482 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 janvier 179 i.J [Assemblée nationale ] Dans ce moment-ci, ces toiles sont prohibées : elles étaient assujetties à un droit de 135 livres. L’Assemblée a repoussé les prohibitions; le comité a cru que le droit de 125 livres pourrait encore exciter à la contrebande: il l’a réduit à 120 livres. M. Bégouen. Je demande que le droit soit établi au moins à 135 livres. Nous avons plus de 120 manufactures de toiles peintes en France ; c’est une branche de commerce infiniment susceptible d’extension. Il est inconcevable qu’on puisse vous proposer de baisser un droit qui existait en 1785, au lieu de l’augmenter. M. Goudard, rapporteur. J’accepte l’amendement. (L’Assemblée décrète que les toiles peintes et teintes seront assujetties à un droit de 135 livres par quintal.) M. Goudard, rapporteur , donne lecture des articles suivants : « Toiles à carreaux pour matelas, le quintal, 40 livres. » {Adopté.) «Toiles de Nankin, la pièce de 5 aunes, 15 sols.» {Adopté.) « Toiles blanches de chanvre et de lin ; linges de table ; le quintal, 30 livres. » M. lieDéistde Botidoux. L’article du tarif tel qu’il vous est proposé présente un grand inconvénient: c’est celui de décourager l’industrie. Vous portez les droits sur les toiles à un taux si bas que les fabriques étrangères pourront nous donner leurs produits à un meilleur prix que vos propres fabriques. J’observe une fois pour toutes ue j’ai pris pour terme de comparaison les toiles 'Allemagne, c’est-à-dire celles qui se donnent à meilleur marché. Quel besoin avons-nous d’alimenter les fabriques étrangères, si les fabriques nationales peuvent suffire? Et qui doute que celles de Lille, de Flandre, de Troyes, de Cambrai, de Beauvais, de Saint-Quentin, de Rouen, de Laval, de Morlaix et autres, ne puissent fournir à vos besoins!? Je sais que la Franche-Comté, la Bourgogne reçoivent quelquefois des toiles de la Suisse ; mais 4, 000 pièces que fournissent à peu près les cantons, outre qu’elles font un article trop minutieux pour être mis en ligne de compte, seraient aisément remplacées par des toiles des Trois-Evêchés. Par quelle fatalité le comité d’agriculture a-t-il changé le système, lui qui proposait par le premier tarif de porter ce droit à 100 livres ? Il savait que sur la simple proposition du tarif on avait formé des spéculations nouvelles, qu’une compagnie se proposait d’acheter un des couvents de Dôle pour y faire un établissement à l’instar de la Silésie ; qu’on en projetait un du même genre sous les murs d’Amiens. Comment peut-il proposer une diminution de plus des deux tiers ? Rien de plus simple, Messieurs ; ce tarif n’est plus celui du comité de commerce, mais du comité de l’imposition dans le bureau duquel les conférences sont tenues, et dont les membres ont assisté à ces conférences à peu près dans la proportion de 8 contre 3. C’est particulièrement le fruit des connaissances d’un honorable membre qui vous a déjà marqué plusieurs fois à la tribune combien il désapprouvait toute espèce de droit; et de l’honorable membre auquel nous devons le traité de commerce avec l’Angleterre. Je n’entends rien à cette théorie oiseuse qui disposait d’un ministre honnête homme, à cette théorie qui veut aujourd’hui sortir de l'oubli pour anéantir les manufactures de France. Ceux qui vous proposent de réduire le droit à 30 livres le quintal auraient dû abandonner cette théorie pour s’en tenir aux faits et les comparer. Vainement, diront-ils que le génie de nos fabricants, redevenu plus actif, ferait bientôt tourner au profit de notre industrie la concurrence désavantageuse pour nous. Cette assertion, qui ne serait pas sans vraisemblance, si on l’appliquait à différentes branches du commerce national, échoue dans cette matière-ci contre les faits. La Westphalie, laSaxe,le Hanovre, la Silésie trouvent un débouché frauduleux en France, et notamment à Bayonne et à Dunkerque, parce