702 [1$ avril 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. M. de Lafare, évêque de Nancy , somme M. Voi-del de prouver l’erreur de ses calculs, M. Voidel. Puisqu’on désire que je relève ces erreurs, je vais le faire en peu de muts. M. l’évêque de Nancy a dit qu’il faudrait, pour les frais deculte, 180 millions, indépendamment des secours à donner aux pauvres. (La partie droite interrompt M. Voidel. La partie gauche demande à aller aux voix.) M. l’évêque de Nancy a dit aussi que les fonds du clergé, dîmes comprises, ne montent qu’à 133 millions. Si cela est vrai, je demande comment le clergé a pu soulager les pauvres? (On interrompt encore. — On demande à aller aux voix.) M. de Lafare a dit que le soulagement des pauvres coûterait 100 millions. Je demande au clergé si, en conservant l’administration de ses fonds, dîmes comprises, il donnerait ces 100 millions aux pauvres? (On interrompt de nouveau. — • On demande à aller aux voix.) Quelques préopinants ont craint que le clergé pût cesser d’etre payé, s’il était salarié en argent; mais a-t-on jamais cessé de payer la solde des armées? Les préopinants ont prétendu que les pasteurs seraient moins estimés; mais les curés à portion congrue, payés en argent, et si sobrement réduits par le clergé, n’ont-ils pas toujours mérité et toujours obtenu l’estime publique? Quelques membres de la partie droite demandent à aller aux voix. U s’élève quelques discussions sur l’ordre de la parole. Dom Gerle demande à être entendu, en annonçant qu’il n’a que quelques mots à dire. — La parole ne lui appartenait pas ; cependant on l’écoute. Dom Gerle. On vous a dit qu’il y avait un parti pris dans les comités; j’affirme que, dans le comité ecclésiastique, on n’en a pris aucun ; pour fermer la bouche à ceux qui calomnient l’Assemblée, en disant qu’elle ne veut pas de religion, et pour tranquilliser ceux qui craignent qu’elle n’admette tou les les religions eu France, il faut décréter que la religion catholique , apostolique et romaine est et demeurera pour toujours la religion de la nation, et que son culte sera le seul public et autorisé. (Toute ta partie droite appuie fortement cette motion.) (On réclame l’ordre du jour. ) M. de Cazalès. La motion qui nous occupe est elle-même incidente à Tordre du jour. M. Charles de Came th. Me réservant le droit d’user de la parole si la majorité de l’Assemblée veut traiter la motion faite par üom Gerle, je supplie pour mille raisons que je développerai, qu’on se rappelle ce que j’ai dit dans une circonstance pareille; je supplie de ne pas quitter une question de finance pour une question de théologie. L’Assemblée, qui prend toujours pour règle dans ses décrets la justice, la morale et les préceptes de l’Evangile, ne craindra pas d’être accusée de vouloir attaquer la religion. M. de Donnai, évêque de Clermont. N’est-il pasaffligeant de voir rejeter par des fins de non-recevoir une question de cette importance? Il est de principe que, daus l’ordre de la religion, on doit la manifester toutes les fois qu oi) en est requis. Je m’étonne que dans un royaume catholique on refuse de rendre hommage à la religion catholique, non par une délibération, mais une accla' mation pariant des sentiments du cœurs. (La partie droite de l’Assemblée se lève.) M. de Toulongeon demande avec instance qu’on passe à l’ordre du jour. M. Goupil de Préfeln. Ce n’est point ici une question de théologie, mais une question de droit public. La religion adoptée par Clovis, la religion de Charlemagne et de saint Louis sera toujours la religion nationale... On fait lecture de la motion de Dom Gerle et d’un amendement conçu en ces termes : « Lesci-tovens non catholiques jouiront de tous les droits qui leur ont été accordes par les précédents décrets. » La partie droite applaudit et se lève pour manifester le désir qu’elle a de délibérer. M. Charles de Lameth.A Dieu ne plaise que je vienne combattre une opinion et un sentiment qui sont dans le cœur de tous les membres de cette Assemblée. Je viens seulement proposer quelques réflexions sur les circonstances et sur les conséquences qu’on