526 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 mai ÎTOO.] « Déclare qu’il y a lieu à inculper les sieurs Diétricht, notable de la commune de Strasbourg M. Bénard, bailli de Bouxwillers ; les suspend l’un et l’autre de toute fonction publique, et charge le pouvoir exécutif de les faire poursuivre parde-vanttout tribunal compétent. « L’Assemblée nationale renvoie les pièces de cette affaire à son comité des recherches, et lui ordonne de faire toutes poursuites nécessaires our découvrir les auteurs de la résistance com-inée qui paraît se manifester à la fois dans plusieurs parties de l’Alsace. » M. l’abbé d’Eymar. Avant de vous mettre à même d’apprécier l’affectation indécente qui a été apportée à prononcer mon nom, je vais vous expliquer ce que c’est que Bouxwillers. Bouxwil-lers est une dépendance du comté de Hanau, qui appartient au landgrave de Hesse-Darmstadt ; Neu-viîlers est une communauté voisine; dans cette communauté est un chapitre dont je suis le chef. On a affecté de dire qu’elle réclamait la conservation des biens ecclésiastiques, et notamment de ceux du chapitre dont je suis le chef. . . ( Des murmures interrompent M. l'abbé d'Eymar). Je n’inculpe pas le rapporteur, mais les commissaires du roi, parce qu’ils sont coupables, et je les dénonce d’avance; ils ont outrepassé leurs pouvoirs, en dénonçant ce qui s’est passé à Bouxwillers : ces faits ne sont pas de leur compétence. Il est très glorieux pour moi de dire qu’une communauté, composée pour les deux tiers de protestants, a eu la bonté de demander la conservation de son chapitre, qu’elle annonce lui avoir fait tout le bien possible. J’ai l’honneur de le présider, et je partage la gloire de ses bienfaits. Quant à ma conduite particulière, je soutiens avec force les mandats qui m’ont été donnés, et je les maintiendrai toujours. On dit que ces menées empêchent l’organisation des assemblées primaires. Eh bien ! j’atteste que l’Alsace, et surtout le comté de Hanau, désirent que ces assemblées soient organisées, pour y porter les vœux qu’on vous masque dans ce rapport. Je vais entrer dans la question.... M. Dupont (de Nemours). Je demande l’ajournement à une séance du soir. L’Assemblée doit s’occuper aujourd’hui d’une question plus împors» tante. (L’ajournement à la séance de demain soir est mis aux voix et prononcé.) M. le Président. La discussion est ouverte sur cette question constitutionnelle : « La nation doit-elle déléguer au roi l'exercice du droit de la paix et de la guerre? » M. le duc de Lévis a la parole. M. le duc de Lévis (1). Messieurs, je hasarderai mon opinion sur la grande question soumise à votre discussion, avec celte sorte de crainte que fait naître l’importance de la matière et la défiance de ses forces. Je vous demande donc un peu d’indulgence, et pour vous engagera me l’accorder, je promets d’être court et tâcherai d’être clair. Pour procéder avec méthode, je commencerai par traiter des deux espèces de guerres, offensives et défensives, puis du temps et des conditions de (1) Nous empruntons le discours de M. le duc de Levis, au journal le Point du Jour, Tome 6, page 56. — Cette version est beaucoup plus complète que celle du Moniteur. la paix; je dirai ensuite quelque chose sur les alliances; enfin, je proposerai à l’Assemblée une série de questions qui me paraissent devoir former l’ordre du travail. Tous les publicistes conviennent que le droit de guerre est un attribut de la souveraineté, mais aucun d’eux n’a pas assez approfondi son origine; pour moi, il me paraît qu’elle se trouve dans ce principe que vous avez consacré dans votre déclaration des droits de l’homme : « Tout homme a le droit de résister à l’oppres sion. » Il est clair, en effet, que si les hommes ont partiellement ce droit, toute la société, l’a aussi, puisqu’elle n’a été formée que pour faire jouir chacun de la force de tous. De là il résulte que le droit de repousser les attaques de ses ennemis est de droit naturel; mais de nul principe, de nul droit, l’on ne saurait tirer le droit de guerre offensive de droit chimérique de conquête, dont Grotius, Pullendorf et Montesquieu ont parlé, n’ont pour base que l’exemple des peuples conquérants, mais ne repose sur aucun droit. Je