189 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 février 1791.] ces importants et décisifs, veuve avec une nombreuse famille et peu de fortune, avait le droit de ne pas être recherchée, déchirée par les ennemis de la chose publique, qui sont devenus les siens et les nôtres. Malgré les distinctions insidieuses que l’on voudrait faire, on ne parviendra jamais à jeter la désunion et l'inimitié dans une famille dont l’amitié et l’union ont toujours fait le bonheur. Ainsi, je m’associerai à ma mère et je la défendrai envers et contre tous. Je dirai qu’il vient d’être fait une motion par M. de Custine ; elle pouvait m’avoir pour objet, si ce n’est dans son intention, au moins dans les applaudissements qu’elle a reçus. Il y a longtemps que je cherchais ardemment l’occasion de pouvoir déclarer ma façon de penser à l’Assemblée nationale. Le jour même où cette gratification, accordée à ma mère, fut connue du public, elle ouvrit la carrière aux libelles et aux diffamations contre nous; et je formai le projet de faire bénéficier l’Etat, de rendre cette somme à la nation, delà manière qu’il me serait possible, sur mon propre bien, quoiqu’il ne soit pas considérable ; je la lui rendrai, soit que l’Assemblée décrète l’amendement que je n’ose appuyer, mais contre lequel je ne m’élèverai pas, soit qu’elle le repousse. Voilà, Messieurs, ce que je voulais dire à l’Assemblée nationale ; j’en prends l’engagement, je le rendrai public ; et les quittances qui me l’auront fait remplir seront des preuves authentiques. (. Applaudissements réitérés de tous les côtés de la salle.) M. le Président fait un résumé de la délibération. M. de Cazalès. J’insiste sur mon amendement qui consiste à ne pas ordonner de poursuites contre M. de Polignac. (L’amendement de M. de Gazalès est rejeté par la question préalable. ) M. l’abbé Grégoire. Vous avez entendu que la crédulité du roi a été surprise pour un don de 800,000 livres ; vous avez entendu qu’un ex-ministre prévaricateur, M. de Galonné, a été le principal ouvrier de cet œuvre d’iniquité ; je demande qu’il soit poursuivi comme solidaire du payement. ( Applaudissements .) M. Pison du Galand, rapporteur. Le comité adopte l’amendement de M. l’abbé Grégoire, et voici ses motifs : Lorsque M. de Polignac demandait à être indemnisé de la perte qu’il prétendait avoir faite, quel était le devoir du ministre des flnances?Son devoir était de remettre cette demande sous les yeux du roi, de s’informer à quel prix elle devait s’élever en effet. Point du tout ; au lieu d’instruire le roi de tout ce qu’il était important qu’il apprîtdans cette affaire, il le cache avec adresse ;il parle d’un droit de 48,000 livres, d’un droit à une indemnité d’un million, pour laquelle il prétend avoir fait accepter 800,000 livres. Le ministre a donc nécessairement participé à l’infidélité commise envers le roi. M. Lambert de Fronde ville. Je propose de dénoncer le ministre devant un tribunal. i\l. de Tracy. L’Assemblée est assez instruite pour rendre MM. de Galonné et de Polignac responsables ; mais elle ne l’est pas assez pour stipuler la somme. Je demande l’ajournement et le renvoi de l’amendement de M. l’abbé Grégoire à un nouvel examen du comité. M. Chabroud. Je crois que la responsabilité de M. de Galonné est un point de droit acquis ; mais, malgré cela, je ne crois pas nécessaire de l’énoncer dans le décret. Il suffirait de charger le contrôleur des restes de poursuivre M. de Galonné et M. de Polignac en restitution de la somme due. M. de Folleville. Il faut non un jugement, mais un ordre au contrôleur des restes. (L’Assemblée décrète l’amendement de M. l’abbé Grégoire.) Le projet de décret est adopté comme suit : « L’Assemblée nationale, considérant que l’engagement du domaine de Fénétranges aux sieur et dame ci-devant duc et duchesse de Polignac, a été substitué à des décisions en vertu desquelles ce domaine devait leur être concédé à titre presque entièrement gratuit, et qu’il résulte du registre particulier des décisions de finance, connu sous le nom de Livre rouge, qu’il a été accordé aux sieur et dame de Polignac une ordonnance au porteur du montant de la finance dudit engagement, laquelle est comprise dans le compte de l’arriéré de 1782, en sorte qu’aucune finance effective n’a réellement tourné au profit du Trésor public, décrète: « Que l’arrêt du conseil du 2 juin 1782, portant commission à la chambre des comptes de Lorraine pour l’aliénation dudit domaine, ci-devant baronnie de Fénétranges, aux sieur et dame de Polignac, au prix de 1,200,000 livres, l’ordonnance au porteur du montant de cette finance, énoncée dans le Livre rouge; la