pourrait tirer de la motion quia été proposée. Lorsque l’Assemblée s’occupe d’assurer le culte public, est-ce le moment de présenter une motion qui peut faire douter de ses sentiments religieux ? Ne les a-t-elle pas mani-festésqnandelle a pris pour base de tous ses décrets la morale de la religion ?Qu’a fait l’Assemblée nationale ? ELe a fondé la Constitution sur cette consolante égalité, si recommandée par l’Evangile; elle a fondé la Constitution sur la fraternité et l’amour des hommes ; elle a, pour me servirdes termes de l’Ecriture, « humilié les superbes » ; elle a mis sous sa protection les faibles et le peupleront les droits étaient méconnus ; elle a en-lin réalisé pour le bonheur des hommes, ces paroles de Jésus-Christ lui-même, quand il a dit: « Les premiers deviendront les derniers, les derniers deviendront les premiers. » Elle les a réalisées ; car certainement les personnes qui occupaient le premier rang dan» la société, qui possédaient les premiers emplois, ne les posséderont plus. Vous verrez, dans les assemblées populaires, si l’opulence obtiendra les suffrages du peuple... M. de Rochebrune demande qu’on fasse revenir l’opinant à Tordre de la discussion. M. Charles de Lameth continue : Je me croyais obligé de développer ces idées, pour vous prouver que la motion est inutile par rapport au peuple; mais je voudrais que ceux qui montrent tant de zèle pour la religion en montrassent autant pour arrêter ce débordement de livres impies, où Ton attaque tout à la fois la religion sainte et la liberté sacrée. On a publié, dans la quinzaine de Pâques, un libelle infâme que j’ose à peine nommer; il est intitulé : La Passion de Louis XVÎ... La motion proposée était dangereuse. Daus ce moment ou nous instruit de toutes parts des efforts des ennemis publics. On nous apprend qu’à Lille les soldats sont armés contre les citoyens; que dans quelques provinces on veut armer les citoyens contre les protestants. Vous savez combien on a abusé de vos décrets, en les altérant; et vous ne craindriez pas que dans les provinces, que dans le Languedoc notamment, où on a tente une guerre de reiigiun, Ton ne renouvelât cet abus funeste? N’est-il donc pas dangereux de décréter quelque chose sur cette mo- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1790.] 703 tion? Alors on paraîtrait s’autoriser même de l’Assemblée nationale; et au lieu de porter la lumière à nos frères, nous porterions le glaive dans leur sein, au nom et de la part de Dieu. Craignons de voir la religion invoquée par le fanatisme, et trahie par ceux qui la professent; je vous supplie de ne pas rendre un décret qui peut la compromettre, au lieu de propager ses succès dans tout l’univers, comme vos décrets propagent ceux de la liberté. En ajournant, vous déjouerez les ennemis qui attendent le décret, pour s’en servir contre le peuple et contre la religion même. Pour vous convaincre du danger d’adopter cette motion dans les circonstances actuelles, je ne dirai plps qu'un mot; c’est dans un moment pareil qu’elle a déjà été faite; c’est quand l’opinion se formait sur une matière qui intéressait les ecclésiastiques que le clergé en corps a appelé le fanatisme à la défense des abus. M. le comte de Mirabeau demande la parole. La partie droite demande qu’on aille aux voix, et se lève. M. le Président observe que vingt personnes sont inscrites sur la liste de la parole avant M. de Mirabeau. Quelques membres demandent que la discussion soit remise à demain, toutes choses en état. Cette proposition est mise aux voix. — La première épreuve est douteuse. — A la seconde, le président prononce la remise de la discussion, et lève la séance. — Tout le monde quitte les bancs. — La droite réclame l’appel nominal, et proteste contre la levée de la séance. M. le Président met aux voix si la séance doit être levée. — La majorité est pour l’affirmative. La partie droite se remet en place. — Le président et les secrétaires quittent le bureau. MM. de Foucault et Duval d'Ëprémesnil parlent avec action — On ne peut les entendre. Après une assez longue insistance, la partie droite quitte les bancs