426 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 février 1790.] [Assemblée nationale.J magistrats, qu’on arrache de leurs paisibles retraites, fussent accusés de vouloir mettre le trouble; qu’on aurait désiré que les portes eussent été ouvertes le matin pendant l’opinion des magistrats; qu’en les entendant, on aurait jugé s’ils étaient des perturbateurs du repos public. M. Gandon a toujours discuté d’une manière honnête et sensée. M. de Monthierry a mis plus «de chaleur, et a fini par rendre les magistrats responsables de tout ce qui pourrait arriver; ces derniers mots ont été : « Il faut que tout le monde se courbe sous les lois faites par la pluralité ou le grand nombre. » Une demi-heure au plus après la sortie de ces deux messieurs, la maison de M. de Gatuelan a été investie de soldats, tant de la milice nationale que des troupes réglées. Un piquet de six hommes est entré dans son appartement ; peu de moment après, ce piquet a été renforcé de cinq ou six autres soldats. M. de Monthierry est revenu environ une demi-heure après l’établissement de ce détachement, dans la chambre de M. de Gatuelan, il a dit aux deux magistrats qui étaient chez lui (MM. de Malfilatre et de Gonataudon, qu’on n’avait pas voulu laisser retourner chez eux) qu’ils trouveraient des sentinelles à leurs portes ; il a balancé à les renvoyer à leur demeure, escortés de deux fusiliers ; il s’est ensuite décidé à les y mener lui-même. Mais avant de sortir, il a établi les sentinelles. Son premier projet était de les placer en dedans de l’appartement ; sur la représentation de M. de Boispeau, qu’il couchait dans la chambre de sa femme, grosse de 7 mois, il a placé les deux sentinelles dans la cour. Vers les 7 heures du soir, on a annoncé une députation du comité, composée de MM. Gerbier, Gohier, Codet, Sevestre, Bonneu, Emoneteau ; M. Gerbier portait la parole, et a dit : « Nous venons, Monsieur, vous demander s’il est vrai que les magistrats qui se sont rassemblés ce matin, ont fait quelque acte portant improbation de la démarche qu’on faite il y a quelques jours, plusieurs membres de la noblesse. » M. de Gatuelan a répondu: «Je ne présidais pas les magistrats qui se sont rassemblés, vous devez, Messieurs, vous adressera M. deTalhouet. — Nous venons de chez M. de Talhouet, qui nous a dit avoir été d’avis d’enregistrer, mais que cet avis n’ayant pas passé, il n’avait plus pris part à la délibération; qu’il ne croyait pas, mais qu’il ne pouvait pas assurer (n’ayant pas écouté la délibération) qu’il eût été pris départi relativement à la noblesse ; vous avez dit, Monsieur, que vous auriez désiré que les portes de la chambre eussent été ouvertes, vous ne nous refuserez pas l’éclaircissement que nous vous demandons. — Messieurs, dans tous les cas ordinaires, je dois garder le secret des délibérations auxquelles j’assiste, mais quand mon silence pourrait autoriser une calomnie, quand il pourrait causer de la fermentation, je ne dois pas balancer à rendre hommage à la vérité; non, Messieurs, il n’a point été parlé de la démarche de MM. de la noblesse, et il n’a été pris aucun parti à cet égard ; on n’y a pas même pensé. M. Gerbier a repris la parole, et a dit : — Nous sommes chargés de vous demander...— Messieurs, j’ai déjà eu l’honneur de vous dire que je ne pouvais révéler le secret des délibérations, vous penseriez peut-être par adresse, m’amener, de question en question, à vous dire ce que je ne voudrais pas dire. Vous vous tromperiez. M. Gohier, alors, a pris la parole : Messieurs, il faut agir plus franchement, nous sommes chargés de faire trois questions à M. le Président. Il a répondu d’une manière bien satisfaisante à la première, la seconde est de lui demander s’il y a quelque chose d’écrit sur le registre; la troisième s’ils ont protesté contre le mandat donné par l’Assemblée nationale aux magistrats de la première chambre des vacations ; sur la première demande, il me semble que je n’ai rien à vous répondre, M. de Talhouet vous ayant dit qu’il avait été d'avis d’enregistrer la commission, mais qu’elle ne l’avait pas été, il résulte que, n’étant pas constitués, nous n’avons point eu de registre , s’il ne faut, pour vous satisfaire, que répondre à la troisième