sais que Montesquieu a essayé de le justifier, en disant qu’il n’était qu’une conséquence du droit de défense, et qu’on pouvait attaquer et conquérir lorsqu’on pouvait craindre de l’être par la suite. Je demande qui jugera de l’intention, et il suffit d’ailleurs d’appliquer ce prétendu principe à l’état ordinaire de la société pour en reconnaître toute la fausseté et l’injustice. Je rencontre un homme dans un chemin ; il est armé; il pourrait m’attaquer; il en a peut-être l’intention; donc j’ai le droit de le tuer. Quels meurtres, quels crimes ne justifierait-on pas avec cette jurisprudence barbare ? je conclusqueledroit d’attaquer étant chimérique, ou plutôt n’étant qu’une violence, ne peut être exercé par la nation, ni délégué par elle; et que l’on ne m’oppose point ici la toute puissance de la nation, personne ne la respecte plus que moi, mais je sais qu’elle a, par la nature môme des choses, un terme que jamais rien ne saurait franchir, où commence l’injustice, là finit son pouvoir, là commence cet état violent que l’on a désigné par un nom bizarre, formé de mots monstrueusement rassemblés, le droit du plus fort. Après avoir traité de la guerre offensive et démontré que nul n’a le droit de la faire, qu’il me soit permis de vous rappeler ici l’amendement que j’ai eu l’honneur de vous proposer hier et gue vous avez ajourné à cette séance : il consiste à déclarer de la manière la plus solennelle « que jamais la nation française n’entreprendra rien contre les droits et la liberté d’aucun peuple, mais qu’elle repoussera, avec tout le courage et l’énergie d’une grande nation libre et puissante, les attaques de ses ennemis. » Je ne sais si je m’égare, mais je crois voir dans cette exposition simple et énergique, d’une grande vérité, quelque chose de consolant pour tous les amis de l’humanité, de rassurant pour tous les peuples de l’Europe qui leur persuadera que le règne de l’injustice et de la mobilité est passé pour nous, et j’y vois en même temps un moyen puissant d’honorer aux yeux de l’univers notre nouvelle Constitution et de montrer sur quelles bases, sur quels principes de vérité, d’humanité et de justice est fondée cette Révolution que les ennemis du bien public ont osé calomnier chez les nations étrangères, après avoir tenté, de tant de manières, de bouleverser leur patrie. Si vous adoptez, comme je l’espère, cette pro- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 mai 1790.] position, alors il ne vous restera plus qu’à statuer sur le mode de défense que vous adopterez pour cet empire, à décider si le chef de toutes les différentes parties d’administrations, celui qui seul peut sans danger être chargé du soin des négociations extérieures, n’est pas plus à portée de préparer aussi les moyens de défense, et plus à portée de juger quand ils sont nécessaires. Mais dans tous les cas, vous réserverez, sans doute, aux législatures prochaines, le pouvoir de voter en détail, et par conséquent de refuser toutes les sommes que les armements de terre ou de mer pourront exiger. Vous déterminerez, sans doute, ensuite, d’une manière bien précise, le mode de responsabilité des ministres et de tous les agents quelconques qui, par imprudence ou par des in-tentionscoupables, pourraient provoquer quelques hostilités, et la nation à l’abri de celte sauvegarde jouira d’une paix durable et glorieuse. A l’égard du droit de paix, le prince devant être chargé de la conduite de toutes les expéditions militaires, doit pouvoir, lorsqu’il le juge nécessaire, proposer au Corps législatif de faire la paix, en lui exposant la situation des forces nationales, les dangers qu’il y aurait à prolonger la guerre, et les avantages que procurerait la paix. Si ces motifs paraissent suffisants à l’Assemblée nationale, alors les négociations pourront s’ouvrir, le roi seul les dirigera, mais il ne pourra signer aucun traité définitif, qu’il n’ait été ratitié par le Corps législatif. L’on sent assez que, dans tous les cas, le roi ne pourrait pas prolonger la guerre contre le vœu de la nation, puisqu’elle seule peut lui fournir les moyens de la continuer. La question des alliances tient de trop près aux droits de paix pour qu’il soit possible de l’en isoler