de Varèze, département de la Charente-Inférieure, il a été, ces jours derniers, le théâtre d’une insurrection ; elle avait pour objet le refus de paiement des droits féodaux. La municipalité a donné désordres pour faire arrêter le principal auteur de l’insurrection. Des séditieux ont voulu s’y opposer; ils ont assailli à coups de pierre ceux qui étaient chargés de l’arrestation. La garde a fait feu, et est parvenue à exécuter l’ordre dont elle était chargée. Le lendemain la fureur des brigands redouble; ils se rendent à Varèze, et demandent que le prisonnier soit mis en liberté. Les officiers municipaux cèdent à la circonstance, et le coupable sort de prison. Mais les brigands ne sont point encore satisfaits, ils s’emparent de M. Latierce, maire de Varèze, qu’ils présumaient être le principal auteur de l’ordre qui avait été donné. Après lui avoir fait souffrir lés plus indignes traitements, ils l’ont massacré. J’ai cru devoir ce compte à l’Assemblée, pour la prévenir Contre des récits infidèles. Je demande que cette affaire soit renvoyée au comité des rapports. (Cette proposition est adoptée.) (La séance est levée à trois heures.) PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 31 OCTOBRE 1790. Considérations sur la franchise des ports et en particulier de celui de Dunkerque, par ill.ï’ran-eoville, député de Calais et Ardrest Le transport des douanes à l’extrême frontière a conduit le comité d’agriculture et de commerce à l’exanieu de la franchise des ports. C’est sans duüte une question importante que celle de ces franchises. On les a multipliées dans le royaume, et le commerce a langui; rejetées par l’Angleterre, son commerce s’est élevé au comble de là prospérité : ce n’est donc pas par des exemples qu’on peut les défendre. Si on cherche leur origine, on la trouve dans ces temps où les nations n’avâient pas calculé leur influence respective dans les échanges, dans cette période où les Hotlandais étaient les routiers de l’Europe, où toutes ses productions étaient entreposées dans leurs magasins. Louis XIV, frappé de ces rapports, a voulu appeler ses peuples au partage de cette industrie; il a créé des ports francs; mais ni Louis XIV, iil les ports francs n’ont amené ce partage, et ils ne devaient pas l’amener. Les Hollandais étaient an terme de leur grandeur, leurs besoins étaient au-dessous de leurs capitaux, de leur industrie : en France, nos besoins étaient au-dessous de l’industrie nationale ; nos vaisseaux ne pouvaient suffire au cabotage, à nos relations intérieures; nos pêches, nos manufactures, à notre consommation. Dans cet ordre de choses, ce qui était bon aux Hollandais, ne l’était pas pour nous: il fallait au commerce des Hollandais un aliment étranger, des rapports étrangers ; et nous, il fallait noug diriger vers nos propres affaires, avant de nous présenter celle des autres. Laissant au reste ce problème, c’est à celui du moment qu’il faut s’attacher. Pour trouver sa solution, et la véritable destin-nation des ports francs, il est bon de poser quelques principes. . Règle générale. — Tous les ports du royaume ont un droit égal au commerce national. Le commerce national est celui qui s’exerce : En tirant de l’intérieur du royaume et des villes maritimes les produits de leur industrie et de leur sol ; En expédiant les produits de l’industrie et du sol des provinces voisines du port, aux autres provinces et ports du royaume; En expédiant à l’étranger les productions nationales ; En recevant de l’étranger ses productions et ses marchandises, aux conditions déterminées par la loi, soit qu’elles soient destinées à la consommation du royaume, ou à être exportées à l’étranger. Mais si l’industrie nationale peut se porter au delà des limites de ces quatre divisions dans lesquelles se rangent toutes les transactions du commerce français, si elle peut intervenir dans ies transactions du commerce étranger, sans doute il faut favoriser cette industrie. On intervient dans les transactions dii commerce étranger : En achetant les productions d’un peuple, pour les vendre à un autre. Ainsi, Marseille achète les productions de tous les pays que baigne la Méditerranée, et les transmet aux nations du nord, Ainsi, nos armateurs tirent les productions de la Chine, du Bengale, de la côte dé Coromandel, et, la consommation du royaume prélevée, les expédient aux étrangers. Nécessairement ce commerce doit frapper sur des objets ou prohibés, ou soumis à des droits de traite considérables ; il a donc fallu trouver des moyens de rendre les spéculations possibles, sans nuire aux droits du fisc et aux manufactures françaises. Ou a pour cela imaginé des entrepôts et les ports francs. Les entrepôts sont des dépôts faits, entre les mains de la puissance publique, de marchandises étrangères, présumées devoir retourner à l’étranger, pour s'asssurer qu’il n’eu sera fait aucunè soustraction, etqueleür destination sera toujours remplie. Entre l’étranger qui livre du reçoit, et la puissance publique qui reçoit ou livre, Une doit pas [Assemblée nationaîè.