605 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1er juillet 1790.] et à laquelle nous avons juré fidélité, que, puisque l'opinion publique et presque générale, croit reconnaitre dans cette déclaration une critique de vos décrets, sans être les esclaves de cette même opinion, nous devons la respecter. Notre devoir est d’y céder; elle est l’expression du vœu de nos commettants, dont nous ne sommes que les délégués. Nous devons d’autant volontiers abandonner un vœu particulier, pour nous réunir au vœu général, que cette déclaration devient maintenant inutile, puisque nous avons tous reconnu de la manière la plus solennelle et la plus authentique la religion catholique pour la religion nationale. Je vous demande, Messieurs, si, depuis que l’Assemblée nationale s’est occupée tant de l’organisation que du traitement du clergé; si depuis que, par un article du décret du 2 juin, elle a adopté l’amendement que j’ai eu l’honneur de lui proposer, tendant à reconnaître l’unité de la foi et la communion avec le chef visible de l’Eglise de Rome; je vous demande dis-je, Messieurs, si ce n’est pas là une vraie déclaration, la plus formelle et la plus authentique, des principes de l’Assemblée sur la religion, et à laquelle nous devons tous nous réunir? Maintenant donc, la déclaration isolée ne servirait, depuis cette époque, qu’à calomnier les principes de l’Assemblée. C’est un crime dont aucun de nous ne doit se rendre coupable. Je demande, en conséquence, acte à l’Assamblée de ma profession de fpi, ainsi que de mon désistement de mon adhésion à la déclaration de la minorité de l’Assemblée, qui, dans mon opinion, devient absolument inutile. M. de Foucault. Je n’ai jamais demandé de confidence, cependant le préopinant m’en a fait une hier... Je me tais... Qu’il sonde sa conscience. M. de Coulmiers. Je ne sais ce que c’est que cette confidence, et je supplie M. de Foucault d’en faire part à l’Assemblée. M. de Foucault. Par respect pour l’Assemblée, je ne le dirai pas. . . Il paraît qu’on ne m’entend point... Je suis prêt à répondre en tout temps à la provocation de M. l’abbé. (Ce débat n’a pas de suite et s’éteint devant l’indifférence de l’Assemblée) . M. le Président. M. Rewbell demande la parole sur l’ordre du jour. M. Rewbell. Lorsque vous prenez des précautions pour la tranquillité publique, en commémoration de la prise de la Bastille, la cour des aides en prend d’une autre nature: elle poursuit un grand nombre de citoyens qui sont coupables d’avoir étendu l’esprit de la révolution de la Bastille et des Invalides aux barrières. Cent décrets ont été lancés : cette affaire est la troisième à l’ordre du jour, je demande qu’on s’en occupe sur-le-champ. M. le Président consulte l’Assemblée sur la priorité demandée en faveur de l 'affaire des procédures suivies en la cour des aides de Paris contre les individus qui ont brûlé les barrières. La priorité est accordée. M. Muguet, au nom du comité des rapports. On a hier donné connaissance au comité des rapports d’une procédure criminelle, instruite par la cour des aides de Paris, contre les individus qui ont pillé et brûlé les barrières. Beaucoup de citoyens sont décrétés, plusieurs sont arrêtés. La commune de Montmartre réclame un grenadier et sa femme emprisonnés en vertu d’un de ces décrets. Le 24 février dernier, le procureur général de la cour des aides a rendu sa plainte, sans avoir aucun dénonciateur. Il est intervenu, le 26 février, un arrêt qui lui permet d’informer. L’information, commencée le 29 mar3, a été close le 29 avril : quatre-vingt-deux témoins ont été entendus, soixante-dix sont pris parmi les employés Le 10 mai, il a été décerné quatre-vingts décrets de prise de corps, onze d’ajournement personnel et trois dè soit ouï, contre des citoyens de Paris. Le même jour, réquisitoire du rocureur général en addition d’information. epuis cette époque, onze particuliers ont été arrêtés, presque tous de nuit; savoir : cinq le 16 juin dernier, et six le 18 du même mois. La procédure a été suivie publiquement contre ces onze détenus. Le 30 mai, les officiers de l’élection, considérant que leurs audiences étaient devenues très tumultueuses, que l’affluence du peuple était inquiétante, qu’on avait entendu des menaces de nature à donner de justes alarmes, avaient délibéré de surseoir jusqu’à ce qu’il eût été rendu compte à l’Assemblée nationale de l’état de la procédure... Votre comité a fait plusieurs observations qu’il est important de mettre sous vos yeux. Il a remarqué : 1° Le retard affecté de la cour des aides, qui a attendu huit mois avant de commencer ses poursuites ; 2° La concurrence des décrets avec l’époque du 10 mai, où tant de ressorts avaient été mis en mouvement pour opérer une contre-révolution ; 3° La qualité des témoins, qui, pour la plupart, ont, comme employés des fermes, un intérêt marqué dans cette affaire; 4° Le nombre des décrets, qui devait être plus considérable sans les craintes que la disposition du peuple donnait, et qui ont déterminé à suspendre la marche de la procédure. 