entièrement. Vous examinerez donc sans doute, Messieurs, si une nation a pu, sans sa participation immédiate et par la volonté seule ae son chef, être liée aux destinées d’un autre peuple et courir avec lui la double chance des événements et de l’impéritie d’un autre gouvernement que le sien; mais avant même de vous livrer à cette intéressante discussion, il vous faudra décider une grande question préalable, celle de savoir si notre marine et nos colonies exigent l’alliance d’une puissance maritime, les alliances sont plus utiles que nuisibles à la France; si un grand peuple de 25 millions d’hommes, dont trois sont actuellement armés renfermés entre des mers et des montagnes, défendus par une triple ligne des meilleures forteresses de l’Europe; si un tel peuple, dis-je, a besoin d’alliés et de ligues, et s’il ne devrait pas donner l’exemple de cette grande alliance universelle qui devrait unir toutes les nations et tous les hommes. Je n’ai fait qu’effleurer toutes les questions qui demandent à être approfondies et surtout avec plus de talents et je me borne à proposer, dans ce moment, de poser ainsi les questions sur lesquelles l’Assemblée prononcera. Série des questions. Examiner d’abord si l’Assemblée nationale déclarera, comme principe constitutionnel, que jamais la nation française n’entreprendra rien contre les droits et la liberté d’aucun peuple, mais qu’elle repoussera, avec tout le courage et l’énergie d’une grande nation libre et puissante, les attaques de ses ennemis. Dans le cas où l’affirmative passerait, décider si 527 le pouvoir exécutif sera chargé exclusivement de la défense du royaume, et quel sera le mode de responsabilité auquel ses agents seront soumis dans cette partie. Décidera qui appartiendra le droit de juger du moment où il faudra conclure la paix, et à qui il appartiendra le droit d’en régler les conditions. Décider si les alliances, précédemment contractées, doivent être ratifiées par la nation, et dans le cas où il serait jugé utile d’en former, à l’avenir, à qui la Constitution déléguera le pouvoir d’en contracter; enfin, à qui appartiendra le droit de faire des traités de commerce. M. le comte de Sérent. Il s’agit de reconnaître un principe dont bientôt il pourrait être fait une application dangereuse. Il s'agit de décider qui aura au dehors l’emploi de la force publique. Il ne faut se laisser aveugler ni par une complaisance servile, ni par une popularité mensongère, car c’est l’intérêt du peuple, et non st s désirs, qu’il faut écouter. Pour éviter la confusion, posons la question d’une manière simple. On doit examiner à qui du chef de la nation ou des représentants de la nation, doit être confié l’exercice du droit de la paix ou de la guerre; car sans doute on ne dira pas que les droits de la nation sont ceux des représentants : ce sophisme ainsi présenté est trop repoussant pour qu’il puisse avoir quelque succès; il n’était peut-être pas cependant hors de propos d’en faire l’observation. La question est donc celle-ci ; A qui la nation doit-elle, pour son plus grand intérêt, déléguer l’exercice du droit de la guerre et de la paix? La nation ne doit renoncer à la paix que lorsqu’on attaque ses propriétés et son honneur (car l’honneur d’une grande nation est aussi une propriété) ; quand on est obligé de renoncer à la paix, il faut que la guerre soit prompte. Voyons si cette promptitude se trouvera plus aisément dans une assemblée législative que daus le pouvoir dûm seul. Ici l’on prodiguera les sophismes contre les rois ambitieux et jaloux de la gloire des armes; on s'élèvera contre ces passions qui font verser le sang des hommes; mais qui ne sait qu’une assemblée nombreuse recèle encore plus dépassions qu’un conseil particulier; qui ne sait que les passions agissent d’une manière plus dangereuse dans le tumulte d’une délibération orageuse? Il m’en coûte de parler de corruption : il m’en coûte de dire que les nations étrangères viendraient répandre l’or au sein de nos assemblées; mais il est impossible de ne pas penser à ce qui s’est passé de nos jours en Suède et en Pologne. Des assemblées nombreuses sont peu propres à des opérations politiques, dans lesquelles il faut tantôt de la dissimulation, tantôt