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 octobre 1790.) y avoir d’intermédiaire; s’il s’en trouvait, Fideh-tité de la chose déposée serait impossible à vérifier. Les entrepôts sont en général utiles et avantageux quand ils sont surveillés de manière à prévenir la fraude, et qu’ils ne tendent pas à mettre en concurrence les produits de l’industrie étrangère avec ceux de l’industrie nationale. Un port franc est une ville qu’on laisse hors de l’Empire, qu’on abandonne hors de la ligne, pour en faire une collection d’entrepôts, de magasins, où les marchandises étrangères sont déposées uniquement pour être réexportées à l’étranger. Un port franc, par conséquent, est une espèce d’Etat séparé pour ses relations commerciales : il devient fictivement une puissance commerçante; le reste du royaume lui est étranger; les marchandises qu’il y achète sont naturellement étrangères, dès qu’elles sont dans son sein. Dans ses rapports avec les autres parties de l’Empire, il doit, pour le commerce d’exportation, jouir de toutes les faveurs, et, comme toutes les nations, être appelé à mettre notre industrie à l’enchère Pour le commerce d’importation, le port franc doit être frappé d’une prohibition absolue, ou du moins être traité comme les nations les moins favorisées. Les traités de commerce n’étant pas universels, les mêmes marchandises étant ou prohibées, ou tarifées diversement suivant le lieu de leur fabrication, si on n’adoptait pas cette règle, il serait au pouvoir du port franc d’associer toutes les nations au bénéfice de la convention faite avec l’une d’elles, en introduisant, sous le nomdecette dernière, les objets manufacturés chez les autres, celles d’Allemagne sous le nom des anglaises, et réciproquement. Par l’impossibilité de constater l’origine, dès qu’il y a un intermédiaire entre les deux nations unies par un traité; par la possibilité d’éluder les formes les plus prévoyantes, le port franc anéantirait le commerce national. Toutes les fois qu’on s’écartera de ces notions, on aura une fausse idées des ports francs ; toutes les fois qu’on prétendra qu’ils présentent des moyens d’échange avec les produits de l’industrie nationale, on sera dans l’erreur, si on suppose un échange direct. Cette proposition n’est vraie que dans ce sens que le port franc peut payer en marchandises nationales ce qu'il tire de l’étranger. Examinons si, dans la situation actuelle de l’Europe au milieu des intérêts combinés, des relations suivies que les peuples ont entre eux, de la balance générale dii commerce, il peut exister un commerce de port franc ? La solution de cette question n’est pas abstraite ; elle ne tient à aucune théorie, elle est purement pratique. Les villes qui demandent une franchise doivent dire : Je tire de tels pays tel article, je l’exporte dans tel autre ; de celui-ci telle production, et je là vends à celui-là : ces villes doivent faire voir que les bénéfices probables sont d’une assez haute importance, pour déroger à la loi commune; ces villes doivent démontrer que leur prospérité sera établie sur le commerce étranger, et non sur celui de tout ce qui les environne, encore moins sur ce commerce anti-patriotique, anti-social, sur la fraude. 11 suit de là que les motifs qui militent pour rétablissement d’une franchise dans tel point, ne sont pas applicables à tel autre -, que les nioyenS opposés à telle franchise né s’élèvent pâs côn-m tre les autres ; qu’ainsi la franchise de Marseille et de Dunkerque sont indépendantes, et que ce qui attaque l’une ne préjudicie pas à l’autre. Il pourrait se faire que l’immense commerce des échelles du Levant, la fréquentation nécessaire du Lazareth, les exportations qui se font à l’étranger des retours de l’industrie marseillaise, présentent des considérations particulières. Borné à la franchise que réclame Dunkerque, on demandera comment l’exercera-t-il ? Quelles