684 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {12 avril 1790.] 1. le baron de llenou fait ensuite à l’Assemblée le discours suivant : « Messieurs, lorsque je vins m’asseoir à la place où vos suffrages m’avaient élevé, je réclamai votre indulgence, et je vous offris zèle, courage et impartialité, je ne sais si j’ai rempli mes enga-ments. J’ose quelquefois m’en flatter. Mais bien assuré que vous avez eu égard à ma réclamation, je viens vous offrir l’hommage de ma respectueuse reconnaissance et de tous les sentiments que vos bontés m’ont inspirés; mais avant de remettre la place que je viens d’occuper, à celui que vos suffrages y ont élevé à bien plus juste titre que moi, qu’il me sois pprmis, Messieurs, de vous prier, de vous conjurer, au nom de l’amour du bien public et de la patrie, d’accélérer vos travaux. « Rappelez-vous que toutes les parties de l'administration languissent ; que de toutes parts les peuples, dont vous voulez faire le bonheur, soupirent après le rétablissement de l’ordre. Songez ue les besoins de vos finances, l’organisation u pouvoir judiciaire, celle de l’armée, celle des gardas nationales, sont vos travaux les plus pressés. Sans tribunaux et sans force publique, nulle loi ne peut être exécutée, nulle tranquillité ne peut exister. Jetez vos regards sur votre situation politique à l’égard des puissances étrangères, et vous serez facilement convaincus de la nécessité indispensable de montrer, sur vos frontières, des forces imposantes, qui feront connaître à l’Europe entière que si, sous une constitution libre et fondée sur les principes de la justice et de la morale, on n’entreprend jamais de guerre offensive, on sait du moins se faire respecter et prendre le ton qui convient à une grande, riche et puissante nation. « Mais pour accélérer vos travaux, Messieurs, le plus sûr, je dirai même le seul moyen qui convienne, c’est de délibérer d’une manière froide tranquille, réfléchie. Mais le choc des intérêts personnels s’y oppose, me dira-t-on? Des intérêts ! est-ce que ce motif peut diriger les représentants de la nation? Non, sans doute. Tous doivent, pour ainsi dire, faire abnégation d’eux-mêmes, et l’Assemblée nationale de France n’a certainement d’autre objet, dans ses travaux, que de rendre le peuple * t le monarque heureux, de fonder la liberté et d’affermir la Constitution. » M. le marquis de Bonnay prend place au fauteuil du président, et dit à l’Assemblée : « Messieurs, la nature des circonstances, au milieu desquelles vous daignez m’appeler à l’honneur de vous présider, rend cette marque de confiance plus redoutable encore qu’elle n’a coutume de l’être, et me fait trop sentir mon insuffisance; mais si l’exemple de mes prédécesseurs n’a pu me communiquer leurs divers talents, il m’a du moins tracé mes devoirs. Il m’a appris que le premier de tous était de prouver mon respect pour vos lois, en réunissant tous mes efforts pour les faire observer. Tel est le but que je me prescrirai constamment dans la carrière honorable, mais difficile, que vous m’ordonnez de parcourir. J’ose, Messieurs, en prendre l’engagement devant vous, et j’espère vous prouver, par toute ma conduite, combit n j’attache de prix à obtenir vos bontés et surtout votre estime. » L’Assemblée vote des remerciements à M. le baron de Menou, et lui témoigne sa satisfaction, pour le temps qu’il l’a présidée, par les plus vifs applaudissements. M. Bouche fait une motion tendant à constater l'état du produit des matières d1 or et d'argent converties en monnaies et l’état des caisses publiques. Cette motion est ainsi conçue : « 1° Que les directeurs des hôtels de monnaies, qui, le premier mai prochain, u’auront pas satisfait au décret du 11 février dernier, seront privés, pendant vingt ans, de tous les droits de citoyens actifs, l’Assemblée nationale se réservant de prononcer de plus grandes peines, s’il y a lieu; « 2° Que, le 8 du mois de mai prochain, les officiers municipaux des villes où les hôtels des monnaies sont établis, se transporteront chez le directeur, et se feront représenter par lui la preuve qu’il a satisfait au décret du 11 février et à celui de ce jour; « 3° Qu’à défaut de cette preuve, l’Assemblée nationale autorise les officiers muuicipaux à se faire exhiber les livres, registres, journaux et pap ers contenant le détail et la quantité des matières d’or et d’argent que le directeur aura reçues, depuis le