de la franchise, tantôt une marche secrète constamment suivie. Il faut faire des promesses ou des menaces pour obtenir la paix. Gomment toutes ces mesures pourront-elles être tenues dans une assemblée nombreuse et publique? Dira-t-on que le roi fera des négociations, et qu’il en présentera le résultat à l’Assemblée? L’allié se défiera de ses promesses; l’ennemi rira des menaces, quand l’un et l’autre pourront croire que le Corps législatif ne les approuvera pas... Ainsi la France perdra le respect qu’elle avait acquis; ainsi elle sera déchue de cette situation florissante qui faisait dire au roi de Prusse : « Si j’avais été roi de France, il ne se serait pas tiré un coup de canon en Europe sans ma permission. » Si le roi per- 528 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 mai 1790,] dait ses alliés, l’Angleterre, rivale dangereuse, deviendrait plus dangereuse encore, parce qu’elle n’aurait rien perdu de sa force. J’ajoute que les ministres pourraient agir sur cetle assemblée, et parviendraient peut-être à déterminer à leur gré la paix ou la guerre. Ainsi, tant de précautions auraient l’effet d’arrêter un ministre sage qui voudrait faire des négociations utiles, et serviraient un ministre ambitieux qui voudrait faire la guerre. Je crois donc qu’en attribuant exclusivement à l’Assemblée nationale le droit de faire la guerre, les hostilités ne seront pas moins fréquentes, et seront plus dangereuses. Ainsi l’intérêt de la nation exige que le droit de faire la guerre soit délégué au roi. Je me hâte d’ajouter, sur le droit de paix, que c’est à la fin d’une guerre qu’il faut déguiser les inquiétudes et les espérances, qu’il faut saisir le moment favorable : la lenteur et la publicité des opérations du Corps législatif y seraient également opposées ; ainsi, pour l’intérêt national, il faut laisser au monarque le droit de régler les traités de paix. Il n’abusera pas de ce droit, parce que sa gloire est commune à celle de l’empire. Je n’ai qu’un mot à dire sur les traités de commerce; le roi doit faire les négociations, et le Corps législatif en examiner les résultats. C’est des représentants de toutes les parties du royaume qu’on doit attendre tes connaissances générales et particulières qui doivent déterminer de semblables traités. M. le duc d’Alguillon. Jamais question plus importante n’a peut-être été soumise à votre délibération, surtout à raison des circonstances présentes. J’avoue que, dans mon opinion particulière, elle est aisée à discuter. Vous avez reconnu que tous les pouvoirs appartiennent à la nation, donc le droit de paix et de guerre lui appartient. J’observe que j’ai tort de dire le droit; la guerre offensive n’aurait jamais dû exister; la guerre défensive n’est point un droit, mais un devoir. Examinons si la nation doit déléguer ce devoir au pouvoir exécutif ou le conférer à ses représentants. Comme j’ai peu à ajouter à ce qu’a dit M. de Lévis, je me bornerai à représenter les inconvénients qu’il y aurait à déléguer au roi le pouvoir de la guerre. S’il était permis de citer une anecdote connue, je vous rappellerais que Louis XIV, s’apercevant qu’une fenêtre de Trianon était placée de travers, se mit dans une grande colère : Louvois, ministre et surintendant, dit à ses confidents : Le roi est occupé de trop petites choses, il faut lui donner des occupations plus sérieuses. La guerre fut faite : le sang des Français coulait : pourquoi? pour la fenêtre de Trianon. Les caprices des maîtresses, l’ambition des ministres décideraient donc ainsi du sort de la nation ! Je crois que cet inconvénient seul, quand il ne serait pas d’accord avec le principe, suffirait pour décider que le roi ne saurait avoir le droit de la guerre. Si tous les rois ressemblaient à Louis XVI, il n’y aurait point à balancer ; mais les meilleurs rois, mais Louis XVI lui-même n’ont-ils pas des ministres qui ont été souvent, qui sont peut-être encore les ennemis des intérêts du peuple? Je pense donc que le droit de la paix et de la guerre doit résider dans le Corps legislatif. On oppose l’inconvénient de la publicité : je crois que nous sommes dans une situation telle, que nous n’avons rien à craindre de nos voisins : je crois qu’un peuple