sont les branches qui exciteront son industrie? de quels Etats tirera-t-il des marchandises ? à quel peuple les revendra-t-il ? Pour prononcer en connaissance de cause, il faut un tableau fidèle de ce qui sera acheté et de ce qui sera vendu. Ici, la bonne foi ne peut se fourvoyer; ce ne sont pas des considérations, ce ne sont pas de ces principes qui régissent les Empires, qu'il faut présenter ; ce sont des faits, une simple nomenclature de ce qui compose les relations commerciales. Hors de cette nomenclature, on n’est plus dans la questionjelle n’est que là, et pas ailleurs. Les députésducommerce de Dunkerque, obligés de s’expliquer, l’ont présentée, cette momencla-ture. Ils ont dit, et au comité d’agriculture, et aux députés extraordinaires du commerce : 1° Nous importons des eaux-de-vie de Catalogne, et nous les exportons en Angleterre ; 2° Nous fabriquonsdes genièvres avecdesgrains étrangers, nous en importons de Hollande, et nous expoitons les uns et les autres en Angleterre ; 3° Nous achetons des thés à Gothembourg, à Copenhague, et nous les vendons à l’Angleterre ; 4° Nous recevons 6.000 boucauts de tabac; nous le fabriquons, nous l’expédions en Italie, en Angleterre; nos fabriques sont réputées les meilleures du monde (1). La qualité de nos eaux se joint, pour leur perfection à notre industrie. Par là, nous fournissons un débouché aux tabacs du pays ; 5° Les droits énormes, qui se perçoivent en Angleterre sur les marchandises des Indes, en font importer dans notre port, pour être réexpédiées dans cette île; 6° Nous tirons du royaume, des batistes, des dentelles, des toiles et nous les vendons à l’Angleterre ; Douze cents bâtiments sont employés à ce commerce; 7° Nous importons de Portugal des citrons, des oranges, d’autres fruits, et nous les échangeons contre les productions de la Flandre et de l’Artois; 8° Quand l’exportation des grains n’est pas prohibée, c’est par notre port qu’il passe à l'étranger ; 9° Nous tirons des toiles de Silésie, de Hollande, de nos provinces, et nous les envoyons en Espagne. Sans la franchise cette branche s’anéantirait ; la concurrence des toiles étrangères et nationales nous permet de multiplier nos expéditions, de mettre en charge, à des époques déterminées, des bâtiments; d’exciter par là l’industrie bientôt éteinte, si on était réduit aux toiles françaises, qu’un navire exporterait avec facilité. Notre franchise nous est d’autant plus néces-(1) Les tabacs de Dunkerque sont vendus sous le nom de tabacs de Saint-Omer. On y fraude jusqu’au nom des villes voisines. ARCHIVES PARLEMENTAIRES 131 octobre 1790.1 172 {Assemblée nationale.] saire, que nous sommes écartés de Cadix par un droit de consulat; 10° Nous recevons du Nord plus de cent vaisseaux chargés de bois, huis, goudrons, suifs, toiles à voiles, chanvres, lins, fers; et eQ retour, nous leur donnons des sucres, cafés, d’autres articles; 11° Nos pêches sont importantes et demandent à être encouragées; 12° Nous tirons de la Flandre française des toiles grises ; les vaisseaux qui abordent s’en approvisionnent pour des voiles ; 13° Nous tirons des huiles de Provence, des savons; nous les expédions pour le Nord quand la saison avancée ne permet plus de se rendre dans la Méditerranée. Telles sont, disent les Duokerquois, nos relations commerciales; toujours elles ont été l’objet de la jalousie de nos rivaux : première considération pour conserver notre franchise. Et la politique aussi parle en notre faveur, et sa voix ne se fera pas entendre en vain dans l’Assemblée nationale; ses dispositions pacifiques, son amour de l’humanité, ces sentiments de fraternité qu’elle manifeste pour toutes les nations, n’empêcheront pas qu’elle ne donue à nos corsaires une protection particulière : les prises qu’ils ont faites lui feront connaître l’importance de notre position ; elle se dira : Les Anglais, les Hollandais ont redouté Dunkerque : il faut le protéger. Nous la méritons, continuent les Dunkerquois, cette protection, par les matelots que nous fournissons à la marine royale. Ces matelots, nos corsaires, l’Etat ne les aurait pas sans notre franchise; bientôt notre ville serait déserte. Une ville rivale, Ostende, que Joseph II a appelée aux plus hautes destinées, y attendra le jour où nous deviendrons port national. En vain nous présenterait-on la ressource des entrepôts: les entrepôts entraînent des gênes, et notre commerce n’en comporte pas; il faut saisir les moments : écoulés, ils ne se