8i elle était continuée au moment de la fédération, elle pourrait jeter de la défaveur sur un tribunal dont la confiance publique n’est déjà que trop éloignée. A l’instant de l’anniversaire de cette époque mémorable, il faut jeter un voile sur le passé. Rappelez-vous la fermentation qui régnait dans la capitale; rappelez-vous que le besoin d’être libre agitait un peuple nombreux ; il ne considérait les employés que comme les agents de perceptions arbitraires, de vexations dont il avait été trop longtemps la victime. Il a détruit les monuments fastueux que l’imbécile prodigalité d’un ministre coupable semblait avoir élevés pourinsulter à sa misère; il a brûlé les barrières, mais de la même main il a pris la Bastille et assuré la liberié. Sans doute, il put se mêler à cette action des intérêts personnels, mais ils furent en petit nombre, mais ces intérêts profitèrent de l’enthousiasme qu’excitaient l’amour et l’espoir de la liberté. Si vous pensez que la procédure doit être continuée, la loi frappera plutôt sur des citoyens entraînés que sur des coupables; si vous autorisez ces poursuites pour Paris, ordonnez-ies pour tout le royaume, car dans tout le royaume on a brûlé des barrières... Les juges alors, loin d’être des protecteurs, ne seraient plus que des ennemis. Ces juges veulent-ils donc ne laisser après eux aucuns regrets? 606 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1er juillet 1790.) Veulent-ils avant leur destruction venger l’ancien régime ? Le 14 juillet qui sera un jour de fête et de bonheur pour tous les citoyens français, serait-il pour quelques-uns un jour de deuil et de larmes ?... Il faut, dans ces' circonstances, voiler la statue de Ja loi... Le 22 mars, l’Assemblée a ordonné le rétablissement des barrières, sans ordonner en même temps la poursuite des coupables. Ce silence du Corps législatif aurait dû servir de règle aux tribunaux. Le comité des rapports propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, considérant que la procédure criminelle commencée par la cour des aides de Paris et renvoyée à l’élection de cette ville, ayant pour but de poursuivre les auteurs des incendies des barrières, qui a eu lieu dans le mois de juillet 1789, pourrait jeter des alarmes, non seulement dans la capitale, mais encore dans tous les départements où de pareilles procédures pourraient être faites ; que l’insurrection du 14 juillet ne doit laisser d’autre souvenir que celui de la liberté conquise, que d’ailleurs, si quelques excès de la nature de ceux dont le procureur du roi a rendu plainte se sont mêlés aux mouvements d’un peuple qui recouvrait ses droits, et qui, dans toute autre circonstance, seraient sévèrement punis, sont tellement liés aux événements qui les accompagnent, que ce serait s’exposer à confondre l’innocent et le coupable que de vouloir en poursuivre les auteurs, a décrété et décrète : « Que la procédure criminelle commencée le 24 février dernier, à la réquisition du procureur général de la cour des aides de Paris, concernant l’incendie des barrières, au mois de juillet de 1789, et renvoyée en l’élection, demeurera comme non-avenue; que défenses seront faites, tant à ladite cour qu’aux officiers de l’élection, d’y donner aucune suite; que les personnes arrêtées en vertu de décrets rendus dans cette procédure, et non prévenues d’autres délits, seront mises en liberté; et que le président se retirera devers le roi, pour le supplier de donner les ordres nécessaires pour l’exécution du présent décret. » M. l’abbé llaury. Il est aussi contraire à mes principes qu’à mon caractère de solliciter la sévérité de l’Assemblée nationale contre une portion égarée de mes concitoyens; mais je sais que l’impunité est opposée au bon ordre. Je demande donc que l’on m’écoute sans prévention; ma conclusion ne sera peut-être pas très opposée aux principes du comité. Les impôts indirects sont une partie essentielle du revenu public. La ville de Paris paye un huitième des impôts indirets du royaume, c’est-à-dire 70 millions... 