généreux n’a pas besoin d’une politique tortueuse et embrouillée ; mais je crois que le roi, chef suprême du pouvoir exécutif, doit disposer librement de la force publique, lorsqu’il est averti de quelque projet formé par les ennemis extérieurs de l’Etat... Il vous reste quelque chose à faire; vous avez reconnu les droits imprescriptibles des hommes dans une Déclaration qui est un chef-d’œuvre; il vous reste à faire une déclaration des droits respectifs des nations, fondée sur desmaximes de paix et de justice... Mon avis est donc que la plénitude du droit de faire la paix et la guerre réside exclusivement dans le Corps législatif, et que le roi doit seul être chargé de porter les forces nationales sur les frontières, lorsque quelques parties de l’empire seront attaquées. M. l’abbé Jallet, curé de Chérigné. Messieurs, avant d’examiner si la nation française doit déléguer le droit de la guerre, il serait bon de rechercher si les nations ont-elles mêmes ce droit. Toute agression injuste est contraire au droit naturel ; une nation n’a pas plus le droit d’attaquer une autre nation, qu’un individu d’attaquer un autre individu. Une nation ne peut donc donner à un roi le droit d’agression qu’elle n’a pas : le principe doit surtout être sacré pour les nations libres. Que toutes les nations soient libres comme nous voulons l'être, il n’y aura plus de guerre; les princes seront plus que des rois, quand ils ne seront plus des despotes. Il est digne de l’Assemblée nationale de France de déclarer ces principes et de les apprendre aux nations mêmes qui nous ont appris à être libres. — Le droit d’examiner si les motifs d’une guerre sont justes doit-il être attribué au roi? celui de conclure des alliances et de faire la paix doit-il lui être confié? Ces droits sont une portion de la souveraineté, ils résident essentiellement dans lallation; elle doit en conserver l’exercice, si elle veut être toujours libre, si elle veut être toujours juste. Je propose le -projet de décret suivant: « L’Assemblée nationale déclare que le droit de guerre défensive appartient à toutes les nations ; que celui de guerre offensive n’étant pas de droit naturel ne peut appartenir à aucune. En conséquence, elle confie au roi l’emploi de la force publique pour la défense du royaume. Les négociations destinées à prévenir une rupture, ou à faire un traité de paix ou d’alliance, ne pourront être commencées par le roi sans le consentement de l’Assemblée nationale. Le comité de Constitution sera chargé de présenter un plan qui contienne le développement des principes du présent décret. » M. le comte de Custine. Avant de décider l’importante question qui nous occupe, il faut examiner la situation du royaume et les forces de l’empire. La France a les plus belles colonies du monde, mais il faut qu’elle puisse en transporter librement les productions; il faut que les exportations de la métropole se fassent avec la même liberté : cette liberté ne peut exister qu’avec une marine formidable. Nous devons être à même de réprimer les entreprises de l’Angleterre, qui tend sans cesse à la monarchie universelle. Voilà quelle est notre situation maritime : la prospérité de nos provinces excite la jalousie des puissances du continent; elles ont plus de 500,000 hommes sur pied, et sont toujours prêtes à commencer des hostilités. Il est possible que feignant d’avoir la guerre entre (As««mblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 mai 1790.1 elle, elles s’approchent de vos frontières et fassent une invasion subite. Disputerez-vous au roi le droit de prendre les dispositions nécessaires pour repous.