retrouvent plus. La question réduite à son véritable état par l’énumération des branches de commerce en ac-tivitéà Dunkerque, examinons si elles nécessitent l’établissement d’une franchise. Importations des eaux-de-vie de Catalogne , et réexportation en Angleterre. Dunkerque peut recevoir en entrepôt ces eaux-de-vie, et à l’aide de cet entrepôt les livrer aux fraudeurs Anglais, aux mêmes conditions qu’avec la franchise. Mais est-il de l’intérêt du royaume d’autoriser, non pas la franchise, mais même l’entrepôt? Que fait par là le commerce français? En dernière analyse, il rapproche la côte d’Espagne de celle d’Angleterre ; il met les eaux-de-vie d’Espagne en concurrence avec celles de France ; il fait plus, il détruit l’exportation des eaux-de-vie de France. En effet, celles de Catalogne étant à plus bas prix, celles de Catalogne expédiées pour le compte des Barcelonnais, vendues par commission à Dunkerque, par cela seul à plus bas prix encore, puisque outre l’intérêt du commissionnaire, qui le porte à multiplier les ventes, il n’y a entre l’acheteur et le négociant à la cote que 2 0/0 , tandis que pour les eaux-de-vie de France, il y a les frais d’achat, d’expédition, l’intérêt îles fonds, le bénéfice du négociant, conséquemment double chance contre les eaux-de-vie nationales. Ainsi, pour procurer cette première ressource à Dunkerque, c’est-à-dire 2 0/0 de commission, il faut, et sacrifier les pays vignobles et le commerce français. Est-ce à ce prix qu’on doit accorder une franchise ? (1) Fabrication du genièvre(2) ; commerce du genièvre. En ce qui concerne la fabrique, si on la trouve avantageuse, elle peut subsister sans franchise; il s’agira de la faire exercer pour empêcher les versements, et assurer l’exportation à l’étranger. Quant au commerce, Boulogne, Galaiset Fécamp le font avec succès par la voie des entrepôts, Boulogne en expédie 4,000 pièces de 80 veltes : cependant, il ne jouit pas du bénéfice de la fabrication : il paye un droit à la ferme générale et, avant l’abolition des péages, il était soumis à un droit de vicomté de 1 1/2 0/0. Dunkerque, avec sa genèvrerie et un entrepôt, peut donc faire ce commerce avec les mêmes avantages qu’avec la franchise. Ce serait encore une grande question de savoir si, facilitant aux Anglais le transport des genièvres, si par le bas prix facilitant leur goût pour cette liqueur, nous ne les écartons pas de plus en plus de nos eaux-de-vie ; si... etc. Les thés achetés à Gottembourg et Copenhague , réexpédiés en Angleterre. Depuis le bill de M. Pitt, cette branche ne peut être d’une considération importante; mais si elle l’était, il faudrait pour elle faire exception à la franchise. Où les thés de Gottembourg et Copenhague sont à meilleur marché, ou au même prix que les thés du commerce français. Si, à meilleur marché, pas de commerce de thé français à Calais, Boulogne et Fécamp. Si, au même prix, concurrence pour les thés français, désavantages même pour eux, à raisou de l’avance du droit d’induit. Inutilité d’autre part de la franchise, puisqu’il serait indifférent de s’approvisionner aux ventes de Lorient. Au reste, si le commerce français croit devoir faire un sacrifice en faveur de Dunkerque, et des compagnies des Indes étrangères, on peut entreposer les thés étrangers, ou les tenir au compte du négociant, en charge et en décharge. Le tabac. Ou le privilège exclusif sera conservé et étendu à l’universalité du royaume, ou il sera supprimé. S’il est supprimé, le tabac sera partout en franchise. S’il est conservé, Dunkerque sera soumis à la loi et aux pertes qu’éprouveront l’Alsace, la Flandre et l’Artois, attaqués dans leur culture et leur fabrique. (t) Dunkerque importe d'Espagne une grande quantité de soieries, notamment de bas, de petites étoffes et de mouchoirs, et les vend pour être versées en fraude dans les provinces voisines. (2) Aux termes de l’arrêt du conseil, la genèvrerie ne doit se fabriquer qu’avec des grains étrangers, et cependant, même en 1789, elle n’a cessé d’employer les seigles et les orges du pays. [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 octobre 1790.) 