premier septembre 1789 jusqu’à ce jour, du numéraire que ces matières ont produit, et de l’emploi qu’il a fait de ce numéraire. Les officiers municipaux en dnsseront un état qu’ils feront signer par le directeur, et le feront parvenir sur-le-champ à l’Assemb’ée nationale ; « 4° Que, pour la plus grande instruction, l’Assemblée nationale ordonne aux officiers municipaux de tout le royaume, de lui adresser, dans trois semaines, à compter de ce jour, un état signé et certifié par les trésoriers ou rect-veurs municipaux, de la somme à laquelle se montera la contribution du quart des revenusdans leurs communautés, du numéraire effectif que cette contribution a produit jusqu’à ce jour, de celui que les autres impôts ont fait verser dans la caisse de la commune, de celui qui s’y trouvera au moment que le susdit état sera dressé; enfin de la somme à laquelle s’est élevée ou s’élèvera la contribution des ci-devant privilégiés, pour les six derniers mois de l’année 1789 ; « 5° Qu’il soit ordonné à tous les trésoriers et receveurs, tant généraux que particuliers, des provinces et des généralités, de lui adresser, dans trois semaines, à compter de ce jour, un état, par eux signé et certifié, de toutes les sommes qu’ils ont envoyées en numéraire ou en papiers, aux receveurs des finances à Paris, ou directement an Trésor royal, depuis le premier septembre 1789, jusqu’à ce jour, et du numéraire effectif qu’ils auront dans leurs caisses, au moment où ils dresseront le susdit état ; « 6° Pour tirer du présent décret, tout le fruit que l’on peut en espérer, qu’il soit nommé douze commissaires qui ne seront d’aucun comité, auxquels le président et les membres de l’Assemblée nationale remettront les instructions, états et inventaires qu’ils recevront des provinces, généralités et villes, sur les objets ci-dessus, et eu feront leur rapport au temps qui leur sera indiqué ; « 7° Que Sa Majesté soit suppliée de sanctionner aujourd’hui le décret à rendre, et de donner des ordres pour que l’envoi en soit fait sur-le-champ aux officiers municipaux, qui le feront notifier, sans perdre de temps, chacun dans sa ville, aux directeurs des hôtels des monnaies, et aux receveurs et trésoriers, tant généraux que [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1S? avril 1790-1 particuliers des provinces, des généralités et des villes. » Après quelques observations faites par divers membres, la motion de M. Boucbe est renvoyée au comité des tinances. L’Assemblée décrète ensuite, comme règlement de police intérieure, que les places auprès des poêles et les marches du Bureau, resteront vacantes, pour éviter la confusion qui naît quelquefois du groupement dans cette partie de la salle. M. le due d’Aiguillon fait une motion pour que le comité militaire et le comité de constitution s’assemblent, ce soir à six heures, pour préparer et rapporter à l’Assemblée, mercredi pro-ch-dn, après la lecture du procès-verbal, les articles constitutifs concernant le militaire, dont les hases et les principes sont déjà décrétés. Cette proposition est adoptée. Un de MM. les secrétaires donne lecture d’une délibération du district des Prémontrés, relativement au règlement général pour la commune de Paris et de celle du troisième bataillon dit des Cordeliers de la deuxième division de la garde nationale de Paris, qui, sur la question de la permanence des districts, s’en remettent absolument à ce qui sera décidé par l’Assemblée nationale. Ces pièces sont renvoyées au comité de constitution. il est fait lecture d’une adresse du sieur Fortin, citoyen de Rennes, par laquelle il supplie l’Assemblée de faire nommer des examinateurs de l’étuve frictionnaire et fumigatoire pour les noyés, dont il est l’inventeur. L’Assemblée ordonne le renvoi au comité d’agriculture et de commerce. On passe à l’ordre du jour qui porte sur les quatre premiers articles du projet de décret présenté par M. Ckasset, au nom du comité des dîmes, sur le remplacement de la dîme. M. Roederer. Nous avons décrété que la disposition des biens du clergé appartenait à la nation. La question qui se présente aujourd’hui est de savoir s’il convient, s’il est utile de retirer dès à présent les biens ecclésiastiques aux titulaires des bénétices : depuis le décret du 2 novembre, on n’a plus le droit de demander, comme l’a fait hier M. l’evêque de Nancy, si vous avez le droit de disposer de ces biens. Ainsi, à moins de