-er des intentions hostiles? Voudrez-vous, si l’Assemblée législative est absente, attendre l’époque de son retour périodique? Un système de paix générale est bon pour un royaume’ entouré de mers, et qui ne peut craindre aucune irruption imprévue; mais il ne peut convenir à un empire qui touche de toutes parts à des voisins puissants. Un tel pays ne peut être gouverné par une démocratie tumultueuse, par un stathouder fastueux sons le nom de roi. Bientôt s’élèverait une dictature despotique, et ce système de paix générale n’aurait amené que des guerres inévitables ; nous perdrions un avantage essentiel à notre position. Les Anglais ne peuvent se procurer des matelots que par la presse; nos classes sont nombreuses. Si nous rendons nos matelots inutiles, l’Angleterre les attirera : cette nation se souvient d’événements anciens, qu’elle regarde comme des injures; elle méditera des projets de vengeance; nous nous serons nous-mêmes affaiblis pour augmenter ses forces : nous aurons perdu nos alliés, en indisposant nos voisins : il est donc indispensable, dans la position de la France, de laisser au chef suprême le pouvoir de faire des dispositions provisoires. Une fuis les dispositions laissées au chef suprême, ne serait-il pas illusoire de lui refuser le droit de faire la guerre? il testera toujours à la nation une ressource, c'est la responsabilité des ministres ambitieux. La nation ne pouvant exercer elle-même, doit donc laisser au roi le droit de la paix et de la guerre; mais elle doit connaître les circonstances qui nécessitent des armements. Ainsi, huit jours après h-s dispositions Faites, les ministres seront tenus d’en donner avis au Corps législatif s’il est rassemblé, ou aux membres de ce corps, s’ils sont dispersés dans les provinces : si les ministres avaient omis de se conformer à celte dispotion, ils seraient poursuivis à la réquisition des représentants de la nation. Tout minisire qui aura encouru la peine de la responsabilité sera puni de mort. M. Charles de Lameth. Pour décider celte question, il faut remonter aux principes qui sont déjà décrétés : l’on entreverra, comme une conséquence nécessaire, l’impossibilité de (tonner au roi le droit de déclarer la guerre. Quand cette conséquence ne serait pas aussi certaine, quand elle serait contraire aux principes, les circonstances où nous trouvons exigeraient au moins que la nation conserve ce droit d’une manière provisoire. Il faut analyser d’abord le droit de paix et de guerre; il est la manifestation du vœu général de la nation : or, esi-ce le roi qui peut exprimer ce vœu? Le droit de déclarer la volonté générale ne peut appartenir qu’aux représentants de la nation. Si je pouvais me servir d’une comparaison, je dirais qu’un manifeste de guerre ressemble au déploiement du drapeau rouge dans une cité. Ce sont les citoyens élus par le peuple qui déclareront que, d’après la volonté du peuple, et pour la sûreté générale, la force publique va être déployée contre les ennemis de la paix. D en est de même d’une déclaration de guerre. C’est au Corps législatif, c’est à la municipalité par excellence, qu’il appartient de la faire. On dira qu’il n’y a pas d’inconvénient à accorder l’exercice de ce droit au roi, parce que yous pourrez refuser des subsides ; mais cette Série. T. XV. m objeetion est absurde et dérisoire: c’est la ressource d’une insurrection qu’on vous propose, car le peuple est�en insurrection quand il refuse des subsides pour l’exercice du pouvoir qu’il a confié. Rappelez-vous, Messieurs, les raisons pour lesquelles on a écarté cette question, lors de la discussion sur le veto. On vous propose un crime pour remède à un décret. Un préopinant a dit qu’il y avait dans une assemblée aussi nombreuse plus de passions que dans un conseil particulier : c’est sans doute du conseil des ministres qu’il a voulu parler. Dans une grande assemblée il y a plus de passions pour le bien que de passions perverses ; et si quelques suggestions perfides peuvent s y introduire, c’est souvent par le silence que des membres séduits ont servi les ministres. On a objecté la lenteur, la publicité des délibérations, cela prouve tout au plus que le droit dont il s’agit estdifticile à exercer ; mais ce n’est pas une raison pour que la nation doive déléguer un droit que le soin de sa liberté exige qu’elle conserve. Ne pourrait-on pas instituer uu comité de guerre ?il aurait sans doute des inconvénients. Bravons ces inconvénients plutôt que de consacrer le plus dangereux, le plus abominable des principes. Jetez les yeux sur les malheurs que les guerres ont produits. Montesquieu, dont l’âme n’était pas aussi hardie que le génie était profond, n’a pas dit nettement que l’exercice du droit de faire la paix ou la guerre devait appartenir au roi ; en déplorant les guerres de Louis XIV, il a