473 2° Le commerce du tabac se partage en deux I Dangereuse, parce qu’elle donne trop de fa-branches : celui en feuilles, qui passe en Angle-cilité pour la fraude, et une très grande fraude. terre, en Flandre et en Artois, pour l’améliora-[ tion de leurs tabacs, et celui fabriqué, qui entre dans le royaume par tous ses forts, et particulièrement par les côtes de Bretagne et de Normandie, à l’aide des soins et de la médiation des îles de Jersey et Guernesey. Quant à celui en feuilles, il pourra être entreposé. Pour celui fabriqué, il ne serait pas impossible de le maintenir encore. Dans notre hypothèse, la régie du privilège exclusif établirait à Dunkerque une fabrique pour l’approvisionnement des provinces voisines, emploierait les ouvriers occupés de cette manipulation, et, pour eux, présenterait le remède à côté du mal ; elle pourrait aussi former, dans l’enceinte de son établissement, des ateliers où les négociants feraient travailler leurs tabacs; il serait facile de donner, à cette fin, un projet, dont l’exécution serait praticable. On ne répond pas à ce qui a été dit concernant le débouché fourni aux tabacs du pays, il n’y en a plus ; la culture a disparu du sol de la France. Les marchandises des Indes apportées d' Angleterre pour y être reversées (1). On observe : 1° que les thés assujettis à 20 0/0 n’excitent pas la cupidité du fraudeur ; qu’il est, par conséquent, peu d’articles qui soient susceptibles de ce genre de spéculation, puisque, du bénéfice présumé, il faut déduire les frais d’expédition, les risques de mer, les frais de débarquement, le magasinage, la commission, etc.; 2° Que les ventes multipliées, publiques, qui s’en font à Dunkerque, et qui les font passer en tant de mains, prouvent que c’est uniquement pour être livréesà la contrebande, qu’elles y sont amenées. Au reste, soit que la destination de ces marchandises soit pour l’Angleterre ou pour la France et les colonies, la franchise est inutile et dangereuse. Inutile, parce qu’on peut, et qu’on doit y suppléer par l’entrepôt, pour assurer leur destination (2). (1) Et la quantité immense de vieux habits qui viennent d’Angleterre, est-elle aussi destinée à y repasser? Cette branche écrase nos manufactures de gros lainages et nuit singulièrement à Saint-Omer, Amiens et Abbeville. (2) Si l’entrepôt n’est pas adopté, on peut calculer la contrebande qui s’établira à Dunkerque, par le projet du tarif des droits à percevoir sur les marchandises aovenant du commerce français, au delà du cap de onne-Espérance. On trouve, article 5 : Toiles de coton, unies, trois pour cent de la valeur, et 50 livres par quinlal. Basins, linge de table et de lit, cinq pour cent, et 120 livres du quintal. Mousseline, unie, rayée ou quadrillée, cinq pour cent de la valeur, et 360 livres par quintal. Mousseline brodée, cinq pour cent de la valeur, et 300 livres par quintal. Il est facile de prévoir que jamais le commerce français, avec de pareils droits, ne pourra soutenir la concurrence avec les versements qui se feront par le port franc. Nécessité donc d'adopter des mesures certaines, pour prévenir d’aussi grands abus. Il serait étonnant qu’on fasse plus pour Dunkerque et les compagnies étrangères, que pour Lorient et nos armateurs. 11 serait étonnant, Les batistes, les toiles, les dentelles exportées en en Angleterre. Cette branche est hors de la franchise; les batistes, etc., ne payeront aucun droit de sortie : d’autrepurt, les ports voisins font, concurremment avecDunkerque, ce commerce; ainsi, articleétran-ger à la question. Quant aux douze cents bâtiments employés à la fraude anglaise, ce sont de simples chaloupes qui portent à peine 3 à 400 demi-ancres, ou 6 à 800 veltes ; le bill sur la navigation, qui autorise à saisir les bateaux d’un plus grand port, ne permet pas de contrarier ce fait : un autre, non moins certain, c’est que Boulogne reçoit aussi de 1,000 à 1,200 livres de ces embarcations. Citrons, oranges de Portugal, échangés contre des marchandises nationales. Second article étranger à la franchise, puisque dans ce cas le port de Dunkerque fait le commerce national, et que, dans cet échange, le port franc ne sert que de transit. Exportation des grains , quand la sortie n'est pas prohibée. Troisième article étranger à la franchise, puisque la même exportation se fait dans tous les ports de l’Empire, et que la franchise cesse avec la prohibition (1). Exportation en Espagne, de toiles de Silésie et de Hollande , concurremment avec des toiles françaises ; nécessité de ce concours pour faciliter les expéditions réduites par l'impossibilité de mettre des bâtiments en charge. Ici Dunkerque est en contradiction avec lui-même; d’une part, il reçoit douze mille pipes d’eau-de-vie d’Espagne, et, de l’autre, il ne trouve pas de bâtiments pour faire ses retours ; il