et se retire peu à peu. — 11 est cinq heures et demie. Annexe à la séance de l'Assemblée nationale du 12 avril 17y(). Opinion de M. le marquis de Thiboutot (1), député du bailliage de Caux, sur les changements projetés pour l’artillerie , dont il croit devoir donner connaissance à l’Assemblée nationale (2) Messieurs, je me trouve dans ce moment-ci, le seul membre de l’Assemblée qui, par état, doive (î) L’opinion de M. de Thiboutot n’a pas été insérée au Moniteur. (i) Cette opinion devait, au commencement près, être prononcée, telle qu’elle est, à la tribune de l’Assemblee, lorsque le ministre de la guerre lui aurait soumis le plan d’orgauLation de Cannée, et conséquemment les changements projetés pour l’artillerie. Le marquis de Thiboutot croît devoir la lui présenter par écrit, sans défendre auprès de vous les intérêts de l’artillerie. Ces intérêts sont si méconnus dans les différents projets qu’on ne craint pas de présenter, et qu’on s’efforce même de faire adopter cbaquè jour pour elle au ministre de la guerre, que je crois ne pouvoir trop m’empresser de les soumettre à votre sagesse et à votre justice. Permettez-moi, Messieurs, de réclamer votre attention pour la cause d’une arme dont toutes les puissances de l’Europe semblent vouloir, dans ce moment-ci, faire dépendre la destinée de leurs États. 11 est indispensable, pour la bien juger, que vous vous formiez la plus juste idée de son service. Je vous prie donc de permettre que je vous le fasse connaître comme il doit être connu de vous. Le détail aussi exact qu’abrégé que je vais vous en faire, vous paraîtra peut-être digne de quelque intérêt. Peut-être môme ajoutera-t-il à celui que vous pouvez rendre au corps qui en est chargé, et qui sera toujours bien plus touché du désir de mériter l’estime de la nation, que du bonheur de jouir de celle des nations étrangères. Le nom que porte l’artillerie vous annonce, Messieurs, qu’elle est chargée de presque toutes les parties du serviee, qui exigent la connaissance des arts et des sciences qui y ont rapport. C’est elle en effet qui prépare les foudres de la guerre, qui fait exécuter tous les attirails et tous les effets militaires destinés à la défense de l’Etat. C’est elle qui, en fournissant à nos troupes toute espèce d’armes fabriquées sous ses yeux et sous sa direction, les rend essentiellement capables de former nos armées. C’est elle qui, en fournissant à nos armées toute espèce de munitions de guerre, qu’elle a choisies, éprouvées ou façonnées pour elles, les met essentiellement en état d’entreprendre sur l’ennemi. C’est elle qui est chargée de la construction de tous les ponts à établir sur Jes ruisseaux, sur les rivières et sur les fleuves, qui pourraient s’opposer à ses entreprises. C'est à ses soins et à sa vigilance que sont confiés en tout temps les objets qui intéressent le plus la sûreté de l’empire; c’est entre ses mains qu’est remis le dépôt des poudres, dépôt d’autant plus précieux a conserver pendant la guerre, qu’il n’en est pas de ce trésor militaire des armées comme du trésor pécuniaire qu’elles mènent à leur suite ; qu’il est toujours aussi aisé à détruire et aussi difficile à remplacer, que leur trésor pécuniaire est facile à garder, à reprendre et à renouveler; et que s’il arrivait au plus grand capitaine, à celui même qu’une suite uoo interrompue de victoires aurait rendu maître de la moitié du monde, de perdre à la fois ses poudres dans son camp et dans ses places d’entrepôt, il u’au-rait d’autre parti à prendre que d’abandonner, sur-le-champ, toutes ses conquêtes, trop heureux de pouvoir ramener son armée saine et sauve au point d’où elle serait partie. Mais les services qu’elle rend à l’Etat ne se attendre le moment où on serait parvenu à les faire adopter au ministre, d’après les vives alarmes qu’ils inspirent, pour l’intérêt de l’Etat, aux officiers de ce corps, depuis la dissolution du comité général de ses inspecieurs, appelés pour être entendus sur les bases de ces changements dont les auteurs et les fauteurs n’ont pas permis qu’ils pussent connaître l’ensemble, et mêmes les principaux détails.