aussi fait sentir qu’il reconnaissait le danger de ce droit. Il en coûte à des Français de rappeler des traits nuisibles à la gloire de Henri IV. Quand la France, par un crime horrible, a perdu le meilleur de3 rois, ce monarque allait embraser l’Europe pour la possession de la princesse de Gondé. M. l’abbé Maury. C’est une calomnie ! M. de Lanieth. En supposant que ma citation fût inexacte, le préopinant, dont la prodigieuse érudiiion lui fournit souvent des citations, ne devrait pas m’interrompre; quand il en ferait d’inexactes, même sans le vouloir, je ne l’interromprais pas. Il doit en coûter à un Français d’accuser un roi que ia France honore de soq deuil; mais il n’en est pas moins vrai que le bonheur du peuple est plus sacré que la mémoire des rois, et que ce serait manquer à notre caractère, de dissimuler, sous quelque prétexte que ce soit, des exemples utiles. 'Les circonstances où nous nous trouvons nous font un devoir de dire la vérité tout entière; je n’y ai pas encore manqué, et les clameurs ne m’empêcheront pas de le remplir. J’ai avancé que Henri IV, au moment où un crime détestable nous a privés d’un bon roi, allait faire une tache à sa gloire et sacrifier le bonheur de son peuple à sa passion insensée pour la princesse dé Condé. (M. l'abbé Maury interrompt encore l'opinant.) Je le prouverai par dix monuments historiques, par les mémoires de sou ami Sully; il est impossible qu’ayaut toujours aime lai mémoire du Henri IV, il est impossible qu’avec leouite dont je fais profession, j’aie inventé ce Irait. J’ai mainienant à prouver que si des principes de la Constitution ne résultait pas le devoir de conserver à la nation le droit de paix et de guerre ; que si même il était de principe de le laisser au roi, les circonstances actuelles nous obligeraient à déroger à ce principe. Daignez réfléchir, daignez observer dans quelle cir-coustauce et de quelle manière est venu le diffé-34 330 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (17 mai 1790.] rend entre l’Espagne et l’Angleterre; c’est un vieux motif de guerre qu’on a réchauffé. Vous avez appris hier des préparatifs qui sont déjà une déclaration de guerre; vous ne pouvez ignorer les liaisoûs de l’Espagne: on sait bien que notre Constitution épouvante les tyrans, on connaît les mesures que l’Espagne a prises pour empêcher que les écrits publiés en France parvinssent dans cet empire. Une coalition s’est faite entre une puissancequi craint la Révolution pour elle, entre une puissance qui voudrait anéantir notre Constitution, et une famille qui peut être mue par des considérations particulières. En voilà assez pour vous faire pre.-sentir les motifs de cette guerre... Si vous décarez que le roi peut faire la guerre, la Constitution sera attaquée, et peut-être détruite; le royaume sera ensanglanté dans toutes ses parties, ài une armée se rassemble, les mécontents qu’a faits notre justice iront s’y réfugier. Les gens riches, car ce sont les gens riches qui composent le nombre des mécontents, ils s’étaient enrichis des abus, et vous avez tari la source odieuse de leur opulence; les gens riches emploieront tous leurs moyens pour répandre et pour alimenter le trouble et le désordre : mais ils ne seront pas vainqueurs, car s’ils ont de l’or, nous avons du fer, et nous saurons nous en servir. ( Toutes tribunes , toutes les galeries applaudissent avec transport.) Le droit de paix et de guerre appartient à la nation ; l’exercice de ce droit doit être conservé par elle: ce principe est consacré par les principes mêmes de la Constitution, par l’opinion de Montesquieu, et par l’expérience des siècles. Il n’y a pas lieu à un seul doute sur la question. Je sais bien que l’on objectera le pacte de famille; mais d’abord la famille d’un roi c’est son peuple ; mais lorsqu’un intérêt légitime mettra les armes à la main a un cousin de nos rois, il n’est pas un Français qui ne coure à sa défende... On veut que les assignats ne prennent pas faveur, que les biens ecclésiastiques ne se vendent pas ; voilà la véritable cause de cette guerre ..... Et certes ceux qui soutiennent en ce moment la prérogative royale ont une bien fausse idée des jouissances des rois. Si nous avions toujours un roi