a donc oublié quelorsque la sortie des grains est prohibée les navires vont en lest à la côte de Catalogne? Mauvaise raison pour justifier la concurrence ; mais existe-t-elle, cette concurrence? Ou les toiles de Silésie sont au même prix que les toiles françaises, ou au-dessous. Si au même prix (outre qu’il est inutile de se procurer des toiles étrangères), concurrence pour nos toiles, qui ne se vendent pas lorsque les autres obtiennent la préférence. Si au-dessus, impossibilité de vendre des toiles françaises, impossibilité qu’il entre dans la tête d'un négociant de Dunkerque, d’en exporter; lorsque le commerce français se soumet aux entrepôts pour l’avantage de nos fabriques, lorsque pour soutenir notre industrie, il provoque sur les marchandises de l’Inde une addition de droit, que Dunkerque voulût anéantir l’effet de ses vues patriotiques. (1) Si la franchise est conservée, la loi suivante est indispensable. Dans le temps où la sortie des droits est prohibée, il ne pourra en être introduit, dans la ville et port de Dunkerque, que la quantité nécessaire à la consommation. {Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, (31 octobre 1790.1 réjudice de toutes parts pour nos fabriques de iandre, de Lavai et de Bretagne. Conséquemment, danger de la franchise, si elle s’exerce sur les toiles étrangères ; inutilité de franchise, si elle n’a pour objet que les toiles nationales. Conséquemment, bonheur qu’il ait existé un droit de consulat qui écarte les Dunkerquois de Cadix, autrement ils y auraient fait affluer les toiles étrangères, Les cents vaisseaux venant du Nord. Quatrième article étranger à la franchise, qui subsistera sans la franchise, par la grande raison que ce qui ne paye ni à l’entrée ni à la sortie, est partout en franchise. Si on jetait plus loin ses regards, on pourrait trouver des inconvénients à la franchise ; si, dans des temps plus prospères, on croyait utile de faire pour le commerce du Nord un acte de navigation, la franchise en affaiblirait l'effet. Les retours en café, sucre, etc., sont également hors de la question. Le domaine d’Occident payé, ces denrées sont partout en franchise. Les pêches. Ce sont elles qui réclament, avec toutes les pêches du royaume, l’abolition de la franchise : ne mettez pas à côté d’elles le poisson étranger, et elles prospéreront; d’ailleurs, Dunkerque demande pour elles le sceau national ; ainsi, lui-même les reconnaît hors de la question. Les toiles grises de la Flandre. Autre objet indépendant de la franchise, qui conservera sa petite activité, sans la franchise. Huiles, savons, etc. Les huiles et les savons, affranchis de droits, sont encore indépendants de la franchise : ainsi, en supposant que Dunkerque puisse soutenir la concurrence des villes anséatiques ; en supposant que le Nord ne sache pus calculer ses besoins ; en supposant que Dunkerque fasse ce commerce, il le continuera sans franchise, et sa position ne sera pas changée. On trouve, en résumant, que Dunkerque, sans franchise, fera avec l’Angleterre le commerce des eaux-de-vie de France, comme avec sa franchise ; Qu’il fera le commerce des thés français, sans franchise, comme avec sa franchise; Qu’il continuera d’exporter en Angleterre les batistes, les toiles, les dentelles, etc; Qu’il recevra du Portugal les citrons, oranges, etdonnera en retour lesproductionsde la Flandre; Qu’il exportera, quand la loi le permettra, les grains; mais aussi qu’il ne les exportera pas quand la loi le prohibera; Qu’il expor tera en Espagne les toiles de France et autres marchandises nationales ; Qu’il continuera de voir entrer dans son port les cent vaisseaux venant du Nord, et de leur donner en retour des sucres et cafés; Que ses pêches s’élèveront au degré de prospérité qui les attend; Qu’il vendra le peu de toiles grises qui se fabriquent dans les environs d’Etaire; Qu’il continuera, s’il y a lieu, ses spéculations sur les huiles et savons; Qu’il conservera le commerce des colonies, ses armements, pour la traite et la pêche de la baleine et du cachalot. On trouvera encore : Qu’il pourra jouir d’un entrepôt pour les eaux-de-vie de Catalogne, si on persiste à les mettre en concurrence avec les eaux-de-vie nationales ; D’un entrepôt pour les genièvres, à l’instar de Calais et de Boulogne ; D’un entrepôt pour les thés de Gothembourg et Copenhague ; D’an entrepôt pour les marchandises de la compagnie des Indes anglaises; Enfin, d’un entrepôt pour le tabac en feuille, d’une