que les matières premières, les matières secondaires et la main-d’œuvre sont au taux le plus bas dans ce pays-là. La révocation de l’édit de Nantes avait fait déserter la plus grande partie des ouvriers de nos ateliers et de nos manufactures. Ces ouvriers, persécutés dans leurs foyers pour cause de religion s’étaient répandus dans le Nord où ils avaient été reçus à bras ouverts. Les manufactures s’élevèrent dans des pays qui n’avaient jamais connu l’industrie, dont le sol était sans valeur, où le bois était plus gênant qu’il n’était utile. On peut juger du prix des marchandises manufacturées dans des lieux de cette espèce. Un membre : Je prie M. l’orateur de conclure. Si l’on nous donnait ainsi l’historique de toutes choses, nous n’en finirions jamais. M. lie Déist de Botidoux. Je demande que le tarif soit porté à 100 livres conformément au premier tarif du comité. {Applaudissements.) M. Millon de Montherlan. Il y a 40 ans qu’à ma connaissance nous avions des cultures dans les environs de Beauvais et dans beaucoup d’autres endroits de France, qui nous donnaient le meilleur lin possible. Nous en tirions les meilleures toiles du monde sous le nom de demi-Hollande. Aujourd’hui il n’y a pas le moindre signe de cette culture, parce que les ministres et les intendants se sont toujours attachés à l’écraser d'impôts. Nous fournissions pour 10, 12 ou 15 millions de lin à l’étranger, et c’est aujourd’hui l’étranger qui nous fournit au poids de l’or des lins qui ne valentrien. Je demandeque l’Assemblée nationale encourage cet établissement. Mais si vous confondez la grosse toile avec la fine, il est impossible que le pays de Beauvais et ses environs puisse rétablir ses lineries et ses chanvrières, parce qu’alors le poids de l’impôt l’en empêcherait. Je demande la division de l’article. M. Rewbell appuie l’avis du comité. M. Bégouen. Je demande que le droit soit porté à 60 livres et soit payé à toutes les entrées du royaume, sans aucune faveur pour les Suisses. Cependant je ne sais comment il sera possible de s’arranger avec eux; s’il y a un traité, il en faudra faire un nouveau, car il est incontestable qu’alors la Suisse introduirait dans le royaume non seulement ses toiles, mais qu’elle deviendrait l’entrepôt de toutes les toiles de l'Allemagne. M. de Boislandry. M. Bégouen a paru inquiet sur la manière dont nous traiterions les toiles venant de Suisse. Il est vrai qu’en 1781, le roi rendit un édit qui accordait aux Suisses la faculté d’entrer leurs toiles dans le royaume en [Assemblée nationale.] payant La moitié du droit; mais, Messieurs, cet édit porte expressément dans le préambule que c’est une concession gratuite faite par le roi aux Suisses. La France n’a ni assez de culture de lins, ni assez d’ateliers pour pouvoir se passer des toiles étrangères. Plusieurs membres demandent la priorité pour la proposition de M. Bégouen ; d'autres la réclament pour celle de M. Le Déist de Botidoux. (L’Assemblée consultée accorde la priorité 4 la proposition de M. Bégouen.) M. IWerlIn propose de porter à 75 livres le droit d’entrée fixé à 60 livres par M. Bégouen. M. Ilerwln croit au contraire que le chiffre de 60 livres concilie tous les intérêts. M. Bégouen se rallie au chiffre de 75 livres. M. Brillaï-Savarln demande la question préalable contre cet amendement. (La question préalable est rejetée.) L'Assemblée décrète que les toiles blanches de chanvre et de lin et les linges de table seront assujettis à un droit de 75 livres par quintal. M. de Bolslandry observe qu’il y a des droits de douane sur les toiles et linges de table dont la perception est très difficile, et qu’il faut prendre des moyens pour en assurer le recouvrement. (La suite de la discussion est renvoyée à demain.) M. Barnave, au nom du comité colonial. Messieurs, l’Assemblée a renvoyé hier au comité colonial une adresse du commerce de Bordeaux , relativement à la Martinique , en le chargeant de