tel que le nôtre, un roi vertueux... {Il s'élève de grands murmures dans la partie droite de l'Assemblée.) Oui.... je le répète, sans crainte d’être désavoué par la majorité de cette Assemblée, par la majorité de la nation, qui est notre juge; si toujours le ciel, dans sa faveur, donnait à nos rois les vertus de Louis XVI, on pourrait, sans danger, augmenter sans mesure la prérogative royale : mais demanderait-il le droit qu’on réclame aujourd’hui pour lui ? mais ne serait-il pas affreux pour son cœur paternel, ce droit qui consiste à pouvoir envoyer librement des milliers de Français à la mort, ce droit qui ne peut s’exercer sans la dépopulation d’un empire? A la fin du règne de Louis XIV, la France était déserte... Je conclus: le pouvoir exécutif ne pouvant qu’exécuter, Je pouvoir de déterminer la guerre doit appartenir à la nation, et être exercé par ses représentants. M. le comte de Hrleu. L’inculpation faite à la mémoire de Henri IV est injuste. Suivant tous les historiens, il ne devait faire la guerre que pour abaisser la maison d’Autriche et pour parvenir à réaliser une paix perpétuelle que Henri IV a la gloire d’avoir le premier tentée. Je n’avais pas cru que les circonstances pussent être examinées en ce moment , je croyais que cette discussion ne pouvait s’ouvrir qu’après celle de la question principale. — Le pacte de famille est un traité vraiment national entre quatre puissances, les royaumes de France, d’Espagne, de Ndples, et le duché de Parme : il a pour objet principal de rendre les sujets respectifs citovens entre eux; il porte l’abolition du droit d’aubaine et rengagement d’une défense respective... La justice d’une guerre c’est la nécessité. Si l’une des quatre puissances est attaquée, les trois autres doivent la défendre. Je suppose que le différend actuel provienne d’une faute du cabinet de Madrid, et que vous croyiez devoir abandonner l’Espagne : notre union avec l’Espagne est nécessaire pour nous opposer aux entreprises d’une puissance qui ne cessera pas d’être notre rivale. Si l’Espagne est défaite, la force de l’Angleterre sera augmentée, et nos moyens politiques de résistance diminués. En défendant l’Espagne, c’est notre vie, c’est notre richesse que vous défendez. Notre commerce maritime lait vivre quatre millions de Français, les galions d'Espagne nous apportent l’opulence. . . Je passe au fond de la question. Aucun des opinants n’a répondu aux arguments de M. de Sérent : la meilleure réponse à leur raisonnement serait de les leur lire. Eu effet, il ne s'agit pas de savoir si le roi aura le droit de faire la guerre ou la paix, mais s’il est de l’intérêt de la nation de le lui confier. Où la natioa déposera-t-elle ce redoutable droit ? Est-ce dans la personne du roi? Alors vous aurez l’unité, le secret, la rapidité, qui sont indispensables dans des opérations politiques. Sera-ce dans une assemblée nombreuse, composée d’individus non rompus aux connaissances des affaires diplomatiques, qui ne seront pas responsables, tandis que cette responsabilité pèsera sur les ministres? J’appelle à mon secours l’exemple de la Hollande, des Athéniens, de la Suède... J’ajoute à ces raisons une considération importante. L’Assemblée des législateurs ne sera-t-elle pas changée en un champ de bataille où les nations puissantes viendraient faire combattre les piastres et les guinées? On dira en vain que les ministres pourront être soudoyés : des ministres qui seront arrivés au complément de l’ambition, des honneurs, des richesses, des distinctions, qui n’ont àdésirer quede conserver leur gloire, qui sont responsables, doivent être bien moins à craindre que ceux qui ne redoutent personne, et qui ont une fortune à faire. J’adopte les conclusions de M. de Sérent. M. le Président. Il est trois heures. Nous allons lever la seance et la renvoyer à demain malin neuf heures. La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. TIIOURET. Séance du lundi il mai 1790, au matin (1). La séance est ouverte à 9 heures du matin. M. Defermon, secrétaire , fait lecture des adresses suivantes : Lettre de la municipalité de Rennes en Bretagne ; elle dénonce à l’Assemblée nationale la (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.