quittance de ladite finance, passée par le garde du Trésor royal le 26 du même mois de juin; l’arrêt de la chambre des comptes de Lorraine, du 13 du mois de juillet suivant, portant aliénation et délivrance dudit domaine, et tout ce qui a précédé et suivi, sont et demeurent nuis et révoqués ; en conséquence, que ledit domaine et ses dépendances, sans en rien excepter, sont et demeureront réuni3 au domaine national, pour, à compter du jour de la publication du présent décret, les biens et droits en dépendant être régis, perçus, administrés, et ses produits comptés par les agents et préposés de l’administration des domaines et les officiers des maîtrises, chacun pour ce qui le concerne, comme si ladite aliénation n'était pas intervenue. « Au surplus, l’Assemblée nationale décrète que la liquidation de l’indemnité du droit de huitain, dépendant du fief de Puy-Pauliu, à la somme de 800,000 livres, par la décision du 8 janvier 1786, est et demeure pareillement nulle et révoquée ; en conséquence, que l’agent du Trésor public se pourvoira tant contre M. de Polignac que contre le sieur de Galonné, ci-devant contrôleur général des finances, en répétition solidaire de ladite somme de 800,000 livres, sous l’imputation et compensation de la finance de l’engagement dudit droit de huitain, suivant qu’elle sera justifiée. » Une députation de la municipalité de Paris est in - troduitefl la barre. M. l’abbé Mulot, officier municipal, présente cette députatioii et s’exprime ainsi : « Messieurs, la municipalité de Paris ne pou- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 février 1791.] 190 (Assemblée nationale.] vait voir sans douleur l’abandon que faisait d’un roi chéri une partie de sa famille : elle a fait des démarches qu’elle a vu avec chagrin n’avoir pas tout le succès qu’elle en pouvait espérer. Dans ces circonstances délicates, 32 sections de la commune ont cru devoir manifester leur vœu, s’il était possible de le renforcer de l’opinion publique. « Messieurs, le temps presse, les circonstances sont urgentes ; le conseil général de la commune m’a chargé de vous présenter les commissaires des 32 sections qui vont avoir l’honneur de vous lire leur adresse. « Il m’est glorieux, Messieurs, de pouvoir, en cet instant remplir cette honorable fonction; et, si vous ne voyez pas à la tète des sections le citoyen vertueux que deux fois le peuple de Paris s’est choisi pour son chef, et qu’une maladie, suite de ses travaux civiques, prive de cet honneur; vous y voyez du moins un citoyen admirateur de vos décrets, un prêtre qui se fait gloire d’être soumis aux lois que votre sagesse a dictées. » (Appaudissements .) M. I�efèvre, orateur de la députation. « Messieurs, tandis que vous travaillez avec courage à élever l’édifice imposant de la liberté publique, chaque citoyen, à son poste, lit son devoir dans vos décrets et vous seconde par ses efforts. La France est couverte d’hommes ou armés pour défendre la Constitution, ou occupés à la bénir, et, jusqu’à présent nous avons vu, sans inquiétude, ceux qui devaient gémir du nouvel ordre de choses s’exiler d’un séjour d’où l’esclavage a disparu : mais, aujourd’hui qu’une portion de la famille royale manifeste aussi le dessein de quitter fa France, la nouvelle de ce départ alarme la capitale, et la commune de Paris nous a chargés, Messieurs, de déposer dans votre sein ses vives inquiétudes, exprimées par la majorité des sections. « Peut-être il vous paraîtra que Louis XVI, comme chef de la dynastie régnante, a droit de fixer près de lui tous les membres qui la composent; qu’il a sur eux une inspection naturelle et particulière; qu’ils doivent lui être soumis comme à leur tuteur, comme à leur père, comme à celui qui répond d’eux à la nation, dont la munificence leur assigne auprès de sa personne un traitement honorable. Le roi seul est dépositaire du pouvoir exécutif suprême, mais l’honneur en rejaillit sur tout ce qui l’environne; mais surtout son sang partage avec lui les fruits de ses fonctions augustes, tout son sang forme avec lui une maison inséparable, un tout indivisible, et c’est au Leu de sa demeure habituelle que sa famille paraît devoir résider. « On dit, Messieurs, qu’au mépris de ces principes, Mesdames les tantes du roi, s’autorisant de vos décrets, se disposent à s’éloigner du royaume. Nous ne recherchons point si ce voyage inconsidéré serait encore l’effet de quelques insinuations perfides. « Nous ne voulons pas croire que les tantes du roi aient jamais eu le projet d’aller encourager ou seconder par leur présence ces fugitifs qui osent menacer la patrie, comme des enfants faibles et malheureusement