vous exposer à violer la foi jurée, il faut convenir que vous avez ce droit, et se borner à examiner ensuite les avantages qui résulteront de l’usage que vou3 ferez de ce droit. M. l’évêque de Nancy se croit autorisé à protester, au nom de ses commettants, contre ce que vous allez décréter à ce sujet ; et pour autoriser cette protestation, il s’appuie du silence des cahiers ; on pourrait lui répondre que les ordres qui ont fait les cahiers n’avaient pas le droit de faire des cahiers ; mais ce qui répond plus nettement à M. l’évêque de Nancy, c’est que les peuples ont partout applaudi à vos décrets ; c'est que des députés de Nancy, de laquelle ville M. l’é\êque de Nancy est député, sont venus vous apporter à la barre l’adhésion la plus entière à vos décrets ; mais je revieus à la question : est-il utile de décréter dès à présent la vente des biens du clergé? Le principe qui me parait le plus à l’appui de l’aftirmative, c’est celui qui veut que toutes les fonctions publiques, quelle qu’en soit la nature, soient payées en m argent, d’une manière déterminée : des fonctions publiques ne doivent pas être payées en fonds territoriaux ; les fonctions ecclésiastiques donnent d’ailleurs un trop grand empire, dans la société, à ceux qui les exercent, pour qu’on ne doive pas leur refuser celles que donnent encore les propriétés territoriales. On réclame une exception en faveur des curés de campagne : on vous parle de l’intérêt des pauvres, dont M. l’évêque de Nancy s’est particulièrement occupé à la tribune. (U s'élève quelques murmures dans le côté droit de la salle.) M. l’abbé Grégoire. J’observe qu’il serait dur de dire que M. l’evêque de Nancy ne s’est occupé des pauvres qu’à la tribune. M. Roederer. J’habite une ville voisine de Nancy, et je ne parle que d’après l’opinion générale... Il me semble que l’aumône ne peut et ne doit être la charge d’aucun ecclésiastique quelconque. Si l’assistance des pauvres est une charge publique, elle exige une destination de fonds particuliers; l’aumône ne doit donc pas être confiée à des individus. L’acquittement de la dette la plus sacrée ne doit pas être confié à des individus isolés, et contre lesquels il est difficile de recourir. Le ministère du culte ne doit plus être que le ministère du culte. Ce que la religion commande aux ministres du cube, elle le commande à tous ses sectateurs. D’après les principes que je viens d’expostr, je pense qu’il faut retirer sans délai les biens ecclésiatiques des mains des ecclésiastiques, parce qu'il est très impoi tant que l’ancienne existence du clergé soit séparée de celle qu’il vous plaira lui donner, parce qu’il faut intéresser le clergé à la Révolution comme tout autre créancier du Trésor national. Il faudra toujours retirer à l’avenir la totalité des biens ecclésiastiques. Si ces bieus rentrent successivement uaus les mains de la nation, il sera impossible d'avoir une idée fixe de l’état dans lequel seront les finances. Tout se réunit donc dans mon esprit pour vous faire adopter les quatre articles qui vous sont proposés par votre comité. Je finis en observant que les ecclésiastiques qui ne seront point employés par la nouvelle constitution devront obtenir d’elle un sort favorable. M. le curé Dillon. Quoique je sois intimement persuadé qu’il est instant et juste de veudre les biens du clergé, cependant je crois que vous devez, en ce moment, accorder aux curés de campagne seulement une dotation en fonds de terre, simplement de la moitié de leurs revenus ; mais lorsque les circonstances le permettront, les pauvres gagneront beaucoup à cet ordre de choses, l’agriculture n’y gagnera pas moins. Les pauvres honteux, car Messieurs, il en existera toujours, quoi que vous fassiez, s’adresseront sûrement de préférence à leurs pasteurs. Si le curé de campagne ne recueille rien, il n’achètera pas pour donner, il ne pourra pas d’ailleurs acheter ; il donnerait un boisseau de blé s’il recueillait ; il donnerait, s’il avait des bestiaux, du laitage, si nécessaire aux enfants. Je pense donc qu'il est juste d’ordonner que les municipalités seront autorisées à laisser aux curés de campagne la jouissance des propriétés qu’ils ont déjà. A la mort de chaque titulaire, on fera une estimation à dire d’experts, et la propriété usufruitière passera ainsi dans les mains de leurs successeurs. Je ne puis être de l’avis de ceux qui veulent tout vendre ; on a souvent dit dans