question, nous n’avons point cherché à nous envelopper du mystère; mais quand nous avons cru devoir refuser une commission qui nous a été adressée par le Roi, nous avons pensé qu’il devait connaître, le premier, les motifs de notre refus. Chaque magistrat est gardé par deux fusiliers ; quelques-uns les ont dans l’intérieur de leur appartement. Le 30, à 10 heures du matin, toutes les sentinelles ont été introduites dans l’intérieur de l’appartement de chaque magistrat ; elles y couchent alors. Telle a été, Messieurs, la conduite de 14 magistrats isolés, qui n’ont point refusé, comme on vous l’a dit, d’enregistrer les décrets de l’assemblée mais, de se constituer chaniibre de vacations, et de se charger de la commission qui leur avait été offerte : ils ont cru que leur conscience, leur honneur ne leur permettraient pas de faire ce que leurs prédécesseurs avaient refusé. Us ont pu être coupables d’erreur, mais j’ai peine à me persuader qu’un homme de bonne foi les regarde comme criminels ; quel pouvait être leur but? conserver leurs charges ? ils ne pouvaient se dissimuler que c’était la manière d’en être plus promptement dépouillés. Ameuter le peuple ? Ils avaient tout à craindre de son insurrection. Je le répète, ils ont pu se tromper : il faut les plaindre et non les punir. Serait ce au moment où vous vous préparez à détruire les parlements, et tous les tribunaux préexistants à la constitution, le lendemain du jour où le projet d’organisation du pouvoir judiciaire, qui annonce cette destruction a été lu, et applaudi à trois reprises dans cette Assemblée, ce qui semble présager son adoption, serait-ce à cette époque, dis-je, que vous appesantiriez un bras qui paraîtrait suivre un esprit de vengeance , sur 14 magistrats qui ont cru que si près de la fin de leurs carrière judiciaire, ils ne devaient pas sacrifier leurs principes à leur sûreté ? Permettez-moi de vous le dire, Messieurs ; je comparerais notre sévérité envers eux à la question préparatoire, à laquelle on livrait autrefois les accusés avant de les condamner à mort dans le cas même où nous les regarderions comme coupables; détruisez le parlement de Bretagne, quelques instants avant les autres; mais que votre jugement n’isole pas ses membres. J’irai plus loin, Messieurs, je n’interrogerai pas l’Assemblée entière, mais chacun des honorables membres qui la composent ; j’interrogerai, non leur justice, mais le sentiment intérieur de leur conscience, et je suis convaincu (j’aime à l’être) qu’il en est peu qui, dans la position des magistrats bretons, n’eussent pas agi comme eux. M. Target. Je propose de mettre aux voix le projet de décret présenté par les députés de Bretagne et d’ajourner la dénonciation de la ville de Rennes sur la conduite des magistrats. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 février 1790. | 427 M. le Président met aux voix le projet de décret. Il est adopté. Le surplus de la pétition de Rennes est ajourné à vendredi prochain, à une heure. M. le Président lève la séance, après avoir indiqué celle de demain pour neuf heures du matin, heure ordinaire. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY. Séance du jeudi 4 février 1790 (1). M. l’abbé d’Expilly, l’un de MM. les secrétaires, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. M. le Président annonce qu’il a présenté hier au soir, à l’acceptation du Roi, les nouveaux décrets de l’Assemblée sur les municipalités, et celui qui établit à Rennes une nouvelle chambre de vacations, composée de magistrats choisis dans la province de Bretagne, et hors du parlement de cette province. M. le Président dit en outre que le garde des sceaux l’a prié d’informer l’Assemblée que le Roi a cassé, par un arrêt du conseil, la nomination, faite en contravention des décrets de l’Assemblée, de la Grande-Ooyenne du chapitre de Remire-mont. L’Assemblée reprend la suite de la discussion sur la division des départements du royaume. M. Dupont {de Nemours), organe du comité de constitution, propose deux décrets concernant la division des deux départements du Bas-Maine et du Haut-Maine en districts. Les décrets sont adoptés ainsi qn’il suit : I « L’Assemblée nationale décrète d’après l’avis du comité de constitution ; » 1* Que le département de Laval est divisé en sept districts, dont les chefs-lieux sont Ernée, Mayenne, Lassay, Sainte-Suzanne, Laval, Craon et Château-Gontier; « 2° Que les établissements du district de Lassay pourront être partagés avec Villaines, l’option réservée à Lassay ; qu’il en sera de même de ceux du district de Sainte-Suzanne, en faveur de la ville d’Evron ; « 3° Que l’assemblée du département, sur le vœu de celle du district, déterminera dans laquelle de ces deux villes chaque établissement devra être fixé ; « 4° Que l’assemblée de département sera fixée à Laval, sauf à faire participer, s’il y a lieu, les villes de Mavenne et de Château-Gontier aux autres établissements qui pourront être décrétés par l’Assemblée nationale ; « 5* Qu’il seralibre aux départements d’Alençon et de Laval de faire les échanges nécessaires pour supprimer les embranchements respectifs ; qu’il sera libre à la communauté d’Anvers-le-Hamon et à ses dépendances, de passer au département (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. du Haut-Maine, à la charge par le département du Haut-Maine de céder à celui de Laval la paroisse de Saint-Pierre-de-la-Cour ; et dans le cas où il n’v aurait pas équilibre entre les paroisses d’Anvers-le-Hamon et de Saint-Pierre-de-la-Cour, de parfaire l’échange par l’abandon de quelques paroisses qui, jointes à celles de Saint-Pierre-de-la-Cour, égalent en population et en contribution celle d’Anvers-le-Hamon, ce qui sera réglé à l’amiable entre les deux Assemblées. » II « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de constitution : «1° Que le département du Haut-Maine est divisé en neuf districts, dont les chefs-lieux sont les villes du Mans, Saint-Calais, Château-du-Loir, la Flèche, Sablé, Sillé-le-Guillaume, Frenay-le-Gomte, Mamers et la Ferté-Bernard ; « 2° Qu’elle prendraen considération la demande des députés du Haut Maine, relativement au nombre et à l’emplacement des tribunaux de justice, lorsqu’il en sera question ; « 3° Que les limites extérieures du département et les limites intérieures des districts et des cantons serontcon formes à la carte signée, et remise au comité de constitution, sauf les échanges amiables qui pourront avoir lieu dans la suite ; « 4° Que dans le cas auquel la paroisse d'Anvers-le-Hamon, profitant de la liberté qui lui estdonnée par l’Assemblée nationale, passerait du Bas-Maine au district de Sablé, le département du Haut-Maine cédera à celui de Laval la paroisse et communauté de Saint-Pierre-de-la-Cour ; et si celle-ci n’était pas suffisante, que le département du Haut-Maine sera tenu de parfaire la compensation en population et contribution, par l’abandon de quelques autres paroisses ou communautés situées sur la frontière des deux départements du Mans et de Laval, ainsi qu’il sera aimablement réglé par les assemblées de ces deux départements. » M. Grossin, autre rapporteur du comité de constitution, prend la parole et rend compte des difficultés qui se sont produites pour la division du département de Bigorre. Plusieurs villes, dit-il, réclament d'être chefs-lieux de districts. La ville de Rabastens fait valoir sa situation sur plusieurs grandes routes, ses marchés et l’établissement d’une justice royale; la ville de Saint-Sever invoque son titre de capitale du Rustan et la facilité de faire des établissements publics dans un riche couvent de bénédictins établi dans cette ville. Trie, siège d’une grande subdélégation et d’une justice, demande, comme une indemnité qui lui est due, l’établissement d’un district. Tournai soutient la même demande, d’après l’établissement d’une justice royale qu’elle a dans son sein, ses marchés et sa“ population. Lannemezan et Gampan réclament aussi des districts. Enfin, Castelnau dans Rivière-Basse, fait la même demande ; mais le comité a pensé que ces villes étant placées dans les extrémités et n’étant pas les plus considérables, devaient céder les établissements des districts aux villes plus peuplées et plus centrale telles que Bagnère, Lourdes, Argelès, Tarbes et Vie, sauf au département à juger, si Trie pouvait avoir un sixième district, en réunissant des communautés voisines qui pourront s’annexer à l’avenir au département du Bigorre.