nés, lèvent la main contre leur mère. ( Applaudissements .) « Nousne croyons pas qu’elles veuillent, comme ces citoyens ingrats, disperser hors de la patrie des richesses qui ne leur ont pas été données pour cet usage et nourrir les étrangers de la substance nationale. Nous éloignons de nousla pensée qu’un sexe si timide, et fait pour conseiller la paix, soit chargé de négocier des traités de guerre. Nous nous refusons à l’idée que le départ de Mesdames soit une espèce d’essai adroitement suggéré pour exciter le peuple à quelque violence, afin d’acquérir le droit de s’en plaindre. (Applaudissements.) « Il nous suffit d’apprendre que ce départ afflige un roi patriote, dont on veut lasser le courage par des chagrins domestiques, pour vous demander une loi qui prévienne un pareil malheur; et déjà, Messieurs, cette loi serait faite si l’événement qui la nécessite ne vous eût pas paru impossible. Déjà l’un de vos membres a appelé votre attention sur le mode particulier d’existence propre à la dynastie régnante ; il vous a invités à fixer les d e voi rs de cette famille d on t vous n’avez encore déterminé que les prérogatives. Vous devez à la nation sur ce point une discussion approfondie, qui se lie si intimement aux bases de la Constitution; et par un ajournement déjà prononcé cette loi nous est promise. « 'Vous nous la devez aujourd’hui que le salut du peuple en dépend. L’exemple qu’on veut donner trouvera des imitateurs; et nous verrions peut-être un roi généreux, qui lutte depuis si longtemps, qui se livre avec tant de zèle aux nobles travaux que sa vertu lui impose, perdre successivement chaque jour un des objets de sa tendresse, s’effrayer de sa solitude profonde, verser dans son palais désert des pleurs que sa bonté nous épargne; nous redemander, dans un abandon douloureux, tous ceux qui, dans l’ordre de la nature, lui doivent le tribut de leur affection. ( Applaudissements .) « Pesez, Messieurs, dans votre sagesse les motifs de nos alarmes; calmez nos inquiétudes naturelles et légitimes; vous en avez le droit, vous en avez le pouvoir; car vos lois justes et bienfaisantes 11e trouvent que des cœurs prêts à s’y soumettre, et des bras prêts à les exécuter. ( Applaudissements à gauche; murmures à droite .) « Dignes organes de la France, représentants d’une nation qui a recouvré sa souveraineté, vous, qui tant de fois et de la même main qui traça les règles éternelles de la justice, avez repoussé les attaques de la Constitution, détruisez leur dernier espoir. « Voyez d’un côté des hommes errants, qui vont de cour en cour nous susciter des ennemis, qui cherchent à éveiller contre nous la haine des rois, que notre liberté fait trembler ; qui, pour échapper au mépris dont toutes les nations les accueillent, voudraient s’environner d’objets honorés ; qui nous menacent, dit-on, de ne rentrer dans nos murs qu’à la lueur des flambeaux de la guerre civile. Laisserez-vous des personnes que nous révérons s’associer aux dangers de leur vie errante? Leur livrerez-vous le seul dépôt qu’ils regrettent et le seul gage que soit capable de respecter leur fureur ? « D’un autre côté, voyez ce roi digne de servir de modèle à tous les rois de la terre, qui, d’une main puissante, a brisé les fers de l’Amérique esclave, qui a rendu à tous les peuples la navigation libre et paisible de l’océan; ce roi, l’ami de vos décrets, ne croit pas qu’il lui soit permis de retenir près de lui sa famille. Souffrirez-vous que son cœur ait des craintes à concevoir, dans l’attente de votre loi? Souffrirez-vous qu’on se dérobe à la tendresse qui lui est due ? Souffrirez-vous qu’on le punisse de nous rendre heureux? « Tels sont, Messieurs, les sentiments dont la |Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 février 1791.] jq| majorité des sections nous a rendus auprès de vous les interprètes et que vous prendrez sûrement en considération. Nos ennemis veillent pour tout perdre; veillons pour tout sauver. Dans l’état actuel des choses, on a droit de tout craindre; et, dans une Constitution naissante, cette crainte est la sauvegarde de la liberté. {Applaudissements répétés.) » M. le Président répond : « Messieurs, vous venez de proposer au Corps constituant une des plus grandes questions dont il ait à s’occuper. <. L’indépendance de tout autre pouvoir que de celui des lois est un droit de chaque citoyen, parce que cette indépendance constitue la liberté même d’une nation. Quiconque a le droit de résister doit connaître un fait : le devoir de l'obéissance ; et, comme chaque individu est obligé de consacrer à l’état social sa liberté, il faut qu’il puisse empêcher qu’aucun pouvoir, étranger