70 millions... 70” millions au moins. (Il s'élève des murmures). On m’a mal entendu, je répète... Plusieurs membres : Aux voix 1 M. l’abbé Mlaury poursuit : Je me renferme dans la motion faite sur la forme du décret que vous avez à rendre. J’examine d’abord si la conclusion du comité est exacte.... Ne vous laissez pas aveugler par des préventions personnelles. Il est de principe chez tous les peuples, et dans toutes les lois raisonnables, de suspendre l’exécution d’un jugement; jamais nulle part on n’a encore suspendu l’instruction d’un procès. Vous n’ignorez pas que dans notre jurisprudence .criminelle aucun citoyen ne peut requérir même la punition d’un coupable, et que la loi a réservé à l’homme public le droit de poursuivre un délit public. Les états généraux de Paris, d’Orléans, de Blois ont ordonné au procureur général de la cour des aides de requérir l’exécution des lois sur l’impôt, toutes les fois qu’elles ont été violées. Or, de quoi s’agit-il ici? Il s’agit d’un délit public, que le procureur général est obligé de poursuivre, sous peine de forfaiture. Quand même vous considéreriez l’Assemblée comme substituée au conseil privé, à ce conseil où l’on examinait si les jugements rendus par les divers tribunaux de justice étaient conformes aux lois et aux ordonnances, je vous rappellerai qu’il n’était pas au pouvoir du conseil privé d’arrêter l’instruction d’un procès. Jusqu’à ce moment, le conseil privé a été chargé de recevoir des requêtes en cassation et de casser les jugements. Aussi a-t-il été défini par un grand magistrat, par M. d’Aguesseau, le garde du corps de la loi ; c’est-à-dire que tous les citoyens français venaient réclamer de lui qu’il remît la loi en vigueur lorsqu’elle avait étéméconnue.Cen’estdonc pas la suspension de l’instruction d’un procès que l’on peut vous demander, mais l’anéantissement d’un jugement... Le législateur peut accorder une grâce, mais il ne peut pas autoriser l’impunité ; et ce serait l’autoriser que d’interrompre une procédure. Ce qu’on vous propose n’est donc point légal ; dans cette occasion, je me crois obligé de faire une réparation publique aux habitants de Paris, que l’on confond avec des brigands qui ont incendié les barrières. C’est pour intéresser votre patriotisme que d’on confond deux décrets différents; d’une part, ce sont les barrières que l’on vous présente ; de l’autre, c’est la Bastille et lesprisons d’Etat, etc... Vousavez rendu un décret pour faire reconstruire ces barrières ; en avez-vous rendu pour faire reconstruire la Bastille ! On vous propose d’aller aux voix... Il est démontré que mon obstination à soutenir la justice excite des rumeurs dans l’Assemblée. Je dis que les hommes qui, sous prétexte de la liberté, n’ont cédé qu’à des mouvements d’intérêt personnel; que des hommes qui, pour être libres, ont causé l’anarchie et le désordre, n’ont point de droit à votre indulgence. Ils vous intéressent, je le conçois ; je partage cet intérêt. Mais comme législateur, c’est déshonorer la liberté, que de la voir dans de pareils excès. C’est déshonorer la liberté que de confondre les véritables défenseurs, les représentants de la nation, avec les auteurs du désordre et de l’anarchie. Je dis donc que le procureur général était obligé de poursuivre ceux qui ont brûlé les barrières ; je dis que la perquisition du coupable et que la puni tion de ce crime public intéressent lacapitale, puisqu’elle paye 70 millions en impôts indirects. Il est donc impossible de couvrir du voile de l’impunité une insurrection criminelle. Vous pouvez faire grâce, mais empêcher la loi de prononcer une peine, ce serait un abus coupable. Or, ce n’est point une grâce, que l’on vous demande, c’est donc l’impunité que l’on vous propose de décréter, et vous ne le pouvez pas, vous ne le devez pas... Il n’est certainement ni dans l’intention, ni dans les principes de l’Assemblée, de prononcer un jugement d’impunité. Vous pouvez accorder une grâce, la solliciter. Mais dans ce moment, le coupable n’est pas convaincu ; le magistrat chargé du ministère public poursuit l’instruction du délit ; il remplit un devoir que vous devez protéger. — Je conclus,