fabrique nationale, et même de fabriques particulières (1). Ainsi donc, sauf des bénéfices delà fraude, de la contrebande, sauf f’agiotage des certificats de la chambre du commerce , les fausses destinations, Dunkerque ne perdra rien, ou presque rien : ce qu’il perdra, la nation le gagnera au centuple par l’emploi de ses manufactures, par l’excédent de recette, et plus encore par la direction utile pour l’Etat des capitaux et de l’activité des Dunkerquois. Les bras des fraudeurs seront rendus à l'agriculture et aux arts, l’industrie et les fonds des assureurs au commerce national ; la corruption des agents du fisc n'y sera plus nécessaire, elle n’y sera plus tarifée, on ne leur verra plus faire des fortunes aussi rapides que scandaleuses. Ainsi donc, quand ses corsaires qui pour le bonheur de l’humanité ne reparaîtront sans doute qu’à de longs intervalles, mériteraient une considération particulière de l’Assemblée nationale; quand oubliant ses maximes, elle n’envisagerait Dunkerque que sous le point de vue de guerre et de corsaires, toujours elle y aura des corsaires. Ce ne sont pas nos villes les plus florissantes qui se livrent à la course ; Marseille, Bordeaux, Nantes figurent peu dans son histoire : Granville presqueabandonnéà la paix, Jersey et Guernesey, voilà où se portent les armements. Ainsi, quand Dunkerque, ce que nous sommes loin de croire, verrait diminuer son activité; quand il serait un désert, il y viendrait dans ce désert des brigands de toutes les nations, dès qu’il y aurait espérance de pillage. Qu’on ne présente donc plus ces considérations politiques, étrangères à la question, puisque la prospérité nationale doit reposer, comme celle du commerce, sur la paix, et que notre organisation sociale doit avoir pour principal but la paix. Qu’on ne dise pas encore qu’Ostende élèvera son commerce sur la ruine de la franchise de Dunkerque. Faites garderies frontières, faites surveiller la fraude, et Ostende restera dans l’état passif où il se trouve, malgré les patentes de Joseph II. En effet, dès qu’il est prouvé que, dans le régime proposé , Dunkerque conserve toutes ses branches utiles, dès qu’il est reconnu que la franchise n’a pour seul et unique but, que la fraude, Osiende ne peut fleurir avec un commercé de l’étranger à l’étranger, qui n’existe pas. Il ne faut pas juger cette ville par ce qu'elle a été dans la guerre de 1778 ; elleavait alors la con-(1) La surveillance de ces entrepôts ne sera pas difficile ; les marchandises qui y seront déposées n’approchent pas en valeur, et en volume, des retours de l’Inde et de l’Amérique, entreposés à Lorient et à Bordeaux. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 131 ootobre 1790.] 17K signation des pavillons des puissances belligérantes, et c’était sous son nom que se faisaient les affaires de leurs sujets respectifs. Sa position contredit encore les craintes qu’on affecte ; reculée dans la mer du Nord, il faut aux smogleurs anglais, pour y toucher, une marée de plus que pour se rendre à Dunkerque; leurs petites embarcations ne permettent pas ce grand voyage. Il leur faut d’ailleurs revenir à la côte de France pour se porter à celle d’Angleterre ; ainsi à 3 et 4 0/0 d’excédent, Dunkerque aura la préférence, et avec ses entrepôts jamais il ne craindra Ostende. On ne parle pas du projet d’associer la franchise et le commerce national; une telle mesure dans un pays où les manufactures n’ont pas acquis le degré de perfection de celles des peuples voisins, serait une préférence accordée à l’industrie étrangère : un double port dans une même enceinte, deux commerces séparés, opposés, s’exerçant sans confusion, sans substitution, sans soustraction, et cela dans un même lieu, sont de ces choses qu’on peut à la rigueur soutenir en théorie, mais qui ne peuvent être réduites en pratique ; il n’est pas de milieu entre des intérêts si différents : un port doit être tout étranger, ou tout national. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE OE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 31 OCTOBRE 1790. Réclamation contre la franchise de Dunkerque par M. Bouchette , député du département du Nord. Le premier principe d’une société bien ordonnée, la base solide d’un bon gouvernement, c’est X égalité. L’Assemblée nationale l’a hautement reconnu par sa déclaration des droits de l’homme et du citoyen : elle a, dès lors, pris l’engagement de faire jouir tous les Français des mêmes avantages, sans distinction, en quelque lieu de l’Empire,. en quelque localité ou situation qu’ils se trouvent placés. Est-ce que l’Assemblée nationale doit faire une exception en faveur des habitants delà ville de DunÈerque ? Cette ville doit-elle être plus privilégiée que toute autre ville? Et accorder un privilège, n’est-ce pas faire une injustice à l’égard de ceux qui ne sont pas également favorisés? Dunkerque demande à retenir sa franchise, à quel titre? parce qu’elle fait un plus grand commerce qu’aucune des villes et ports voisins; parce qu’elle possède plus de richesses, parce qu’elle est plus peuplée, parce qu’elle est d’une plus grande importance; faisantla fraudeen temps de paix, faisant le métier de corsaire pendant la guerre. En un mot c'est l’avarice et l’ambition. qui anime les Dunkerquois, pour être plus heureux et plus favorisés que leurs voisins. Mais Dunkerque écrase ses voisins; il absorbe le commerce à lui seul; il anéantit l’industrie, les manufactures nationales; toutes les fabriques des environs en souffrent considérablement. C’est une tyrannie véritable. Dunkerque répond à tout cela : « C'est l’envie, c’est une basse jalousie qui fait crier mes voisins. J’ai une franchise, elle doit m’être conservée. Je suis tout, mes voisins ne sont rien. » Ce langage dunkerquois est sans doute fort étrange, mais il n’en est pas moins réel ; il se trouve bien positivement et bien clairement exprimé dans la pièce qui vient de paraître sous le titre Observations sur la franchise et le commerce de Dunkerque , de l’imprimerie de P. Fer. Didot le jeune. Mais, sans la franchise, Dunkerque ne pourrait-il pas subsister? Question oiseuse et inutile à discuter. Dunkerque a existé sans franchise sous les comtes de Flandre, sous les rois d’Espagne. S’il entra dans les combinaisons du gouvernement de Louis XIV d’élever cette ville au point d’en faire l’objet de la jalousie des puissances voisines, ce n’est pas aujourd’hui une raison de la combler des mêmes faveurs. Louis XIV et Dunkerque en ont été trop unis : le pays fut ruiné, dépeuplé par les inondations, et les Anglais dirent que ce n’était pas leur affaire, que le roi devait le savoir, lorsqu’il traita de la paix (1). Cependant Dunkerque conserva la franchise, tandis que le pays demeura inondé : la franchise n’est donc d’aucune importance pour le pays. La franchise n’est en effet utile que pour les seuls Dunkerquois, par la facilité qu’elle leur procure de faire la fraude en toutes manières. Inutilement voudrait-on prendre des précautions pour l’empêcher. Qui pourrait prévoir toutes les routes tortueuses du génie de la fraude ? En voici une échantillon. Le 20 août dernier quatre barriques expédiées de St-Omer arrivent par la barque à Bergue, avec expéditions pour 3,525 livres de sucre envoyé à Rouen, sous la consignation d’un négociant de Dunkerque : les barriques sont visitées ; au lieu de sucre on trouve des briques empaillées. Il est manifeste que les barriques arrivant à Dunkerque, on devait en ôter les briques, et y substituer des sucres étrangers qui passeraient en fraude à leur destination de Rouen. On peut voir le procès-verbal de saisie qui constate le fait, ainsi que la lettre des fermiers généraux à leur directeur de Lille, par laquelle ils défendent d’admettre aucune composition. Un autre fait encore plus récent : le 28 septembre de cette année un navire, l’Aigrette , sort avec son chargement pour Bilbao eu Espagne. Il était assuré à Dunkerque, pour 56,000 livres; et encore ailleurs, pour passé 40,000 livres. Le lendemain le même bâtiment est trouvé flottant et abandonné; des pêcheurs de Calais l’abordent, le visitent, reconnaissent qu’il est percé en plusieurs endroits, prêt à couler bas, ils reprennent courage, et réussissent à l’amener dans le port de Calais: on le décharge; les caisses, les ballots s ouvrent. Quel étonnement ! On y trouve des pierres, des ordures, et quelques marchandises de peu de valeur, des pois, de fèves, etc. Tel est l’effet de la franchise : les embarcations se font sans visite ; la fraude n’y connaît aucun frein ; et c’est ainsi qu’à Dunkerque on s’enrichit ! Dira-t-on que ce sont des faits isolés ; que les honnêtes négociants n’en doivent pas souffrir? Hélas ! de pareils faits ne sont que trop ordinaires et trop multipliés. Tout le monde se souvient du bruit qui en fut en 1786, et qu’alors le gou-(1) On peut voir à ce sujet les Mémoires et négociations , par Lamberti, tome IX, in-4°. Je cite de mémoire.