à la volonté publique, n’étende ce sacrifice. « Ce principe est notre sauvegarde à tous ; mais il y a des exceptions aux règles les plus générales. « La famille royale est indivisible du Trône et ce n’est point là que la royauté peut trouver ni barrière, ni contrepoids. « xMême en voulant défendre la liberté, les membres de cette famille pourraient ne cacher qu’une ambition coupable, et l’on serait bien près de la tyrannie si Ja liberté avait besoin de chefs de parti. « Les membres de la même famille, s’ils osaient être rebelles aux lois, seront peut-être contenus sans trouble par leur chef, qui, en leur transmettant de grandes espérances, a le droit de leur imposer de grands devoirs. « Tous ces motifs, l’Assemblée nationale les pèsera dans sa sagesse ; mais ne croyez pas, quelle que soit la conduite de ceux qui l’entourent, que le monarque qui répare les fautes puisse être isolé. Un grand peuple est devenu sa famille; son nom, joint à celui de la nation et de la loi, est prononcé dans tous nos serments; et un ordre durable assurera tout à la fois son bonheur et sa puissance. « L’Assemblée vous invite à assister à sa séance ». {Applaudissements.) (L’Assemblee ordonne le renvoi de la pétition au comité de Constitution pour en rendre compte incessament ; elle en décrète également l’impi es-sion, ainsi que de la réponse de M. le Président.) (La séance est levée à neuf heures et demie.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DUPORT. Séance du mardi 15 février 1791, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin. Un de MM. les secrétaires donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier au soir, qui est adopté. M. Riquetti de Mirabeau l'aîné cède le fauteuil à M. Duport. M. Vernier, au nom du comité des finances. Messieurs, les nommés Morel et Prudhomme ont été transférés des prisons de Besançon dans celles de Paris ; une partie des frais de ce voyage a été avancée par les brigadiers et cavaliers des maréchaussées de Mon tereau et Fontainebleau; l’autre partie a été payée par les capturés mêmes. Il n’est pas sans danger et sans injustice de souffrir que des prisonniers payent ainsi leur dépense ; une loi générale pour déterminer le mode de payement de frais de conduite des prisonniers est nécessaire. Je propose le renvoi de cette question générale au comité de Constitution et j’ai l’honneur de vous présenter pour le cas particulier qui nous occupe actuellement le projet de décret suivant: « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de ses comités des finances et des recherches, sur le mémoire des brigadiers et des cavaliers de maréchaussée ès résidences de Montereau et de Fontainebleau, à raison d’une partie des frais de conduite des nommés Morel et Prudhomme; partis des prisons de Besançon pour être amenés à Paris, « Décrète qu’il sera payé auxdits brigadiers et cavaliers, par le Trésor public, la somme de 316 livres portée audit mémoire ; et, à l’égard de l’autre partie desdits frais, l’Assemblée renvoie l’objet au comité de Constitution, pour être fait une loi générale sur les règles et le mode de payement des frais de conduite des prisonniers. » (Ce décret est adopté.) M. Merlin, au nom du comité féodal. Messieurs, votre comité féodal m’a chargé de vous proposer plusieurs dispositions additionnelles au décret que vous avez rendu sur les droits féodaux. A l’article 15, après ces mots: « en forme olographe, » il s’agirait d’ajouter l’exception suivante: « Sans préjudice, jusqu’à présent, de l’exécution du statut Delphinal, ou autre loi semblable; concernant les formalités des donations entre vifs, pour lesquelles le juge de paix sera subrogé à l’officier seigneurial. » Nous vous proposons ensuite d’intercaler entre les articles 18 et 19 un nouvel article ainsi conçu : « Sont pareillement valides, à compter de leurs dates respectives, toutes les transcriptions de contrats ou autres actes qui, dans les ci-devant pays de nantissement, ont pu être faites aux greffes des tribunaux de districts, en conformité de l’article 3 du décret des 17 et 19 septembre 1790, antérieurement à la publication officielle de cette loi. » Enfin, après les articles relatifs aux droits de Mairie et de messerie, nous vous demandons d’introduire la disposition suivante : « Les suppressions prononcées par les deux articles précédents auront leur effet à compter del’époque déterminée par l’article 11 ci-dessus » (Ces additions sont décrétées.) M. VouIIand. Messieurs, voici une lettre des administrateurs du directoire du district de Nîmes : « Vainement le fanatisme a voulu, dans le (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.