faire un rapport ce soir. J’observe a l’Assemblée que ce rapport ne pourrait présenter aucune mesure nouvelle, puisque, comme je vais en rendre compte, celles mêmes que demande la ville de Bordeaux sont remplies, ou ne tendraient qu’à retarder l’exécution de ces mêmes mesures qui, après de fâcheux et trop longs retards, sont enfin au moment de s’exécuter. En effet, les commissaires décrétés par l’Assemblée nationale pour la Martinique ont dû partir ce matin, et le nouveau gouverneur part demain pour s’embarquer à Brest avec les forces destinées aux autres colonies. L’adresse de la ville de Bordeaux demande l’exécution des décrets rendus pour la Martinique et pour Saint-Domingue. Je viens de vous rendre compte de l’exécution de celui de la Martinique, celui relatif à Saint-Domingue est également prêt, puisque les forces sont réunies à Lorient, et doivent s’embarquer avant la fin du mois. En second lieu, la ville de Bordeaux demande le rappel deM. de Damas. Vous devez vous rappeler, Messieurs, que cette disposition est déjà portée dans le décret rendu le 29 novembre. Elle demande qu’un bâtiment particulier porte immédiatement à la Martinique le nouveau gouverneur qui remplacera M. de Damas ; mais puisque la totalité de l’expédition est prête à partir, il me paraît qu’un envoi partiel ne presserait pas l’exécution et exposerait ce vaisseau à de nouveaux dangers. Elle demande que M. de Rivière, commandant le vaisseau la Ferme , qui à son arrivée à la Martinique s’est réuni à M. de Damas, soit rappelé pour rendre compte de sa conduite. Voici en deux 483 mots ce que nous connaissons à cet égard : nous avons reçu, depuis le décret rendu, des lettres de M. de Damas et du parti qui lui est opposé. M. de Damas, qui, par la suite, est devenu le plus fort, dit que tout est tranquille; le parti opposé énonce au contraire des plaintes amères. Le parti de Saint-Pierre accuse M. de Damas d’avoir armé les nègres. Il est vrai qu’au milieu de ces rapports contradictoires il est fait mention d’un fait presque certain, c’est que M. de Rivière a traité avec dureté les commandants des navires marchands qui se sont adressés à lui. D’ailleurs quant aux négociations qui ont été refusées, M. de Damas se plaint que le parti opposé ait rejeté ses propositions, de même que le parti de Saint-Pierre se plaint que M. de Damas se soit opposé aux propositions mises en avant par les commissaires dans lesquels le parti de Sainl-Pierre avait mis sa confiance. Vous voyez donc, Messieurs, que ces faits ne présentent aucune espèce de certitude. Vous avez décrété qu’it serait envoyé 4 commissaires pour prendre des informations; vous leur avez remis des pouvoirs très étendus et notamment la réquisition des forces; ils out déjà reçu toutes les pièces pour et contre; ils ont au plus haut degré, et les députés du commerce et des colonies en sont convenus, la confiance des deux partis opposés. Vous n’avez donc rien à faire avant d’avoir reçu d’autres perquisitions. En général, on ne peut faire des décrets tous les huit jours sur des événements qui se passent à 2,000 lieues de nous. Il faut prendre des mesures puissantes, décisives, et puis les exécuter. Quoique les comités ne soient pas chargés de l’exécution de ces décrets, je dois dire que non seulement depuis que le décret est rendu, mais dè3 que nous avons eu connaissance des troubles, c’est-à-dire trois semaines auparavant, nous n’avons cessé de presser les agents du pouvoir exécutif de remplir les mesures nécessaires. Divers obstacles se sont succédé et ont malheureusement retardé cette exécution; mais annoncer aujourd’hui de nouveaux rapports, c’est seulement donner ou de nouveaux prétextes ou de nouveaux motifs de retarder les armements qui sont prêts à partir. Je demande donc que l’Assemblée veuille bien, d’après ces considérations, nous dispenser, quant à présent, de lui présenter aucune nouvelle mesure qui ne pourrait que nuire. M. R